On sait que toute surface métallique d’usage industriel courant telle que l’acier, l’acier galvanisé, le cuivre et ses alliages, l’aluminium — pour ne citer que les plus employés — est soumise, au contact de l’eau, à des phénomènes de corrosion ; ceux-ci sont d’autant plus importants et cumulatifs que les caractéristiques des eaux sont variables et évolutives, et que les apports d’eau nouvelle sont eux-mêmes fréquents et importants en qualité.
En plus du traitement préalable, souvent nécessaire, de l’eau d’appoint des réseaux (filtration, adoucissement, déminéralisation) il est souvent indispensable d’adjoindre un traitement chimique au moyen d’inhibiteurs de corrosion destinés à assurer une protection artificielle de la plupart des métaux composant les installations.
Parmi les produits chimiques les plus utilisés figurent de nombreuses substances minérales telles que les phosphates, polyphosphates, chromates, nitrites, sulfites. Cependant, leur utilisation est limitée soit pour des raisons techniques telle que la température d’hydrolyse pour les polyphosphates, soit pour des raisons de toxicité, notamment en ce qui concerne les chromates et les nitrites. En effet, l’emploi de ces deux types de réactifs subit des contraintes et il est actuellement pratiquement impossible de rejeter directement des eaux les contenant ; certains pays en ont même interdit l’emploi.
Devant cet état de fait, l’Union Chimique et Industrielle de l’Ouest (U.C.I.O.) a recherché de nouveaux inhibiteurs de corrosion et, parmi ceux-ci, a développé l’étude de réactifs à base de monofluorophosphates et de formulations les renfermant. Ce choix repose essentiellement sur deux critères :
- — leur faible toxicité ;
- — leur efficacité inhibitrice de corrosion.
Les mises au point et les études ont été réalisées d’une part avec le laboratoire de Chimie minérale appliquée, Chimie des matériaux de l’E.N.S. Chimie de Montpellier, et d’autre part avec le laboratoire de Métallurgie physique de l’E.N.S. Chimie de Toulouse.
Ainsi nous avons entrepris en milieu NaCl 3 % — simulant l’eau de mer — une étude comparative de différents monofluorophosphates. Dans un deuxième temps, nous avons mené également une étude en milieu 200 mg/l de chlorure de sodium. Le choix de ce milieu repose sur les critères suivants :
- — sa faible conductivité électrique est proche de celle rencontrée avec les eaux naturelles ;
- — sa corrosivité est relativement importante ;
- — il est constitué par une solution de base aisément reproductible.
CONDITIONS EXPÉRIMENTALES
Matériau et milieu
L’acier retenu dans cette étude est de la nuance XC 38 (Norme Afnor). Le milieu corrosif était constitué par une solution à 3 % en poids ou à 200 mg/l de chlorure de sodium pur cristallisé de marque Prolabo dans de l’eau distillée. Tous les essais ont été effectués à la température ambiante.
Mesures électrochimiques
Les essais électrochimiques ont été menés à l’aide d’une électrode à disque tournant, de surface 1 cm² ; la vitesse de rotation est fixée à 1 000 ou 2 000 t.min⁻¹. Le dispositif expérimental permettant le tracé des courbes courant-tension stationnaires et la détermination de la résistance de polarisation est un montage classique à trois électrodes (électrode de travail, contre-électrode, électrode de référence) reliées à un ensemble Tacussel composé d’un potentiostat, d’un enregistreur de courant et d’un millivoltmètre électronique à très haute impédance d’entrée.
Mesures gravimétriques sur circuit-pilote
Ce circuit tente de reproduire aussi fidèlement que possible les conditions existant dans un circuit industriel. L’efficacité inhibitrice est déterminée par mesure des pertes de poids et comparativement aux résultats obtenus sans inhibiteurs.
RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX ET DISCUSSION
Interface XC 38/NaCl 3 %Caractérisation de l’efficacité inhibitrice de quelques monofluorophosphates (par voie électrochimique).
Pour ce faire, nous avons utilisé une méthode électrochimique basée sur l’exploitation des courbes courant-tension stationnaires relevées en mode potentiostatique dans le domaine
Zone cathodique.
