Cet article concerne d'une part une étude préliminaire destinée au choix d'un traitement des boues issues d'une importante station de production d’eau potable (capacité : 60 000 m³/j) et d'autre part le suivi du fonctionnement d'un lagunage des boues d'hydroxydes résultant de la production d'une usine moyenne de traitement d'eau (capacité : 5 000 m³/j).
Dans le premier cas il s'agit d'une étude menée à l’usine de Mervent en Vendée avec la coopération de l'Agence Financière de Bassin Loire-Bretagne et portant sur une durée de deux mois. Dans le second cas il s'agit d'un travail en cours dont les conclusions définitives ne pourront être tirées qu'après une durée d'observation plus étendue du fonctionnement des lagunes. Ces dernières sont situées à la station de traitement d'eau d’Ispe dans la région de Biscarrosse (Landes).
Bien qu'il ne s'agisse que de résultats partiels, il nous est apparu intéressant d'en faire part aux lecteurs dans le cadre de ce numéro spécial. Nous espérons ainsi apporter notre contribution à l’effort entrepris en France par les spécialistes, depuis quelques années, pour résoudre le problème du traitement des boues d'hydroxydes qui résultent de la production d’eau potable.
Notre ambition n'est donc pas, dans l'état actuel de nos connaissances, d'arrêter une position en faveur ou non du lagunage. En effet, notre première expérience porte uniquement sur deux types de boues et il serait hasardeux d'extrapoler les résultats observés à n'importe quel autre cas.
I. — INTRODUCTION
La technique de lagunage est déjà très ancienne.
Elle consiste à utiliser une capacité suffisante pour assurer :
— la clarification des effluents avant leur rejet dans un milieu naturel,
— le stockage des matières décantées puis leur séchage dans une phase finale.
C’est donc un procédé séduisant à divers titres :
— simplicité de fonctionnement,
— surveillance réduite en exploitation,
— consommation d’énergie très faible (uniquement pour le relèvement éventuel de l’effluent),
— grande souplesse de fonctionnement.
En revanche, elle est grande utilisatrice de superficie de terrain et cet inconvénient, lié à celui de l'évacuation des boues séchées, est certainement l'élément déterminant qui fait écarter depuis longtemps le procédé au profit d'autres techniques de déshydratation des boues.
Cependant, lorsqu'une surface suffisante est disponible à bon marché, ne serait-il pas judicieux d'opter pour le lagunage plutôt que pour une filière faisant intervenir une déshydratation mécanique ?
Le lagunage peut-il s'appliquer à toute taille d'usine productrice d'eau potable ou seulement, comme cela s'y prêterait bien, dans le cas d'usines isolées de moyenne importance ?
[Figure : Fig. 1. — Usine de traitement d'eau potable de Mervent (Vendée).]
1 | Prise d'eau |
2 | Réglage et mesure du débit |
3 | Dosage de sulfate d'alumine |
4 | Dosage de chaux |
5 | Dosage de permanganate de |
6 | Dosage de chlore |
7 | Décanteurs « Accelator » Ø 23,50 m et 24,50 m |
8 | Filtres « Aguazur », 31,50 m² |
9 | Citerne d'eau filtrée |
10 | Ozonateurs et tour d'ozone |
11 | Citerne d'eau traitée |
12 | Pompes de reprise (bas service) 1 000 m³/h |
13 | Pompes de reprise (haut service) 250 m³/h |
14 | Dispositifs antibéliers |
15 | Réservoirs bas 2 × 20 000 m³ |
16 | Réservoir haut 1 500 m³ |
Voilà autant de questions auxquelles nous ne prétendons pas répondre avec assurance. Dans un premier temps nous allons tenter d'apporter notre éclairage au travers des résultats de l'étude en pilote conduite à l'usine de Mervent.
II. — USINE DE TRAITEMENT D’EAU DE CAPACITÉ DE PRODUCTION IMPORTANTE : 60 000 m³/j
1. — PRÉSENTATION DE L'USINE DE PRODUCTION D'EAU DE MERVENT
La production moyenne journalière d'eau potable à Mervent était de l’ordre de 40 000 m³ lors de notre étude effectuée en juillet et août 1978.
La figure 1 donne le schéma de principe du fonctionnement de l'usine.
