Quoique encore marginale, la réutilisation des eaux usées progresse. Les techniques existent, elles sont plus ou moins poussées en fonction des besoins. Les deux principaux freins à leurs applications restent la réglementation et les coûts d'investissement pour les réseaux d'adduction de l'eau traitée.
60 % des Français seraient prêts à arroser leur jardin avec des eaux provenant des stations d’épuration (CSA, octobre 2005). Les problèmes de sécheresse récurrents avec les restrictions de prélèvement d'eau qui s’ensuivent semblent avoir convaincu de la nécessité de l’utilisation de cette ressource alternative. D’autant qu'une récente étude menée par l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France a montré que les risques sanitaires associés à la réutilisation des eaux usées épurées sont faibles : l'eau réutilisée subit préalablement des traitements qui seront aussi pous-
sés que l'exige la qualité requise par les usages qui seront faits de cette ressource alternative. Vincent Chastagnol est Directeur Process & Technologies chez Stereau. Il explique : « Le principe de précaution peut induire de fortes exigences en matière de qualité d'eau réutilisée. Mais lorsqu'elles sont définies, ces exigences ne sont plus un frein au développement de la réutilisation grâce à l'existence d'une palette de solutions : désinfection UV, bioréacteurs à membranes, membranes d'ultrafiltration, de nanofiltration voire d'osmose inverse, les possibilités techniques sont nombreuses. Maintenant, l'étape prioritaire de tout projet de réutilisation des eaux est la définition des besoins en quantité et en qualité ».
Pourtant, la réutilisation des eaux usées reste encore une pratique assez limitée.
De l'eau pour les champs
En France, le contexte réglementaire ne favorise pas la réutilisation des eaux usées. Excepté l'irrigation et l'arrosage d'espaces verts, la réglementation n'autorise pas la réutilisation de l'eau pour la recharge de nappe, l'usage au sein des habitations ou à certains usages au niveau de l'industrie. « En France, les techniques pour la réutilisation des eaux ne sont de fait pas extrêmement poussées. Le savoir-faire existe pourtant, il consiste souvent dans des techniques de filtration utilisées dans le traitement de l'eau potable », note Anne Gresle, chef de service au département Recherche et Développement du groupe Saur. Pour l'irrigation et l'arrosage, la réutilisation des eaux usées nécessite bien souvent la mise en œuvre de procédés combinés : un traitement conventionnel type traitement biologique et clarification, plus un traitement tertiaire pour affiner l'eau. « Pour l'irrigation, une filtration sur sable et une désinfection suffisent en général », rajoute Anne Gresle. La désinfection consiste en un traitement UV, une chloration ou une ozonation. Chaque pays définit son propre niveau de désinfection et choisit pour cela un traceur qui peut être l'E.Coli ou la DCO par exemple. L'utilisation de membranes peut être également appliquée, mais pour un usage comme l'irrigation, elle n'est pas obligatoire.
Cette application pour l'irrigation reste très majoritaire dans le monde et elle n'est pas nouvelle. « La première application chez Degrémont date de quarante ans », rappelle Laurent Guey, chef de marché Dessalement, Reuse et Eau potable chez Degrémont, Groupe Suez. Récemment, le traiteur d'eau a équipé la station de San Rocco à Milan. D'une capacité de 1 050 000 EH, la technique utilisée consiste dans un traitement biologique classique du type boues activées et clarificateur, suivi d'une filtration sur sable et d'une désinfection UV. « En sortie, la concentration en E.Coli dépasse nos espérances avec 2 unités par 100 ml. Au total,
ce sont près de 11 millions de mètres cubes qui ont été réutilisés à l’été 2006 pour l’agriculture », souligne Laurent Guey. En Espagne, la station d’épuration de Barcelone est actuellement la plus grande station à avoir mis en place un système de réutilisation des eaux. Construite par Veolia Eau, la station d'une capacité de 153 millions de mètres cubes par an possède une chaîne de traitement tertiaire – trois clarificateurs compacts Actiflo et dix modules de filtres à disques Hydrotech – pour garantir la réutilisation de l'eau en sortie à des fins agricoles (64 800 m³/j) mais aussi pour permettre la recharge de nappe (34 560 m³/j). En outre, 2 500 m³ sont utilisés chaque jour pour lutter contre l'intrusion d’eau de mer dans les nappes. En France, Le Mont-Saint-Michel, par exemple, s'est engagé avec deux communes voisines, Ardevon et Beauvoir, dans un projet de réutilisation des eaux usées, conduit par Veolia Eau. 86 000 m³ d’eaux issues de l'usine de traitement sont épandues sur trois lagunes de 70 hectares. Elles y séjournent pendant trois semaines, le temps que les bactéries aérobies dégradent la pollution organique résiduelle. L’eau renouvelée est ensuite distribuée aux agriculteurs.
