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Valoriser le biogaz : les enjeux de la méthanisation

31 mai 2021 Paru dans le N°442 à la page 77 ( mots)
Rédigé par : Patrick PHILIPON

Alors que la méthanisation connaît un véritable boom en France, les règles du jeu menacent de changer. Cela remet-il en cause la pertinence de cette filière ? Pas vraiment, expliquent les différents acteurs…

Longtemps “à la traîne” dans notre pays, la méthanisation des boues de STEP municipales ou industrielles connaît une véritable dynamique en France depuis quelques années (voir par exemple EIN 432). Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Dans quelles conditions ces projets sont-ils économiquement sensés ? La valorisation du biogaz est-elle déterminante ? Le nouveau flou sur les tarifs de rachat remet-il en cause la filière ? Et quid de l’hygiénisation, devenue un vrai sujet avec la crise sanitaire ?

Pourquoi méthaniser ?

La principale raison d’installer un digesteur sur une STEP reste la réduction d’environ un tiers du volume des boues. « Lorsque les coûts d’évacuation des boues sont très élevés, le retour sur investissement est très rapide. Cela reste essentiel dans certaines circonstances » souligne Thierry Morel, responsable du Pôle Grands Projets Eau Assainissement chez IRH (groupe Antéa). Il cite en exemple des réalisations récentes à Sallanches, Courchevel ou Saint-Marcellin. Les préoccupations environnementales ne sont pas étrangères non plus : moins de boues à évacuer signifie moins de camions sur les routes, ce qui intéresse les collectivités. L’autre avantage classique de la fermentation est la fourniture d’énergie à la STEP elle-même. Le biogaz produit dans le digesteur peut alimenter une chaudière, voire une installation de cogénération. « A Sallanches, on a fait de la co-génération car la STEP produit beaucoup de gaz et il ne passe pas de réseau à proximité où le réinjecter » explique par exemple Thierry Morel (IRH). « La co-génération reste une réalité surtout pour les petites installations mais nous sommes plutôt incités à injecter dans le réseau » affirme pour sa part Vincent Chevalier, directeur de marché transition énergétique chez Veolia eau France.
En effet, en 2014, il est devenu possible d’injecter le biométhane issu de STEP dans le réseau de distribution du gaz, ce qui a changé la donne… et lancé le mouvement d’équipement en France. « Les collectivités se sont emparées du sujet en 2014 et nous avons une quarantaine de projet réalisés ou en cours de réalisation. Tous comportent une méthanisation avec injection dans le réseau » explique ainsi Vincent Chevalier (Veolia). Un digesteur, rappelons-le, produit du biogaz, un mélange de gaz carbonique (CO2), de méthane (CH4), de vapeur d’eau (H2O) et d’impuretés (en particulier l’hydrogène sulfuré H2S). Bien que combustible sur place, il n’est pas valorisable à l’extérieur, que ce soit sous forme de gaz pour véhicule ou d’injection dans le réseau. Pour cela, il faut isoler et purifier le méthane, ce qui représente un investissement supplémentaire mais ouvre toutes les portes pour la valorisation. « La STEP de Fréjus, que nous avons réalisée, a été primée aux Green Awards 2019 de Construction21. C’était une des premières en France à injecter du biométhane dans le réseau, en lien avec des besoins de chauffage collectif de la ville » se souvient Vincent Chevalier (Veolia). Autre manière de valoriser le biométhane : la STEP de la ville du Mans mettra en service cette année une unité de méthanisation, réalisée également par Veolia, qui produira assez de biométhane pour alimenter 80 % de la flotte municipale de bus.
Une nouvelle technologie de “compresseur intelligent” (dite du “rebours”) déployée par GRDF et GRTGaz, et qui sera mise en service à Mareuil-lès-Meaux en 2020, permet de lever certaines contraintes du réseau et ainsi favoriser le déploiement des futurs projets.
« Le groupe Saur construit et exploite des unités de digestion des boues sur STEP urbaines depuis des décennies. Récemment, les évolutions réglementaires et avancées technologiques ont permis d’ajouter de nouvelles modalités de valorisation du biométhane au champ de nos expertises. L’injection du biométhane dans le réseau de gaz naturel fait aujourd’hui partie intégrante des compétences que nous mettons à disposition de nos clients et nous étudions la mise en œuvre de la méthanation pour optimiser la production d’énergie sur certaines STEP, explique Philippe Bessaguet, chef de projet méthanisation chez Saur. Souhaitant donner l’opportunité à chaque collectivité de participer au développement durable et à la préservation des ressources, et conscients que chaque territoire est un cas particulier, nous disposons d’un large éventail de solutions pour répondre au mieux aux nouvelles missions des collectivités, de l’apport des intrants sur les unités de méthanisation à la valorisation des sous-produits et du biogaz. De nouvelles technologies en développement, complémentaires ou en synergie avec la méthanisation des boues de STEP, viennent continuellement enrichir le portefeuille des solutions maîtrisées par Saur afin d’inscrire le traitement des eaux et la valorisation des boues dans la transition énergétique. La méthanisation n’est que la première pierre de transitions majeures, énergétique et écologique, auxquelles Saur se doit de contribuer et de permettre aux collectivités d’y trouver leur juste place ».
Atlantique Industrie poursuit également la montée en puissance de son pôle méthanisation avec outre les missions d’optimisations de process sur des unités déjà existantes, plusieurs projets à différents stades d’avancement, tels que Lanaud, MéthaMuseau ou d'autres. Le pôle finalise aussi la démarche de labellisation Qualimétha (lire l’article d’Eline Dubarral, Loïc Sauvee, unité de recherche InTerACT, UniLaSalle publié dans ce numéro) qui formalise une intégration et appropriation locale des projets en raison des caractéristiques du territoire et des besoins d’accompagnement des habitants, des élus et des exploitants agricoles.
De la même manière, Naskeo renforce ses équipes et peaufine l’accélération du développement de la réinjection en biométhane depuis 2 ans.