2. — NATURE DE L’EAU À TRAITER
La nature et le traitement des boues produites seront fonction de la qualité de l'eau brute à traiter ; en particulier, la quantité de matières en suspension influera directement sur l'aptitude à la déshydratation de la boue.
L'eau brute à Mervent provient du barrage situé sur la rivière « La Vendée » et sa qualité (tableaux 1 et 1 bis) donne lieu, lors de la floculation, à un floc essentiellement composé d'hydroxyde d'aluminium de décantation et de tassement difficiles.
Tableau 1.
Caractéristiques moyennes de l'eau brute à Mervent.
Turbidité (gouttes de mastic) | 10 |
Couleur (mg/l de sels Co-Pt) | 50 |
Matières en suspension (mg/l) | 3 |
Résistivité à 18 °C (ohm × cm/cm) | 4 000 |
pH | 7,8 |
DBO₅ (mg O₂/l) | < 2 |
DCO (mg O₂/l) | 25 |
Tableau 1 bis.
Deux analyses types de l'eau brute de Mervent.
CARACTÉRISTIQUES | DÉCEMBRE | NOVEMBRE |
---|---|---|
Température (°C) | 6,5 | 19,5 |
Turbidité (°F) | 14 | 15 |
Matières en suspension (mg/l) | 2 | 4 |
T.A.C. (°F) | 6,3 | 10,8 |
T.H. total (°F) | 13,6 | 11,4 |
Chlorures (°F) | 4,5 | 3,9 |
Fer (mg/l) | < 0,06 | 0,2 |
Manganèse (mg/l) | 0,14 | 0,25 |
O₂ dissous (mg/l) | 8 | 8,8 |
Biodispo (*) | — | — |
Alcalin | 5,4 | 5,4 |
Acide | 7,1 | 5,4 |
Nitrates (mg/l NO₃⁻) | 22,8 | < 1 |
Nitrites (mg/l NO₂⁻) | 0,2 | 0,03 |
Ammonium (mg/l NH₄⁺) | 0,27 | 0,36 |
N.T.K. (mg/l N) | 0,84 | 2,5 |
Phénols (µg/l) | < 1 | < 1 |
Détergents (µg/l LSS) | < 10 | < 10 |
DBO₅ (mg O₂/l) | 2 | 2 |
DCO (mg O₂/l) | 5 | 7 |
3. — NATURE DES BOUES PRODUITES
Les réactifs mis en œuvre à Mervent sont :
- le sulfate d'alumine à raison de 70 g/m³ en moyenne,
- la chaux pour corriger le pH de floculation et l'agressivité de l'eau à raison d’environ 30 g/m³ au total.
Les boues à traiter proviennent donc :
- des purges des décanteurs,
- des eaux de lavage des filtres,
- des incuits et insolubles dus à la chaux,
- de la vidange annuelle du réservoir d'eau traitée.
4. — PURGES DES DÉCANTEURS
Durant la période étudiée (été), le taux de sulfate d'alumine a été voisin de 45 g/m³ et la fréquence des purges automatiques était élevée (1 minute toutes les 30 minutes). Il en est résulté des rejets (2 600 m³/j) contenant en moyenne 0,23 g/l de matières en suspension.
Tableau 2. — Purges des décanteurs : composition de la boue exprimée en poids par rapport aux matières sèches (g/kg).
Aluminium | 200 |
Fer | 5 |
DBO₅ (N) | 30 |
DCO (O) | 500 |
Azote total Kjeldahl (N) | 15 |
Phosphates totaux (P₂O₅) | 2 |
Tableau 3. — Caractéristiques moyennes du liquide séparé des boues des décanteurs par sédimentation de deux heures.
Matières en suspension (mg/l) | 7 |
Fraction volatile des M.E.S. (%) | 60 |
Aluminium (mg/l) | 2 |
Fer (mg/l) | 0,02 |
DBO₅ (mg O₂/l) | 155 |
DCO (mg O₂/l) | 125 |
Azote total Kjeldahl (mg/l N) | 1,5 |
Phosphates totaux (mg/l P₂O₅) | 0,412 |
Principalement constituées d'hydroxyde d'aluminium (pour environ 60 %), ces boues sont peu fermentescibles (rapport DCO/DBO₅ élevé, voisin de 17).
