La maîtrise du devenir des mâchefers est l'un des enjeux majeurs pour l'avenir des unités d'incinération d'ordures ménagères. Les exploitants d'UIOM ont un rôle important à jouer dans la chaîne de gestion de ce sous-produit pour assurer autant que faire se peut une régularité de ses caractéristiques. Une étape de préparation-traitement-stockage est aujourd'hui nécessaire pour la valorisation des mâchefers. Elle doit être considérée comme une activité à part entière et être menée en étroite collaboration avec les futurs utilisateurs. Enfin, la pérennisation des débouchés passe par des recommandations spéciales " mâchefers " à prescrire par le Ministère de l'Equipement et par l'intégration de ces produits dans le cahier des charges des appels d'offres des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, les exploitants d’Usines d’Incinération d’Ordures Ménagères (UIOM) ne peuvent plus se contenter d’éliminer des ordures en produisant de l’énergie comme cela était encore le cas il y a une décennie. Ils doivent en effet entretenir une combustion de bonne qualité, veiller à la qualité des fumées, limiter, voire supprimer, les rejets liquides et si possible, produire des mâchefers aptes à être valorisés. Toutes ces contraintes sont évidemment dépendantes les unes des autres, et une amélioration de l’état de certains indicateurs peut se traduire par une dégradation de l’état de certains autres. Par exemple, un mâchefer issu d’un four effectuant une « trop bonne » combustion peut donner une mauvaise réponse à un test de lixiviation en sortie de four. Une des autres contraintes rencontrées par l’exploitant est la non-maîtrise du déchet au niveau de la collecte et de l’évolution de ses caractéristiques (influence de la collecte sélective, changement des produits) qui rend délicate la garantie d’un mâchefer directement valorisable en sortie d’usine.
Pour limiter les contraintes sur la qualité du mâchefer au niveau du four, une étape de préparation-traitement-stockage de ce sous-produit doit être insérée en aval de l’UIOM avant toute valorisation. Elle aura pour objet d’atteindre un ou plusieurs des objectifs suivants :
- - adapter les caractéristiques environnementales du produit aux seuils des textes officiels traitant de leur valorisation en technique routière (si cette voie est retenue),
- - adapter les caractéristiques du produit au cahier des charges des utilisateurs (caractéristiques géotechniques, pureté, …),
- - assurer l’adéquation entre une production au fil de l’eau et une utilisation beaucoup moins régulière (par constitution de stocks).
Ces conditions nous ont conduits à exploiter, dans les nombreuses unités où nous intervenons, toutes les voies permettant d’améliorer la gestion des mâchefers tout en réduisant la charge de ce poste.
Le rôle de l’exploitant
L’exploitant, s’il ne peut pas toujours maîtriser la qualité de ses mâchefers, doit tenter d’assurer la régularité de ses caractéristiques. Ainsi, il facilitera le travail de la plate-forme de préparation, il limitera la fréquence des analyses auxquelles il sera soumis et augmentera les possibilités de réutilisation. Pour ce faire, il doit mettre en place un plan qualité, lequel, outre le fait qu’il doit définir les conditions de production du mâchefer, doit présenter de manière détaillée ses procédures d’échantillonnage et d’analyse.
La constitution de l’échantillon à analy-
* Cet article reprend les termes d’une conférence présentée au cours du colloque organisé à Lyon par l’association AMORCE le 11 janvier 1995 sur le thème « mâchefers d'incinération » par les auteurs qui représentaient Cylergie (centre de recherche du pôle Elyo du groupe Lyonnaise des Eaux) et Novergie.
ser est une étape qui doit requérir une attention particulière. Elle conditionne en effet la qualité et la représentativité du résultat des tests. Cette partie a fait l'objet de plusieurs études de notre part et un groupe de travail du SVDU (Syndicat national du traitement et de la Valorisation des Déchets Urbains et industriels) vient de proposer au Ministère de l'Environnement un guide méthodologique rassemblant le savoir-faire de ses membres dans ce domaine.
La préparation des mâchefers
Ces opérations ont surtout pour objet de calibrer les mâchefers. Pour être utilisé en techniques routières par exemple, il doit présenter une granularité voisine de celle des matériaux naturels auxquels il se substitue (0-20 mm à 0-40 mm environ).
Mais la préparation permet également d’améliorer certaines caractéristiques physico-chimiques des mâchefers et peut parfois générer des rentrées financières par la revente de certaines fractions destinées à une valorisation matière.
Une chaîne classique est constituée d’un précriblage qui extrait les monstres, d'un déferraillage, d'un criblage fin. Une étape de récupération des métaux non ferreux par machine à courants de Foucault (MCF) peut également être introduite dans la chaîne, si elle se justifie économiquement.
