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Quels accompagnements aux porteurs de projets pour la filière méthanisation à la ferme ?

29 mai 2020 Paru dans le N°432 à la page 118 ( mots)
Rédigé par : Eline DUBARRAL de UniLaSalle, Lucile GODARD de AgroTransfert Ressources et Territoires et Loïc SAUVéE de UniLaSalle

Cette recherche s’inscrit dans le projet Réseau de Sites Démonstrateurs IAR, qui vise à promouvoir le développement de la bioéconomie dans les Hauts-de-France. L’objectif de cette recherche était d’identifier les différents obstacles de la filière de la méthanisation à la ferme, et en particulier ses risques, afin de déterminer des solutions pour les surmonter et assurer la pérennité de la filière. Elle met en évidence que le soutien d’un projet par les Chambres d’Agriculture et des bureaux d’études est essentiel à sa réussite, notamment en ce qui concerne l’orientation des décisions. Cet article présente également des clés de réussite pour les projets de méthanisation à la ferme.

La présente étude s’inscrit dans le projet Réseau de Sites Démonstrateurs IAR. Ce projet multi partenarial vise à favoriser l’essor des filières de la bioéconomie au sein des territoires des Hauts-de-France et, en particulier, à démontrer la capacité de ces territoires à produire et mobiliser la biomasse agricole nécessaire à l’approvisionnement de ces filières. Il est soutenu financièrement par le FEDER, le FNADT et la Région Hauts-de-France.
La bioéconomie correspond à l’ensemble des activités de production et de transformation de la biomasse qu’elle soit forestière, agricole et aquacole à des fins de production alimentaire, d’alimentation animale, de matériaux biosourcés, d’énergie. Elle représente des opportunités pour nos exploitations agricoles et forestières, elle permet d’augmenter la compétitivité de nos industries tout en apportant des solutions durables aux défis environnementaux et sociétaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. La bioéconomie s’inscrit dans le cadre plus large de l’économie verte, c’est-à-dire une économie respectueuse de l’environnement et qui utilise de façon plus efficace les ressources naturelles1.
1 Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, La bioéconomie, nouvelle vision du vivant, 3 juin 2019.
Dans le projet Réseau de Sites Démonstrateurs IAR, le concept de bioéconomie sous-entend toutes les filières susceptibles de valoriser de la biomasse agricole à des fins non alimentaires, bioénergie, biomatériaux etc.
La bioéconomie, Pôle de Compétitivité Industries et Agro-Ressources.

Ensemble les partenaires du projet travaillent à la construction de la démarche FILABIOM2 destinée à accompagner la conception et l’implantation de filières d’approvisionnement en biomasse agricole ancrées, durables et pérennes. L’ensemble des références, clés de réussites et retours d’expérience composant la démarche sont issus du suivi, entre 2015 et 2020, d’un réseau de quatre plateformes d’expérimentation agronomique et de trois projets de filière de valorisation non alimentaire de biomasse agricole locale, d’où le nom du projet : « Réseau de Sites Démonstrateurs du pôle IAR ».

2 FILABIOM a pour objectif de faciliter l’essor de la bioéconomie dans les Hauts-de-France en accompagnant l’implantation des filières d’approvisionnement en biomasse agricole des sites de transformation de ces ressources. En cela, elle contribue à la mise en place de filières durables valorisant la biomasse agricole locale dans les secteurs de la chimie, des agro-matériaux ou encore de l’énergie.http://www.agro-transfert-rt.org/projets/reseau-de-sites-demonstrateurs-ia.

Cet article reprend quelques résultats de la recherche, qui portait sur l’identification des risques de nouvelles filières de valorisation de la biomasse. En effet, ces filières étant émergentes, elles comportent d’autant plus de risques, d’où l’intérêt de les identifier afin de pouvoir pérenniser ces domaines. Ainsi cette étude a notamment pour but d’identifier les risques affectant les projets de méthanisation à la ferme, leurs solutions et leurs clés de réussite, mais également les besoins de la filière ainsi que le rôle d’un accompagnement pour les projets. Ces résultats ont été obtenus à partir d’entretiens semi-directifs menés auprès de porteurs de projets de méthanisation à la ferme, de bureaux d’études et de la chambre d’agriculture des Hauts-de-France.

