Au moment où les processus de collecte sélective des déchets se mettent en place, les déchets de polymères lancent un véritable défi aux industriels, aux hommes politiques et à l’ensemble de la société. Il est vrai que le problème est complexe et lié à la nature même des matériaux en question et à leur emploi. Les polymères sont, en effet, souvent incompatibles entre eux, ce qui rend difficile, voire impossible leur simple mélange ou compactage pour en faire de nouveaux produits. D’autre part, ces matériaux sont excessivement dispersés, le moindre objet en contient plusieurs sortes et le tri devient impossible, même au niveau du consommateur.
Le problème doit tout de même être relativisé : tout d’abord, à titre d’exemple, les matières plastiques n’utilisent que 4 % des ressources pétrolières contre 52 % pour les transports (1). Ensuite, la part des plastiques dans les ordures ménagères n’est que de 7 %. La pollution engendrée par ces matériaux est souvent plus visuelle que chimique, mais il existe peu d’études sur le devenir ultime des déchets de polymères dans la nature.
Des alternatives au recyclage
Il apparaît de plus en plus évident, compte tenu de la nature même des déchets de polymères et de leur origine pétrolière, que l’incinération est actuellement l’une des princi-
pales solutions mise en œuvre, la mise en décharge étant condamnée à court terme.
L'incinération n'est pas une solution sans danger ni problèmes. Elle peut conduire les producteurs à une fuite en avant, les incitant à produire davantage puisqu’on pourra mieux détruire. L’incinération n'est concevable que si elle s'accompagne des récupérations d’énergie et s'il existe des solutions propres pour le traitement des cendres et fumées générées par la combustion.
Une autre solution consiste à utiliser des déchets de polymères en technique routière. Développés depuis 1960, de nombreux procédés (Sahuaro-McDonald, Arco) ont comme objectif l’incorporation des déchets de polymères dans le bitume (2). D’autres types de valorisation existent comme celui de la société SCREG ou le procédé Plasteur, qui a comme originalité le renforcement des qualités mécaniques des sols ; enfin, le procédé Preusol qui utilise les pneus usagés pour l’ouvrage de soutènement et les piliers amortisseurs (3).
Le recyclage est une autre voie possible pour limiter le volume des déchets de polymères puisqu’il permet d’allonger la durée de vie de ces matériaux, mais il est particulièrement délicat puisqu’il se heurte au double problème de la collecte et de tri (4). Le recyclage n’a de réel avenir que si les déchets redeviennent aux yeux du public et ceux des industriels une véritable matière noble.
Des produits nouveaux à partir de déchets
Demeure le problème des déchets de polymères réticulés qui échappent à toutes solutions, exceptée à l'incinération. Cette catégorie particulière de déchets ne peut être refondue, ce qui limite considérablement les possibilités de réemploi.
Il existe pourtant des méthodes connues depuis longtemps qui permettent le recyclage des matières réticulées.
Nous avons travaillé sur un lot de copolymères d’éthylène et d’acétate de vinyle (EVA) réticulé, présenté sous forme de poudre et provenant de l'industrie de la chaussure. Le déchet est en réalité un mélange d’EVA et de polyoléfines insaturées (SBR, EPDM) de charges et de divers autres agents (plastifiants, gonflants, colorants,...) répertoriés dans le tableau 1.
Tableau n° 1 : Composition et caractéristiques du déchet d’EVA réticulé
• Polymères | 50 à 60 % d’EVA ; 10 à 12 % d’EPDM ou de SBR |
• Charges | 20 % de SiO₂ ou de CaCO₃ |
• Additifs | 3 à 5 % (activants, agents réticulents, colorants) |
• Granulométrie de la poudre | 100 % < 1 mm ; 70 % < 0,5 mm ; 7 % < 0,3 mm |
• Taux de polymère extractible | 25 à 30 % |
La réflexion a porté sur toutes les fabrications possibles de nouveaux produits à partir de ces déchets. Une étude préliminaire a montré qu'il existe au sein des matériaux des chaînes de polymères non réticulées. La quantité de ces chaînes libres peut présenter jusqu’à 30 % de la masse du déchet (tableau 1).
