De plus en plus souvent, les collectivités sont – et seront – confrontées à des situations où le réseau pluvial ou unitaire ne peut évacuer la quantité d’eau arrivant en ville. La réponse implique des actions à toutes les échelles, de temps comme d’espace.
L a France, comme d’ailleurs d’autres pays, a vécu récemment une succession de sécheresses et d’épisodes de pluies intenses menant à des inondations. L’année qui vient de s’écouler est à cet égard emblématique. L’augmentation de fréquence des inondations, en particulier en ville, résulte de la combinaison du changement climatique - les rapports successifs du GIEC soulignent son impact sur le cycle de l’eau - et de l’imperméabilisation des surfaces urbaines. Gérer l’eau arrivant en ville n’est pourtant pas un problème nouveau et de nombreuses solutions existent, du classique tout-à-l’égout aux techniques «alternatives». Les dispositifs déjà en place semblent cependant atteindre de plus en plus souvent leurs limites. Dès lors, que faire face à cette situation nouvelle? à quelle échelle agir ? les réponses sont-elles nécessairement les mêmes face à la crue d’une rivière qu’à un épisode pluvieux exceptionnel? quels sont les moyens techniques ou organisationnels pour limiter les dégâts ? faut-il «simplement» surdimensionner les dispositifs actuels? que faire lorsque la capacité d’évacuation du réseau, qu’il soit pluvial ou unitaire, est dépassée?
UN CONSTAT PARTAGÉ
«Dans ce contexte de changement climatique, nous observons statistiquement une sérieuse augmentation de la fréquence et de la gravité des inondations. C’est un cercle vicieux: sous l’effet de la sécheresse, les sols s’affaissent et se durcissent. Ils n’absorbent plus les pluies donc les épisodes pluvieux intenses, eux-mêmes de plus en plus fréquents, deviennent des inondations» constate Priscille Béguin présidente d’Aegir, un bureau d’études spécialisé dans la modélisation 3D fine et la prévision de l’écoulement de l’eau.
«Je sens une inquiétude grandissante chez nos clients et prospects. Historiquement, nous nous intéressons plutôt aux «classiques» crues de la Seine et de la Marne mais, depuis deux ou trois ans, nous voyons nos clients se doter de cellules de crise compétentes pour les conséquences du changement climatique» ajoute Rodolphe Guillois, directeur général du groupe Alcom. Cette société, qui développe des solutions d’IA pour la préservation du milieu naturel, des ressources, biens et activités, a formé un groupe qui rassemble aujourd’hui plusieurs sociétés spécialisées dans un aspect ou un autre de la réponse aux inondations : protection des grandes infrastructures et gestion de crise (Examo), hydrométrie du milieu naturel (Tenevia), modélisation et gestion dynamique des ouvrages (3 D Eau). Les systèmes Tenevia et 3D Eau sont conçus et réalisés en France. «Cette conjugaison de pluies intenses et d’artificialisation des sols devient une préoccupation collective. L’année 2022 a apporté une touche finale en montrant que sécheresse et excès de chaleur, d’une part, et inondations, d’autre part, sont les deux faces d’une même médaille» estime pour sa part Christophe Lagrange, directeur de l’offre chez Alkern.
Ce que confirme Jean-Yves Viau, directeur opérationnel de Saint-Dizier Environnement: «il n’y a plus de discussion possible. Les effets du changement climatique sont là, et l’année 2022 l’a mis en évidence avec des records de sécheresse et de précipitations. Nous sommes donc de plus en plus sollicités.» Bien sûr beaucoup a déjà été fait. Depuis les évènements des années 1980, qui ont mis en lumière la vulnérabilité des villes face aux inondations, la France a mis en place différents outils : PLU1 , services d’annonces puis de prévision des crues, PPRI2 … «Nous nous sommes un peu «reposés» dessus et ce n’est que très récemment qu’on a pris conscience du fait que les études d’impact ne sont plus valides car elles reposent sur des données antérieures à la prise en compte du changement climatique. Il est urgent de changer les modèles et les références de pluies utilisées. Les référence décennales ou centennales d’il y a 20 ans n’ont plus de sens…» insiste Priscille Béguin. Luc Manry, président du syndicat ITSEP et en charge des affaires réglementaires chez Wavin, la rejoint: «tous les ouvrages (réseaux unitaires ou d’assainissement, bassins de rétention … ) existants ont été construits selon l’instruction technique 1977. Elle est aujourd’hui remplacée par le mémento Astee mais le bâti pose problème car il a été conçu selon des modèles aujourd’hui dépassés. Puisqu’on ne peut pas changer l’existant, il faut limiter la quantité d’eau qui y entre.» Autrement dit, pour ne pas engorger un réseau dont les limites sont devenues évidentes, il faut utiliser les capacités d’infiltration du sol ou, à défaut, retenir et stocker les eaux de ruissellement avant de les restituer au milieu naturel.