Une partie au moins de cette préparation peut être réalisée directement en sortie de four : c’est souvent le cas pour le déferraillage ou pour le criblage grossier, cela pourrait également être envisagé pour les MCF. Cependant, pour obtenir une qualité optimale des sous-produits, il faudra la plupart du temps répéter ces opérations sur la plate-forme de préparation.
Ces opérations génèrent des refus qui peuvent, soit être réintroduits dans la chaîne après concassage si leur nature le permet (bloc minéral plus ou moins vitrifié) ou dans le four (gros imbrûlés), soit être éliminés en CET.
Il sera donc toujours nécessaire de disposer d’un site d’élimination.
La maturation
L’étude de l’évolution à court terme de stocks de mâchefers (pendant quelques mois) et des caractérisations de stocks plus anciens (pendant quelques années) nous ont permis d’établir les constatations qui suivent.
La maturation des mâchefers est le résultat de leur stockage dans des conditions appropriées, c’est-à-dire en présence d’oxygène et de dioxyde de carbone, à une humidité et une température suffisantes. La cinétique des réactions est bien entendu réglée par ces conditions opératoires. Les réactions sont plus rapides les premiers mois.
Le stockage améliore de façon sensible les caractéristiques environnementales des mâchefers à l'exception notable de leur teneur en sulfates.
En fonction de la qualité des mâchefers telle qu’elle existe en début d’opération, la durée de stockage nécessaire peut s’étendre de quelques semaines à un an.
Au titre des paramètres pris en compte par les projets de réglementation, on observe :
- une baisse importante du COT,
- une baisse légère de la fraction soluble provoquée par la recombinaison de certaines espèces solubles, une baisse plus importante pouvant résulter d’un lavage des mâchefers avec les eaux météoriques (dans ce cas, les eaux doivent subir un traitement avant rejet),
- une baisse du plomb qui est liée à la baisse du pH (en dessous de pH 10 le plomb est souvent indétecté dans les lixiviats par les méthodes classiques d’analyse),
- une augmentation des sulfates, mais les valeurs de départ étant souvent faibles, on peut penser que pour ce paramètre on restera la plupart du temps en dessous du seuil réglementaire (la figure 5 explicite les équilibres de solubilisation du calcium dans les mâchefers).
Les chlorures, qui constituent l’un des composants essentiels de la fraction soluble, n’évoluent pratiquement pas s’ils ne sont pas soumis à un lessivage.
Lors du suivi de stocks, on a constaté d’autre part que les imbrûlés, mesurés par une perte au feu à 500 °C, augmentent au fil du temps, ce qui n’est pas réaliste. Ce point est d’autant plus important, qu’ils peuvent représenter plus de 5 % du total en fin de stockage : il faut alors tenir compte du fait que la méthode utilisée pour cette mesure (perte au feu) prend en compte, outre les imbrûlés, d’autres éléments dont la teneur augmente au fil du temps.
Les propriétés mécaniques des mâchefers ne sont généralement pas modifiées.
Par la maturation, sauf quand celle-ci s’accompagne d’une prise hydraulique du stock. Ce phénomène doit donc être évité à ce stade des opérations.
Le stockage
On peut définir comme suit les conditions de stockage à respecter pour améliorer les caractéristiques des mâchefers :
- • durée du stockage à adapter aux caractéristiques initiales (minimum trois mois), la surface du site sera donc également dépendante du type de valorisation : la plate-forme devra si possible être dimensionnée pour accueillir la totalité de la production annuelle prévue ;
- • stockage étudié de façon à limiter les entrées d’eau, donc la percolation, pour améliorer autant que possible la siccité ; d’autre part il devra être réalisé dans un volume tel qu’il permette le renouvellement de l’air afin d’éviter l’accumulation de gaz indésirables (avec choix de la géométrie adaptée).
Tableau I
Spécificités | Mâchefers avant traitement | Mâchefers après traitement |
---|---|---|
Essais mécaniques | ||
densité sèche | 1,82 | |
W optimum Proctor (%) | 13 | |
Rt 90 (MPa) | 0,83 | |
IPI | 80 | |
Test de lixiviation | ||
fraction soluble (%) | 2,23 | 0,55 |
chlorures (mg/kg) | 2 122 | 1 306 |
sulfates (mg/kg) | 11 809 | 1 410 |
COT (mg/kg) | 200 | 117 |
plomb (mg/kg) | > 0,3 | < 0,3 |
cadmium (mg/kg) | < 0,03 | < 0,03 |
arsenic (mg/kg) | < 0,15 | < 0,15 |
chrome VI+ (mg/kg) | < 0,15 | < 0,15 |
mercure (mg/kg) | 0,015 | 0,012 |
Les utilisations en techniques routières
Les différentes utilisations des mâchefers en techniques routières, décrites dans la circulaire du Ministère de l’Environnement du 9 mai 1994, sont reprises sur la figure 6 en fonction de leur mode de mise en œuvre.