Après séparation liquide-solide de ces boues par décantation en deux heures, le surnageant présente les caractéristiques moyennes illustrées par le tableau 3. On observe que l'effluent décanté pourra être rejeté dans le milieu naturel.
b. — Eaux de lavage des filtres
L'usine de Mervent possède deux batteries de dix filtres d’une surface unitaire de 32 m². Les lavages sont effectués sous surveillance d'un opérateur et la durée est ajustée en fonction des besoins.
Les graphiques 1, 2 et 3 présentent les mesures des concentrations en matières solides relevées pendant le lavage de trois filtres.
On constate que la quantité de matières rejetées lors du lavage d'un filtre se situe entre 30 et 40 kg, soit de 0,9 à 1,25 kg par mètre carré de surface filtrante.
Cette quantité est rejetée pour moitié environ, lors de la phase de détassage (20 m³ à 0,1 %) puis,
lors du rinçage sous forme diluée (100 m³ à 0,02 %).
Le tableau 4 indique la répartition des teneurs en matières en suspension dans les eaux de lavage pendant les différentes phases.
Tableau 4. — Répartition des concentrations en M.E.S. au cours du lavage des filtres.
PHASES DU LAVAGE | DÉBIT D’EFFLUENT (m³) — TENEUR EN M.E.S. (kg/m³) |
---|---|
DÉTASSAGE (air + eau) : 20 | — 0,85 |
RINÇAGE : 100 | — 0,20 |
PREMIER TIERS DE LA PHASE DE RINÇAGE : 30 | — 0,38 |
DÉTASSAGE + PREMIER TIERS DE LA PHASE DE RINÇAGE : 50 | — 0,60 |
Le lavage de cinq à dix filtres est fait quotidiennement selon la nature de l'eau décantée. Ces lavages produisent 600 à 1200 m³/j d’effluents contenant de 175 à 350 kg de matières sèches.
Si l’on ne retient que les premières eaux de lavage (détassage + premier tiers du rinçage), les quantités tombent à 250-500 m³/j d'effluents et 150-300 kg de matières sèches.
c. — Boues résultant de l’utilisation de chaux
La chaux sert ici à ajuster le pH de floculation (à l'aide de lait) à raison d’environ 25 g de chaux commerciale par mètre cube d'eau traitée. Elle sert également à neutraliser l'agressivité de l'eau en fin de traitement.
Cette neutralisation finale se fait à l'aide d'eau de chaux produite par un saturateur. La quantité nécessaire correspond à environ 5 g de chaux commerciale par mètre cube d'eau traitée.
La quantité de boue ainsi produite (insolubles, incuits et production de carbonates due à la réaction sur l’eau dans le saturateur) s’élève au total à environ 3 g de matières sèches par mètre cube d'eau traitée.
d. — Vidange annuelle du réservoir d'eau traitée
Elle conduit à un effluent de 150 à 300 m³ présentant une concentration en matières en suspension de 10 à 25 g/l.
La quantité de dépôts représente environ 3 à 4 tonnes.
La composition chimique de ces dépôts est indiquée dans le tableau 5.
Tableau 5. — Composition chimique des dépôts du réservoir d'eau traitée.
TENEUR EN INSOLUBLES À HCl (argile + sable) (%) |
TENEUR EN FER (% Fe(OH)₃) |
TENEUR EN ALUMINIUM (% Al(OH)₃) |
TENEUR EN CARBONATE DE CALCIUM (%) |
DIVERS (%) |
L'influence de ce rejet sur le comportement d'une lagune sera moins sensible que dans le cas d'un traitement mécanique des boues où une surcharge passagère pourra être plus difficile à accepter.
4. — ASPECT QUANTITATIF
Lors de nos essais, le taux de sulfate d’alumine était de 45 g/m³, la quantité de chaux mise en œuvre conduisait à produire 3 g de boue par mètre cube d'eau traitée. La teneur moyenne en matières en suspension de l’eau brute était de 2 g/m³ et la couleur de cette dernière était de 80 mg/l de sels Co-Pt.
À partir de ces données, il est possible de calculer la production de boue engendrée par l’apport des réactifs à l'eau et la précipitation des matières colloïdales, en utilisant par exemple la formule ci-après qui tient compte des principaux paramètres :
P = M.E.S. + 0,07 C + 0,25 D + E (1)
L'ensemble étant exprimé en g/m³ :
M.E.S. représente la teneur de l'eau brute en matières en suspension. C est la couleur en mg/l de Co-Pt. D est la dose de sulfate d'alumine (à 17 % en Al₂O₃). E est la dose de boue résultant de l'utilisation de chaux rapportée au mètre cube d'eau traitée.