DÉSIMPERMÉABILISER: UN IMPÉRATIF
«Nous encourageons les collectivités locales à se fixer des objectifs de désimperméabilisation de leur territoire, explique Claire Forite, chargée de mission Transition écologique de la gestion de l’eau à l’association Amorce, réseau de collectivité et de leurs partenaires engagés dans la transition écologique. Et ce pour plusieurs raisons, tout d’abord, en absorbant l’eau où elle tombe, les sols réduisent le risque d’engorgement et le débordement des réseaux d’évacuation, l’inondation de la voirie. De plus, certains aménagements d’infiltration et les espaces végétalisés plus généralement peuvent contribuer à limiter la vitesse du ruissellement qui peut générer des dégâts accrus». La désimperméabilisation présente d’autres avantages: «il faut laisser le sol jouer son rôle et restaurer le cycle de l’eau. Les zones perméables en ville répondent à la fois aux problématiques d’inondation, de recharge des nappes et de création d’îlots de fraîcheur» énumère Christophe Lagrange.
Priscille Béguin va plus loin: «il faut certes arrêter de créer des parkings, rues, trottoirs, etc. imperméables, mais il faut aussi s’assurer que le sol des zones végétalisées reste humide. Une pelouse nue - un green de golf par exemple - grille au soleil, le sol s’affaisse et n’absorbe plus lorsqu’il se remet à pleuvoir. Il faut donc privilégier une couverture arborée pour que le sol reste humide et conserve son pouvoir absorbant.» Pour la perméabilisation de la voirie, Alkern, spécialiste des solutions en béton préfabriqué, propose sa gamme O’ de pavés et dalles drainants. «Certains sont réalisés en matériau poreux, d’autres laissent passer l’eau de par leur géométrie. Les réponses diffèrent en fonction de l’aménagement prévu et des contraintes mécaniques sur la surface. Nous avons par exemple réalisé des parkings d’hypermarchés en pavés infiltrants à écarteur, à base de granulat de béton recyclé» explique Christophe Lagrange. La ville de Wimereux (Pas-de-Calais) conjuge plusieurs solutions Alkern: des pavés infiltrants (à base de coquilles SaintJacques recyclées) et des bassins de rétention. La firme intervient aussi à Bordeaux, Paris ou Lille pour désimperméabiliser des cours d’écoles. Alkern s’entoure de partenaires pour proposer des solutions complètes, par exemple avec TenCate AquaVia, fabricant de GeoClean® et InDi’Green, des solutions qui laissent passer l’eau mais retiennent les hydrocarbures dont les HAP, lors de leur infiltration dans le sol - et accélère leur dégradation par les bactéries du sol. L’aquatextile InDi’Green peut se disposer sous des pavés drainants pour réaliser un parking de poids lourds, par exemple, afin d’éviter l’éventuelle infiltration d’huile dans le sol. Alkern fabrique aussi Hydrocyl®, un produit breveté par l’ensemble de la filière béton, que d’autres sociétés proposent également.
Il s’agit de petits cylindres creux en béton, présentés en vrac, dont on peut remplir une fosse pour créer un volume de stockage d’eau dans le sol. «On peut envisager par exemple une configuration comprenant en surface une couche de pavés drainants installés sur un lit de pose sur du géotextile, et en dessous un volume de stockage en Hydrocyl» imagine Christophe Lagrange. En matière de nouvelle génération de nappes textiles, Ajelis n’est pas en reste avec l’aquatextile drainant tri couches GEOCAPT® qui s’appuie sur la technologie des fibres sorbantes sélectives développée au CEA. «A partir de fibres synthétiques, le media permet la capture, avant infiltration de l’eau dans les sols, des hydrocarbures dont les HAP mais aussi des polluants métalliques, des nitrates et même de certains pesticides (glyphosate). Notre partenaire suédois BCW propose aussi un filtre flotteur SWEDROP® qui, placé dans les avaloirs d’égouts, opère la capture des métaux lourds lors d’épisodes orageux» complète Marc Caudron, responsable Opérations de la start-up.
