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Respiration artificielle des lacs et des réserves d'eau

28 octobre 1994 Paru dans le N°176 à la page 78 ( mots)

La quantité croissante des matières organiques d'origine agricole et rurale, qui s'accumulent dans les lacs et les réserves d'eau, dégrade rapidement la qualité de l'eau stockée pour aboutir, à terme, à une eutrophisation par le manque d'oxygène. Une technique mise au point et expérimentée à l'aide d'agitateurs submersibles permet de réaliser un échange rapide de grandes quantités d'eau entre le fond et la surface, entraînant une oxygénation des couches inférieures et créant ainsi une respiration artificielle du plan d'eau. Cette méthode est actuellement utilisée sur de nombreux sites à travers le monde ; les résultats obtenus sur le lac allemand " Kleiner Ukleisee " sont donnés à titre d'exemple.

À l’état naturel, les lacs et autres étendues d’eau sont des écosystèmes subvenant à leurs propres besoins : la concentration en oxygène dissous est régulée naturellement et les bactéries s'opposent efficacement à l’accumulation des matières biodégradables qui s’y déposent.

Les bactéries consomment de l’oxygène pour digérer les matières organiques, et cet oxygène est remplacé par le phénomène de “respiration” naturelle du lac. L’oxygène de l’atmosphère, absorbé en surface, sature la couche d’eau superficielle, et l’agitation verticale engendrée par le vent, les phénomènes de convection verticale, etc., l’entraînent vers le fond.

Cependant, les eaux des lacs et des réserves d'eau sont divisées, par stratification, en deux parties par une couche d’eau dont la température diminue rapidement avec la profondeur. Cette couche, dite thermocline, empêche l’échange vertical entre les deux masses d’eau ainsi déterminées : l'hypolimnion, l’eau la plus froide et la plus dense, située sous la thermocline, et l’épilimnion, la plus chaude, située au-dessus. Il en résulte que l’oxygène consommé dans l’hypolimnion n’est pas remplacé.

Dans les réserves, qui contiennent une eau dont la concentration en chlorure de sodium est relativement élevée, il existe également au fond une couche d’eau salée plus dense.

L’écosystème agressé

Au cours des années, les sociétés industrialisées ont déséquilibré l’écosystème : les principaux coupables sont les composés nutritifs, tels le potassium, les nitrates et les phosphates abondamment générés par notre société.

Ces substances accèdent aux lacs à partir de deux sources principales : d’une part, les produits de fertilisation utilisés en agriculture, d’autre part les eaux résiduaires des villes et des villages non équipés d'une station d’épuration.

L’apport de substances nutritives a pour résultat une accélération de la croissance anarchique des algues et des autres plantes aquatiques au fond des plans d’eau, lesquelles meurent et se déposent.

Cet accroissement important de matières organiques accumulées menace leur équilibre écologique naturel déjà assez fragile. Au fond des plans d'eau, les bactéries consomment de l’oxygène pour décomposer les matières organiques. Plus ces substances croissent, plus la population de bactéries devient importante et plus l’oxygène de l’eau devient rare, au point d’être totalement inexistant dans l’hypolimnion. Puisque l’épilimnion et l’hypolimnion sont stratifiés, l’échange avec l’hypolimnion de l’eau de surface, riche en oxygène, n’existe plus.

Lorsque l’oxygène dissous de l’hypolimnion a été totalement épuisé, cette partie ne peut plus entretenir toute forme de vie supérieure et elle est atteinte par l’eutrophisation (mort biologique). Néanmoins, avant d’atteindre ce point de non-retour, certains symptômes de déséquilibre écologique se manifestent : l’activité bactérienne anaérobie, notamment, dégage du méthane par suite de fermentations. Celui-ci remonte en surface, tue les poissons et dégage une odeur particulièrement nauséabonde.

Le secours de la technique

La solution à long terme consiste à réduire la quantité de substances nutritives se déversant dans les lacs et retenues d’eau.