L'efficacité inhibitrice est alors évaluée par la relation :
\[ E_i = \frac{i_{\text{corr}} - i}{i_{\text{corr}}} \times 100 \]
dans laquelle \(i_{\text{corr}}\) et \(i\) représentent les densités de courant de corrosion en présence et en l'absence d'inhibiteur, respectivement. Aux monofluorophosphates de potassium et de zinc déjà étudiés en tant qu’agents de post-traitement des surfaces phosphatées, nous avons ajouté les monofluorophosphates de sodium et d’ammonium.
Les courbes courant-tension cathodiques stationnaires sont représentées sur la figure 1 alors que l'ensemble des résultats obtenus à partir de l'exploitation de ces courbes est regroupé dans le tableau I. À l'examen de ce tableau, il apparaît que l'ensemble des composés étudiés affichent des propriétés inhibitrices ; cependant, le monofluorophosphate de zinc offre, de façon indiscutable, la meilleure protection.
TABLEAU I
Efficacité inhibitrice de quelques monofluorophosphates
Composé | Concentration (M·dm⁻³) | \(E_{corr}\) (mV/ECS) | \(i_{corr}\) (µA·cm⁻²) | \(E_i\) (%) |
---|---|---|---|---|
Néant | 0 | 585 ± 10 | 550 ± 10 | – |
(NH₄)₂PO₃F | 10⁻² | 710 ± 5 | 105 ± 5 | 80 – 82 |
Na₂PO₃F | 10⁻² | 625 ± 15 | 75 ± 5 | 85 – 88 |
K₂PO₃F | 10⁻² | 650 ± 10 | 72 ± 3 | 86 – 88 |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 10⁻² | 605 ± 15 | 28 ± 4 | 94 – 96 |
Influence de la concentration sur l'efficacité inhibitrice des monofluorophosphates de potassium et de zinc
L’ensemble des résultats obtenus est regroupé dans le tableau II alors que les figures 2 et 3 représentent les courbes courant-tension correspondantes relevées dans le cas de K₂PO₃F et ZnPO₃F·2,5 H₂O, respectivement.
Dans le cas de ZnPO₃F·2,5 H₂O, l'allure de la courbe au voisinage du potentiel de corrosion fait apparaître un contrôle diffusionnel quelle que soit la concentration. Cependant, sur le plan quantitatif, les densités de courant limite de diffusion sont beaucoup plus faibles qu’en l’absence d’inhibiteur et traduisent ainsi une très bonne protection du métal, confirmée par l’examen du tableau II.
En conclusion de cette partie, il apparaît que les monofluorophosphates de zinc et de potassium possèdent tous deux des propriétés inhibitrices vis-à-vis de la corrosion d'un acier au carbone en milieu NaCl 3 %, le taux de protection obtenu avec ZnPO₃F·2,5 H₂O étant cependant supérieur. Or, si l'action inhibitrice du zinc est bien connue, il n’en est pas de même pour le potassium, ce qui tendrait à prouver la participation de l’anion PO₃F²⁻ au processus d’inhibition.
TABLEAU II
Influence de la concentration sur l'efficacité inhibitrice des monofluorophosphates de potassium et zinc
Inhibiteur | Concentration (mol dm⁻³) | E₀corr (mV/ECS) | Icorr (µA cm⁻²) | Ei (%) | Rp (Ω cm²) | H (mm) | EH (%) |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Néant | 0 | —585 ± 10 | 550 ± 10 | — | 100 ± 10 | 186 ± 1 | |
K₃PO₃F | 2 × 10⁻⁵ | —600 ± 5 | 130 ± 10 | 74-79 | 200 ± 15 | — | — |
K₃PO₃F | 10⁻⁴ | —640 ± 20 | 72 ± 3 | 86-88 | 315 ± 30 | 31,5 ± 1 | 82-84 |
K₃PO₃F | 5 × 10⁻⁴ | —530 ± 20 | 240 ± 20 | 52-61 | 160 ± 10 | — | — |
K₃PO₃F | 10⁻³ | —560 ± 10 | 320 ± 40 | 33-50 | 120 ± 15 | 112 ± 1 | 39-41 |
