Quelle sera la place et le rôle de Veolia en 2040, dans un monde marqué par une forte croissance démographique, une urbanisation galopante, des dérèglements climatiques et une raréfaction des ressources ? Antoine Frérot, le PDG du groupe, s’est attaché à définir les contours de ses futurs métiers lors d’une rencontre avec la presse le 8 février dernier. Beaucoup de ces nouveaux métiers exigent un cadre réglementaire adapté.
Après
plusieurs années de transformation qui ont permis à Veolia de se recentrer, de
se réorganiser, de se désendetter et de réduire ses coûts, le groupe s’attache désormais
à démontrer qu’il est capable, sur la base de ses métiers et de ses compétences
actuelles, de développer une croissance raisonnable et pérenne de l’ordre de 2 à
3% en chiffre d’affaires et de 4 à 5 % en résultat opérationnel. « 2018 sera d’abord l’année de la
confirmation et de la consolidation, a indiqué Antoine Frérot. Mais l’année sera également mise à profit
pour imaginer l’étape stratégique suivante qui devra aller plus loin que l’étape
actuelle qui repose sur des compétences et des métiers bien maitrisés ». Aller
plus loin, c’est relever de nouveau défis, dès lorsqu’ils s’inscrivent dans les
missions du groupe. Encore faut-il les identifier, les confronter aux expertises
existantes et identifier les savoir-faire qui font défaut pour répondre aux défis
de 2040.
Dans
un monde largement urbanisé, en proie de fortes tensions d’ordres
démographiques, climatiques et dans un contexte de raréfaction des ressources,
trois enjeux majeurs se dessinent aux yeux d’Antoine Frérot, tous trois étroitement
liés à des problématiques de gestion de l’eau, de l’énergie et des déchets.
Comment réussir à produire de la nourriture en quantité et en qualité
suffisantes pour neuf milliards d’habitants ? Comment répondre à une demande
énergétique qui va croître de 30% d’ici 2040 ? Et comment lutter contre les
pollutions de l’eau, des sols et de l’air, qui sont le plus souvent inhérentes
au développement économique et social ? Pour Antoine Frérot, « Il est possible d’améliorer le monde de
demain en agissant dès maintenant. C’est, et cela a toujours été, le rôle de
Veolia depuis 160 ans de repérer les enjeux de demain et de proposer des
solutions ».
Sur le défi alimentaire, qui nécessite a priori plus de terres agricoles, plus d’eau et plus d’énergie alors même que les pressions sur ces trois facteurs sont déjà intenses, le groupe pense pouvoir valoriser plusieurs expertises, notamment en matière d’économie circulaire. Il produit déjà des engrais et des fertilisants alternatifs à partir de déchets organiques. Certains sont même déjà commercialisés, par exemple en Grande Bretagne. Les déchets organiques, les boues de stations d’épuration et les déchets de la mer pourraient permettre d’augmenter la production d’engrais organiques à partir de déchets.
Par ailleurs, en Allemagne, grâce à la technologie Struvia™, le groupe sait extraire le phosphore des eaux usées alors que les experts prévoient que les ressources naturelles en phosphore pourraient s’épuiser d’ici une centaine d’années. Le recyclage des eaux usées en agriculture est une autre solution qui pourrait permettre de produire plus et mieux. Veolia le pratique largement à l’international mais très peu en France, à l’exception d’une expérience menée à Tarbes pour la production de maïs et d’orge. En cause, une réglementation trop restrictive aux yeux du patron de Veolia. Mais les recherches continuent. « Avec la FNSEA, nous avons engagé un programme de recherche pour développer des traitements adaptés de manière conserver au maximum dans les eaux usées l’azote, le phosphore et le potassium, ce que nous appelons notre programme de Reuse intelligent » a expliqué Antoine Frérot.
Veolia s’est également lancé
dans plusieurs expérimentations dont la production de protéines animales à
partir de larves d’insectes, elles-mêmes produites à partir de biodéchets.
Cette protéine d’insecte pourrait représenter en 2040 près de 10% du marché de
la nourriture animale. De même, le groupe s’intéresse à l’agriculture urbaine
ou péri-urbaine. Des expérimentations ont été lancées avec le marché d’intérêt
national de Lille sur du micro-maraichage associé à des techniques pointues de
permaculture. A Bruxelles, Veolia a développé une ferme urbaine aquaponique qui
associe culture de végétaux et élevage de poissons. « Toutes ces expériences doivent permettre de construire un corpus de
connaissances permettant de progresser vers des villes plus sobres et plus
résilientes » a indiqué Antoine Frérot.