Ainsi, pendant notre étude, la quantité de boue à attendre était de : P = 22 g/m³, soit en production journalière : 880 kg/j.
Ce chiffre est à rapprocher de celui obtenu à partir des mesures de concentrations et volumes de boues réellement produites :
Pour les purges des décanteurs : 2600 m³/j à 0,23 kg/m³ = 600 kg de M.S. Pour les lavages de filtres à raison de 8 filtres par jour en moyenne : 8 [(20 m³ × 0,85 kg/m³) + (100 m³ × 0,2 kg/m³)] = 300 kg de M.S. Soit au total, une production de 900 kg/j de matières sèches, auxquelles il convient d'ajouter 30 kg/j de matières sèches issues des purges du saturateur à chaux.
L’écart entre les deux valeurs représente environ 5 % et montre ainsi l'intérêt de la formule employée pour approcher au mieux la quantité de boue produite à partir de la connaissance des caractéristiques de l'eau brute et du traitement appliqué.
(1) Cette relation est extraite de l'article de SLATER (G.) paru dans : Journal of the Inst. of Water Eng. (1973), 27, n° 8.
5. — ÉTUDE DU FONCTIONNEMENT DES LAGUNES
Les diverses fonctions devant être assurées par la lagune sont :
En première phase : — clarification des effluents avant rejet dans le milieu naturel, — stockage, puis épaississement des boues.
En seconde phase : — séchage des boues après évacuation du surnageant.
Pendant cette dernière période, une seconde lagune fonctionnant en alternance avec la première doit recevoir les effluents boueux qui continuent à être produits.
La clarification a été étudiée dans des lagunes pilotes de 15 m² et 1 m de profondeur. L'épaississement a été suivi dans les lagunes.
Tableau 6. — Caractéristiques physico-chimiques des effluents avant et après lagunage.
AVANT | APRÈS | ÉCART | |
---|---|---|---|
Température (°C) : | 16 | 8 | –2 |
pH : | 6,2 | 7,2 | +0,5 |
Matières en suspension : | |||
Concentration (g/l) : | 0,523 | 0,112 | –0,411 |
Concentration (g/l) : | 3,3 | 5,7 | +2,4 |
Fraction volatile (%) : | 23 | — | — |
Aluminium (mg/l) : | 2 | 1 | –1 |
Fer (mg/l) : | 1 | — | — |
Oxydabilité au KMnO₄ (mg/l) : | 2 | 0,9 | –1,1 |
Chlorures (mg/l) : | 10 | 109 | +99 |
Oxygène dissous (mg/l) : | 7,8 | 8,0 | +0,2 |
DCO (mg/l O₂) : | 15 | 14 | –1 |
CO₂ (mg/l) : | 49,7 | 45 | –4,7 |
MO (g/l) : | 5,32 | 5,33 | +0,01 |
NO₃ (mg/l) : | <0,005 | <0,005 | — |
Mg (mg/l) : | <0,05 | <0,05 | — |
Azote total Kjeldahl (mg/l N) : | 4,2 | 0,5 | –3,7 |
Phosphates solubles (mg/l P₂O₅) : | 0,2 | <0,05 | — |
Phosphates totaux (mg/l P₂O₅) : | 0,4 | 0,02 | –0,38 |
L’écart maximum est positif ou négatif selon que la valeur est supérieure ou inférieure à la moyenne.
Tableau 7. — Caractéristiques bactériologiques des eaux après lagunage.
Germes totaux par ml : … |
Coliformes dans 100 ml : … |
E. coli dans 100 ml : … |
Streptocoques fécaux dans 100 ml : 0 |
d'une part, et dans des ouvrages cylindriques de 0,5 m² et 2,5 m de profondeur, d’autre part.
La mise en séchage des lagunes a été abandonnée en raison des résultats médiocres obtenus en première phase de fonctionnement.
Cependant, la seconde partie de l'article rend compte des résultats obtenus lors du séchage, pour une lagune traitant les effluents boueux d'une station de production d'eau potable de moyenne importance.
a. — Étude de la clarification :
• Influence de la charge hydraulique
Les effluents boueux produits par l'usine de Mervent ont été envoyés sur les lagunes pilotes à raison d'une charge hydraulique allant de 0,72 à 2,80 m³ par mètre carré et par jour.
