Your browser does not support JavaScript!

Actualités France

Loïc Darcel : « Contrairement à d’autres acteurs, je crois beaucoup au marché de l’eau français »

14 octobre 2020 Paru dans le N°435 à la page 10 ( mots)

Le projet de rapprochement Suez-Veolia se déroule depuis près de deux mois sous le regard attentif de la filière du traitement de l’eau et des déchets. Dans cette bataille des majors, les collectivités s’inquiètent d’un risque de monopole en France, justifiant une tendance à remplacer une délégation de service public par une régie. Y aurait-il d’autres voies ? Aqualter fait partie des sociétés indépendantes de l’eau qui prône le rôle essentiel de nouveaux modèles d’exploitation partagée dans l’amélioration des contrats de service public. Entretien avec Loïc Darcel, président d’Aqualter sur les questions que soulèvent l’opération.

L’eau, l’industrie, les nuisances: Le projet de rapprochement Suez-Veolia est porté par l’enjeu de la création d’un champion mondial français de la transformation écologique, notamment à l’international. Cela vous parait-t-il fondé ?

Loïc Darcel : Il est certain que le rapprochement des n°1 et n°2 mondiaux confortera la France dans sa place de leader. D’ailleurs Veolia et Suez se sont déjà groupés à plusieurs reprises pour répondre à de grands appels d’offres internationaux dans le domaine de l’environnement. Preuve qu’à l’international, l’union fait la force.

Cependant, je ne peux que penser aux cadres de Suez, en colère face au démantèlement probable de leur groupe. Mon empathie se nourrit des craintes que nos collaborateurs ont eues l’an passé pour leur emploi quand la SAUR a envisagé de reprendre les parts que la Caisse des dépôts détient dans Aqualter. Fort heureusement, notre capital est très bien contrôlé, les règles de gouvernance sont sécurisées grâce à la mise en place d’un pacte d’associés, et la cession ne s’est pas faite.

EIN: Quel regard portez-vous sur le marché de l’eau potable et de l’assainissement en France?

L.D : Contrairement à d'autres acteurs, je crois beaucoup au marché de l'eau français. Il est en croissance car les besoins face aux risques de sécheresse et de crues impliquent des investissements dans les infrastructures. A l’échelle d’Aqualter, l'un des piliers de notre stratégie est d’innover dans des nouveaux modèles d'exploitation partagée. Sur le plan technologique, nous développons nos propres logiciels qui sont conçus pour être extrêmement intuitifs. Installés en début de contrat, ils sont cédés à la collectivité en fin de délégation, afin de lui permettre de reprendre facilement la gestion en régie, si elle le désire. Parallèlement, nous innovons sur le plan de la gouvernance et proposons un modèle alternatif qui associe intimement le client aux décisions stratégiques, à l’organisation tout entière, et au déploiement de projets concrets d’innovation. Ces processus sont essentiels pour saisir les dynamiques d'innovations locales.

EIN : Les conditions d’une concurrence suffisamment efficiente pour proposer une offre diversifiée souhaitée par les collectivités vous paraissent-elles-réunies ? Les collectivités s’inquiètent d’un risque de monopole en France, justifiant à l’heure où les services d’eau et d’assainissement sont en pleine réorganisation, une tendance à remplacer une délégation de service public par une régie. Comment évaluez-vous les changements structurels induits par une telle opération, si elle aboutissait ?

L.D : Le problème en France n’est pas l’existence d’un monopole national mais plutôt de plusieurs monopoles locaux. Dans certaines régions, il n’y a pratiquement qu’une seule entreprise qui soit en mesure de répondre. C’est alors que la régie est tentante. Pourtant, ce n’est pas la bonne réponse : la régie répond à la crainte d’un monopole privé par l’instauration d’un monopole public. En imaginant que l’ensemble des services de l’eau soit en régie, il n’y aurait plus aucune concurrence nulle part. J’oppose donc au modèle local de la régie ou au monopole du grand groupe une véritable concurrence entre la régie et plusieurs entreprises.

L’opération menée par Veolia sur Suez ne changerait pas fondamentalement la donne, dans la mesure où Veolia cèderait Suez Eau France à un tiers indépendant. Il est néanmoins évident que Suez Eau France en sortirait affaiblie, car elle serait coupée du support des services centraux du groupe ; elle serait également moins attractive pour les jeunes embauchés qui veulent pouvoir faire une partie de leur carrière à l’international.

EIN: Quelles seraient les conséquences concrètes d’une telle opération pour Aqualter, et plus généralement pour les autres entreprises indépendantes des majors?

L.D : Pour les entreprises indépendantes de l’eau, l’opération serait relativement neutre : nous continuerons à nous développer. En effet, l’entreprise indépendante est une excellente réponse aux problématiques posées par la gestion des services publics de l’eau : face aux tourbillons qui agitent aujourd’hui le capital des majors, les indépendants de l’eau ont une continuité de management et des valeurs de proximité qui les rendent plus aptes à s’engager auprès des élus dans la durée. Notre existence est nécessaire pour permettre aux collectivités d’avoir un choix, et donc de ne pas se tourner vers la régie par dépit. Notre développement est un signe de santé du marché de l’eau, qui devient plus concurrentiel.

EIN: Les synergies en matière de R&D sont, selon Veolia, primordiales pour le développement international. Or, les deux majors français maitrisent chacun, peu ou prou, l’ensemble des technologies actuellement disponibles en matière de traitement de l’eau. L’opération projetée aura-t-elle, selon vous des conséquences au niveau technique et en matière de savoir-faire ? Peut-on parler de complémentarité à ce niveau entre les deux majors ?

L.D : Je pense effectivement que, sur le plan technologique, à l’international, les effets d’échelle de cette fusion seront positifs. Mais en qualité d’observateur, il me semble que face à l’ampleur des réactions que suscitent le modèle de l’entreprise privée par rapport à celui de la gestion publique, il serait nécessaire dans le cadre de cette opération de se remettre en question sur la gouvernance et sur les modèles de gestion.

EIN: Les tâtonnements de l’exécutif vis à vis de cette opération inquiètent un certain nombre d’observateurs du secteur et alimentent le sentiment selon lequel le secteur de l’eau et plus généralement la politique de l’eau, ne figureraient pas parmi les priorités du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

L.D : Il apparaît malheureusement que le secteur de l’eau n’est pas une priorité du plan de relance. Pourtant, le dérèglement climatique rend les épisodes de sécheresse et de crues de plus en plus menaçants. Le grand et le petit cycle de l’eau sont concernés. L’urgence écologique passe par la sécurisation de nos ressources en eau, susceptible de créer de nombreux emplois.

Pascale Meeschaert

 


 


Entreprises liées
Contenus liés