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Eau potable : des traitements complémentaires pour éliminer les polluants spécifiques

30 septembre 2015 Paru dans le N°384 à la page 35 ( mots)
Rédigé par : Isabelle BELLIN

En France, les stations d'épuration et les usines de potabilisation, en l'absence d'obligations précises, sont en première ligne pour faire face à la multiplication des micropolluants ou de nouveaux polluants. Elles s'efforcent cependant d'adapter leurs traitements pour maintenir la qualité de l'eau produite. Les solutions passent par l'association de procédés biens connus d'ozonation, d'adsorption sur charbon actif ou sur résines échangeuses d'ions, de filtration membranaire, d'ultraviolet' Ces mêmes solutions sont néanmoins mieux évaluées pour traiter les eaux usées, notamment sous l'impulsion de certains pays comme la Suisse, qui imposent de nouvelles réglementations. Un choix moins coûteux et plus efficace. À terme, l'objectif serait toutefois d'éviter les pollutions à la source.

La qualité des eaux brutes évolue sans cesse. On les suspecte, depuis une quinzaine d’années, de contenir de plus en plus de micropolluants et de nombreux composés susceptibles d’avoir une action toxique à des concentrations infimes, de l'ordre du micro ou nanogramme par litre (µg/l ou ng/l). Sont concernées, selon l'Union européenne, plus de 110 000 substances issues de procédés industriels, de pratiques agricoles ou même d’activités quotidiennes : des polluants organiques (pesticides, hydrocarbures, solvants, détergents, cosmétiques…), des produits pharmaceutiques et perturbateurs endocriniens (bêtabloquants, antidépresseurs, analgésiques, antibiotiques, hormones, pastilles toilettes…), des métaux et métalloïdes, éléments radioactifs (plomb, cadmium, mercure, arsenic, radon, uranium…).

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[Photo : En poudre ou en grains, le charbon actif est utilisé en phase liquide dans de nombreuses applications liées à la purification de l'eau potable.]

Les méthodes d’analyse les détectent de plus en plus fréquemment et leur spectre s’élargit sans cesse. « Or le cycle de l'eau est de plus en plus court et parfois bouclé dans les régions de fort stress hydrique comme Singapour ou Hong-Kong, bientôt la Californie, où les eaux usées sont réutilisées à des fins potables, explique Antoine Walter, responsable commercial pour la Suisse et l’Allemagne pour les technologies ozone, UV, membranes et AOP chez SUEZ. Pour la plupart, ces composants non réglementés ne sont pas traités à proprement parler. Leur bioaccumulation est problématique, comme celle des édulcorants de sodas. Cela dit, techniquement, nous avons des solutions pour bloquer la plupart des micropolluants, à l’exception des métaux lourds ».

Les micropolluants sont un sujet de recherche depuis une quinzaine d’années. Au-delà de chaque molécule, c’est leur effet à long terme et en mélange (effet cocktail) qui reste à évaluer. Il y a plusieurs façons de considérer le problème. Les traitements au niveau des usines de potabilisation en sont une. Mais comme le préconise le Plan Micropolluants (2010-2013, reconduit pour 2014-2018), mieux vaut y remédier à la source en limitant les rejets. Ce que testent Veolia ou SUEZ. Lorsque cette pollution ne peut être évitée, elle peut être traitée au niveau des stations de traitement des eaux usées : la meilleure solution selon les grands opérateurs d’eau. Nous y reviendrons. Les procédés sont d’ailleurs souvent les mêmes. Seules les doses doivent être adaptées pour traiter de plus faibles concentrations en station d’eau potable. En France, pour l'eau potable, l’arrêté du 11 janvier 2007 fixe des normes de qualité à respecter (chlore, calcaire, plomb, nitrates, pesticides, bactéries...). Rien ne concerne spécifiquement les micropolluants. Et selon Kader Gaid de Veolia Water Technologies, cela ne devrait pas évoluer avant 2020 voire 2025. Concernant les pesticides, la norme française se conforme à la norme européenne et limite à 0,1 μg/l la concentration maximale pour la plupart des substances et la concentration totale en pesticides ne doit pas dépasser 0,5 μg/l. Pour les nitrates, la norme est de 50 mg/l maximum.