Toutefois, régénérer un lac eutrophisé

[Photo : Méthode A : L'eau de surface, riche en oxygène, est mélangée à l'eau du fond pour augmenter légèrement sa concentration en oxygène dissous (le plus important volume d'eau provient du fond). Cette méthode relève rapidement la concentration de l’hypolimnion en oxygène dissous.]
[Photo : Méthode B : L'épilimnion et l'hypolimnion sont agités, le rapport des quantités d'eau mélangées est difficile à contrôler.]
[Photo : Méthode C : Mélange de l'eau du fond avec l'eau de surface riche en oxygène. Le volume principal du mélange provient de la surface. Bien que cette méthode soit la plus lente, elle fournit la meilleure oxygénation de la couche inférieure et permet de contrôler le niveau de la thermocline.]
[Photo : Fig. 1 : Carte bathymétrique du lac Kleiner Ukleisee à Plön (isobathe : ligne reliant les points d'égale profondeur).]
[Photo : Fig. 2 : Répartition naturelle des températures et des concentrations en oxygène dissous du lac avant la mise en service de l'agitateur. □ : compensation de l’épilimnion en température et en oxygène dissous.]
[Photo : Fig. 3 : Températures et concentrations en oxygène dissous au bout de 24 heures de fonctionnement de l’agitateur. ● : compensation de l’épilimnion en température et en oxygène dissous.]
[Photo : Agitateur submersible Flygt utilisé pour la destratification des plans d'eau.]

est un travail de longue haleine demandant toujours plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. Aussi, pour le court terme, des solutions techniques, souvent sophistiquées et onéreuses, sont disponibles, mais il existe une méthode éprouvée et économique, faisant exception à la règle : elle consiste à établir la circulation et l’échange de l'eau entre l'épilimnion et l'hypolimnion de façon à augmenter la capacité naturelle de digestion des masses d’eau surchargées de substances nutritives.

Les solutions proposées ci-après sont, non seulement techniquement applicables, mais également économiquement réalisables, au moins pour les plans d’eau de taille moyenne.

Ces techniques impliquent de transporter artificiellement de grandes quantités d’eau au travers de la thermocline vers l'épilimnion.

L’eau de l'épilimnion riche en oxygène circule en surface. Le transfert d’eau supplémentaire dans l'épilimnion entraîne deux effets : d’abord, il abaisse le niveau de la thermocline : l'eau contenant de l’oxygène atteint une profondeur plus importante. Ensuite, il augmente la vitesse de l'échange entre la couche riche en oxygène et la couche pauvre en oxygène, créant ainsi une sorte de “respiration artificielle” du lac ou de la retenue d’eau.

Le transfert de l'eau nécessaire est effectué soit par des agitateurs et/ou soit par des pompes submersibles. Ils permettent à moindre coût l’échange de grandes quantités d’eau du fond vers la surface, tant en ce qui concerne l'investissement que la consommation d’énergie.

BeBhBilan total
ParamètresEpilimnionHypolimnionB = Be = Bh
Teneur calorifique avant essai121212
6,90 x 102,11 x 109,01 x 10
Teneur calorifique après l'essai de 24 h121212
6,09 x 102,88 x 108,97 x 10
Quantité en oxygène avant l'essai (kg)66285747
Quantité en oxygène après l'essai (kg)493188Consommation 681
(+ 66 kg)
[Figure : Bilan des transferts de température et d'oxygène au cours de l'essai.]

Jusqu’à présent, un éventail précis de solutions adaptées à chaque cas n’a pas été élaboré, toutefois, trois méthodes de base sont couramment utilisées : A, B et C (voir schémas).

La méthode A met en œuvre le pompage de l'eau de la surface vers le fond, grâce à quoi une grande quantité d’eau, extraite du fond du lac, est mélangée avec l'eau de surface. Les effets sur la concentration en oxygène dissous sont rapides tandis que la température de la couche inférieure n’est que très légèrement modifiée.

La méthode B fait appel à un flux généré au-dessus de la thermocline, dirigé alternativement de haut en bas ; ses avantages résident en une installation simple et une agitation importante. L'inconvénient consiste en la difficulté de maîtriser les conditions de l‘agitation et son niveau, déterminant la profondeur de la thermocline qui varie en fonction du temps.

Avec la méthode C, l'eau est pompée du fond vers la surface, ce qui assure le mélange d'une grande quantité d'eau de surface, riche en oxygène, avec l'eau pompée au fond, en abaissant le niveau de la thermocline. Des trois méthodes, c'est celle qui fournit l’échange en oxygène le plus important ; de plus, l’emplacement de la thermocline est parfaitement contrôlé. Le plus important volume d’eau mélangée provient ainsi de la surface, par l’effet d’entraînement du flux induit. La couche où le mélange s’effectue présente une température plus élevée et une concentration plus importante en oxygène dissous. Cette méthode a néanmoins un effet plus lent sur l‘hypolimnion puisque la thermocline descend plus lentement qu’avec les deux méthodes décrites précédemment.

Impact écologique

Il est particulièrement difficile d’apporter une réponse à cette question : quels sont par exemple les effets de l'élévation de température ?