La charge hydraulique a ensuite été accrue soit par augmentation du débit amont, soit par réduction de la surface utile. Ces essais ont permis de dégager les renseignements suivants :
- — la charge hydraulique admissible pour l'obtention d'une clarification suffisante, lorsque le niveau des boues tassées se situe à environ 20 cm sous le plan d'eau, est voisine de 0,5 m³/m²/h ;
- — lors du fonctionnement à 0,5 m³/m²/h, la clarification est assurée tant que la vitesse horizontale de l’effluent ne dépasse pas 50 m/h.
• Nature des effluents clarifiés par lagunage
Les caractéristiques physico-chimiques et bactériologiques des eaux clarifiées issues de lagunes sont présentées dans les tableaux 6 et 7.
Ces eaux sont pratiquement dépourvues de matières en suspension. Elles présentent des demandes chimique et biologique en oxygène relativement peu élevées. Leur rejet en milieu naturel ne pose aucun problème.
b. — Étude de l’épaississement et de la capacité de stockage :
Le dimensionnement de la lagune doit être adapté à la quantité de boues à stocker et à la concentration en matières sèches que l'on attend de ces dernières après épaississement.
• Évolution des concentrations en fonction du temps
Celle-ci a été suivie dans la lagune en phase de remplissage (graphique 4) et dans les concentrateurs statiques (graphique 5). On y observe un épaississement difficile dans les deux cas, avec un accroissement lent des concentrations en matières sèches. La teneur maximale en matières sèches est restée inférieure à 15 g/l, au fond des ouvrages, après 15 jours d’épaississement en concentrateur et deux mois en lagunes.
Cette difficulté d’épaississement est liée à l'absence de matières en suspension d'origine argileuse dans les boues (2 g/m³ en moyenne dans l'eau à traiter).
• Influence des adjuvants
Le graphique 5 regroupe les résultats obtenus avec les conditionnements de la boue par :
- — 100 kg de chaux par tonne de matières sèches, d'une part,
- — 1 kg d'un polyélectrolyte cationique fort par tonne de matières sèches, d'autre part.
On y observe l'effet inverse de celui attendu en ajoutant le polyélectrolyte par comparaison à l'épaississement de la boue seule. On remarque par ailleurs que 10 % de chaux par rapport aux matières sèches n'améliore ni ne détériore l'épaississement normal des boues.
Cette quantité de chaux supplémentaire, venant s'ajouter à la fraction carbonatée des boues (environ 14 %), aurait dû apporter une amélioration qui ne s'est pas produite, en raison là encore du manque de matières en suspension d'origine argileuse susceptibles de réagir en modifiant la structure des boues.
Nous ne saurions trop insister sur le rôle important (déjà observé dans d'autres circonstances) joué par la matière en suspension des eaux brutes, dans la modification de structure des boues et dans leur traitement de déshydratation.
• Capacité de stockage de la lagune
Nos essais ont montré qu'une concentration moyenne en matières sèches de 15 g/l était difficilement atteinte.
En partant d'une hauteur de boues stockées de 1,5 m afin de permettre un séchage naturel en une année, la capacité de stockage de la lagune serait dans ces conditions de 22,5 kg de matières sèches par mètre carré.
Avec une production d'eau à la capacité nominale de l'usine (60 000 m³/j), la quantité de boue résultante serait de l’ordre de 570 tonnes par an et nécessiterait à peu près 25 000 m² de superficie par lagune. Le fonctionnement d'une lagune demandant en alternance annuelle une phase de stockage et une phase de séchage, deux lagunes de deux hectares et demi chacune seraient à prévoir dans le cas qui nous intéresse. À cette superficie, il conviendrait d’ajouter celle indispensable pour l’accès à la lagune des engins de curage.
Compte tenu du contexte local de l’exemple choisi et des résultats médiocres d’épaississement obtenus avec la nature de boue étudiée, l'éventualité de traitement des boues de l’usine de Mervent par lagunage a été abandonnée. Notre étude a donc été interrompue sans que la phase de séchage puisse être examinée. Celle-ci est néanmoins abordée dans notre deuxième exemple ci-après présenté.