Le charbon actif : sur tous les fronts

Comment font les usines de potabilisation face à cette situation complexe et évolutive ? De manière générale, après un prétraitement (dégrillage et tamisage), les eaux brutes subissent une clarification (coagulation, sédimentation, filtration) puis une désinfection. Lorsqu’elles contiennent beaucoup de matière organique ou de l’ammoniaque, du fer, du manganèse..., une étape d’oxydation préalable est nécessaire (en général par chloration ou ozonation). Si besoin, la dureté et l’acidité de l’eau sont corrigées. « Le souci majeur en France concerne la matière organique, indique Kader Gaid (Veolia Water Technologies), micropolluants mais aussi aldéhydes et THM (trihalométhanes, sous-produits de la chloration). Même si la référence en termes de qualité en carbone organique dissous est de 2 mg/l, on nous demande de plus en plus souvent 1 mg/l ». L’adsorption sur charbon actif est devenue la norme. Les composés organiques dissous et certains micropolluants (hydrocarbures, pesticides, métaux) qui ont échappé à la clarification sont fixés, à l'état gazeux ou liquide, dans les micropores du charbon actif en suspension ou sous forme de lit filtrant. Dans le cas précis du traitement des eaux usées ou de l'eau potable, il s’agit uniquement d’adsorption des polluants en phase liquide. Le charbon actif en poudre est renouvelé en continu, même en cas de recyclage. Le charbon actif en grains, en revanche, est utilisé pendant plusieurs années avant renouvellement.

Depuis 2008, Veolia propose le traitement Actiflo® Carb associé à la clarification Actiflo®. Le procédé met en œuvre du charbon actif en poudre avec un abattement annoncé jusqu’à plus de 95 % des pesticides et des produits réfractaires. « Cela permet de faire en même temps l’affinage et la dépollution des eaux, résume Kader Gaid. En fonction de la qualité de l’eau brute et des performances à atteindre, le procédé est également disponible en version Actiflo® Twin Carb : un premier étage de clarification Actiflo®, suivi d’un deuxième étage d'affinage Actiflo® Carb. Cela permet d’amplifier l’élimination des matières réfractaires et de réduire la consommation en charbon actif. On peut ainsi, par exemple, réduire le carbone organique total d’environ 15 mg/l dans l’eau brute à moins de 2 mg/l. Le charbon actif en grains, toutefois, n’est utilisé que pendant plusieurs années avant d’être remplacé. Environ 63 usines ont déjà adopté cette méthode en Allemagne...»

[Encart : Les stations d’épuration suisses seraient d’ores et déjà capables d’éliminer 60 % des micropolluants avec les infrastructures actuelles. Pour aller plus loin, plus d’une centaine de stations devront être équipées de traitements spécifiques de micropolluants d’ici le 1er janvier 2016. Elles traitent environ la moitié des eaux usées du pays. Sont concernées les stations auxquelles sont raccordées plus de 80 000 équivalents habitants (EH), celles de plus de 24 000 EH situées dans des bassins-versants de lacs, celles de plus de 8 000 EH dont les rejets représentent plus de 10 % du volume du cours d'eau, et celles situées dans un parc naturel. Les technologies basées sur l'ozone et le charbon actif sont considérées comme les plus efficaces par l’Office fédéral de l’environnement (Ofev). Le surcoût d'exploitation a été évalué à 2,6 % avec l'ozone et à 10,3 % avec le charbon actif.]
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[Photo : Actiflo® Carb associe les performances de floculation et décantation rapides de l'Actiflo® aux capacités d’adsorption du Charbon Actif en Poudre (CAP) en vue d’éliminer les composés réfractaires au procédé de clarification.]

Le charbon actif en poudre tourne en continu dans le réacteur. Cela permet de maintenir une concentration importante, autour de 1 à 2 g/l. Il faut injecter entre 5 et 20 mg/l de charbon en poudre tous les jours selon la qualité de la ressource et les polluants à éliminer. Veolia dispose d’une vingtaine de références d'usines équipées en Actiflo® Twin Carb en France, de 4 000 à 100 000 m³/j traitées, une aux États-Unis et une en Chine à Fuyang (250 000 m³/j).