Dans une certaine mesure, le choix de la méthode permet de contrôler de tels effets. Par exemple, dans le cas de trois couches superposées (où la couche inférieure est composée d’eau salée), l’agitation peut être destinée soit à augmenter la concentration en oxygène dissous et la température associée à une faible salinité, soit à diminuer la concentration en oxygène et la température associée à une salinité élevée.

Mais, généralement, il est difficile d’évaluer l'ensemble de ces effets ; cependant, face à la mort biologique imminente d’un lac, tenter une action pour endiguer le phénomène est toujours préférable à l’inaction.

Étude menée sur le lac de Kleiner Ukleisee

Pour illustrer l'une de ces techniques, nous prendrons l’exemple de l’étude et du suivi technique menés sur le lac Kleiner Ukleisee situé à Plön, en Allemagne.

[Photo : Fig. 6 : Courbes de compensation en température et en oxygène dissous de l’épilimnion (0-4 m) du lac Kleiner Ukleisee du 21 août 1991 au 10 septembre 1991. Fonctionnement de l'agitateur du 23 août au 3 septembre 1991 (comme indiqué sur le graphique). • : compensation de l'épilimnion en température et ■ : en oxygène dissous]
[Photo : Fig. 7 : Courbes de compensation en température et en oxygène dissous de l'hypolimnion (4 m et plus) du lac Kleiner Ukleisee du 21 août 1991 au 10 septembre 1991. Fonctionnement de l'agitateur du 23 août au 3 septembre 1991 (comme indiqué sur le graphique). • : compensation de l'hypolimnion en température et ■ : en oxygène dissous]

Le lac, d'une superficie de 2,5 hectares, contient un volume d’eau de 145 000 m³ environ, sur une hauteur moyenne de 5,80 m.

Le principal problème posé par ce plan d’eau naturel était son état d'eutrophisation avancée sous la thermocline située à une profondeur de 3 m environ.

Dans le cadre de cette étude, la technique utilisée a été le pompage de l'eau de surface vers le fond (méthode A).

Auparavant, il a été procédé à un état des lieux précis avec, d’une part, les courbes isobathes du lac (figure 1) et, d’autre part, l’établissement de la stratification des températures et des concentrations en oxygène (figure 2).

L’équipement utilisé pour transférer efficacement la masse d'eau entre l'épilimnion et l’hypolimnion consiste en un agitateur submersible Flygt modèle S 4630 (1,5 kW) installé à l'intérieur d’un tube (diamètre 0,60 m, longueur 5 m) implanté verticalement dans le lac (figure 4).

Des sondes de mesure de l'oxygène dissous et des sondes de température installées à différents niveaux ont été raccordées à un micro-ordinateur pour réguler l’installation et obtenir un enregistrement continu des données.

Après un fonctionnement de 24 heures, il a été constaté des variations importantes entre les deux couches au niveau de la répartition verticale des températures de l’eau et de la concentration en oxygène dissous (figure 3) dont nous précisons le détail ci-après.

Bilan des masses transférées

Les bilans de transfert de température et d’oxygène se définissent comme suit :

– pour l'épilimnion :Be = ∫₀^{Ze} F(z) · C(z) dz

– pour l’hypolimnion :Bh = ∫_{Ze}^{Zmax.} F(z) · C(z) dz

avec :

F(z) : surface du plan d’eau à la profondeur (z) C(z) : concentration en oxygène dissous (mg/l) Ze : épaisseur de la couche de l’épilimnion Zmax. : profondeur maximale du lac Be : bilan quantitatif dans l’épilimnion Bh : bilan quantitatif dans l’hypolimnion

On peut aussi calculer les quantités de matières transférées pendant la durée des essais.

Étant donné que le lac n’échange pratiquement pas de quantité d’énergie importante avec l’atmosphère, pour une durée de 24 heures, la teneur calorifique est une grandeur conservatrice pour le laps de temps considéré. En conséquence, on considérera que les flux d’énergie restent constants.

La différence du bilan calorifique, avant et après les essais, est respectivement de 9,01 et 8,97·10¹² joules soit une variation de 4 pour 1000, qui reste inférieure à la précision des mesures.

Par contre, les teneurs en énergie entre l'épilimnion et l'hypolimnion ont considérablement évolué : l'épilimnion a perdu 0,81·10¹² joules alors que l'hypolimnion a gagné 0,77·10¹² joules.

La température de l’eau, dans l'épilimnion a varié de 21 °C à 19 °C tandis que dans l’hypolimnion, elle a progressé de 5 °C à 11 °C.

Dans une première approche, nous pouvons considérer que les courbes de température sont linéaires :

te(t) = 21 − 2 · (t/tb)
th(t) = 9 + 2 · (t/tb)

tb étant le temps de fonctionnement.

