De 1973 à 1982, l'implantation des pompes à chaleur eau/eau sur le marché français a connu une croissance quasi exponentielle. On en comptait moins de 2 000 installées en 1978 ; ce nombre a dépassé 8 000 en 1980 pour approcher les 25 000 en 1982.
Cependant, on constate qu’à part quelques cas particuliers, où la pompe à chaleur est d’ailleurs souvent associée à une géothermie, ces installations sont toutes destinées au chauffage d’immeubles ou d’ensemble d'immeubles d'importance assez limitée (200-300 logements au plus).
Partant de cette constatation, on se propose d’examiner différents facteurs techniques et économiques pouvant intervenir de manière importante dans la conception d’un montage de pompe à chaleur de grande puissance en tête de réseau de chauffage urbain. Y a-t-il une incompatibilité entre ce producteur et cet utilisateur de chaleur ? Le facteur d’échelle est-il favorable dans ce cas ?
LES FACTEURS TECHNIQUES À CONSIDÉRER
Les contraintes spécifiques au réseau de chaleur : la source chaude
Dans l'optique d'implantation d'une pompe à chaleur, s'il est relativement simple, et souvent préférable, de séparer complètement le circuit de chauffage du circuit d’eau chaude sanitaire au niveau d’une chaufferie d'immeuble, cette séparation devient plus problématique au niveau d’un réseau de chauffage urbain.
Dans certains cas rares de création de réseau neuf, où la densité de logements par mètre de réseau est particulièrement importante, une telle installation est encore concevable ; mais dans la totalité des autres cas, un même réseau distribue la chaleur à la fois pour le chauffage et pour la production d’eau chaude sanitaire.
Il en découle une conséquence immédiate : il existe un seuil minimal de température de départ du réseau qu'il faut nécessairement respecter. En effet, afin de satisfaire des besoins en eau chaude sanitaire à 55 °C appelés en sous-station, compte tenu des pertes thermiques sur le réseau et de la différence de température nécessaire au transfert de chaleur du réseau à l'utilisateur final, il faut fréquemment produire cette chaleur à une température minimale de 65-70 °C au départ du réseau. La pompe à chaleur doit pouvoir fournir de l’énergie à une température au moins égale à ce seuil minimal.
Il est évident que la pompe à chaleur n’a pas sa place sur des réseaux de chaleur de type vapeur ou eau surchauffée pour lesquels le seuil minimal de température de départ excède fréquemment 90 °C.
Le débit d'eau circulant dans le réseau de chauffage urbain est essentiellement variable. La simulation sur l’exemple d’un réseau donne des résultats significatifs. Le débit peut varier dans ce cas d'un rapport de 1 à 5 ; il existe donc une possibilité non négligeable d'optimisation du dimensionnement du condenseur de la pompe à chaleur.
La source froide
Sa nature :
la source froide peut être d’origines diverses : eau de fleuve, eau de mer ou de lac, eau de rejet des usines d’épuration d’eaux usées, eau de nappe souterraine, etc. Il convient de bien connaître sa composition physico-chimique afin de se prémunir contre tout risque de corrosion ou de colmatage lors de l’exploitation.
Son débit :
avec un coefficient amplificateur de 1,4 défini comme étant le rapport de l’énergie calorifique transmise au réseau par la pompe à chaleur sur l’énergie que celle-ci prélève de la source froide, on peut calculer le débit nécessaire à l'alimentation d'une pompe à chaleur de 5 MW de production et de
celle de 10 MW. En supposant que la source froide est de l’eau disponible à 12 °C qu’on refroidit jusqu’à 6 °C, il faut alors un débit de 692 m³/heure dans le premier cas, et de 1384 m³/heure dans le second. Ce calcul rapide donne un ordre de grandeur du débit nécessaire à l’alimentation d’une pompe à chaleur de cette taille. Il est donc important de s’assurer qu’on dispose toujours du débit escompté.
Sa température :
ce facteur est particulièrement important car il intervient directement dans le « coefficient de performance » de la pompe à chaleur, lequel est défini comme le rapport de l’énergie transmise au réseau sur l'énergie mécanique fournie à la machine, rapport d’autant plus avantageux que la différence de température source chaude/source froide est faible. On a donc intérêt à disposer d’une source froide la plus chaude possible. Une différence de 2 °C peut améliorer la performance de 5 %.
Son environnement :
vu l’importance du prélèvement d’eau, on ne peut négliger les conséquences de son rejet après épuisement d’une partie de sa capacité thermique. Une pompe à chaleur de 10 MW, pour 4000 heures de fonctionnement par an, peut rejeter 5,5 millions de m³ d’eau froide à 6 °C. Dans de tels projets, il est nécessaire de résoudre entièrement cette question.
Le système thermodynamique
Afin de transférer la chaleur de la source froide à la source chaude, nous avons besoin d’un cycle thermodynamique intermédiaire dont le principe est décrit ci-après (figures 2 et 3) :
Le fluide frigorigène, sous forme de mélange liquide/vapeur, pénètre dans l’évaporateur (4). Par l’intermédiaire de la surface d’échange, l’eau de la source froide lui cède de la chaleur, l’évapore et le surchauffe. Issu de l’évaporateur (1), le fluide gazeux est aspiré par le compresseur qui le comprime et le refoule dans le condenseur (2), dans lequel il se condense en cédant sa chaleur latente à la source chaude. C’est sous forme d’un liquide refroidi qu’il sort du condenseur (3) et se détend avant de pénétrer dans l’évaporateur (4).