STOCKER AU BESOIN
Si la capacité d’infiltration du sol n’est pas suffisante, on peut écrêter les débits de pointe en stockant provisoirement les eaux de ruissellement. C’est le rôle des bassins de rétention, qu’ils soient enterrés ou en surface. Des ouvrages cependant difficiles à dimensionner… «Ils sont régis par le fascicule technique 70 titre 2. A titre d’illustration, l’édition 2003 faisait une vingtaine de pages, celle de 2021 en compte 165 de plus… On commence à prendre en compte la complexité d’une telle opération» souligne ainsi Luc Manry. La ville de Clermont-Ferrand, régulièrement sujette à des inondations, a ainsi mis en place un programme de construction de bassins. «La ville est «posée sur l’eau» et l’infiltration est donc difficile. Nous participons à la conception d’un gros bassin de stockage/restitution des eaux prévu pour les épisodes de précipitations intenses. Il s’agit d’un silo de 10 mètres de haut, et nous modélisons les flux pour garantir qu’il sera fonctionnel et efficace» explique Priscille Béguin (Aegir). Outre les ouvrages en génie civil construits sur place, de nombreux acteurs fournissent des solutions industrialisées, que ce soit en béton préfabriqué (Bonna Sabla , Cimentub, Stradal …), en polymères (Amiblu, Birco, Hauraton Polieco, Sebico) ou en polymère renforcé d’acier galvanisé.
Polieco France propose le Tamp’eau hybride 4 en 1, la seule solution présente sur le marché qui permet d’associer 4 fonction sur une même cuve (tamponnement, stockage, infiltration et régulation) et également de moduler en fonction des besoins, la capacité de la zone d’infiltration. «Il est temps de sensibiliser davantage les élus, les collectivités à un autre mode de gestion des eaux pluviales. Notre cuve hybride favorise à la fois la réutilisation de l’eau de pluie et son infiltration dans le milieu naturel, ce qui contribue en même temps à la préservation des ressources et au cycle naturel de l’eau», insiste Nicolas Vollerin, directeur technique et communication. C’est aussi le domaine des structures alvéolaires ultra légères (SAUL) proposées entre autres par ACO, Dyka, Fränkische, Funke, Graf, Hamon, Nidaplast. Sans compter les unités cylindriques de fort volume fabriquées par Tubosider ou Tubao. Tout cela ne supprime évidemment pas la question initiale du dimensionnement. Conçues sur le principe de la buse métallique en acier galvanisé, Tubao rappelle que les unités présentent l'avantage d'avoir un pré-équipement complet en usine pour optimiser le temps de mise en place (exemple: bassin de l'aéroport Charles de Gaulle (95) de 3100m³ installé en 13h) et l’accessibilité pour les inspections et l'entretien par hydrocurage. «En zone densément urbanisée, les SAUL présentent l’avantage de pouvoir créer une réserve de n’importe quelle forme et n’importe quelle taille, selon la place disponible en sous-sol, par assemblage de petits volumes unitaires» souligne Luc Manry.
Selon la situation (nature du sol, proximité de la nappe ou de réseaux souterrains, etc.), on choisira d’entourer la réserve d’une géomembrane, pour constituer un stockage que l’on videra ultérieurement dans le réseau ou le milieu naturel, ou d’aquatextile (du type GeoClean® de TenCate AquaVia) pour une infiltration propre directe des eaux pluviales dans le sol environnant. Fränkische propose depuis une vingtaine d’années déjà sa SAUL Rigofill, certifiée par le CSTB. «Ce sont des blocs unitaires de 400 litres mais il n’y a pas de limite à la taille des bassins enterrés. C’est le maître d’ouvrage qui choisit, en fonction d’aspects réglementaires, géotechniques et économiques. Dans les limites de ce qui est techniquement possible à cet endroit, il lui appartient de trouver l’équilibre entre l’investissement et le risque évité. De quelle pluie de référence doit-il et veut-il se protéger ?» explique Christophe Chastel, directeur technique chez Fränkische. La société a par exemple équipé un réservoir de 4660 m3 à Lançon-de-Provence, ou plus récemment un ensemble de bassins de plus de 16000 m3 à Troyes. Un grand club sportif lui a aussi confié l’équipement d’un stockage de 13000 m3 sous son nouveau centre d’entraînement. Wavin, qui fournit de quoi réaliser des réseaux complets, stockage compris, propose également des SAUL, ainsi que des dispositifs pour réaliser toutes les fonctions afférentes: visite, dépollution, nettoyage, limitation des débits entrants ou sortants, etc.