Mais le principal frein pour la mise en œuvre de cette ressource alternative pour l'irrigation reste la création de réseaux secondaires. Pour les petites communes, il vaut mieux privilégier les usages de proximité, avec un acheminement de l'eau par camions par exemple. Sur les grandes stations, la mise en place des réseaux revient moins chère, mais encore faut-il qu'il y ait une activité agricole à proximité. Dans ce cas, c’est souvent la coopérative agricole qui prend en charge les investissements. L’eau est ensuite vendue, à un prix très compétitif par rapport à l’eau potable.
Usages récréatifs
« Après la réutilisation pour l'irrigation, il existe une application plus récréative : l’arrosage d’espaces verts, de golfs, et l’entretien des rues », détaille Laurent Guey. En Inde, dans la station de Cubbon Park, Degrémont a installé son procédé Ultrafor, un bioréacteur à membrane, pour permettre l'arrosage d’espaces publics, qui consiste en un traitement membranaire plus poussé. Au Qatar également, une station de 60 000 m³/j pour l'irrigation avec alimentation en eau pour les promotions immobilières est en cours de construction avec le procédé Ultrafor qui associe un traitement biologique et une ultrafiltration membranaire Zenon.
Chez Degrémont, les applications membranaires correspondent à 400 000 m³/j sur un total de 2 400 000 m³/j d’eaux usées réutilisées. La France commence timidement à sauter le pas. À Sainte-Maxime, une unité de traitement supplémentaire vient de rentrer en service sur la station d’épuration de la commune. L’objectif est de permettre l’arrosage du golf. La technique appliquée par Veolia Eau consiste en une filtration tertiaire, suivie d'une désinfection par lampes UV et d'une chloration. L’eau est ensuite acheminée par un réseau jusqu’au lac du golf où elle décante avant utilisation, soit 2 000 m³/j. Cet été, près de 10 % de la ressource à partir d'eau potable ont été économisés. Veolia Eau a de même mis en œuvre des unités de traitement des eaux usées pour l'arrosage des golfs de Spérone (Corse) et de Pornic.
Enfin, après l'irrigation et les usages plus récréatifs, la dernière application pour la réutilisation des eaux usées concerne l’utilisation au sein des habitations. En Australie, un projet pour la réutilisation de l'eau pour l’arrosage d’espaces privés et également dans les toilettes est en cours. Un traitement tertiaire sera appliqué par Degrémont pour éliminer le manganèse, par exemple, qui pose des problèmes au niveau de la couleur de l’eau ; ensuite une filtration membranaire puis une chloration pour la sécurité seront rajoutées. « Nous n’avons pas mis en place de bioréacteur à membranes sur cette station, car toutes les eaux usées n'ont pas vocation à être réutilisées », commente Laurent Guey.
En dehors des usages domestiques ou agricoles, l'utilisation en industrie des eaux
usées commence à émerger. Dans ce secteur, le recyclage peut représenter un avantage économique certain.
En industrie, un intérêt économique certain
L’augmentation des coûts de production d’eaux de process et d’épuration des effluents, le risque d’arrêt de production dû à une limitation des prises d’eau, l’élévation des niveaux de traitement nécessaires au rejet des effluents en milieu naturel et l’amélioration des performances techniques des procédés de recyclage, notamment membranaires, ont modifié l'économie des projets en faveur de la réutilisation. « La réutilisation industrielle des eaux usées et le recyclage interne sont désormais une réalité technique et économique pour nos clients industriels » précise-t-on chez Veolia Eau qui compte à son actif plus d’une centaine de réalisations pour le compte d’industriels dans le monde.