Compte tenu de l’obligation faite au producteur de suivre le cheminement de ses mâchefers jusqu’à leur destination finale et de consigner la liste des sites où ils auront été utilisés, il paraît plus indiqué de n’utiliser ce matériau que dans les chantiers importants.
Dans le cadre de ces techniques, les préparateurs de matériaux sont les seuls actuellement à pouvoir définir les conditions d’utilisation des mâchefers en fonction des formulations. Un entrepreneur désirant utiliser des MIOM ne dispose encore que très rarement de spécifications techniques d’utilisation émanant des maîtres d’ouvrages ou des autorités administratives. Il apparaît donc urgent que de tels documents soient conçus afin que les utilisateurs puissent intégrer les variantes à base de MIOM dans leurs propositions, au même titre que les solutions traditionnelles.
Traitement aux liants hydrauliques
Les utilisations hors remblai nécessitent généralement l’amélioration des caractéristiques géotechniques des mâchefers. Un traitement aux liants hydrauliques constitue alors une solution intéressante : outre le fait qu’il confère au matériau l’intégrité de structure recherchée, il améliore encore ses performances environnementales, car cette opération peut permettre de piéger certains polluants que la maturation n’aurait pas stabilisés.
Chaque type d’utilisation requiert des réponses différentes et spécifiques. Les solutions à base de liants hydrauliques pour réaliser les couches de forme ou de fondation sont actuellement bien maîtrisées avec un prix de revient qui les rend compétitives dans certaines régions vis-à-vis des solutions utilisant des matériaux naturels. Des solutions existent également pour les utilisations en couches de base mais elles sont généralement trop onéreuses pour être retenues.
Les recherches menées en collaboration entre Cylergie et Paridu Letourneur*, ont
* Filiale francilienne de l’Entreprise Jean Lefebvre.
débouché sur la mise au point de formulations concernant différents mâchefers, conduisant à la mise au point d’un nouveau matériau dénommé Scorcim (SCORie CIMent). Quelques performances obtenues sur deux mâchefers sont regroupées dans le tableau I.
Le Scorcim peut être notamment utilisé en couche de forme, ce qui permet d’adapter les caractéristiques du terrain naturel ou du remblai à la fonction de support de chaussée. L’amélioration obtenue permet de réduire l’épaisseur des couches supérieures et donc d’économiser des matériaux nobles.
Il est nécessaire de signaler que chaque mâchefer ayant ses spécificités, l’étude des formulations doit être adaptée à chaque cas.
Conclusion
L’exploitant d’UIOM, s’il peut maîtriser les principaux objectifs qui lui sont assignés : qualité de l’incinération, nature et volume des rejets liquides et solides, ne peut pas toujours intégrer dans son procédé les contraintes extérieures correspondant aux modes de valorisation des mâchefers.
Pour pérenniser les débouchés qui commencent à se faire jour, il paraît donc indispensable d’envisager les opérations de préparation-traitement-stockage comme une activité à part entière. Si la place le permet, ce type d’installation peut être implanté sur le site de l’UIOM, mais il peut également faire l’objet d’une installation spécifique commune par exemple à plusieurs UIOM. Une collaboration étroite entre les producteurs de mâchefers et les préparateurs de matériaux doit prévaloir à la mise en place de ces centres.
Mais pour que ce mâchefer préparé soit ensuite utilisé à grande échelle, il paraît indispensable que le Ministère de l’Équipement et les collectivités territoriales intègrent les solutions à base de mâchefers dans leurs documents techniques.
BIBLIOGRAPHIE
[1] “Application de la théorie d’échantillonnage au prélèvement de mâchefer”, C. Hugrel, B. Morvan, C. Pascual, périodique TSM N° 94-5, pp. 281-287, mai 94.
[2] “Étude de l’évolution des propriétés physico-chimiques et mécaniques d’un stock de mâchefer”, C. Pascual, B. Boos, O. Troesch, R. Beaurez, M. Hermann, périodique Environnement & technique info déchets, N°140, pp. 86-88, 90-92, oct. 94.
[3] “Étude de la caractérisation d’un stock de mâchefer d’incinération d’ordures ménagères”, C. Pascual, J. Ollivier, J. Sperber, 29 avril 94, Forum Labo, Paris, session analyse des sols pollués et des déchets.
[4] “Des exemples de traitement et de valorisation des MIOM face à la nouvelle réglementation”, C. Jozon, O. Troesch, 18-20 octobre 94, Lyon, Pollutec, symposium international sur les traitements des déchets.