II. — USINE DE TRAITEMENT D’EAU DE CAPACITÉ MOYENNE DE PRODUCTION : 5 000 m³/j
1. — PRÉSENTATION DE L'USINE DE PRODUCTION D'ISPE
L'eau à la station d'ISPE subit un traitement de flottation-décantation-filtration suivi d'une reminéralisation et d'une stérilisation.
Les réactifs injectés sont :
- — du sulfate d’alumine à un taux moyen de 25 g/m³,
- — une charge siliceuse à raison d'un taux moyen de 31 g/m³,
- — de la chaux sous forme d’eau de chaux fabriquée dans un saturateur dont les purges correspondent à un rejet de boues de l'ordre de 10 g de matières sèches par mètre cube d'eau traitée.
La production moyenne actuelle de la station est de 2 600 m³/j, soit à peu près la moitié de la capacité nominale.
Les boues produites sont traitées sur deux lagunes de 270 m² de superficie chacune, présentant une capacité utile de stockage de 900 m³ au total.
Une lagune est alimentée sur une période annuelle pendant le séchage de l’autre.
2. — NATURE DE L'EAU À TRAITER
L'usine de traitement d’eau d'ISPE est alimentée à partir de l'eau de l'Étang de Cazaux et de Sanguinet dont les caractéristiques physico-chimiques sont regroupées dans le tableau 8.
Il s’agit d'une eau faiblement colorée et peu chargée en matières en suspension. Elle contient des matières organiques oxydables par le permanganate de potassium en quantité moyenne. C'est une eau qui ne présente pas de pollution azotée ni phosphatée.
Une charge siliceuse est ajoutée à cette eau sous forme de diatomite séchée et broyée afin d’améliorer les performances de traitement.
Tableau 8. — Caractéristiques physico-chimiques de l'eau brute et du surnageant de la lagune pendant les mois d'été.
CARACTÉRISTIQUES | EAU BRUTE | SURNAGEANT |
---|---|---|
TEMPÉRATURE (°C) | 23 | 23 |
pH | 7,3 | 9,0 |
COULEUR (mg/l de sels Co-Pt) | 5 | <5 |
MATIÈRES EN SUSPENSION (mg/l) | 2 | 5 |
T.A.C. (°F) | 18 | 10 |
T.H. (°F) | 22 | 10,5 |
OXYDABILITÉ en mg/l de O₂ au KMnO₄, | ||
EN MILIEU ALCALIN | 42 | 10 |
ACIDE | 5,5 | 1,2 |
NO₃⁻ (mg/l) | <1 | <1 |
NO₂⁻ (mg/l) | <0,005 | <0,005 |
NH₄⁺ (mg/l) | <0,05 | <0,05 |
AZOTE TOTAL KJELDAHL (mg/l N) | 0,8 | 0,1 |
PHOSPHATES TOTAUX (mg/l PO₄) | <0,05 | <0,05 |
ALUMINIUM (mg/l) | 0 | 0,3 |
D.C.O. (mg/l O₂) | 6 | 2 |
DÉTERGENTS (µg/l) | 10 | 8 |
Tableau 9. — Composition pondérale d'un échantillon moyen des boues dans la lagune.
COMPOSITION | % |
---|---|
INSOLUBLES À HCl (argile, silice) (%) | 52 |
FER (% Fe(OH)₃) | 3,7 |
ALUMINIUM (% Al(OH)₃) | 11,6 |
CARBONATE DE CALCIUM (%) | 28,4 |
DIVERS (%) | 4,3 |
…améliorer la décantabilité des flocs légers et filamenteux d'hydroxyde d'aluminium.
De ce fait, une proportion importante de silice se retrouvera dans les boues (plus de la moitié du poids des matières sèches : voir le tableau 9).
3. — FONCTIONNEMENT DES LAGUNES
Chaque lagune a la forme d'un trapézoïde creusé dans le sol (ici du sable) dont la surface supérieure est de 270 m² (9 × 30 m), la surface de base est de 90 m² (3 × 30 m) et la hauteur de 3 m. Une lagune est en phase de stockage pendant que la seconde est en séchage étalé sur une période d'un an.
a. — Capacité de stockage des lagunes
La lagune en service est alimentée par les purges du décanteur et du saturateur de chaux. Les eaux de lavage des filtres sont par ailleurs stockées et recyclées, à débit régulier, dans l'eau brute.
Après mélange des deux types de boues dans un bassin de stockage de 5 m³ de capacité utile et relevage à 20 m³/h, l'effluent admis sur la lagune présente une siccité de l'ordre de 0,8 %.