Lenntech, spécialiste du traitement des eaux industrielles, avance sur son site internet les intérêts économiques, au niveau des coûts de l'eau et de l’énergie, de la réutilisation de l’eau dans le process : « En moyenne, élever la température d'un mètre cube d'eau d'un degré coûte 0,05 €, la rabaisser d'un degré coûte 0,07 €. En réutilisant ces eaux de process, les besoins en énergie sont moindres, et par conséquent des économies d'énergie substantielles peuvent être faites ». Au niveau des techniques utilisées, la filtration membranaire est souvent proposée. La société de traitement des eaux Eau Pure propose par exemple un système de double filtration membranaire, le Duomem. En outre, ils proposent les filtres Beyart pour l’élimination des matières solides. « Cette année, nous réalisons une extension de la station d’épuration de la société Chomarat, un sous-traitant automobile spécialisé dans le textile. L’objectif est d’utiliser l'eau en boucle fermée. Les eaux en sortie seront traitées par les filtres Beyart, filtres autonettoyants composés de deux crépines tournantes avec un seuil de coupure très fin pour l’élimination des matières en suspension et les fibres », détaille Pascal Guasp, président de Eau Pure (Fluides & Automation). Biwater également applique des traitements pour la réutilisation des eaux usées. « Nous appliquons un traitement biologique suivi d’une légère désinfection pour abattre la concentration en germes pour l’irrigation des cultures, exceptées les cultures maraîchères, mais les applications restent marginales. Le problème est la mise en place de réseaux en aval pour acheminer l’eau. De nouveaux investissements sont à prévoir », regrette Thierry Fournet, responsable études chez Biwater.
Mais les avancées sont nombreuses. À Saumur (49) chez Cebal, Assisteaux a mis au point un process de traitement de recyclage en continu sur le matériel de lavage existant des effluents de l'atelier composés d'eau additionnée de produit de nettoyage pollués.
par du fluide d'emboutissage et de la poussière d'aluminium. Il s'agit d'un traitement par évaporation à compression mécanique de vapeur d’eaux de rinçage et de chaîne de dégraissage. De son côté, Ovive a conçu et mis en service une filière de recyclage des saumures d'adoucisseurs d'eau. Actibio s'est de son côté spécialisé dans le recyclage des eaux de lavages de véhicules par le procédé Actibio System.
L’eau de lavage est préalablement débourbée puis déshuilée avant d’être transférée vers un filtre biologique. Une fois épurée, l'eau est filtrée, chlorée puis stockée avant d’être réutilisée pour le lavage des véhicules. Tout comme Veolia Water STI, RGA Environnement avec son procédé Albedo, Vivlo, Biome, Orelis Environment, une branche de Novasep Process, Proserpol, TIA, Tecnofil Industries ou Hytec sont à même de proposer des unités de recyclage d’eaux de process sur la base d’une ou plusieurs technologies adaptées à la configuration du problème posé : échange d'ions, séparation membranaire, évapo-concentration, traitements biologiques, traitements physico-chimiques. En raison de leur maîtrise de plus en plus précise, les technologies membranaires, associées à des schémas microfiltration/ultrafiltration-osmose inverse ou traitement avancé-ultrafiltration prennent un net ascendant car elles permettent de délivrer une eau de qualité physico-chimique et microbiologique conforme aux normes OMS. Elles sont quotidiennement mises en œuvre par des prestataires tels que Ternois, Ondeo Industrial Solutions, Veolia Water STI ou encore Pall. Pour des tailles plus modestes mais utiles pour certaines industries ou pour les petites communes, RGA Environnement offre des solutions adaptées grâce à son procédé Albedo. Ces filières de traitement sont souvent confortées par des essais pilotes réalisés en amont qui permettent de choisir la membrane la plus adéquate et les réactifs les plus adaptés. Elles sont souvent complétées par une filière UV en sortie de traitement pour stériliser l'eau avant de la réutiliser. Ces réacteurs UV sont commercialisés par Wallace et Tiernan, Trojan, BIO-UV, Wedeco, RER ou encore Gruenbeck. Les UV sont aussi présents en eaux usées urbaines. Aux Pays-Bas, Delfland Waterboard vient récemment d’installer un système à rayons UV moyenne pression InLine 400+ Berson à sa station d’épuration des eaux usées Nieuw Waterweg à Hoek van Holland. Le système Berson, commercialisé en France par Abiotec, est utilisé pour la désinfection des effluents, qui sont ensuite réutilisés comme eau de service pour le nettoyage et la dilution.