Les freins de la filière méthanisation à la ferme

Il semblerait que, malgré les différentes interventions et formations mises à dispositions des futurs exploitants, ceux-ci aient tendance à sous-estimer les risques auxquels ils seront confrontés par la suite. En effet, il est naturel pour les porteurs de projets d’être volontaires et optimistes et l’appréhension des risques auxquels ils feront face au cours du projet de méthanisation sont mal connus3. L’un des porteurs de projet questionné a même affirmé que bien qu’une formation lui aurait été bénéfique pour pallier aux risques au stade d’avant-projet, il n’est pas certain qu’il aurait pris ses conseils en compte : « Ç’aurait fait du bien, après je suis pas sûr qu’à ce moment-là j’aurais été prêt à les écouter ».

3 ADEME, Analyse du risque porté par les projets de méthanisation et propositions de bonnes pratiques préventives, décembre 2014.

Ces risques sont même parfois complétement niés, comme l’explique un porteur de projet effectuant de la prévention sur les risques auprès des exploitants de futurs projets. « Aujourd’hui, nous en tant que méthaniseur, on est souvent appelés à venir voir des sites etc., leur dire attention, il faut faire attention à ceci, à cela. Allez, dans 50 % des cas, on est sûr que quand on repart, le porteur de projet ne nous a pas écouté, il nous a dit ah non il nous a noirci le tableau mais ce n’est pas comme ça que ça se passe ».

Unité de méthanisation.

Globalement la formation pourrait être une solution afin de pallier ce phénomène, afin d’accroître les connaissances des porteurs de projet sur divers sujets. Ainsi la chambre d’agriculture propose plusieurs types de formations permettant au porteur de maîtriser les principes et points clés de son unité, exploiter son unité de méthanisation en toute autonomie, concevoir un projet de méthanisation de territoire ou encore mesurer les impacts de son unité. Le but n’est bien sûr pas de décourager le porteur de projet, mais au contraire d’attirer son attention sur certains points pour accroître ses chances de réussite.

Quelles clés de réussite pour les projets ?

Tout d’abord, afin de s’assurer de la réussite d’un projet de méthanisation, il est indispensable de ne pas négliger l’étude de faisabilité. En effet, elle permet d’avoir une vue d’ensemble sur le projet, d’apporter du recul. « D’abord c’est de bien suivre les différentes étapes de développement sans les sous-estimer. Par exemple tout le monde a tendance à penser que faire une étude de faisabilité c’est un coût… que c’est un coût brut, c’est-à-dire que ça ne rapporte rien, mais ça reste néanmoins une étape, à mon avis, incontournable » explique un consultant d’un bureau d’études.
Ensuite, il faut sécuriser les différents aspects du projet. Par exemple, pour les projets injectant du biométhane dans le réseau gazier, il est important de repérer les bassins à fortes consommations afin d’être implanté dans une zone favorable4. « Il faut sécuriser un terrain, il faut sécuriser la biomasse, il faut sécuriser le contrat de vente d’énergie, éventuellement le plan d’épandage, il faut qu’il soit sécurisé et en dernier lieu sécuriser le financement » met en exergue un consultant de bureau d’études. Il est également important de réaliser que le projet s’effectue sur la durée, et d’en avoir une vision globale. « Donc, de mon point de vue, la clé de réussite majeure, c’est de bien prendre en compte tous les aspects d’un projet, non seulement par rapport à la situation actuelle, mais aussi par rapport à l’évolution qu’on peut attendre puisque quand on crée une installation, ce n’est pas pour 15 jours, ce n’est pas pour un an mais c’est pour 10 ou 20 ans, et donc il faut avoir aussi une vision sur les évolutions possibles de la situation locale et puis plus générale du cadre dans lequel s’inscrit le projet » met en avant un bureau d’études.

4 ADEME, Analyse du risque porté par les projets de méthanisation et propositions de bonnes pratiques préventives, décembre 2014.