Ce bref rappel du principe de fonctionnement d’une pompe à chaleur permet de mettre en évidence que la plupart du temps nous devons transférer de la chaleur d’un niveau de température relativement bas (1 °C) à un niveau nettement plus élevé (75 °C), exception faite des cas où nous disposons de ressources géothermiques (30 °C) ou d’effluents thermiques plus chauds. Cet écart de température important exige un taux de compression élevé, abaissant ainsi le coefficient de performance de la pompe à chaleur par suite du mauvais rendement du compresseur. Cette conception enlève tout intérêt économique au système.
Cet obstacle ne ferme pas pour autant la porte du marché du chauffage urbain aux pompes à chaleur, mais il incombe désormais à tout concepteur d’optimiser le système thermodynamique afin de ramener sa performance à un niveau compétitif. Les calculs énergétiques semblent confirmer qu’un système bi-étagé de pompe à chaleur donne des résultats tout à fait prometteurs pour cette application particulière (figures 4 et 5).
Dans ce cas, le rôle du concepteur ne doit plus se limiter à un choix de pompes à chaleur existant sur le marché et de les combiner en un système répondant aux.
contraintes du site au risque de condamner l'opération par suite de sa mauvaise rentabilité. Au contraire, en fonction des caractéristiques de la source chaude et de la source froide, il devrait chercher à optimiser l'installation. Cette recherche, relativement difficile, s'avère souvent très rentable ; on pourrait ainsi réduire la consommation énergétique (jusqu'à 10 %) en optimisant le système thermodynamique.
APPROCHE ÉCONOMIQUE
Le coût énergétique
C'est de loin le facteur le plus important. C’est le différentiel de coût entre l'énergie utile produite par le combustible à substituer et celle produite par la pompe à chaleur qui permet de dégager une économie suffisante ou non pour justifier l'investissement initial. Deux cas peuvent se présenter :
- ou bien il n’existe pas de réseau de chauffage urbain sur le site, on a alors l'avantage de disposer d'un différentiel important dû à l'utilisation du fioul domestique ou de chaudières à gaz peu performantes, mais avec l’inconvénient de la création d’un réseau. Le coût actuel du fioul domestique semble permettre l'investissement dans la plupart des cas, alors que celui du gaz naturel rend l'opération très difficile ;
- ou bien le réseau de chauffage urbain existe et on aura à y rechercher une énergie de remplacement très peu onéreuse. Il n'est évidemment pas envisageable d’y substituer le charbon et encore moins les ordures ménagères, mais la relève de chaudières consommant du gaz naturel ou du fioul lourd est tout à fait possible.
Le tableau 1 rassemble quelques ordres de grandeur du coût de l'énergie.
TABLEAU 1
Combustible | Coût unitaire F HT/MWh utile |
---|---|
Fioul domestique | 280 |
Gaz (décentralisé) | 235 |
Fioul lourd n° 2 | 195 |
Gaz (centralisé) | 177 en été - 210 en hiver |
Charbon | 120 |
Électricité avec pompe à chaleur (tarif EJP — moyenne tension) | 39 en été - 87 en hiver * |
(*) À ce coût hors taxe, il convient d'ajouter les taxes locales imposables à l'utilisation de l'électricité à des fins de chauffage. Ces taxes varient entre 0 et 16,5 F/MWh utile.
La taille de la pompe à chaleur
Ce paramètre intervient directement aussi bien dans le calcul de la couverture des besoins par pompe à chaleur, donc de l'économie réalisable, que dans l'investissement initial. Il convient alors de calculer au plus près cette couverture dont le résultat n’est pas intuitif et dépend fortement du réseau, c’est-à-dire de ses lois de variation des températures aller/retour, de débit, de puissance et des fréquences de températures extérieures de la région. Cette couverture n’est évidemment pas une fonction linéaire de la puissance installée. La figure 6 montre sa variation dans le cas d’un réseau de chauffage urbain dans le nord de la France. C’est un paramètre qu’il est intéressant d’optimiser dans tous les cas. Dans cet ensemble, on constate qu'il est absolument inutile de s'équiper d'une pompe à chaleur de puissance supérieure à 60 % de la puissance du réseau.
CONCLUSION
Cet article n’a pas l'ambition d’expliciter tous les facteurs techniques et économiques importants, mais seulement de dégager ceux qui sont spécifiques au mariage pompe à chaleur/réseau de chauffage urbain.
On constate que les lois de variation de débit et de température de la source chaude sont différentes de celles qui s’appliquent à des systèmes de chauffage d’immeubles de taille plus réduite. En conséquence, on ne peut extrapoler les résultats de calcul de rentabilité valables pour les immeubles au cas d'un réseau de chaleur. De ce point de vue, le facteur d’échelle apporte ici une contrainte assez pénalisante.
Cependant, le couplage pompe à chaleur/réseau de chauffage urbain reste envisageable dans plusieurs circonstances. En effet, l’importance de ce type d’opération permet toujours une étude plus poussée et on constate qu’il y a souvent des possibilités sérieuses d’optimiser l’installation, aussi bien au niveau technique qu’économique, et de rendre ainsi l'opération économiquement rentable.
BIBLIOGRAPHIE
- - Mc Mullan (J.T.), Morgan (R.). — Heat pumps — Bristol, Adam Hilger Ltd, 1981.
- — L'eau et les pompes à chaleur — T.S.M. — Octobre 1984 — Sailly, Margat, Chanteur, Lafon, Portnoi.
- — Documents techniques de constructeurs de pompes à chaleur.