Le stockage des boues est possible jusqu'à 30 centimètres en dessous de la surface de la lagune afin de permettre une clarification suffisante de l'effluent avant son rejet en milieu naturel (ici l'étang de CAZAUX et SANGUINET).
Le volume disponible pour le stockage s'établit donc à 450 m³ par lagune.
b. — Qualité de l'effluent clarifié par lagunage
Le graphique n° 6 illustre la décantabilité des boues issues des purges du décanteur à une concentration initiale de 0,4 %. L'essai reproduit les conditions test de décantabilité telles qu'elles sont définies dans le projet de normes établi dans le cadre de l'Action Européenne COST 68.
La tangente à la courbe de décantation au point de compressibilité de la boue permet d'accéder au temps unitaire tu = 9,6 heures pour l'obtention d'une siccité finale de 4 %.
Cette valeur conduit à une surface unitaire de décantation de 1,6 m²/kg/h en appliquant la relation : Su = Co/Ho
Co et Ho étant respectivement la concentration et la hauteur de boue initiale lors du test.
La charge massique admissible sur la lagune correspond à 1/Su, c'est-à-dire ici à 0,62 kg/h/m².
Dans la pratique, avec de telles boues à 0,4 %, la charge massique admise sur la lagune à 20 m³/h s'établirait à 0,30 kg/h/m².
En réalité, les boues admises sur la lagune contiennent des carbonates issus des purges du saturateur, ce qui augmente leur concentration moyenne (0,8 % au lieu de 0,4 %) et accroît leur décantabilité. Il s'ensuit une augmentation de la charge massique admissible sur la lagune.
Ce test de décantabilité permet donc de dimensionner la lagune pour assurer une clarification et un stockage correct.
Le graphique 6 montre en effet également que la clarification du surnageant se produit en trois heures environ.
L'alimentation dans la lagune se faisant à 20 m³/h, par cuvées de 5 m³, en fin de stockage (à –30 cm de la surface), il reste un volume de 80 m³ disponible pour la clarification de l'effluent, soit un temps de séjour de 4 heures en alimentation continue.
Le tableau 8 indique la nature physico-chimique du surnageant sortant de la lagune.
On y remarque un pH élevé (≈ 9) qui résulte de la forte proportion de boues issues du saturateur à chaux (voir le tableau 9).
Cet effluent est néanmoins conforme aux normes en vigueur pour les rejets résultant d'un traitement à la chaux.
— Aspect quantitatif :
La quantité de boue produite par an peut être calculée à partir de la relation :
P = MESₑ + 0,07 C + 0,25 D + E (1)
MESₑ = 2 g/m³
C = 5 mg/l (Co-Pt)
D = 25 g/m³
E = 41,5 g/m³
E comprend la charge siliceuse à raison de 31 g/m³ et les purges du saturateur correspondant à 10,5 g de boue par mètre cube d'eau traitée.
Il vient donc P = 59 g/m³.
La production moyenne annuelle d'eau s'établissant à 950 000 m³, la quantité de boue correspondante sera de 56 tonnes de matières sèches.
Cette valeur est à rapprocher de celle estimée à partir des résultats obtenus pratiquement.
La densité d'un échantillon moyen de boue prélevée dans la lagune en fin de phase de stockage (c'est-à-dire après un an de fonctionnement) s'élève à 1,1. Le volume de stockage de la lagune étant de 450 m³, le poids de boue qui correspond est alors de 500 tonnes.
Les différents carottages effectués dans la lagune en fin de stockage permettent d'accéder à la concentration moyenne de la boue : d'après le graphique 7, nous lisons une teneur moyenne voisine de 11 % en matières sèches. Il vient ainsi une quantité de matières sèches de 55 tonnes accumulée dans la lagune par an, soit environ 2 % de moins que la quantité calculée par la relation (1).
Le graphique 7 rend compte également de l'évolution de la fraction volatile des boues dans la lagune. Elle est sensiblement constante autour de la valeur de 13 %. Les boues stockées ne sont donc pas fermentescibles, ce qui est confirmé par leur aspect brun clair et l'absence d'odeur.
4. — SÉCHAGE DES BOUES DANS LA LAGUNE
Lorsque la lagune est remplie de boues, la phase de séchage intervient après avoir évacué le liquide surnageant qui correspond dans notre cas à 30 cm environ de hauteur.