K₃PO₃F | 5 × 10⁻³ | —570 ± 10 | 400 ± 20 | 22-32 | 125 ± 10 | 114 ± 1 | 22-24 |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 10⁻⁵ | —600 ± 20 | 28 ± 4 | 94-96 | 1800 ± 300 | 18 ± 1 | 90-91 |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 5 × 10⁻⁵ | —610 ± 20 | 25 ± 5 | 94-96 | 1500 ± 150 | — | — |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 10⁻⁴ | —585 ± 10 | 42 ± 2 | 97-98 | 5450 ± 800 | 13,5 ± 1 | 92-93 |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 5 × 10⁻⁴ | —575 ± 10 | 16 ± 2 | 97-98 | 3450 ± 250 | — | — |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 10⁻³ | —590 ± 10 | 17 ± 2 | 96-97 | 3400 ± 100 | 15,5 ± 1 | 91-92 |
ZnPO₃F·2,5 H₂O | 5 × 10⁻³ | —580 ± 10 | 260 ± 30 | 46-59 | 170 ± 10 | — | — |
Résultats préliminaires relatifs à l'interface XC 38/NaCl 200 mg·l⁻¹
La validité des mesures électrochimiques conduisant à la détermination de la vitesse de corrosion nécessite la connaissance de la résistance électrolytique Rg afin d'effectuer la correction indispensable de chute ohmique sur les courbes courant-tension. Nous avons, au cours de ce travail, déterminé Rg par la méthode d'impédance électrochimique : la limite réelle de l'impédance tend vers Rg quand la fréquence tend vers l'infini.
Nous avons étudié l'action inhibitrice du monofluorophosphate de zinc dans le domaine des faibles concentrations, et nous l'avons comparée à celle du chromate de sodium (Na₂CrO₄·4 H₂O) et du nitrite de sodium (NaNO₂), inhibiteurs couramment employés dans la pratique. Pour cette étude comparative, nous avons déterminé la vitesse de corrosion à partir de l'exploitation des courbes courant-tension stationnaires.
La figure 4 montre les courbes stationnaires cathodiques en absence (a) et en présence de 6 × 10⁻⁵ mol·dm⁻³ de ZnPO₃F·2,5 H₂O (b). Ces courbes ont été corrigées de la chute ohmique et mettent qualitativement en évidence l'effet inhibiteur de ce composé.
Les valeurs du potentiel de corrosion et de la vitesse de corrosion déterminées à partir de courbes du même type obtenues pour diverses concentrations sont reportées dans le tableau III en ce qui concerne ZnPO₃F·2,5 H₂O, alors que les tableaux IV et V sont relatifs à Na₂CrO₄·4 H₂O et NaNO₂ respectivement. L'examen comparé de ces trois tableaux fait apparaître les faits qui suivent :
TABLEAU III
Concentration en ZnPO₃F·2,5 H₂O (mol·dm⁻³) | E₀corr (mV/ECS) | Icorr (µA/cm²) |
---|---|---|
2,4 × 10⁻⁴ | –480 ± 20 | 20 ± 2 |
1,2 × 10⁻⁴ | –477 ± 0 | 12 ± 0 |
6 × 10⁻⁵ | –500 ± 0,5 | 11 ± 0 |
3 × 10⁻⁵ | –496 ± 16 | 13 ± 3 |
1,5 × 10⁻⁵ | –500 ± 7 | 15 |
TABLEAU IV
Concentration en Na₂CrO₄ · 4 H₂O (mole.dm⁻³) | E_corr (mV / ECS) | I_corr (μA/cm²) |
---|---|---|
8·10⁻³ | −226 ± 29 | 6 ± 1 |
4·10⁻³ | −275 ± 15 | 10 ± 1 |
2·10⁻³ | −347 ± 17 | 6 ± 2 |
10⁻³ | −391 ± 4 | 15 ± 0 |
4·10⁻⁴ | −370 ± 40 | 14 ± 1 |
2·10⁻⁴ | −380 ± 6 | 17,5 ± 0,5 |
10⁻⁴ | −380 | 27 |
TABLEAU V
Concentration en NaNO₂ (mole.dm⁻³) | E_corr (mV / ECS) | I_corr (μA/cm²) |
---|---|---|
7,25·10⁻³ | −155 ± 15 | 2 ± 0 |
1,45·10⁻³ | −210 ± 0 | 2,5 ± 0 |
7,25·10⁻⁴ | −218 ± 2 | 4,5 ± 0 |
3,6·10⁻⁴ | −276 ± 10 | 11 ± 0 |
1,8·10⁻⁴ | −319 ± 1 | 19 ± 1 |
Dans le domaine des concentrations supérieures à 10⁻⁴ mole.dm⁻³, NaNO₂ donne des résultats de protection tout à fait satisfaisants ; pour obtenir une bonne protection, la concentration en chromate doit être supérieure à 10⁻³ mole.dm⁻³ (il convient de rappeler que la vitesse de corrosion, en l'absence d'inhibiteur, est 40 ± 15 μA/cm² [14]). Dans tout le domaine de concentration exploré, ces résultats sont en bon accord avec ceux obtenus sur circuit semi-pilote.