De son côté, Saur et sa filiale ingénierie Stereau équipent des stations d’eau potable et d’eaux usées avec la technologie CarboPlus®, brevetée en 2010. À la fois réacteur de contact et de séparation, CarboPlus® se caractérise par sa compacité. Situé en amont de l’étage de filtration finale, il s’intègre facilement au sein d'une usine de production d’eau potable neuve ou existante.

Coupler ozonation et charbon actif

L’autre principale solution de dépollution est l’ozonation, qui permet d’oxyder les composants, de les casser et de générer des radicaux libres hydroxyles (HO•), un oxydant encore plus puissant que l’ozone. Les composants formés deviennent dès lors très facilement adsorbables. Mais l’ozonation risque de créer des sous-produits eux-mêmes toxiques. D'où la solution retenue notamment par Suez et Veolia qui consiste à combiner ozonation puis piégeage sur charbon actif. « Aujourd’hui, c'est le traitement clé des micropolluants en eau potable, assure Antoine Walter de Suez. Lorsque la qualité de la ressource est très variable, nous y associons au préalable une ultrafiltration membranaire, un traitement physique qui permet d’ajuster les caractéristiques pour les rendre plus constantes. Nous avons de nombreuses références, depuis plusieurs années, mettant en œuvre ces différentes techniques. Ce traitement classique de l'eau potable permet, de fait, de traiter une bonne partie des micropolluants. »

Dernier exemple en date : la station des Moises (325 m³/h) sur le bassin-versant du lac Léman (Suisse), inaugurée en septembre 2013, qui intègre ultrafiltration membranaire, ozonation et charbon actif.

Veolia Water Technologies a récemment équipé cinq usines d'eau potable, dont celle de Nantes, en construction, couplant ainsi ozonation et charbon actif. Kader Gaid confirme que cela permet d’éliminer une bonne partie des matières organiques et des perturbateurs endocriniens. Le groupe a aussi breveté un procédé, pas encore mis en œuvre, qui consiste à injecter de l’ozone dans le charbon actif neuf en continu.

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Quelle est l’efficacité de l’élimination des micropolluants en station d’épuration ?

Entre 2010 et 2013, l’Onema a financé un programme de recherche, baptisé Armistiq, pour suivre le devenir et le comportement d'une soixantaine de micropolluants dans différentes filières de traitement des eaux usées et évaluer les différents procédés d'un point de vue technique et économique. Les familles choisies comportaient des métaux, médicaments, HAP, alkylphénols, pesticides, hormones, PCB, PBDE ainsi que muscs, phtalates, bisphénol A… Coordonné par Irstea, ce programme a été réalisé en partenariat avec le Cirsee de SUEZ et l'Université de Bordeaux. La synthèse des résultats, disponible depuis février 2015, conclut qu’en optimisant les procédés à base de boues activées (plus de 90 % des stations d’épuration françaises) notamment en jouant sur les températures, les concentrations de boues ou la durée d’aération, il est possible de réduire les concentrations de micropolluants. En revanche, aucun traitement de boues (séchages, compostages, lits plantés de roseaux) ne permet de diminuer la charge globale en micropolluants ; une grande part y est finalement stockée. La réduction à la source reste donc primordiale. Un appel à projets a été lancé par l'Onema, les agences de l'eau et les ministères chargés de l’écologie et de la santé sur ce sujet : 13 projets ont été retenus, financés à hauteur de 10 M€. Les sujets portent sur les résidus de médicaments et de cosmétiques domestiques, les rejets hospitaliers, les micropolluants dans les réseaux collectifs d’assainissement et la pollution drainée par la pluie.

Pour les milieux particulièrement sensibles, lorsque la réduction à la source n'est pas possible, le projet Armistiq a montré que les procédés d’ozonation, d’oxydation avancée ou à base de charbon actif sont efficaces pour la plupart des micropolluants organiques analysés à l'exception des métaux. Plus des deux tiers ont été éliminés à plus de 70 % avec ozone (à 5 g/m³) ou charbon actif en grain : l'ozone est très efficace sur la plupart des médicaments mais certains alkylphénols et pesticides ne sont éliminés qu’à 30 à 70 %. Le charbon actif reste efficace même après six mois de fonctionnement en continu pour les médicaments et les pesticides, moins pour les HAP, les alkylphénols, l’AMPA et le glyphosate. L'ajout de peroxyde d'hydrogène (H₂O₂) à l'ozone, en proportion stœchiométrique, permet d’augmenter de 20 % le nombre de micropolluants éliminés à plus de 70 % (notamment des pesticides, glyphosate, AMPA) ; en revanche, les combinaisons UV/ozone et UV/H₂O₂ sont sans effet supplémentaire.

