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Réservoirs d'eau potable : un parc à rénover

06 janvier 2022 Paru dans le N°447 à la page 83 ( mots)
Rédigé par : Patrick PHILIPON

Construit pour l’essentiel entre les années 1950 et 1970, le parc français doit accélérer son rythme de rénovation. Plusieurs technologies se partagent ce marché et évoluent actuellement pour anticiper une évolution réglementaire.

Châteaux-d’eau, réservoirs enterrés ou au sol : la France compte plusieurs dizaines de milliers d’ouvrage de stockage d’eau potable alimentant le réseau de distribution. Combien exactement ? « Le parc compte probablement de 30 000 à 40 000 réservoirs, c’est tout ce que nous savons. Cela traduit un manque d’intérêt alors que la loi sur l’eau et le Grenelle de l’environnement demandent un inventaire précis des ouvrages existants » souligne Loïc Darcel, président de la Filière Française de l’Eau et président d’Aqualter. « Il n’existe pas de statistiques nationales sur ce genre d’ouvrage » confirme Gérard Leca, vice-président du syndicat du génie civil de l’eau et de l’environnement (GCEE), qui regroupe constructeurs et spécialistes de la réhabilitation des ouvrages, ainsi que les fournisseurs spécialisés. Il cite des chiffres proches. Les très grandes villes comme Paris, Lyon, ou Lille se sont dotées de réservoirs souterrains en maçonnerie dès le début du XXème siècle mais c’est essentiellement durant l’après-guerre, lors de la généralisation de l’adduction d’eau, qu’ont été construits la plupart des châteaux d’eau et réservoirs actuels, en général en béton.
Renolit propose des membranes PVC dotées d’une ACS pour la réhabilitation des réservoirs d’eau potable, comme ici en Espagne.

La même incertitude règne quant au rythme des rénovation, qui s’établit “quelque part” entre 500 et 600 par an. Une seule certitude : c’est insuffisant. « Le parc a absolument besoin de rénovation. Les ouvrages devraient être réhabilités tous les 25 ans en moyenne, or nous sommes plutôt sur un rythme de 50 à 60 ans » affirme Loïc Darcel. Même s’il se construit encore quelques dizaines de nouveaux ouvrages par an, la réhabilitation de l’existant constitue l’essentiel de ce marché. Dès lors quelles sont les techniques disponibles pour rénover un réservoir ? Quels matériaux utiliser ? Quelles sont les solutions provisoires de stockage ? Faut-il nécessairement réaliser un ouvrage “en dur” (génie civil) ?

Deux techniques dominantes

Signe de l’urgence, le nouveau “fascicule 74” du Cahier des clauses techniques générales (CCGT), publié à l’automne 2021, prend pour la première fois explicitement en compte la réhabilitation. Intitulé désormais “Construction des réservoirs en béton et réhabilitation des réservoirs en béton ou en maçonnerie”, il privilégie la mise en œuvre de revêtements imperméables à l’intérieur des structures existantes. Il s’agit évidemment d’assurer l’étanchéité de l’ouvrage mais aussi de protéger le réservoir de la corrosion due à l’eau et de faciliter sa décontamination.
Le chimiste spécialisé Sob Solutions commercialise, sous la marque Protecsob®, un ensemble de produits à base d’epoxy, munis d’une ACS, pour la réhabilitation des réservoirs d’eau potable.

A l’évidence, tout ce qui est en contact de l’eau potable, soit la structure intérieure du réservoir mais aussi tous les accessoires, pompes, vannes, escaliers, garde-fous, etc., doit être recouvert d’un matériau agréé pour le contact alimentaire, sanctionné par une Attestation de Conformité Sanitaire (ACS). « Les composites adhérents représentent le gros du marché (80 à 90 %), le reste se partageant entre membranes, coques semi-rigides, parfois inox (très marginal) » explique Gérard Leca. « Il existe différentes solutions pour le revêtement intérieur, comme les micromortiers, les résines d’époxy ou les membranes (PVC, polyéthylène, polypropylène…). Cependant un réservoir doit être désinfecté tous les ans, c’est la norme. Or, les produits de désinfection attaquent les mortiers. Les résines et membranes, qui sont inertes, dominent logiquement le marché » précise pour sa part Joël Boggione, responsable de marché Revêtements alimentaires et ACS chez Sob Solutions.