Pour ce qui est de ZnPO₃F · 2,5 H₂O, au-delà de la concentration de 1,2·10⁻⁴ mole.dm⁻³, on observe – comme en milieu NaCl 3 % – une augmentation progressive de la vitesse de corrosion, confirmée également par les essais gravimétriques. Ceci a pour conséquence le fait que ce composé est, dans le domaine des fortes concentrations, moins efficace que le nitrite et sensiblement équivalent au chromate.
Par contre, dans le domaine des faibles concentrations inférieures à 10⁻⁴ mole.dm⁻³, le monofluorophosphate de zinc possède de meilleures propriétés inhibitrices que les deux autres composés. Ceci entraîne que ZnPO₃F · 2,5 H₂O présente un bon compromis entre sa non-toxicité reconnue et ses propriétés inhibitrices.
EXPLOITATION INDUSTRIELLE
Le traitement d'eau industrielle à l'aide de composition inhibitrice contenant du monofluorophosphate de zinc est réalisé depuis environ deux ans. Chaque fois le traitement forgé a été impliqué compte tenu du caractère très corrosif de l'eau d'appoint des circuits. À titre d'exemple, nous reproduisons ci-après les résultats obtenus sur un circuit de refroidissement de forge constitué essentiellement en acier et en cuivre. L'eau d'appoint est une eau décarbonatée sur résine échangeuse d'ions ; ses caractéristiques moyennes sont les suivantes :
pH = 5 à 6 TH = 35 °f TAC = 1 °f Cl⁻ = 45 °f.
Les limites admises dans le circuit sont : pH = 6,5 à 7,5 TH = 120 °f maxi Cl⁻ = 110 °f Teneur en zinc : 2 ppm.
En plus des analyses, le contrôle du traitement est complété par la lecture de la corrosion à l'aide d'une sonde « Corrater ». Après six mois de traitement, les observations suivantes peuvent être faites :
— le taux de concentration moyen observé est de l'ordre de 2, et l'analyse correspondante ne révèle aucune anomalie de traitement ni trace de corrosion : pH = 6,5 TH = 60 °f TAC = 1 à 5 °f Cl⁻ = 80 à 90 °f Fer total < 0,05 mg/l ;
— la lecture du Corrater s'est stabilisée après 35 jours de fonctionnement entre 1 et 2 MPY, c’est-à-dire que la vitesse de corrosion est stabilisée à environ 30 microns par an, contre 13 MPY c’est-à-dire plus de 300 microns en absence d'inhibiteur.
Ces résultats sont tout à fait satisfaisants et conformes au cahier des charges de l'utilisateur.
CONCLUSION
Les premiers résultats obtenus, tant au laboratoire que sur chantiers, montrent l'intérêt de l'emploi des monofluorophosphates comme inhibiteurs de corrosion.
Les compositions à base de monofluorophosphates peuvent donc être utilisées chaque fois que des problèmes de corrosion et de rejets toxiques doivent être pris en considération. Leur domaine d'application en traitement des eaux concerne donc principalement le traitement des circuits de refroidissement semi-fermés et ouverts, et celui des laveurs d’air et humidificateurs en climatisation.
De plus, compte tenu de la faible toxicité du composé et des résultats préliminaires prometteurs obtenus, il est prévu de soumettre prochainement des formulations utilisables pour le traitement des eaux chaudes sanitaires où il existe encore de nombreux problèmes de corrosion non résolus.
Ces formulations devront, bien entendu, obtenir l'avis favorable de la C.S.H.P.F. et faire l'objet d’un avis technique du C.S.T.B.