Limites et changements de règles

Reste qu’installer et faire fonctionner un réacteur anaérobie, éventuellement suivi d’une unité de purification du biogaz, n’est pas anodin, que ce soit en termes d’investissement ou de formation du personnel. « Cela peut faire hésiter un maître d’ouvrage mais en fait la technologie est bien maîtrisée et pas si complexe que ça. Nous en avons conçu plusieurs qui sont aujourd’hui exploitées en régie sans aucun problème. La dernière, à Aurillac, est en cours de réalisation. Ils doivent « monter en gamme » en termes de recrutement mais cela se passe très bien » assure Thierry Morel (IRH).
A partir de quelle taille de STEP la méthanisation devient-elle une option réaliste ? « Pour les projets actuels de STEP en France, nous examinons systématiquement l’option de la méthanisation à partir de 40-50.000 Eh. En dessous, on a du mal à justifier l’investissement et l’exploitation » rapporte Thierry Morel (IRH). Olivier Bernat, directeur de la technologie chez John Cockerill, voit les choses autrement. « L’école française se limite à 40-50.000 Eh. Les Suisses, qui n’épandent pas les boues, font de la digestion à 10 000 Eh voire moins… L’investissement public peut être piloté par des considérations non financières, par exemple environnementales. Ce seuil “psychologique” devrait s’abaisser progressivement en France » estime-t-il. « Pour Sources, la méthanisation avec les seules boues n’a une réelle rentabilité et sécurité de conduite qu’au-delà d’usines de 50.000 EH ou le personnel est présent sur site et la charge suffisante. Mais ce qui rend aujourd’hui rentable la méthanisation des boues seules en dessous de ces seuils, c’est bien la subvention publique ! Son recul programmé, et sa prochaine disparition déjà annoncée combinés avec l’accroissement du gisement de matière organique amené par les déchets ménagers, démontreront bientôt cette évidence », assure Patrick Billette, président de Sources.
« Il faut prendre plusieurs paramètres en compte. Tout d’abord combien coûtent les boues. Si l’incinération revient à 100 ou 110 euros la tonne, le gain devient significatif. C’est moins évident en épandage à 30-40 euros la tonne. La taille de la collectivité vient ensuite : aujourd’hui nous considérons la méthanisation à partir de 50 000 Eh, ou 30 000 Eh si la STEP est constamment chargée. En deçà, mieux vaut mutualiser les ouvrages : une unité de méthanisation pour les boues de plusieurs STEPs. Enfin la qualité des boues a son mot à dire. Dans une STEP uniquement biologique, les boues restent de 15 à 20 jours dans le bassin et la matière organique est fortement dégradée, donc les boues ont un faible pouvoir méthanogène. Si la filière comprend un traitement primaire (avant le bassin d’aération), les boues qui en sortent au bout d’une journée sont fortement méthanogènes » recadre Vincent Chevalier (Veolia).
Le décret n° 2020-1428 du 23 novembre 2020 “portant diverses dispositions d’adaptation de l’obligation d’achat à un tarif réglementé du biométhane injecté dans un réseau de gaz naturel” a remis en cause les règles du jeu. Le tarif de rachat du biométhane n’est plus garanti. « Les collectivités d’Aurillac et du Puy en Velay, nos derniers projets, ont signé en urgence les contrats de réinjection… » souligne Thierry Morel (IRH). Mais ce changement de règles est-il vraiment déterminant ? « La ville de Montpellier a voulu une installation à énergie positive pour sa STEP de Maera, ce qui implique une approche globale. Or la digestion représente un apport massif de calories. Même si le contrat de rachat du biométhane n’est pas signé, le projet global est maintenu car la vision d’une STEP à énergie positive reste pertinente » affirme Thierry Morel (IRH). Vincent Chevalier relativise lui aussi l'impact du décret. « Cela ne remet pas en cause la pertinence de la méthanisation, dont le but premier est de réduire la quantité de boues. Malgré tout, cela introduit de l’incertitude pour la construction des dossiers. Toute la filière de l’eau travaille avec le gouvernement pour préparer les discussions avec l’Europe, qui va valider les tarifs de rachat » révèle-t-il.
Même relative indifférence au SIAAP, qui lance de grands projets de méthanisation. « Nous n’envisageons pas la réinjection du biométhane uniquement pour la recette que cela pourrait procurer. Que le tarif baisse ou pas, notre objectif reste le même : réinjecter les 20 à 30 GWh de biogaz excédentaires qui nous restent chaque année après avoir utilisé localement tout ce qui est possible sous forme de chaleur ou de co-génération » souligne Sam Azimi, directeur adjoint de l’Innovation au SIAAP. D’ici à 2023, la STEP de Valenton devrait ainsi réinjecter son biométhane excédentaire dans le réseau.

