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Traitement des effluents industriels par les membranes

30 mars 1993 Paru dans le N°162 à la page 56 ( mots)

Depuis quelques années, le traitement des eaux industrielles par membranes a pris de plus en plus d'extension, notamment dans le domaine des industries agro-alimentaires, pharmaceutiques et autres. Dans le secteur des eaux usées, ces technologies, qui étaient trop onéreuses, sont maintenant utilisées plus fréquemment depuis qu'elles sont associées non seulement au traitement mais également au recyclage, au développement de la production et aux économies de matières. Le présent article traite d'applications exemplaires en matière d'effluents de bains de dégraissage, de traitements de surface et de lavage industriel.

Le développement est de mettre au point des procédés de traitement des effluents industriels. Plusieurs procédés utilisant les techniques à membranes ont ainsi été étudiés et mis au point par AQEL, puis développés à l’échelle industrielle par SMP.

Le rôle de notre société de recherche et

Les domaines industriels tels que l’agroalimentaire, la pharmacologie ou la cosmétologie, dont les valeurs ajoutées sont importantes, utilisent les membranes depuis déjà plusieurs années. Par contre, le faible coût de l’eau en France et la « non-productivité » du poste dépollution ont fait que le domaine du traitement des effluents ne s’intéresse aux techniques à membranes que depuis peu de temps, où elles prédominent généralement dans les situations suivantes :

  • • volonté ou obligation d’un rejet zéro,
  • • volonté de recyclage de l’effluent (récupération d’un produit…),
  • • amélioration de la production,
  • • économies de réactifs, de redevance et d’eau…

D’après les applications réalisées, il semblerait que les mots-clés caractéristiques des unités de traitement par membranes soient : « la non-pollution » plutôt que la « dépollution » (Recyclage-régénération-réutilisation). Étant donné que les solutions traitées ne sont pas rejetées, il n’y a pas d’obligation de respect des normes de rejet, paramètres importants à prendre en compte pour le choix des traitements.

Ces unités interviennent plus en amont dans la production que les stations de traitement classiques, d’où la nécessité d’avancer dans la compréhension et l’assimilation des méthodes de travail de l’industriel.

Les techniques à membranes

Les techniques à membrane sont des techniques de séparation.

La figure n° 1 illustre les avantages de la filtration tangentielle : le nettoyage en continu de la surface de la membrane permet de limiter le colmatage et donc de filtrer beaucoup plus finement que les filtres classiques (dont le colmatage est beaucoup trop rapide). Le matériel très spécifique des membranes n’a pu se développer industriellement que parce que la filtration tangentielle permettait son utilisation.

Si le mode de fonctionnement hydraulique des membranes est semblable pour les membranes de microfiltration, d’ultrafiltration ou d’osmose inverse ainsi que pour la dialyse et l’électrolyse à membrane, il est très différent du point de vue du « principe de séparation ». En effet, la microfiltration et l’ultrafiltration obéissent plutôt aux lois de « l’effet-tamis », alors que l’osmose inverse, la dialyse et l’électrolyse à membrane sont soumises aux lois de la « solubilisation-diffusion ».

Ainsi, le diamètre des pores, la composition chimique de la membrane, ses affinités chimiques avec les espèces présentes, sa configuration, la vitesse et la pression de fonctionnement, les solutions de lavage, les pré-traitements, les traitements de concentrat

[Photo : Fig. 1 – Principe de fonctionnement des filtrations frontales classiques et tangentielles.]
[Photo : Fig. 3 – Principe de fonctionnement de la régénération d’un effluent de vibro-abrasion.]
[Photo : Fig. 2 – Principe de fonctionnement de la régénération d’un bain de dégraissage.]
[Photo : Fig. 4 – Principe de traitement et de régénération des effluents de blanchisserie industrielle par filtration tangentielle.]

ou de perméat... sont autant de paramètres à définir pour dimensionner et réaliser une unité de filtration tangentielle.

Applications industrielles

Nous évoquerons ci-après trois cas d’application industrielle des techniques de filtration tangentielle membranaire.

Régénération de bains de lavage et de dégraissage

Ce procédé de régénération par filtration tangentielle concerne les lessives alcalines, neutres ou acides utilisées dans le traitement de surface pour les opérations suivantes :

  • Prédégraissage avant galvanoplastie.
  • Dégraissage phosphatant avant peinture.
  • Lavage inter-opérations d’usinage ou de finition.
  • Lavage avant ou après traitement thermique, ou trempe à l’huile.