Les résines d’époxy s’attribuent la part du lion. « Elles sont très bien adaptées au béton, le matériau ultra majoritaire des réservoirs. De plus, ce sont des produits stables dans le temps, très résistants chimiquement à tous les traitements, facilement décontaminables et adaptés à l’application en milieu humide » énumère Gérard Leca. Des applicateurs, comme Etandex, Resina, Teos, Vigier Génie Civil ou encore TSM, Sade, Traso, Qualipast, Martin Dominique, ASSO, Nouvetra, Freyssinet utilisent les produits fournis par des chimistes spécialisés comme BS Coatings, Kemica Coatings, Parex, Sika ou Sob Solutions pour ne citer qu’eux. L’application se fait par projection ou au rouleau, après préparation de l’ouvrage (reprise des fissures par exemple).

Sob Solutions propose par exemple un “système époxy”, soit un ensemble de produits pouvant répondre à des besoins d’imperméabilisation (une couche primaire puis une couche de résine) ou d’étanchéité (une couche primaire plus un sandwich de fibre de verre entre eux couches de résine). Tous les composants de cette gamme “Protecsob®” ont une ACS. BS Coatings formule des systèmes de protection intérieur de réservoirs d’eau potable composés à base de résine époxydique, non toxique, exempts de composés CMR et sans solvant. « Issus des dernières technologies les revêtements EUROKOTE® et KEVIFORM® sont homologués par les grands donneurs d’ordre et intervenants dans le marché de l’eau, et ont déjà fait l’objet de nombreuses applications en France et à l’International. L’objectif étant de prolonger la durée de vie des réservoirs, de simplifier et d’optimiser les phases d’entretien et de nettoyage des ouvrages, mais surtout de maintenir la qualité de l’eau stocké », rappelle Frédéric Platon, Market Manager BS Coatings.

Freyssinet, qui développe depuis plus de 30 ans une expertise et un savoir-faire dans le domaine du génie civil de l’eau, propose des solutions exclusives placées sous le label Foreva®. Ce portefeuille de technologies est développé en partenariat industriel et met en œuvre selon le vieillissement des ouvrages des revêtements protecteurs ou membranes d’étanchéité. Etandex maîtrise aussi les techniques alternatives (liants hydrauliques ou membranes élastoplastiques de type PVC) qui peuvent être adaptée sur certains types d’ouvrages.
La société Resina a effectué la réhabilitation de ce bassin d'eau potable en Corse en le revêtant d'une couche intérieure de résine epoxy.

Les fabricants comme Siplast, Sika ou Renolit proposent pour leur part des membranes disposant d’ACS, donc utilisables pour la réfection des réservoirs d’eau potable. « L’avantage de la membrane est son élasticité : elle reste étanche même si le béton se fissure » affirme Axel Augustin, International Product manager chez Renolit. Cette société propose une technique de membranes PVC qui se fixent sur le support béton. Une précision importante car certains acteurs suggèrent que l’utilisation de membranes non fixées peut comporter le risque de masquer les éventuelles défaillances de la structure béton. « Le fascicule 74 déconseille fortement ces membranes dans les réservoirs enterrés en présence de nappes phréatiques » relève ainsi Gérard Leca. Quoi qu’il en soit, Renolit commercialise une membrane à coller disposant d’ACS en France mais aussi en Espagne, Italie, Allemagne, Australie, etc. « Nous recommandons même de l’installer dès l’origine, lors de la construction du réservoir. Cela permet d’utiliser un béton normal, de construire rapidement sans se préoccuper d’aspects comme l’huile de décoffrage etc. que l’on rencontre sinon dans la construction de réservoirs d’eau potable » précise Axel Augustin.

En réhabilitation comme en travaux neufs, Agru France s’appuie sur la gamme de géomembranes de sa maison mère autrichienne Agru Kunstofftechnik et plus spécifiquement sur les procédés HYDROCLICK® et HYDRO+ pour les réservoirs d’eau potable. Ces panneaux de protection présentent l’avantage d’être extrudés en une fois. La plaque et les crampons forment ainsi un ensemble monolithique, sans risque de délaminage. Les soudures sont réalisées par apport de matière extrudée, de qualité identique à l’étanchéité et satisfont en plus des exigences mécaniques à l’homologation ACS.

Pour des ouvrages temporaires ou ouvrages neufs dans le cas de réservoirs enterrés, Tubao propose aujourd’hui son système Weholite en PE100, le même que celui utilisé pour les canalisations d’eau sous pression à la marque de qualité NF114. Le procédé, doté d’une attestation de conformité sanitaire (ACS) délivrée par le CARSO, permet d’installer sur chantier une citerne temporaire ou un réservoir sans génie civil.