Chaque traitement d’eau combine ainsi différents procédés d’oxydation avancée à base de charbon actif, d’ozone (O₃), de peroxyde d’hydrogène (H₂O₂) ou de rayonnement UV tels que O₃ + H₂O₂, O₃ + UV, UV + H₂O₂. Ils permettent de créer des radicaux libres HO• en quantité plus importante que l’ozone seul et de dégrader un plus grand nombre de substances. « Nous combinons les traitements suivant des “familles d’eau” selon le captage d’eau potable », explique Antoine Valter, SUEZ. Les procédés d’oxydation avancée, dits AOP (Advanced Oxidation Processes), constituent une solution efficace pour dégrader certains composés. Ces procédés sont développés par différents types d’acteurs : à commencer par des traiteurs d’eau comme SUEZ, Veolia Eau Solutions & Technologies, Firmen France ou Aquatreat, mais aussi des fournisseurs d’équipements comme Xylem Water Solutions, Comap, BIO-UV, Albiero, OEI France, Bordas, Katadyn-Aquafides ou Trojan avec son procédé d’oxydation UV Swift ECT (Environmental Contaminant Treatment). Des sociétés spécialisées dans le traitement des eaux industrielles comme Hytec Industrie, Technavox, Océne ou Orège développent également des procédés propriétaires.

En termes de coûts, les disparités sont importantes entre les cinq procédés étudiés (ozone seul, ozone/peroxyde, ozone/UV, peroxyde/UV, charbon actif). L'ozone seul semble la solution la moins coûteuse quelle que soit la taille de la station : sa mise en place conduirait à une augmentation du prix de l'eau de deux centimes d'euro par m³, soit environ 2 € par habitant et par an, au lieu de 20 € pour le procédé peroxyde/UV.

Les chercheurs mettent néanmoins en garde contre les éventuels sous-produits formés. Leur formation dépend des conditions de traitement (doses, temps de contact, température…). Plusieurs projets de recherche s’intéressent à ce sujet, notamment Echibioteb en France, financé par l'Agence nationale de la recherche et coordonné par Irstea, et Demeau en Suisse. Echibioteb a pour but de développer et mettre en œuvre des technologies innovantes d'échantillonnage et de mesures chimiques et biologiques pour le suivi des procédés avancés de traitement des eaux usées urbaines et des boues. Demeau vise à poursuivre l'optimisation de bio-essais en tant qu'instruments de monitoring innovants pour contrôler l'efficacité des traitements d'épuration et améliorer leur acceptabilité. Une sélection de bio-essais est utilisée à la station d'épuration de Neugut à Dübendorf (Suisse) pour le monitoring de la première installation d'ozonation à grande échelle du pays.

OWS-ISB Water propose également une solution d’oxydation avancée reposant sur l'utilisation conjointe d’un dispositif capable d’inséminer le fluide hydraulique traité avec une population maîtrisée de microbulles d’air ou d’oxygène, d’un procédé de type galvano-Fenton incluant l'utilisation d’anodes sacrificielles de fer et de la cavitation hydrodynamique optimisée.

[Photo : Le Réacteur d’Oxydation Avancée (ROA) d’ISB Water trouve plusieurs applications dont l’élimination des micropolluants organiques présents dans les eaux de nappes ou de surface, tels que les pesticides, les composés organiques halogénés volatils (VOH), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polychlorobiphényles (PCB) etc.]
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[Photo : A Wichita (Kansas, EU) le procédé Halia’ Advanced Oxidation System d’Air Products, utilisant le procédé HiPOx’ assure désinfection, traitement des micropolluants et recyclage d'eau. Cette installation traite 11 000 m³ d'eau par jour pour le rechargement de nappe phréatique à partir d'une eau de rivière chargée en atrazine.]

de façon à favoriser à la fois l'amplitude et le caractère oscillatoire du comportement des bulles de cavitation. « Ce procédé permet la formation in situ de radicaux hydroxyles HO° qui possèdent un pouvoir oxydant supérieur à celui des oxydants traditionnels tels que Cl₂, ClO₂ ou O₃, assure Grégoire Profit, ISB Water. Ces radicaux sont capables de minéraliser partiellement ou en totalité la plupart des composés organiques, et vont ainsi pouvoir décomposer les molécules les plus récalcitrantes en molécules biologiquement dégradables ou en composés minéraux tels que CO₂ et H₂O ». Ce “Réacteur d'Oxydation Avancée (ROA)” trouve plusieurs applications dont l’élimination des micropolluants organiques présents dans les eaux de nappes ou de surface, tels que les pesticides, les composés organiques halogénés volatils (OHV), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polychlorobiphényles (PCB) etc.