Un autre point à ne pas sous-estimer est : les caractéristiques du voisinage du lieu d’implantation, ce qui sous-entend notamment la présence des riverains avec qui il sera primordial de dialoguer au sujet de l’unité. Il faut également être vigilant et intégrer l’unité dans le paysage afin qu’elle soit mieux acceptée par ces derniers.
Ensuite, en termes de gestion de l’unité, il est important de se professionnaliser afin d’assurer une maintenance efficace de l’unité, prévoir les débouchés du digestat et s’assurer de la rentabilité du projet. Il est de plus fondamental de consulter plusieurs entreprises avant de débuter son projet afin d’avoir une vue d’ensemble des possibilités de projet et de leurs implications5. Enfin s’entourer d’acteurs clés, de prestataires dès le début du projet est un élément fondamental qui permet d’aboutir à une meilleure prise de décision6, comme le confirme un des porteurs de projet interrogé. « Il faut être bien entouré, c’est fondamental, et quand je dis bien entouré, il faut avoir des gens qui sont sûrs d’eux, voilà ».

5 Les services de l’Etat dans l’Eure, Préconisations pour la méthanisation, 6 novembre 2018.

6 ADEME, Recueil de recommandations et retour d’expériences, septembre 2015.

Le rôle de l’accompagnement par la chambre d’agriculture

En ce qui concerne la chambre d’agriculture des Hauts-de-France, c’est toujours les porteurs de projets qui viennent vers elle comme le met en évidence un conseiller en méthanisation d’une chambre d’agriculture, « La chambre d’agriculture est connue de bouche à oreille par les agriculteurs ».
Unité de méthanisation.

La chambre d’agriculture permet d’apporter un certain recul dès l’émergence du projet et d’accompagner le futur exploitant au cours des premières démarches7. « Nous élargissons la vision des porteurs de projet, en les poussant à consulter plusieurs entreprises, également en décrivant les avantages et inconvénients des technologies » explique un conseiller en méthanisation d’une chambre d’agriculture. La chambre d’agriculture semble plutôt intervenir au moment de l’émergence du projet, tandis que les bureaux d’études prennent souvent le relais pour les étapes d’après, bien que certains porteurs de projets se passent de l’un ou de l’autre.

7 ADEME, Recueil de recommandations et retour d’expériences, septembre 2015.

Selon un des porteurs de projet interrogés, la chambre d’agriculture a plutôt tendance à intervenir pour toute la partie administrative en amont du projet, comme l’étude de faisabilité. « Même sur des projets en Ile-de-France on est accompagné par cette personne, donc un conseiller d’une chambre d’agriculture qui s’est spécialisé en méthanisation, qui a vraiment des compétences sur les dossiers juridiques, financements etc... ».
En fonction des chambres d’agriculture, des formations peuvent être proposées afin de permettre au porteur de projet de mieux appréhender ce qu’implique son projet. « La chambre d’agriculture du Nord Pas-de-Calais propose une formation collective de deux jours sur les bases d’un montage de projet de méthanisation : il est abordé le contexte, la réglementation et les obligations, les risques liés à l’exploitation, les aspects techniques et économiques. Durant la seconde moitié de la seconde journée, nous organisons une visite d’une installation » souligne le conseiller en méthanisation d’une chambre d’agriculture. C’est d’ailleurs suite à cette formation que cet organisme va assurer son accompagnement en fonction du porteur de projet, entamer l’étude de faisabilité et la partie administrative, tout en l’orientant vers des constructeurs. « Nous aidons les porteurs de projet sur les choix des constructeurs par rapport aux différences techniques et économiques. La chambre d’agriculture est capable d’effectuer les dossiers ICPE8 (déclaration), plan d’épandage et permis de construire » déclare le conseiller en méthanisation d’une chambre d’agriculture.

8 Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (autorisation, enregistrement ou déclaration).

Pour autant la chambre d’agriculture n’est pas limitée à la compétence administrative. En effet, elle peut intervenir sur de nombreux aspects comme le pré-dimensionnement de l’installation, l’aide à la consultation d’entreprises, le choix du constructeur, de la technologie. Elle peut également aider au financement via la consultation des banques, de l’ADEME ou de la région.

Quels apports de l’accompagnement par des bureaux d’études ?