Une hygiénisation devenue nécessaire

Le contexte de crise sanitaire remet en avant la question de l’hygiénisation des boues issues du fermenteur : le digestat. « La digestion classique à 38 °C, dite mésophile, n’est pas considérée comme hygiénisante. Il faut pour cela une digestion thermophile à 55 °C ou bien hygiéniser les boues ensuite, par chaulage ou compostage normé par exemple. Cela pourrait remettre en cause certaines filières, certains concepts. La réglementation évolue » prévient Thierry Morel. Et de fait, le premier juillet de cette année, de nouvelles règles seront édictées pour le retour des boues au sol, même si leur niveau d'exigence n'est pas connu à l'heure où nous mettons sous presse.
« Nous avons développé des procédés plus avancés, comme la lyse thermique, qui augmente la production de biométhane et produit des boues hygiénisées. Nous le proposons pour de grosses STEP, au-delà de 500 000 Eh, comme à Toulouse ou Bonneuil-en-France. Sinon, la méthanisation thermophile ou le traitement en aval des boues répondent au problème » estime pour sa part Vincent Chevalier.
Face aux enjeux économiques, territoriaux et environnementaux, la maîtrise du procédé et ses leviers d’optimisation deviennent donc indispensables. C’est précisément ce type de prestations qu’offre Wessling France aux porteurs de projets : « Le suivi biologique, les détections de fuites, les audits de performance ou la R&D pour la valorisation du CO2 sont des activités que nous avons particulièrement développées au cours des dernières années. Elles ont été mises en place dans l'objectif d'assurer la qualité du gaz et la sécurité des unités de méthanisation. Concrètement, les audits de performance permettent par exemple d'identifier des leviers d'optimisation du process général ; un suivi biologique assure la pérennité de l'installation en optimisant les conditions de vie microbienne », énumère Robin T'Jampens, ingénieur chez Wessling France.

La méthanisation, et après ?