Il existe une autre solution pour soulager le réseau d’évacuation: installer des limiteurs de débit à la parcelle. «Pour une nouvelle construction ou un agrandissement, le PLU peut exiger soit de ne rien rejeter au réseau, donc infiltrer sur place, soit de limiter les apports à un nombre déterminé de litres/seconde/hectare. Nous proposons pour cela des limiteurs de débit à effet vortex qui s’installent sur le réseau, et qui se généralisent sur les projets…» explique Jean-Yves Viau (Saint Dizier Environnement). Bien entendu, la limitation des rejets au réseau suppose l’installation en amont d’une capacité de stockage, de quelque nature qu’elle soit, pour les eaux excédentaires.
NE PAS OUBLIER LE RÉSEAU…
Dans la plupart des situations, en particulier dans les quartiers anciens, c’est encore au réseau, unitaire ou non, qu’il revient d’évacuer les eaux de ruissellement. Tout d’abord, considération qui peut sembler triviale: comment faire entrer un maximum d’eau dans ce réseau – ou tout au moins autant qu’il peut en absorber ? «Avec l’aide de l’ENGEES, à Strasbourg, nous avons défini des modèles mathématiques pour aider les bureaux d’études et les collectivités à évaluer la quantité d’eau qu’une grille peut absorber dans un contexte particulier. Sur tel bassin versant, avec tel taux d’imperméabilisation, nous pouvons déterminer le nombre et le type de grilles avaloirs à installer pour absorber la quantité d’eau attendue» explique Arnaud Cuny, en charge du marketing «voirie» chez Saint-Gobain PAM Canalisation. Autre accessoire du réseau présent sur la voirie, le tampon des bouches de visite peut lui aussi jouer un rôle en cas d’inondation. Si le réseau déborde, l’eau refoulée peut en effet soulever et déplacer ces «plaques d’égout», créant une situation à risque.
Dans une rue inondée, un éventuel piéton peut en effet alors tomber dans la bouche invisible sous le flot. «Depuis une quarantaine d’années maintenant, nous proposons notre tampon Pamrex muni d’une charnière, qui se soulève pour laisser passer l’eau avant de se refermer. Il a été créé en réponse à des accidents passés : des gens tombés dans des bouches aux tampons déplacés» explique Arnaud Cuny. Un produit qui a fait des émules puisque des sociétés comme Benito, EJ, Hydrotech ou Soval proposent également des tampons articulés.
EJ vient pour sa part d’annoncer le kit Solo Tempête. Il s’agit d’une béquille de retenue permettant une ouverture du tampon à un angle maximal de 15° afin d’évacuer l’eau, puis le repositionnement dans son cadre une fois la pression du réseau redescendue, assurant ainsi la sécurité et l’usager et la préservation du réseau. Le kit est adaptable rétroactivement sur tous les tampons de voirie de la gamme Solo d’EJ. Mais surtout, le réseau, comprenant souvent des sections de fort diamètre, peut en lui-même intervenir comme capacité de stockage des eaux de ruissellement, se substituant ainsi aux coûteux bassins de rétention. Il faut pour cela le munir de vannes qui pourront s’ouvrir ou se fermer en fonction du débit reçu. «Cela permet de valoriser la capacité de stockage du réseau pour réduire les pointes de débit. C’est simple, efficace et évite de mobiliser du foncier pour construire des bassins» affirme ainsi Aziza El Ouati, experte technique des réseaux d’assainissement chez Veolia. Un type de système que cet opérateur met en place à Dinard, par exemple. Des constructeurs comme Bayard, Fernco, F-Reg, ou Tecofi produisent des vannes mécaniques à cet effet. Le bureau d’études 3D Eau (aujourd’hui dans le groupe Alcom), spécialiste de la modélisation des ouvrages hyrodrauliques, s’est pour sa part associé à Hydrass pour proposer deux types de vannes mécaniques : DéoMatic pour les déversoirs d’orage et Stoko pour le réseau lui-même.