Adapter les traitements au cas par cas

Selon Kader Gaid, Veolia, les pesticides sont traités dans environ 80 % des stations de potabilisation. « Ceux qui ont été interdits il y a 5 ans sont encore présents dans les sols. Ils sont lessivés et rejoignent les rivières. On retrouve ainsi du glyphosate (AMPA) depuis 6 ou 7 ans dans toutes les eaux de surface en France ». Pour le reste, les traitements sont adaptés au cas par cas, en fonction des pollutions industrielles comme des solvants chlorés (trichloroéthylène, tétrachlorure) traités par stripping (dégazage et piégeage sur charbon actif) ou de pollutions accidentelles telles que des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques à piéger sur charbon actif) ou la pollution liée à la fracturation hydraulique aux États-Unis par oxydation avancée. Autre exemple : l’ammonium, résidu du traitement de l’ammoniaque dans les eaux usées, qui se retrouve parfois dans les eaux de surface (traitement biologique ou oxydation lorsque la température descend en dessous de 5 °C, car l’activité bactérienne est alors limitée). Les traitements sont aussi à adapter au gré des évolutions normatives comme l’arsenic passé de 50 à 10 µg/l. Heureusement, de manière générale, les métaux lourds, difficiles à éliminer, sont rares dans les eaux souterraines. Selon Kader Gaid, aujourd'hui, les principaux sont l’antimoine et le sélénium (pas plus de deux projets par an avec adsorption sur un média ou coagulation/floculation). La meilleure solution pour les traiter semble être les lits plantés de roseaux testés depuis 2009 par SUEZ au niveau d'une station d’épuration en France (à Saint-Just dans l’Hérault, zone Libellule).

Pour éliminer fer et manganèse, OWS-ISB Water mise sur les phénomènes de cavitation hydrodynamiques. « Le fer et le manganèse sont souvent un problème majeur de la potabilisation des eaux, surtout à cause de la coloration due à ces substances et du risque sanitaire pour le consommateur, explique Grégoire Profit. L’élimination du fer est obtenue en élevant le potentiel redox du milieu grâce à l'oxygène de l'air, qui oxyde le fer ferreux en fer ferrique, qui lui-même précipite ensuite séparé par filtration ou décantation. L'élimination du manganèse par voie physico-chimique s'effectue par une oxydation de l'ion manganèse Mn²⁺ en MnO₂ qui précipite ensuite en dioxyde de manganèse MnO₂. Mais dans le cas du manganèse, l’oxydation par le dioxygène de l'air n’est pas suffisante et nécessite l’utilisation d’oxydants plus forts générés par le phénomène de cavitation hydrodynamique ».

Quant aux pollutions aux nitrates, elles

[Photo : Station de traitement des eaux usées d’Agadir équipée d’un réacteur UV BIO-UV.]
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[Photo : L'échange d'ions, très sélectif, est utilisé dans de nombreuses applications pour l’élimination sélective des nitrates, du bore, des matières organiques naturelles, des perchlorates, des chromates, de l’uranium et de divers autres métaux.]