Les bureaux d’études ont d’une manière générale l’initiative de la prise de contact avec les porteurs de projet. Selon un bureau d’études, ce sont soit les clients qui viennent vers eux, soit la situation inverse, comme le souligne un bureau d’études. « On n’a pas un volant de communication tel que les porteurs de projet nous appellent tous les jours. On a quelques appels de temps en temps ».
Bien que tous les bureaux d’études aient des étapes de fonctionnement9 communes, leur méthodologie varie d’un bureau à l’autre. Il faut noter que l’accompagnement par les bureaux d’études va s’avérer crucial vis-à-vis des choix qui seront entrepris par la suite car il permet d’éviter de commettre certaines erreurs. Leur objectif est de comprendre les attentes de leur client et leur vision des choses en ce qui concerne le fonctionnement de l’unité. « Je pense qu’une des premières étapes c’est de visiter l’exploitation qui est censée recevoir une unité de méthanisation et de bien comprendre comment est-ce qu’ils ont pensé alimenter leur unité de méthanisation. Parce que du menu va découler non seulement un dimensionnement des installations, mais aussi une capacité de production » explique un consultant d’un bureau d’études.

9 Etude de faisabilité, vérification de l’adéquation entre les intrants et la chimie du méthaniseur, construction, mise en service…

Les bureaux d’études visent le plus souvent à accompagner l’exploitant lors de la conception et la construction du projet. Ils interviennent dans le domaine de la conception de l’unité, orientent le choix des fournisseurs, supervisent la construction et ont de manière générale un rôle de conseil10. Ces résultats concordent d’ailleurs avec les témoignages des différents bureaux d’études interrogés. « On leur apporte une technologie adaptée à leur gisement de biomasse », « ce qu’on pense leur apporter c’est une certaine lucidité par rapport à leur projet ». Un porteur de projet met notamment en exergue l’importance des bureaux d’études pour avoir un avis extérieur « Ils nous permettent de nous remettre dans le droit chemin quand effectivement on aurait peut-être tendance à s’égarer ou à prendre des risques justement ».

10 ADEME, Analyse du risque porté par les projets de méthanisation et propositions de bonnes pratiques préventives, décembre 2014.

Il convient néanmoins de nuancer le propos. En effet, en raison du manque de maturité de la filière et du manque de promotion des bureaux d’études, il reste complexe pour les porteurs de projets d’identifier les acteurs sur lesquels s’appuyer.

Conclusion

La filière de la méthanisation à la ferme souffre quelque peu d’une sous-estimation des risques car les futurs exploitants ont tendance à être trop optimistes à ce sujet, ce qui soulève la question de comment leur présenter les risques au stade d’avant-projet afin qu’ils les prennent en compte et réalisent leur ampleur sans les dissuader d’élaborer un projet. Avoir recours à des formations pourrait constituer un élément de réponse afin de leur permettre d’accroître leurs connaissances et de les rendre plus vigilants sur certains points, augmentant par la même occasion leurs chances de réussite.
Ensuite, l’accompagnement du projet est un élément clé de réussite : par une chambre d’agriculture ou un bureau d’études. Pour autant ces deux organismes ne semblent pas avoir le même rôle. Bien que la chambre d’agriculture ait un panel de compétences plus étendu, elle semble aujourd’hui essentiellement consultée pour les démarches administratives, intervenant alors plutôt en premier lieu sur le projet, les bureaux d’études prenant alors le relais. Ces derniers agissent plutôt sur les parties conception et construction de l’unité et ont un rôle de conseil au fur et à mesure du développement du projet.
Cette recherche a pu mettre en exergue plusieurs clés de réussite telles que la nécessité du contexte d’implantation avec l’importance de la localisation de l’unité, que ce soit vis-à-vis des débouchés d’injection potentiels ou des riverains. L’étude de faisabilité est également essentielle car elle permet d’apporter une vue d’ensemble sur le projet dès ses prémices. Les différents aspects du projet doivent être sécurisés et il est fondamental que son exploitant comprenne qu’il se déroule sur la durée, et que par conséquent ce projet doit pouvoir évoluer.
Enfin, la démarche FILABIOM propose des outils qui peuvent guider le porteur de projet, car elle permet de préciser les différentes étapes de conception et d’implantation d’une filière d’approvisionnement en biomasse agricole. Elle propose par exemple des guides tels que « Connaître le territoire pour faciliter l’ancrage d’une filière de la bioéconomie », destiné aux acteurs de la valorisation de la biomasse agricole et permet de mieux connaître et tenir compte du territoire sur lequel ils souhaitent s’ancrer : potentialités, contraintes, acteurs à associer… 


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