Données du problème

Sans traitement particulier, l’évolution d’un bain de dégraissage se traduit obligatoirement de la manière suivante :

  • – augmentation des concentrations en huile, matières en suspension et autres additifs et perturbation des phases de traitement suivantes (figure 2) ;
  • – la qualité du dégraissage se dégrade rapidement, ce qui nécessite une vidange fréquente des bains ; cette pollution n’est pas acceptable par le milieu récepteur ;
  • – nécessité de détruire ces bains usagés, soit en centre agréé, soit par l’intermédiaire d’une installation de traitement des effluents. Le traitement, même à petit débit, perturbe le fonctionnement de la station et entraîne des problèmes de rendement d’épuration : encrassement des sondes, mauvaise floculation, augmentation de la DCO dans le rejet, augmentation du volume de boue, …).

Principe de fonctionnement

Les opérations comprennent les phases suivantes : élimination des huiles, des graisses et des MES en permanence, de manière à maintenir une concentration stable dans le bain ; maintien de l’efficacité et de la vitesse de dégraissage ; réduction des entraînements dans les bains suivants ; diminution de la pollution des eaux de rinçage.

Le volume de bain à traiter est proportionnel à l’apport en huile (g/h) contaminant le bain. Après préfiltration, cette proportion de bain arrive dans le bac de travail de l’unité de filtration tangentielle.

La circulation sous pression à travers la membrane permet d’obtenir :

  • – une partie filtrée, propre, débarrassée de l’huile, des MES et autres souillures, mais ayant conservé les lessives et autres agents actifs solubles non détruits pendant l’action de dégraissage ; ce perméat est renvoyé dans le bain de dégraissage ;
  • – une partie dans laquelle se concentrent les huiles, les MES et autres polluants ne pouvant pas traverser la membrane. Ce concentrat contient de plus en plus de polluants dont la forte concentration, malgré la vitesse tangentielle, va finir par colmater la membrane ; il faudra alors éliminer ce déchet. La concentration sera poussée au maximum afin d’obtenir un volume minimal de solution très concentrée (pouvoir calorifique augmenté = coût de traitement diminué).

Exemples

Deux exemples concrets des résultats obtenus par l’utilisation de la filtration tangentielle figurent sur les tableaux I et II.

Tableau I

Bain de dégraissage avant zingage : pH ≈ 13 – 60 à 70 °C.

Membrane minérale d’ultrafiltration.

CaractéristiquesBain régénéréConcentrat*Perméat
Concentration en huile< 3 g/l15 g/l35 mg/l
Demande chimique en O₂5 g/l15 g/l5 g/l

100 % de conservation de la partie minérale du produit Parker dans le perméat.

75 % de conservation de la partie organique du produit Parker dans le perméat.

* Il ne s’agit pas des concentrations limites maximales, mais de valeurs ponctuelles en cours de fonctionnement.

Tableau II

Bain de dégraissage avant peinture : pH ≈ 5 à 6 – 60 °C.

Membrane minérale de microfiltration.

CaractéristiquesBain régénéréConcentrat*Perméat
Concentration en huile200 mg/l33 g/l31 mg/l
Demande chimique en O₂6,7 g/l65 g/l6,4 g/l
Matière en suspension260 mg/l30 g/l< 10 mg/l

* Il ne s’agit pas des concentrations limites maximales, mais de valeurs ponctuelles en cours de fonctionnement.

Tableau III

ÉlémentsEffluentPerméat
MES5,7 g/l< 10 mg/l
DCO15,8 g/l3,0 g/l (= restes de lessives et de passivants)
Fe581 mg/l6,29 mg/l
Zn4,19 mg/l0,8 mg/l
Cu2,92 mg/l0,15 mg/l
Cr0,33 mg/l< 0,06 mg/l
P142 mg/l31,4 mg/l

Tableau IV

ParamètresSolution de lavagePerméatConcentrat
Huile (g/l)3-50,7-0,8>> 65
Densité (g/dm³)10001000930 à 28 °C
Viscosité (cps) à 28 °C730
PCI (calories/g)< 0< 05 000 – 8 000
Teneur en cendre3 %
pH10-1110-1110-11

Avantage de la filtration tangentielle appliquée aux bains de lavage et de dégraissage

La filtration tangentielle a permis d’obtenir des résultats probants en matière :

de qualité : — élimination des graisses, des huiles en émulsion, des matières en suspension et des impuretés en permanence ; — maintien constant de l’efficacité et de la qualité du bain dans le temps, le bain régénéré contenant généralement plus de 80 % de la lessive active ;

d’économies : — économies en produits chimiques (lessives, dégraissants), en énergie, en eau et en coûts de traitement (produits de cassage…) ;

de réduction de la pollution : — suppression des vidanges de bains usés, réduction importante de la DCO et respect des normes en hydrocarbures.