se font moins pressantes : « tout au plus un projet par an contre trois par an il y a dix ans » affirme Kader Gaid. Cela ne signifie pas pour autant qu'il y en ait moins dans l'environnement, les exploitants choisissant parfois la dilution pour respecter la norme (en mélangeant diverses ressources). « En revanche, parmi les problématiques récentes, reconnaît-il, depuis quatre ans, nous avons à faire face aux ions perchlorates, des composés pyrotechniques, résidus de la première et seconde guerre mondiale. Nous avons des projets d'usines qui devraient aboutir d'ici un à deux ans, équipées de résines échangeuses d’ions et de membranes de nanofiltration ». La direction générale de la santé signale, sur la base des avis de l’Anses, qu'un dépassement modéré de 15 µg/L chez l’adulte, notamment chez la femme enceinte, et de 4 µg/L chez le nouveau-né, ne semble pas associé à des effets cliniquement décelables. « Dans le cadre de nos projets, on nous demande souvent moins de 4 µg/L », précise Zouheir Mouelhi, de Purolite, spécialiste de résines échangeuses d'ions. Ces procédés sont particulièrement efficaces pour éliminer des composés spécifiques en petites quantités, de l’ordre du mg/L ou du µg/L. Le principe est simple : un échange ionique par substitution. Une affaire d’affinité et de sélectivité des résines pour tel ou tel ion. « Pour éliminer les perchlorates, nous pouvons utiliser une résine sélective nitrate mais ce n’est pas la solution la plus économique car de faible sélectivité : le temps d’épuisement de la résine est 2 à 3 fois plus court. Nous espérons avoir, sous peu, l'agrément, en France, pour notre résine sélective perchlorate. Nous l'utilisons dans de nombreux projets aux États-Unis où la norme est, selon les États, de 2 µg/L voire 0 ng/L. Elle dure 2 à 3 fois plus longtemps et permet de traiter des milliers de m³ d’eau par jour, avec des colonnes de 15 à 20 m³. Nous pourrions équiper des installations en France dès 2016. Nous avons aussi des projets en Belgique ».

Traiter les micropolluants en station d’épuration

Qu’en est-il d'un traitement au niveau des stations d’épuration ? « Cela aurait plus de sens, reconnaît Antoine Walter chez SUEZ. C'est ce que nous faisons en Suisse, à Dübendorf (ARA Neugut, 1 455 m³/h) et bientôt à Lausanne, pays le plus en avance sur le traitement des micropolluants. L’Allemagne et la Suède ont aussi fait ce choix du traitement au niveau des stations d’épuration alors que les autres pays européens traitent l'eau brute ». Il rappelle que le traitement conventionnel élimine à plus de 50 à 80 % des substances, aux 3/4 transférées dans les boues. Néanmoins, seules quelques substances sont complètement éliminées, la problématique de l’effet cocktail persiste.

En Europe, les polluants spécifiques sont pris en compte via la DCE (directive-cadre sur l’eau) avec une réduction voire une suppression d’une liste cible de 45 substances dont des micropolluants, révisée régulièrement. « L’Allemagne et la Suède ont transposé la DCE dans leur réglementation nationale, l’Espagne est en train de le faire, précise Antoine Walter. La France l'a transposé dans le cadre de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006. Elle impose une surveillance des micropolluants rejetés (circulaire du 25 novembre 2010) mais le choix n’a pas encore été fait entre le traitement en station d’épuration ou en usine de potabilisation ».

Comme les usines de potabilisation, les stations d’épuration qui n’ont pas été conçues pour traiter les micropolluants permettent néanmoins d’en éliminer une partie comme l'a démontré le programme de recherche Armistig (voir encadré). Veolia Water Technologies teste depuis deux ans un réacteur à charbon en poudre sur une station d’épuration.

[Photo : En France, aucune station d'épuration n'a été conçue pour traiter les micropolluants mais de fait, les stations de Sophia-Antipolis (ci-dessus) et de Bernières-sur-mer (14) permettent des abattements de 80 à 90 % des micropolluants grâce à l'ozonation.]
[Photo : Aqualter a construit en 2013 une station d’épuration de 9900 EH à Saint-Pourçain-sur-Sioule (03) ; en aval de la filière biologique boues activées, une installation de traitement des micropolluants a été construite. Celle-ci a été dimensionnée pour 90 m³/h et fait appel à une technologie d’ozonation (à partir d’oxygène liquide) complétée d’une biofiltration sur argile expansée.]

En Suisse et attend les réponses de plusieurs appels d’offres. Le groupe a aussi testé des installations aux États-Unis où plus de 150 molécules sont surveillées dont certains perturbateurs endocriniens, en Allemagne et en France avec le SIAAP (Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne). « Avec la société WatchFrog, nous testons aussi l'utilisation de sentinelles biologiques – des têtards – pour repérer les perturbateurs endocriniens dans les rejets de station d’épuration et ajuster les traitements en conséquence, ajoute Kader Gaid. Les larves de grenouille deviennent fluorescentes en présence de ces polluants. Le dispositif (une quinzaine de têtards dans une Frogbox) est testé en pilote dans une station d’épuration et pourrait être bientôt vendu en Suisse ».