D’où l'idée de faire subir au déchet d’EVA réticulé un traitement chimique destiné à la déréticulation. Cette technique est connue depuis longtemps et s’applique particulièrement bien aux polyoléfines. Il s'agit d’oxyder le polymère par un flux gazeux d'oxygène et d’ozone. L’ozone est, avec les rayons ultraviolets, le principal agent responsable du vieillissement prématuré des polymères dans les conditions atmosphériques normales. Cet effet néfaste a été largement étudié pour mieux le combattre et on ajoute aux matières plastiques des produits qui inhibent l’action de l’ozone. Mais, mis en œuvre de façon judicieuse pour les déchets réticulés, les effets indésirables de l’ozone peuvent devenir utiles (5, 6).
Ce gaz a deux actions majeures sur les matières plastiques :
- Son pouvoir oxydant casse les molécules et on observe une baisse de la masse moléculaire si le produit est noble ou une détréticulation si le produit est réticulé. Dans ce dernier cas, le taux de polymères extractibles augmente et le matériau retrouve des caractéristiques thermoplastiques (tableau 2) (7).
- Les réarrangements moléculaires de l'ozone créent sur la matière plastique des peroxydes et des hydroperoxydes qui sont autant de sources de radicaux susceptibles d’être libérés par une augmentation de température (8, 9, 10).
Le déchet est préalablement gonflé dans un solvant résistant à l’ozone. Le mélange gazeux d’ozone et d’oxygène barbote alors dans la solution à température ambiante. Une fois ozonisé, le déchet est récupéré et le solvant recyclé. Le temps de réaction permet de contrôler le degré de déréticulation souhaité (7, 9, 10). Le produit déréticulé peut ensuite être réutilisé comme un thermoplastique.
Ainsi, la présence des fonctions chimiques de types peroxydes ou hydroperoxydes, sur les chaînes du déchet d’EVA ozonisé, permet de modifier ses caractéristiques par greffage. Le déchet devient alors une matière première pour la conception de nouveaux produits. Suivant les propriétés du monomère constituant les greffons, la longueur de ceux-ci et leur quantité, il est possible d’orienter les caractéristiques mécaniques ou chimiques de ces nouveaux matériaux.
Cependant, les capacités de greffage du déchet d’EVA ozonisé sont mises à profit pour la synthèse d’émulsions. Le déchet, après avoir été déréticulé par l’ozone, est greffé en présence d’acide acrylique et d’adjuvants (tensio-actifs, résines,...) pour obtenir des émulsions aqueuses selon le mode opératoire ci-dessous (figure 1).
Ainsi, il faut deux fois plus de temps d’ozoni-
Tableau n° 2 : Caractéristiques du déchet d’EVA ozonisé en fonction du temps d’ozonisation
Temps d’ozonisation (min) |
Quantité de polymère extractible |
Teneur en peroxydes et hydroperoxydes* |
0 |
25 à 30 % |
2,7 |
30 |
40 % |
4,4 |
60 |
58 % |
5,2 |
75 |
80 % |
6,5 |
90 |
100 % |
7,0 |
* (Mole/g de déchet ozonisé) (× 100 000)
[Photo : Procédé de fabrication d’émulsion à base de déchet d’EVA ozonisé]
…sation pour atteindre le greffage maximal par rapport au copolymère d’EVA pur (tableau n° 3).
De plus, le déchet d’EVA ne devient soluble qu’à partir de 105 mn, indispensable à la réalisation de l’émulsion.
Par ailleurs, le taux de greffage augmente avec la durée de la réaction de greffage pour atteindre une valeur maximale vers 240 mn de 27 % (tableau n° 4).
La formulation et la réalisation de l’émulsion adhésive à base de ce déchet ozonisé greffé a nécessité une étude et une connaissance des rôles de chacun des composants de l’émulsion. Pour cela, les quantités d'acide acrylique et d’eau sont minutieusement quantifiées. En effet, pour obtenir une émulsion, il faut respecter d'une part le rapport pondéral acide acrylique/polymère et d’autre part le rapport pondéral eau/polymère. Ainsi, pour le premier, il varie de 0,4 à 1, par contre pour le deuxième, il varie de 1 à 5. L'incorporation des agents tensio-actifs améliore la stabilité de l’émulsion qui empêche ainsi les molécules dispersées de s'agglomérer (11).