Traitement et recirculation des effluents de vibro-abrasion

La phase de vibro-abrasion intervient dans la plupart des industries de traitement de surface.

Données du problème

La vibro-abrasion permet de « polir » et d’ébavurer les pièces métalliques en cours de fabrication. Cette opération peut comprendre des cycles de décapage, dégraissage, abrasion, rinçage et séchage. L’effluent à traiter comprend l’ensemble des produits de tribofinition, les débris d’abrasifs et de métaux, les graisses… Le pouvoir polluant de cet effluent est important.

Le traitement physico-chimique classiquement utilisé ne répond pas souvent aux normes d’épuration. La réutilisation de l’eau épurée est généralement impossible à cause des agents chimiques ajoutés ; de plus, la production de boue est énorme.

Principe de fonctionnement

La totalité de l’effluent à traiter subit un prétraitement (floculation + filtre-presse) (figure 3). La filtration tangentielle permet d’obtenir :

— une solution épurée débarrassée des MES, des huiles et autres polluants, mais ayant conservé les lessives et autres agents actifs solubles ; ce perméat est réutilisé comme solution de vibro-abrasion ;

— une solution conservant les poussières d’abrasifs, les MES et les huiles. Ce concentrat est filtré en boucle sur le filtre-presse ; d’où une « déconcentration » en continu de ce déchet (maintien de la perméabilité de la membrane) et une transformation du concentrat en un déchet final pelletable (procédé breveté).

Exemple

L’exemple ci-dessous concerne une industrie de traitement de surfaces caractérisée comme suit :

Débit à traiter ≈ 6 m³/h — 24 h/24 — pH = 9,7 — température ambiante. Membrane minérale de microfiltration.

Tous les tonneaux de l’installation fonctionnent en circuit fermé, sans aucun rejet d’effluent.

Les analyses effectuées après un an de fonctionnement ont donné les résultats portés sur le tableau III.

La mise en circuit fermé a permis une réduction de la consommation en produits chimiques (lessive et passivant) d’environ 75 à 80 %. Les excès de produits non utilisés pendant la phase de vibro-abrasion sont recyclés grâce à la microfiltration tangentielle (diminution du « gaspillage »).

Avantage de la filtration tangentielle appliquée aux effluents de vibro-abrasion

La filtration tangentielle a également permis d’obtenir des résultats spectaculaires sur :

la qualité : — la régénération du perméat entraîne une prise de conscience des concentrations en produits, des ajouts nécessaires…, d’où une meilleure maîtrise du procédé, — installation facilement automatisable, évitant les oublis et les excès ;

les économies de fonctionnement et d’exploitation : — économie d’eau : l’ajout résiduel correspond aux entraînements par les pièces, — économie de produits chimiques (lessives, passivants…), — économie de coût de décharge (diminution du volume de déchet et déchet pelletable), — économie de redevance, — faible coût d’exploitation (peu de produits de traitement surtout par rapport aux stations de traitement physico-chimique classiques), — faible encombrement ;

La réduction de la pollution : il n'y a plus de rejets liquides ; les déchets sont des gâteaux de filtre-presse dont le volume correspond à la consommation des abrasifs.

Traitement et régénération des effluents de blanchisserie industrielle

Cet exemple concerne tous les établissements utilisant des tunnels de lavage ou autres machines à laver permettant d’éliminer des souillures d’un linge avec des solutions aqueuses (eau + lessive + soude, eau + solvant + lessive...).

Données du problème

La solution de lavage se charge en éléments polluants de toute sorte, ceux-là même qui souillaient le linge. Le pouvoir polluant de la solution de lavage dépend de la composition des souillures. Le traitement physicochimique classique ne permet pas toujours le respect des normes au rejet et la réutilisation de l'eau épurée en raison de sa salinité (rajout de produits chimiques de traitement = augmentation de la salinité).