De son côté, SUEZ, très impliqué depuis 15 ans sur le sujet, a conçu une trentaine de pilotes dans le monde pour traiter les micropolluants en station d’épuration. « En France, aucune station d’épuration n’a été construite selon cet objectif mais, de fait, les stations de Sophia-Antipolis (830 m³/h) et de Bernières-sur-Mer en Normandie permettent des abattements de 80 à 90 % des micropolluants grâce à l’ozonation, ajoute Antoine Walter. Les résultats sont comparables avec le charbon actif lorsque la matrice d'eau est simple. Lorsque des micropolluants de réactivité différente sont à éliminer, comme à Lausanne, nous associons les deux techniques ». L'entreprise utilise entre 50 et 100 marqueurs pour savoir quelles substances seront éliminées par telle ou telle filière. En Suisse, 12 marqueurs sont ainsi réglementés et recherchés dans les eaux usées pour attester de la qualité du traitement. SUEZ est par ailleurs impliqué avec Irstea et plusieurs laboratoires dans le projet Micropolis pour étudier notamment l’effet cocktail sur des crevettes d'eau douce, les gammares.

Bien d'autres acteurs travaillent sur le sujet.

Aqualter a ainsi construit en 2013 une station d’épuration de 9900 EH à Saint-Pourçain-sur-Sioule (03) ; en aval de la filière biologique boues activées, une installation de traitement des micropolluants a été construite. Celle-ci a été dimensionnée pour 90 m³/h et fait appel à une technologie d’ozonation (à partir d’oxygène liquide) complétée d'une biofiltration sur argile expansée. En sortie de traitement, l'abattement dépasse 90 % sur plusieurs molécules auparavant détectées sur les rejets, comme le diclofénac, le benzotriazole ou la carbamazépine. S’y ajoutent un abattement complémentaire de DCO, une décoloration totale de l'effluent et une réduction de la turbidité.

Alfaa travaille de son côté sur un principe d’oxydation avancée : une lampe UV 185 nm permet de générer de l’ozone, qui va être dilué dans le fluide en amont et ensuite catalysé par l’action des lampes germicides 253,7 nm. Cette action génère des radicaux libres OH et O₃, qui détruisent les micropolluants. « Nous avons aussi la possibilité de créer et dissoudre directement ces radicaux par des torches à ... »

[Encart : Une nouvelle méthode d’analyse innovante Souhaitant élargir ses connaissances sur les ressources en eau souterraine afin de proposer des solutions de traitement adaptées, Saur a développé une nouvelle méthode basée sur une approche métabolomique en collaboration avec la société Profilomic. Cette méthode s’appuie sur l’acquisition d’une empreinte chimique globale de l’échantillon et permet la recherche de listes exhaustives de polluants connus lors d’une seule analyse. Cette méthode de screening a été testée sur une sélection de quinze puits de captage exploités par Saur, l’objectif étant d’estimer l’état des nappes en fonction des caractéristiques des aquifères tout en étant le plus exhaustif possible vis-à-vis du nombre et de la concentration des molécules présentes. Ainsi, trois campagnes de prélèvements ont été menées par l’équipe R&D Saur sur les quinze puits de captage sélectionnés et les analyses ont été réalisées par le laboratoire Profilomic et deux laboratoires de référence. Les résultats montrent que l’approche métabolomique est plus sensible et permet de détecter un plus grand nombre de polluants que les analyses conventionnelles. Le couplage des résultats met en évidence une pollution relativement faible, excepté ponctuellement pour certains pesticides. Enfin, les analyses statistiques ont permis d’identifier les différents profils de pollution des captages et ainsi de mettre en évidence les points sensibles qui pourront faire l’objet d’une fouille de données approfondie pour la recherche de molécules inconnues ou non recherchées.]
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Panacée traite les effluents hospitaliers d’oncologie par bioréacteurs à membranes et procédés couplés

Le projet ANR « Panacée ! » a pour objectif l’évaluation du traitement des effluents hospitaliers d’oncologie par bioréacteurs à membranes immergées et traitements tertiaires.