Il est aussi possible de combiner instrumentation, vannes télécommandées et informatique pour créer des solutions de gestion dynamique du réseau qui mobiliseront en temps réel ses capacités de stockage en fonction des débits constatés mais aussi de données extérieures comme les prévisions météorologiques. «La ville de Saint-Etienne a décidé de mettre en place un système de télégestion lié à la météo, modifiant le fonctionnement du réseau d’assainissement en fonction de la quantité d’eau qui va arriver. Nous avons travaillé avec l’exploitant, en l’occurrence Suez, sur l’optimisation de la télémétrie à des points clés du réseau. Un tel système repose en effet sur des mesures fiables» évoque à ce propos Priscille Béguin (Aegir). Les grands opérateurs (Suez, Veolia …) proposent ce genre de solutions, développées en interne ou en collaboration avec des spécialistes de l’exploitation des données.
Reste qu’il arrivera toujours un moment où un évènement intense débordera la capacité d’un réseau dimensionné à une autre époque. «Il existe une limite à ce que l’on peut faire avec la régulation, l’utilisation de l’IA, etc. La gestion dynamique du réseau permet d’exploiter au mieux la capacité des installations existantes, mais pas au-delà. Il appartient aux parties prenantes d’investir pour se mettre en mesure de soutenir des évènements excédant le dimensionnement initial du réseau» affirme Aziza El Ouati (Veolia).
CRUES LENTES : UN TOUT AUTRE PROBLÈME
Il existe une autre situation où les eaux peuvent envahir une ville: non pas la survenue d’un évènement pluvieux intense mais la lente montée du niveau d’une rivière ou d’un fleuve suite à des pluies prolongées dans le bassin amont. En clair: une crue. A l’évidence, il est alors impossible d’empêcher la montée des eaux. «Dans ces cas-là, il n’y a guère de solution sinon des digues, des ouvrages de protection. Des compétences et des budgets existent pour cela» précise Luc Manry (ITSEP). Il est bien sûr envisageable d’aménager le bassin amont. Ainsi, prenant acte de la vulnérabilité de l’Ile-de-France aux crues de la Seine et de la Marne, encore soulignée récemment par la Cour des Comptes, l’établissement Seine Grands Lacs, qui gère déjà quatre grands barrages, projette-t-il la construction d’un ouvrage supplémentaire en Seine et Marne, en prévision des Jeux olympiques de Paris en 2024. A une plus «petite» échelle, Veolia a assuré la mise en œuvre, l’exploitation, le développement et l’innovation de 1993 à ce jour, avec une succession de bassins de stockage et un système de régulation hydraulique, pour le compte du Syndicat Intercommunal pour l’Assainissement de la Vallée de la Bièvre.