De son côté, Trojan a équipé la station d’épuration « La China » à Madrid qui traite en technologie UV Moyenne Pression 4000+ 1 025 m³/h avec une désinfection très poussée de 10 Fecal Coliformes en sortie. Cette installation fut mise en place en 2001 et complétée par une autre sur le même site en 2004 avec une technologie UV Trojan basse pression 3000+ et traitant 500 m³/h pour la même désinfection. L’eau ainsi traitée est réutilisée pour irriguer les jardins publics de la capitale espagnole.
Indépendamment des applications de recyclage interne des eaux de process, les industriels peuvent également réutiliser, pour certains usages périphériques – alimentation des chaudières et tours de refroidissement, lavage des installations – des effluents municipaux traités.
L’état du marché
En Australie, les industriels de la zone industrielle de Kwinana qui affiche la plus forte concentration d'industries lourdes d’Australie Occidentale située à 40 km au sud de Perth utilisent désormais de l'eau recyclée.
[Encart : Financer une installation de recyclage des eaux usées en moins de deux ans Vivlo a réceptionné, début novembre 2006, une installation de recyclage des eaux usées d'une tréfilerie haut-savoyarde. La société abrite dans ses locaux un atelier de traitement de surface des métaux, composé d'un bain de décapage à l'acide chlorhydrique à 33 %, suivi d’une fonction de rinçage en rinçage cascade double avec finition par aspersion, la ligne se termine par un bain de chaulage. Les effluents de rinçage (pH 4,5, [Fer] = 1,1 g/l, [Cl] = 5,5 g/l) étaient stockés puis détruits en centre extérieur. Le procédé mis en place par Vivlo est une première en France. Il permet de traiter les effluents de rinçage directement dans l'évaporateur, sans prétraitement. En effet, les matériaux de construction de l'évaporateur permettent de concentrer l'acide et le fer d'un facteur 10 ([Fer] = 11 g/l, [Cl] = 55 g/l). L’apport d'énergie n’est pas réalisé de façon conventionnelle, le compresseur frigo chauffe un circuit d'eau chaude qui permet l'évaporation de l’eau à traiter. Autre avantage de l'installation, les déchets produits par l'évaporateur changent de catégorie : la concentration d'HCl et de fer forme du FeCl3 qui est revalorisé en réactifs de station d’épuration physico-chimique. Le distillat est recyclé dans le réseau d'alimentation des rinçages, le rapport de dilution de la fonction de rinçage est passé de 1 000 à 2 500, le nombre de rebut a chuté grâce à l'amélioration de ce rapport. Les économies réalisées sur les coûts d'exploitation (énergie, déchets) permettent de financer l'installation en moins de 1,5 ans.]dans leur process.
Depuis 2004, les eaux usées sont traitées par une technique de microfiltration par membranes immergées et d’osmose inverse mises en œuvre par Veolia Eau. La station de traitement fournit 16 700 m³/j, ce qui a permis de doubler la capacité de recyclage de l’Australie occidentale en passant de 3 % à 6 %.
L’objectif du pays est d’atteindre 20 % avant 2012. L’usine de recyclage de l'eau de Kwinawa participe à la réduction des rejets d’effluents issus de l’usine de dépollution des eaux usées de Woodman Point dans la zone de Cockburn Sound.
Depuis 2002, les traiteurs d'eau observent une hausse de la demande, avec l’Espagne, le Moyen-Orient, l’Australie. À chaque niveau de réutilisation correspond une motivation différente : la réutilisation pour l’irrigation est souvent motivée pour des questions d’économies par rapport au prix de l’eau.
La seconde concerne surtout les pays en stress hydrique des pays en développement où les techniques appliquées ne correspondent pas toujours aux mêmes critères de qualité qu’en Europe.
Enfin, les pays industrialisés souffrant de stress hydrique comme l’Australie, les États-Unis avec la Californie mettent en pratique ces solutions à des niveaux de qualité poussée.
Aujourd’hui, les sources traditionnelles d'eau représentent 95 % du volume utilisé dans le monde, ce qui correspond à 250 milliards m³.
La réutilisation des eaux usées correspond à 0,6 milliard pour 0,2 % du volume total, derrière le dessalement avec un peu plus de 2 milliards m³ avec 0,3 % du volume.