Les appréciations rapportées dans le tableau 5 font état d’observations intéressantes quant à la possibilité d’avoir des émulsions avec des tensio-actifs du type Tween 65 et 80 ou Triton 45.
Ces émulsions se sont révélées particulièrement stables et ont servi à la fabrication des liants synthétiques pour peintures, d’émulsions adhésives pour revêtement de sols en remplacement des latex (12). L’utilisation de ces produits comme colle, dans certaines applications particulières, est également à l'étude.
Tableau n° 3 : Influence du temps d’ozonisation du déchet d’EVA sur le taux de greffage
Temps d’ozonisation (mn) | Masse moléculaire du produit ozonisé | Taux de greffage (%) |
30 | impossible | 12,13 |
45 | impossible | 14,52 |
60 | impossible | 16,73 |
90 | impossible | 19,43 |
105 | 50 000 | 22,27 |
120 | 49 000 | 24,95 |
150 | 37 000 | 25,57 |
Tableau n° 4 : Influence du temps de réaction de greffage sur le taux de greffage
Temps de réaction de greffage (mn) | Masse moléculaire du produit greffé | Taux de greffage (%) |
60 | 65 000 | 20,90 |
120 | 75 000 | 22,52 |
180 | 89 000 | 24,56 |
240 | 120 000 | 27,13 |
300 | 95 000 | 26,80 |
Tableau n° 5 : Stabilité des émulsions en présence d’un tensio-actif
Nom des tensio-actifs | Type | Stabilité (eau) |
SDS | Anionique | Décantation rapide |
Dodecyl benzène sulfate de Na | Anionique | Décantation lente |
Tween 65 | Non ionique | Faible crémage |
Tween 45 | Non ionique | Faible crémage |
Triton 45 | Non ionique | Faible crémage |
Triton CF10 | Non ionique | Crémage important |
Conclusion
Le recyclage des déchets est un problème particulièrement délicat mais si on considère le déchet comme une véritable matière première, les solutions existent. L'exemple développé ici prouve qu’à partir d’un produit considéré jusqu’à présent comme inutilisable, il est possible de sortir une vaste gamme de matériaux nouveaux qui peuvent, dans de nombreux cas, remplacer les matières vierges. Donc, ces déchets peuvent a priori constituer une source de richesses exploitables en émulsions adhésives.
Références bibliographiques
1. D. Savostianof, Inf. Chimie n° 344, déc. 92/janv. 93.
2. J.-J. Robin, Thèse, Université Montpellier II, 1982.
3. A. Fah, Thèse, Université de Toulouse II, déc. 1992.
4. Y. Pietrasanta, Recyclage Récupération, 4, 14 (1984).
5. A. Fahmi, M. Abdennacher, Melet SA (Toulouse), brevet français n° 90 08425 – Procédé de traitement de polymère EVA réticulé et application. Extension PCT WO92/00334.
6. A. Fahimi, M. Abdennacher, Melet SA (Toulouse), brevet français n° 91 16330 – Procédé de traitement de polymères réticulés à base de polyoléfines, caoutchoucs ou polystyrène.
7. T. Sarraf, B. Boutevin, Y. Pietrasanta, Die Angew. Makromol. Chem., 162, 175-191 (1986).
8. V. Veney, A. Michel, Polymer Process Engineering 4 (2-4), 324-335 (1986).
9. T. Fargène, Thèse, Université de Montpellier I, avr. 1992.
10. K. Benrachedi, M. Abdennacher, Melet SA (Toulouse), brevet français n° 92 06689 – Procédé de fabrication d'une émulsion adhésive à base d’EVA, émulsion réalisée et applications.
11. A. Swart, I. W. Pery, Chimie des tensioactifs, Ed. Dunod, Paris 1955.
12. K. Benrachedi, T. Fargène, A. Fahimi, M. Abdennacher, B. Boutevin, Y. Pietrasanta, Caoutchoucs et Plastiques n° 727, nov. 1993.