Déjà intéressante en elle-même, la méthanisation peut de plus s’inscrire dans des projets plus globaux de STEP à “énergie positive” et de valorisation de tous les effluents. « Un des leviers est de disposer d’une source de chaleur pour chauffer le digesteur sans consommer de gaz. Or, elle est toute trouvée : notre procédé Energido extrait la chaleur des eaux usées elles-mêmes. Après une première mise en place à Perpignan, nous l’avons déployé à Angers, une STEP qui injecte le biométhane dans le réseau, où nous avons en plus installé une centrale photovoltaïque. Résultat : une STEP qui produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme, comme à Cagnes-sur-Mer » avance Vincent Chevalier (Veolia).
Le SIAAP a pour sa part lancé le projet Cometha, un partenariat de recherche voyant encore plus large. « Le SIAAP utilise déjà le biogaz qu'il produit pour le fonctionnement de ses installations. L'objectif est maintenant de réfléchir à des solutions permettant de dégager un excédent de biogaz en réduisant notre consommation énergétique d'une part, et en évaluant l'intérêt d'introduire dans nos ouvrages de digestion d'autres sources de matières fermentables présentes sur le territoire, d'autre part. C'est pourquoi, au travers de ce partenariat d'innovation, nous étudions des solutions permettant de mettre en commun nos boues et graisses avec la fraction organique résiduelle des ordures ménagères de la région, gérées par le Syctom – ainsi d’ailleurs que le fumier des écuries de Maisons-Laffitte » explique Sam Azimi. Après une phase d’essais pilotes et de propositions de solutions, les deux candidats retenus – John Cockerill associé à Sources d’une part, et Gicon associé à Tilia d’autre part, travaillant tous deux avec des laboratoires de recherche publics – se lancent dans la construction de leurs démonstrateurs. Ils doivent produire le plus possible de biométhane, récupérer dans les effluents l’azote et le phosphore destinés à l’agriculture et réduire au maximum le déchet solide final, devenu problématique en région parisienne pour proposer des alternatives pertinentes au retour au sol. Selon Patrick Billette, « la co méthanisation des boues liquides mélangées avec la fraction organique des déchets a un très bel avenir car le cocktail obtenu combiné aux avancées technologiques que nous avons obtenues en pilote pendant deux ans va permettre de multiplier les rendements connus de nos digestions. Ces avancées seront confirmées dans moins d’un an sur le démonstrateur industriel bientôt mis en service par Sources et John Cockerill. Le seul frein est encore réglementaire, car nous mélangeons deux déchets, mais dès lors que le résidu ne reviendra plus à la terre mais sera bel et bien totalement éliminé par la pyrolyse, ce verrou fragile sautera, dopé par le risque de présence de covid dans les boues des STEP, dont le seul intérêt fertilisant est obligatoirement amené à décroître dans notre futur ».
Olivier Bernat, de John Cockerill, énumère les caractéristiques de la filière proposée par son équipe. « Nous utilisons d’abord un procédé de détente flash, une montée en température et pression suivie d’une brusque détente qui fait éclater les cellules et rend toute la matière organique accessible aux bactéries. La méthanisation elle-même se fait en deux étapes : thermophile (55 °C) puis mésophile. Le biogaz est épuré pour aller soit vers l’injection réseau soit vers des véhicules. Le digestat est déshydraté sur une presse à vis, pré-séché puis pyrolysé. Cela produit un syngaz qui alimente les étapes précédentes afin de ne pas consommer de biogaz. Le centrat liquide issu de la déshydratation du digestat passe sur une unité de stripping pour récupérer l’azote (ammoniac). Le phosphore est récupéré dans le résidu minéral de la pyrolyse ».
Le groupement Gicon/Tilia propose une filière commençant par une hydrolyse thermique d'une partie du mélange d’intrants, avant la méthanisation. Celle-ci se fait dans un digesteur à piston horizontal, pouvant fonctionner aussi bien en mode thermophile qu’en mode mésophile. Le digestat est ensuite introduit dans un réacteur de “carbonisation hydrothermale”. Il en sort un effluent solide, un “hydrocharbon”, qui est séché puis transformé à haute température en syngaz. Ce dernier sera soit brûlé sur place pour produire de la chaleur, soit transformé en CH4 par méthanation. L’effluent liquide de la carbonisation hydrothermale subit des traitements physico-chimiques permettant de récupérer le phosphore (sous forme de struvite) et l’azote (sulfate d’ammonium). Le biogaz est épuré en biométhane destiné – comme celui issu de la méthanation – à l’injection dans le réseau ou l’utilisation par des véhicules.
Prodeval a enrichi son savoir-faire dans le traitement et la valorisation du biogaz issus de déchets organiques et mis au point une unité de liquéfaction de CO2 baptisée V’COOL®. Celle-ci permet de liquéfier ce CO2 tout en récupérant le méthane résiduel qui pourra être renvoyé dans l’installation d’épuration du biogaz, et ainsi permettre une valorisation de 100 % du CH4. La gamme d’unités de liquéfaction a été conçue pour se coupler à tout type d’épurateur du biogaz assurant ainsi une modularité et un couplage universel, quel que soit le constructeur. Les débits liquéfiés évalués s’étendent jusqu'à 900 Nm³/h de off-gaz, soit 1 750 kg/h de CO2.
« Dans le cadre de la programmation scientifique innEAUvation portée par le SIAAP, nous avons aussi des projets de R&D pour le valoriser, sous différentes formes : gaz cryogénique pour véhicules frigorifiques, réutilisation pour fabriquer du bicarbonate que nous utilisons pour laver nos fumées, ou production de méthane par méthanation avec de l’hydrogène (CO2 et H2) » révèle Sam Azimi. 


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