Nous ne disposons, à la date de rédaction du présent article, que des résultats qui portent sur les deux premiers mois de la phase de séchage de la lagune (août et septembre 1979).
Plusieurs carottages ont été effectués pendant cette période, nous rapportons dans le graphique 8 les principaux résultats observés.
Il apparaît tout d'abord que la siccité limite obtenue au fond de la lagune avoisine 20 % (c'est-à-dire sous 1,5 m de boue, les prélèvements ayant été effectués à 1,8 m du bord).
Nous rappelons que la siccité moyenne de l’effluent à l'entrée était de 0,8 %, ce qui fait un facteur de concentration de 25. Nous remarquons par ailleurs que le séchage en surface (niveau = 150 cm) permet un gain de siccité de près de 110 % pendant le premier mois. Ce gain chute ensuite à 4 % pendant le second mois.
La connaissance des paramètres météorologiques locaux (pluviométrie et température) permettrait probablement d'expliquer en partie cette évolution.
Graphique 8.
Ces données ne nous sont pas encore parvenues pour l'instant ; toutefois, il paraît intéressant d'observer l'évolution de la siccité des boues dans la lagune pendant cette même période pour mieux comprendre ce qu'il s'y passe.
On constate que 35 cm sous la surface des boues, la siccité diminue fortement (courbes 1 et 2) jusqu'à un minimum de 4 % à 70 cm de la surface.
Ce minimum remonte à 6 % le mois suivant (courbe 3).
Un contrôle du gradient de température effectué à la même période dans la lagune (courbe 4) montre une variation de 3 °C sur les trente premiers centimètres (zone de siccité croissante en fonction du temps) et un Δt de 1 °C sur le reste de la profondeur.
Cette faible variation de température dans la zone où la siccité décroît peut renforcer l'hypothèse suivante :
L'énergie solaire créerait en surface une agitation thermique (résultant des mouvements browniens) de l'eau incluse dans la boue. L'apport de cette énergie entraînerait une modification de la structure des boues et une migration de l’eau interstitielle.
Une partie de cette eau migrerait en surface et s'évaporerait, l'autre partie migrerait en profondeur diluant ainsi les couches à proximité.
La faible variation de température s’expliquerait par un apport d'eau plus chaude vers les couches théoriquement froides du fond.
Bien évidemment, cette hypothèse demande à être confirmée par notamment : une mesure plus précise du gradient de température et un enregistrement continu des valeurs.
Après deux mois de suivi du séchage, nous avons observé un tassement de l'ordre de 15 cm environ de la boue. Ce qui correspond à un gain de 40 m³, soit près de 9 % du volume initial de stockage (450 m³).
Toute extrapolation sur une année entière serait hasardeuse, le contrôle de l'évolution du séchage permettra de refaire le point, nous l'espérons, d'ici un an. Un éclairage plus complet sera alors apporté sur la technique et la fréquence d’enlèvement des boues séchées.
IV. — CONCLUSIONS
Nous constatons que le lagunage, s'il est attrayant, connaît des limites qui ne sont pas seulement dues à la superficie occupée.
L'efficacité de déshydratation sera conditionnée comme pour tout autre procédé, par la nature des boues à traiter et, en remontant la filière, par la qualité de l'eau brute.
La première des conditions à respecter est évidemment un bon dimensionnement des lagunes pour assurer une clarification correcte et un stockage suffisant. Nous avons vu qu’il était possible d’y accéder facilement.
La seconde des conditions est un bon séchage qui permettra une évacuation aisée des boues ainsi déshydratées. Nos deux exemples choisis avec des qualités de boues différentes mettent en évidence une déshydratation difficile, lorsque la proportion d'hydroxydes est élevée.
La mise en œuvre de quantités très importantes d'adjuvant aurait peut-être permis l'obtention de meilleurs résultats, comparables à ceux des autres techniques de déshydratation.
Toutefois, il est certain qu’à l'usine de Mervent, l'effet de taille a largement contribué à l’élimination du procédé de lagunage.
Au contraire, dans le cas d'une installation de moyenne importance, la technique de lagunage n'est pas à écarter a priori, surtout si la nature des boues est favorable à une bonne déshydratation naturelle.
J. COLLIOT — L. HAHN — A. DEGUIN