Principe de fonctionnement

La solution de lavage est préfiltrée avant d’arriver dans le concentrateur (figure 4). La filtration tangentielle permet d’obtenir :

  • une solution épurée débarrassée des MES, des fibres, des huiles et graisses, des colorants non solubles, mais ayant conservé les lessives et autres agents actifs solubles. Ce perméat peut être réutilisé comme solution de lavage ;
  • une solution conservant les MES, fibres, huiles et graisses, hydrocarbures et solvants ne traversant pas la membrane et retournant dans le concentrateur. La poursuite de la concentration de cette solution permet d’atteindre des pouvoirs calorifiques intéressants, ce concentrat devenant valorisable.

Exemple

Dans cette blanchisserie industrielle, les linges industriels servent à essuyer des outils souillés, ils sont lavés après chaque utilisation. La solution de lavage contient des solvants, hydrocarbures, matières en suspension, encres et fibres organiques provenant du nettoyage de ces serviettes. Le débit de la solution de lavage est de 6 m³/h pendant 12 heures par jour.

Le traitement physicochimique par cassage chimique conduisait à envoyer le surnageant en centre spécialisé de destruction, alors que la partie inférieure était évacuée à l’égout. Le centre de traitement exigeait un prétraitement pour l’élimination des fibres, et la municipalité n’acceptait plus un rejet aussi concentré en DCO. L’abattement en DCO était de l’ordre de 60 à 80 % (DCO résiduelle = 48 000 et 24 000 mg/l). De plus, les différents agents chimiques ajoutés pendant ce traitement interdisaient la réutilisation de l’effluent traité.

Le traitement par filtration tangentielle, utilisant des membranes minérales de microfiltration, permet maintenant d’obtenir différentes solutions épurées, dont les caractéristiques figurent au tableau IV.

Le perméat a conservé les lessives, soude, produits actifs et solvants solubles, il est totalement réutilisé comme solution de lavage et permet d’importantes économies. Pour que le concentrat devienne combustible il a fallu le concentrer plus de 70 fois.

Avantages de la filtration tangentielle appliquée aux solutions de lavage des blanchisseries industrielles

La filtration tangentielle permet également d’obtenir des améliorations remarquables dans cette branche, notamment sur les points suivants :

  • la qualité :   — le perméat réutilisé comme solution de lavage donne une bonne qualité de lavage ;   — installation facilement automatisable et totalement intégrée dans la production.
  • les économies :   — de consommation d'eau (rajout nécessaire pour compenser l’évaporation, le volume de concentrat éliminé, l’entraînement par les serviettes humides) ;   — de produits chimiques (au moins 30 %) ;   — de l’énergie : le perméat reste presque aussi chaud que la solution de lavage ;   — du coût de décharge : diminution du volume de déchet (concentrat), déchet valorisable, car combustible ;   — économie en coût d'exploitation par rapport au traitement physicochimique classique.
  • la réduction de la pollution :   — diminution du volume de déchets (concentré plus de 70 fois) ;   — réutilisation totale du perméat ; pas de problèmes de respect de normes puisque les rejets sont supprimés.

Conclusion

Le traitement par membranes, classé dans les technologies propres, présente de nombreux avantages :

  • réutilisation des solutions traitées, économie d'eau et d’énergie,
  • réutilisation des produits chimiques non utilisés par les procédés et généralement rejetés,
  • réduction de la pollution,
  • facilité d’automatisation des installations,
  • faible coût d’exploitation (peu de produits chimiques par rapport aux stations de traitement physico-chimiques classiques),
  • améliorations des procédés de production.

Il est intéressant de remarquer que, si l'on régénère les solutions traitées et qu'on ne les rejette plus à l’extérieur, il n’est pas utile de traiter aussi finement les effluents.

De nombreuses applications ne sont pas encore exploitées mais nous recevons tous les jours de nouveaux sujets d'études auxquelles cette technique peut apporter une solution.

Nous avons d’ores et déjà obtenu de bons résultats dans les domaines suivants :

  • industries de traitement de surface (huile de trempe, rinçage...),
  • industrie mécanique (bains de lavage, d’usinage..., lavage de voitures),
  • blanchisseries industrielles (solution de lavage avec des solvants émulsionnés, lavage après teinture),
  • industrie nucléaire (lavage de linges contaminés ou d’effluents de décontamination),
  • industrie chimique (lavage des locaux et des cuves, récupération de produits...).

Il apparaît donc que le traitement par les techniques à membranes constitue une solution d’avenir pour les effluents industriels.

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