Un bioréacteur à membranes (BaM) a été implanté sur le site de l’hôpital Purpan (Toulouse) dans le bâtiment où est situé le service d’hématologie.

Les objectifs de ce projet sont les suivants :

  • i) Évaluer la présence de molécules utilisées dans les traitements des cancers, dans les effluents des services correspondants ;
  • ii) Mesurer les effets biologiques (éco/géno/cytotoxiques et perturbateurs endocriniens) de ces effluents ;
  • iii) Développer un procédé de traitement constitué d’une combinaison de traitements biologiques et physico-chimiques (couplage d’un bioréacteur à membranes et de procédés de filtration tertiaire et/ou adsorption/oxydation).

Les compétences nécessaires à ces réalisations sont réunies par les partenaires : le Laboratoire de Génie Chimique (Université de Toulouse, pilotes), l’Université de Bordeaux (laboratoire EPOC, analytique), la société Polymem (fabricant de membranes), INERIS (écotoxicité) et le CHU de Toulouse.

La caractérisation physico-chimique de l’effluent a permis de quantifier sa variabilité tant en qualité qu’en termes de volume, de pH et de conductivité. Ces derniers paramètres se situent dans des gammes comparables aux eaux usées urbaines. Les analyses initiales de 125 molécules et leur fréquence d’occurrence ont conduit à finaliser l’étude avec 54 molécules traceurs.

Du point de vue du traitement, le BaM a été opéré à un âge de boue et un temps de séjour hydraulique relativement élevés, avec une aération intermittente en l’absence de rétrolavage pour maintenir une perméabilité énergétiquement compatible. Les performances de traitement sur les paramètres macroscopiques de qualité d’eau restent conformes aux normes de rejet. Les analyses chimiques quantitatives des molécules montrent que les abatements par le traitement BaM sont très variables : ils vont d’un abattement total à la « production » de molécules, plaidant en faveur de phénomènes de déconjugaison. Sur ces mêmes échantillons, des batteries de tests d’écotoxicité, de génotoxicité et de mesure des effets perturbateurs endocriniens ont été appliquées ; elles mettent en évidence un abattement remarquable de l’écotoxicité globale ainsi que des activités œstrogénique, androgénique et glucocorticoïde, sans modification de l’activité PXR.

Du point de vue des traitements tertiaires, des procédés d’oxydation avancée ont été étudiés avec des solutions synthétiques (solutions de molécules pharmaceutiques) pour mettre au point des conditions opératoires. Leur efficacité a ensuite été testée en laboratoire sur du perméat « réel » du bioréacteur à membranes. L’intégration d’un traitement tertiaire par nanofiltration a également été évaluée in situ (recyclage du concentrat vers le bioréacteur), permettant d’augmenter l’abattement de quelques molécules encore présentes.

Le traitement par plasma froid, indique Mickaël Guio chez Alfaa, dépendra du débit et de l’abattement souhaité ; de bons résultats ont déjà été obtenus sur les molécules d’ibuprofène et d’aspirine.

De son côté, Comap a engagé un important programme de recherches sur le traitement des micropolluants par AOP (UVC + peroxyde d’hydrogène). « La photolyse du peroxyde d’hydrogène (UV H₂O₂) permet de créer des radicaux libres hydroxyles (HO°) capables d’éliminer certaines familles de micropolluants », explique Reynald Thomas, responsable technique chez Comap. Le programme, dirigé par Bruno Cedat, titulaire d’un doctorat sur le traitement de l’eau par rayonnement UVC, a donné de premiers résultats satisfaisants dans le cadre d’un pilote en laboratoire implanté dans les locaux de TINSA. Un pilote terrain vient d’être implémenté sur une station d’épuration de type FPR dans le Jura (1 500 EH). Le suivi analytique mis en place permettra d’effectuer un screening de 120 composés avant de se focaliser sur quelques molécules.

Claire Albasi Directeur de Recherche CNRS Département Bioprocédés et Systèmes Microbiens Laboratoire de Génie Chimique, UMR 5503 – Toulouse

* projet financé par l’ANR CD2T programme 2010

[Photo : Procédé de traitement implanté au pavillon Dieulafoy à Purpan (CHU Toulouse).]
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