En considérant que le débit de pompage de l’agitateur est constant au cours de l’essai, nous pouvons calculer l'énergie thermique transportée et dissipée :

E = ∫₀^{tb} (te − th) · Q · dt

E = 0,77·10¹² joules, soit 0,18·10¹² calories.
24 h
∫₀ 180 000 dt = Q ∫₀²⁴ (12 – 4t – t²) dt
= Q [(12t – 2t² – t³/3)]₀²⁴
d’où :
Q = 180 000 / 240 = 750 m³/h

Par conséquent, le débit de pompage a été de 750 m³/h environ, soit 18 000 m³ d’eau transportés pendant la durée de 24 heures de ce premier essai.

Cette quantité d’eau échangée peut être également vérifiée par les paramètres mesurés parallèlement : suivant la figure 5, 169 kg d’oxygène ont été transportés dans l’hypolimnion en provenance de l’épilimnion durant les 24 heures de fonctionnement de l’agitateur, 103 kg étaient encore décelables à l’arrêt de l’agitateur, 66 kg ont été consommés pendant ce même temps. L’eau pompée de l’épilimnion avait une concentration en oxygène de 8 ± 0,2 mg/l, ce qui fait une quantité d’eau totale de :

169 000 g(O₂) / 8 g(O₂) = 21 000 m³

Le débit de pompage de l’agitateur serait, dans ce cas, de 875 m³/h.

En raison des influences biologiques sur le bilan d’oxygène, cette approche est, sans doute, moins précise que le calcul précédent mais il confirme les résultats des mesures dans leur ensemble.

Lors de ce premier essai, l’hypolimnion, auparavant complètement anaérobie, a atteint en 24 heures une concentration d’oxygène d’environ 3,5 mg/l (lors du pompage, il fut consommé 1 mg O₂/l).

Après sept jours de mesures, l’hypolimnion était de nouveau dans son état d’anaérobie initial.

Onze jours après ce premier essai, l’agitateur a été remis en fonctionnement pendant une durée de 24 heures.

Du fait de la faible variation de la température sur le plan vertical entre les deux essais, l’échange thermique n’a pas été spectaculaire.

Par contre, le transport de l’oxygène dans l’hypolimnion a été deux fois plus important (319 kg O₂/jour au lieu de 169 kg O₂/jour) et la consommation d’oxygène pendant ce laps de temps a été quatre fois plus élevée (256 kg O₂/jour au lieu de 66 kg O₂/jour par rapport au premier essai) (figures 6 et 7).

Ce transfert plus élevé provient de la faible stratification des eaux et la consommation nettement plus forte est due aux températures hypolimniques élevées (14 °C), et, sans doute, à des colonies de bactéries qui se sont développées entre-temps. Par la suite, la consommation en oxygène était compensée par la circulation totale dans le lac et la concentration en oxygène dans tout l’hypolimnion commençait à croître d’elle-même du fait de son retour à des conditions aérobies.

Cet exemple illustre parfaitement l’efficacité de la technique de pompage à l’aide d’agitateurs submersibles pour remédier à la stratification importante des températures et des concentrations en oxygène dissous qui se développent assez rapidement dans les lacs et les réserves d’eau d’une profondeur supérieure à 4-5 mètres. Cette technique qui est performante, économique et facile à mettre en œuvre doit être l’une des hypothèses à retenir dans la recherche de solutions optimales : en effet, dans l’exemple qui a été développé ci-dessus, il a été transféré environ 200 kg d’oxygène dissous pour une consommation énergétique de 50 kWh, soit un apport spécifique brut de 4 kg O₂/kWh.

Bibliographie

(1) Mercier P., Aération partielle sous-lacustre d’un lac eutrophe. Int. Ver. Limnol 10 (1949), p. 294-297.

(2) Bernhardt H. et Hötter G., Möglichkeiten der Verhinderung anaerober Verhältnisse in einer Trinkwassertalsperre während der Sommerstagnation. Arch. Hydrobiol. 63 (1967), p. 404-428.

(3) Barroin G., Lake treatment with Hydrogen Peroxide. In: Hypertrophic Ecosystems. Ed. by J. Barica & L. R. Mur. The Hague, W. Junk b.v. Publishers (1980) p. 287-294.

(4) Thomsen W., Overbeck J. und Ohle W., Verfahren und Vorrichtung zur Unterstützung der Selbstreinigungskraft des Gewässers durch Versorgung des Tiefenwassers mit Sauerstoff.

(5) Krambeck H. J., Programm-gesteuerte in-situ Messwerterfassung limnologischer Umweltparameter. GIT Fachz. Lab. 23 (1979), p. 842-844.

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