Le
second défi est lié à la demande énergétique qui devrait augmenter de 30% d’ici
2040 et plus encore, la demande en électricité qui devrait augmenter 4 fois
plus vite que la demande en énergie globale. Comment faire pour relever le défi
de cette augmentation tout en préservant les ressources naturelles et en
luttant contre le réchauffement climatique ? « Nous avons déjà de nombreuses solutions qui concourent à relever ce
défi » a indiqué Antoine Frérot. Le groupe, producteur d’énergies vertes, est également
positionné sur plusieurs créneaux stratégiques comme celui de l’efficacité
énergétique. Chargé de l’alimentation en énergie de près de 4.000 bâtiments
publics pour le compte de la ville de New York, il a permis à la New York Power Authority d’économiser 134
millions de dollars par an. Dans le secteur industriel, le groupe a permis au
groupe PSA de diminuer de 17% sa consommation énergétique sur plusieurs
sites en France et en Slovaquie.
Par
ailleurs, Veolia, qui exploite plus de 500 réseaux de chaleur et de froid dans
le monde, souhaite se développer dans d’autres domaines tels que le recyclage
des batteries en fin de vie, une activité jugée porteuse de gros enjeux. De
même, le groupe souhaite élaborer des solutions plus robustes et moins coûteuses
en matière de capture, de recyclage et de stockage du CO2.
Mettre en place un corpus réglementaire
Le troisième défi qui concerne les nouvelles pollutions de l’eau, de l’air et des sols, inhérentes au développement économique et social de nos sociétés, est au centre des activités du groupe. « Dans les pays émergents, l’enjeu, c’est le traitement classique des eaux domestiques et industrielles auquel Veolia contribue depuis de longues années. Dans les pays développés, l’enjeu s’est déplacé vers les micropolluants et les perturbateurs endocriniens. C’est à l’ensemble des eaux usées municipales qu’il faut s’attaquer, et c’est sur les stations d’épuration qu’il faut agir » a expliqué Antoine Frérot.
Reste que dans la plupart des pays, il n’existe pas de cadre règlementaire précis, même si la Suisse et l’Allemagne commencent à travailler activement sur le sujet. L’Union européenne a également publié des recommandations sur certaines molécules en proposant des premières valeurs limites. Veolia a donc mobilisé ses chercheurs et procède à de nombreuses expérimentations. A Lucerne, par exemple, pour protéger le lac des Quatre-Cantons, le groupe a associé à la technologie « Actiflo® » des étapes de filtration sur charbon actif, avec, au final, un piégeage efficace des molécules suivies.
Au Danemark, à Aarhus, le groupe a validé une solution de
traitement de la pollution carbonée et azotée et d’une demi-douzaine de
molécules médicamenteuses en une seule étape. « Il reste cependant beaucoup à faire pour progresser en matière de
détection, de compréhension des effets cocktails et de traitement. Il faut
aussi mettre en place un corpus réglementaire avec des valeurs de référence à
respecter, c’est le rôle des pouvoirs publics et nous comptons les y inciter ».
Veolia travaille également sur des techniques membranaires très pointues
reposant sur des nano-tubes de carbone et sur le biomimétisme en testant des membranes
à haute perméabilité imitant les branchies des poissons.
En
matière de dépollution des sols, le groupe mène plusieurs programmes de
recherche dont l’un est consacré à la phytoremédiation. Il s’agit d’accélérer
le cycle d’assimilation des polluants par les plantes et de trouver d’autres
voies que l’incinération pour la post-remédiation.
Enfin,
le groupe travaille également sur le thème de la pollution de l’air, notamment l’air
intérieur sur lequel il n’existe pas encore de règlementation contraignante. Là encore, Antoine Frérot plaidé pour la mise
en place de règlementations contraignantes assorties d’obligations de résultat.
« L’émergence d’une réglementation
favorisera l’innovation et des développements techniques qui feront naitre des
marchés, tant dans les domaines de la détection, de la mesure et de l’analyse,
qu’en matière de traitement. Le jour ou ces règlementations existeront, Veolia
voudra en être ».