Même si le marché de la rénovation représente la majorité de ses ventes, Renolit propose également aux collectivités une solution de stockage plus originale à base de géomembranes PVC pourvues d’une ACS. Il s’agit de bassins terrassés, au fond tapissé d’une membrane imperméable et refermés par une membrane de couverture flottante renforcée. « On peut ainsi stocker des volumes d’eau très importants à moindre coût puisqu’il n’y a ni béton ni fondations, juste le terrassement et la membrane » souligne Axel Augustin. Renolit a installé il y a plusieurs décennies des bassins de ce type en Corse (45 000 m³ à Rogliano, 15 000 m³ à Ersa et deux fois 40 000 m³ à Cargese), qui sont encore en fonctionnement aujourd’hui. Le principe : ils sont remplis en hiver lors de la saison des pluies et peuvent conserver l’eau potable, sans lui conférer de goût, jusqu’à l’été et la saison touristique. Après avoir réalisé beaucoup de réservoirs à l’étranger (Espagne, Allemagne, Autriche, Australie, Katar, …), Renolit relance aujourd’hui cette solution en France.

Vers de nouvelles résines

Une résine époxy classique s’obtient par la réaction de l’épichlorhydrine et du bisphénol A. La liaison étant irréversible, iI ne reste pas de composant libre dans le produit final… sauf éventuel excédent présent au moment de la réaction. « Les producteurs sérieux éliminent les excédents après la réaction. Pour obtenir une ACS, il ne faut pas dépasser un taux résiduel très bas, et tous les réservoirs sont construits ou rénovés aux normes » souligne Loïc Darcel. Reste que ces matériaux doivent évoluer car le bisphénol A soulève des inquiétudes. « La problématique relève plus du domaine médiatique que sanitaire : l’éventuel résiduel de bisphénol A dans les résines est en dessous du seuil de détection des appareils. De plus les taux de dilution dans le réseau sont énormes. On se méfie toutefois des effets cumulatifs ou cocktail » affirme Gérard Leca.
Le marché s’oriente donc vers des résines qui sortiraient de la filière du bisphénol A. « Les professionnels travaillent à identifier et développer d’autres filières. Certains produits seront disponibles en début 2022 » continue Gérard Leca.
A Roanne, la SADE a réhabilité un réservoir d’eau potable créé au 19ème siècle grâce au système Hydroclick d’Agru Kunstofftechnik.

« En 2018, l’Europe a classé certaines résines dans la catégorie CMR 1B : toxiques. Tout le monde commence à s’inquiéter pour l’avenir. Nous avons donc développé, en collaboration avec l’Anses, une résine sans bisphénol A, qui dispose de l’ACS depuis octobre 2021 » révèle René Massard, PDG de Kemica Coatings, un chimiste spécialisé. Vendue sous le nom de Souplethane WP, cette résine peut être appliquée par une pompe bi-composants ou, plus classiquement, au rouleau. « Nous travaillons au développement de nouvelles résines avec nos fournisseurs et allons en sortir une, le Gepox Evo, sans bisphénol A, qui a déjà son ACS, début 2022. Nous ne sommes pas chimistes mais travaillons avec le même depuis le début, sur une base d’exclusivité réciproque. Il a fallu plusieurs années pour mettre au point ce nouveau matériau puisqu’il devait conserver tous les avantages de l’ancien » explique pour sa part Gérard Leca, également président de la société applicatrice Resina.

L’ensemble du marché devrait dès lors basculer assez vite vers ce type de solutions. Le chimiste Sob Solutions, par exemple, suit l’évolution réglementaire. « Dans notre gamme, nous proposons uniquement des résines qui ne sont pas CMR. Nous sommes attentifs à la sécurité des produits et des opérateurs lors de la mise en œuvre. Nous ne proposons pas encore de résine issue d’une autre filière mais le ferons si l’Europe l’impose, ce qui n’est pas exclu » estime Joël Boggione. « Paradoxalement, personne ne s’inquiète qu’il subsiste des réservoirs d’eau potable avec des revêtements bitumineux ou solvantés. La priorité serait plutôt d’éliminer ces vieux revêtements qui relarguent des composés dangereux alors que les produits actuels dotés d’ACS assurent un très haut niveau de sécurité » tient toutefois à souligner Gérard Leca. 


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