En dehors de ces travaux pharaoniques, dont l’ampleur dépasse ses compétences, que peut mettre en œuvre une agglomération pour réduire l’impact de tels évènements? Tout d’abord, surveiller le bassin amont pour se donner le temps de réagir. Des bureaux d’études comme par exemple Artelia, Hydratec ou Merlin peuvent modéliser les phénomènes hydrologiques à l’échelle d’un bassin. L’alerte, elle, repose sur l’instrumentation du milieu naturel (outre le système national Vigicrues). C’est le domaine de sociétés comme Aquasys, Endress+Hauser, Ijinus, Nivus, Paratronic, Vega, VorteX.io ou Xylem. Dans le cadre de la mise en place du dispositif de gestion de crise (inondations) pour la compétence GEMAPI, l’agglomération de La Roche-sur-Yon s’est récemment équipée de capteurs radar Vegapuls C21. Compacts, ils se fondent parfaitement avec le tablier des ponts sur lesquels ils sont montés et alimentent par panneau solaire le serveur distant Vega Vis accessible en mode SAAS. A brève échéance, la commune ambitionne de notifier proactivement la population par appel vocal, SMS, mail, push sur liste d’appels en cas d’incident grâce à l’interfaçage avec une plateforme de gestion des événements critiques. «Pour prévenir les risques d’inondation et de crues, les DREAL s’équipent de profileurs acoustiques de vitesse par effet Doppler ADCP, pour effectuer les jaugeages de cours d’eau, autrement dit déterminer leur débit quand ils atteignent un niveau donné. Lors d’événements de crues et inondations, le Sontek Riversurveyor M9 de Xylem est couramment utilisé par les DREAL pour des jaugeages des eaux allant jusqu’à 40m, poursuit Mehalia Medjahed, ingénieure solution chez Xylem. Il suffit de l’accrocher à une corde coulissante sur un pont, et de lui faire mesurer les hauteurs d’eau, et vitesses sur toute la traversée du tronçon». Entièrement automatique, le RiverSurveyor M9 calcule ainsi le débit en temps réel grâce au logiciel fourni, permet ainsi aux hydrologues des DREAL de calibrer leur station de mesures et de transmettre leurs observations au réseau VigiCrues.
Un autre paramètre important est la mesure en continu du niveau de l’eau. Pour cela, les DREAL installent à certains endroits stratégiques d’un bassin des capteurs de niveau. Pour ce faire, Xylem propose le Nile Radar. Non intrusif, il peut s’installer sous un pont, et permet de suivre en temps réel le niveau des eaux, sans être gêner par les éventuelles branches lors des crues. «Les réseaux existants de surveillance des cours d’eau sont efficaces mais cependant coûteux: leur maintenance nécessite d’envoyer un opérateur sur place, assure Guillaume Valladeau, CEO de Vortex.io. Avec la création de vorteX-io, nous avons souhaité mettre au point un instrument terrestre abordable dont la maintenance peut être réalisée à distance. C’est à partir de ce constat que la micro-station vorteX-io est née, s’affranchissant de l’ensemble des limitations des technologies de mesure actuelle pour l’hydrologie. Elles regorgent de technologies de pointe à la robustesse éprouvée. Avec ses 400 g, la station est pourtant une réplique des satellites altimétriques de plusieurs centaines de kilos dont elle s’inspire! Une fois installée au-dessus d’une rivière, elle fournit une mesure en continu de la hauteur d’eau au centimètre près, ainsi que des mesures de vitesse de surface et des images en temps réel». Tenevia (groupe Alcom) propose une solution d’hydrométrie à base de caméras et d’analyse d’images. «Installées à distance de la rivière, les caméras ne risquent pas d’être emportées par une crue. Elles envoient en temps réel image et mesure du niveau (ou du débit) à une supervision. Elles permettent également la "levée de doute". Plus besoin d’envoyer un technicien sur le terrain, avec les risques que cela comporte pour sa sécurité, pour vérifier la réalité de l’évènement comme cela arrive parfois avec d’autres technologies comme les sondes limnimétriques ou les radars» souligne Rodolphe Guillois (Alcom).
Tenevia propose CamLevel, un système mesurant la hauteur d’eau par détection automatique du niveau sur les échelles limnimétriques traditionnellement installées sur les stations de mesure. La solution CamFlow permet, à partir de la même caméra, de mesurer les vitesses de surface et calculer le débit. Pour chaque mesure, des images augmentées sont produites automatiquement et transmises pour faciliter la prise de décision. Les métropoles de Grenoble et Toulon, par exemple, utilisent ces caméras. «Le système, qui reste opérationnel en situation de crue, permet également de compléter les courbes de jaugeage des cours d’eau pour des débits importants. En complément des services de gestion de crise,Tenevia travaille donc aussi avec les hydrologues des services de prévision de crues ou des syndicats de rivière pour l'amélioration des prédictions au bénéfice de la protection des personnes et des activités» ajoute Rodolphe Guillois. Reste qu’une collectivité ne peut se prémunir contre (ou résister à) des inondations, quelle qu’en soit la cause, qu’en pensant également à long terme. Il s’agit, pour l’écrire vite, de maîtriser son développement (ne pas construire en zone inondable, c’est l’idée du PPRI) et de penser autrement l’aménagement urbain (désimperméabilisation, végétalisation, déconnexion du réseau).