C'est malheureusement une évidence : la quasi-totalité des procédés d'épuration, qu'ils soient biologiques ou physico-chimiques, conduisent à la concentration des polluants sous la forme de suspensions aqueuses ou boues.
Le problème des boues constitue une phase de la lutte contre la pollution qui s'avère difficile, un casse-tête pour l'épurateur, pour des raisons multiples : raréfaction des terrains disponibles pour l'épandage et le dépôt, nécessités et exigences de l'environnement et de l'hygiène publique, etc.
Par ailleurs, il y a l'importance économique de ce problème, qui s'illustre par le fait que le coût, tant en investissement qu'en exploitation, représente de 30 à 60 % de l'ensemble du traitement des eaux.
Le traitement et l'élimination des boues résiduaires comportent classiquement plusieurs étapes :
- — l'épaississement, par voie gravitaire ou mécanique, qui, partant d'une boue liquide telle qu'on peut la soutirer à la purge d'un décanteur, permet d'obtenir une boue liquide ou semi-liquide beaucoup plus concentrée, de volume nettement moindre ;
- — la stabilisation biologique ou chimique qui permet soit de détruire partiellement les matières organiques fermentescibles, soit de freiner l'évolution biologique des boues ;
- — le conditionnement chimique ou thermique destiné à faciliter l'étape ultérieure de déshydratation ;
- — la déshydratation ayant pour objet d'obtenir un résidu pelletable et de moindre volume à partir de boues liquides épaissies ;
- — l'élimination finale consistant à se débarrasser définitivement du déchet, si possible en le valorisant.
Au niveau de chacune de ces étapes, il existe, comme le montre le schéma ci-contre, de nombreuses options si bien qu'il existe un nombre important de filières théoriquement utilisables pour résoudre un problème donné.
Il n'entre pas dans notre propos d'étudier ici en détail les technologies de traitements qui ont été mises au point au cours de ces vingt dernières années et qui sont maintenant bien opérationnelles.
Dans le cadre de cet exposé, nous nous attacherons essentiellement à montrer quelles sont les méthodes d'étude qui pourront être utilisées pour choisir de façon rationnelle la meilleure voie de résolution du problème posé compte tenu :
- — de l'impact sur l'environnement des différentes solutions de traitement envisageables en fonction des propriétés intrinsèques des boues résiduaires,
- — de considérations technico-économiques : coûts et performances des diverses techniques de traitement ; conditions locales pour l'élimination finale des boues (espaces disponibles, aspects sanitaires).
Pour pouvoir résoudre convenablement et rationnellement un problème de boues, il est essentiel de savoir :
- — caractériser le résidu,
- — choisir une filière de traitement selon le type de boue et la destination finale possible.
II. — CARACTÉRISATION ET CLASSIFICATION DES BOUES RÉSIDUAIRES (1)
Pour les différentes provenances possibles des boues d'épuration d'eaux, deux grands réseaux peuvent être retenus :
- — le réseau urbain, avec la production de boues résiduaires urbaines et de boues d'eaux d'adduction ou d'eaux potables,
- — le réseau industriel, avec production de boues d'eaux d'appoint et de ses eaux résiduaires.
La variabilité des boues résiduaires urbaines et industrielles est telle que non seulement les boues issues de diverses branches diffèrent profondément, mais que l'on constate également des disparités très fortes entre boues résiduaires d'établissements industriels apparemment analogues quant à la nature de leur production (influence de la nature des matières premières, du mode de travail, de la conception même des machines et des circuits d'eau).
Ces considérations justifient la nécessité d'une caractérisation précise des boues résiduaires en vue de définir leur filière de traitement et de choisir leur solution d'élimination finale en comparant l'impact sur le milieu des différentes solutions possibles, et ceci en fonction des propriétés intrinsèques des déchets.
II.1. — CARACTÉRISATION PHYSIQUE ET CHIMIQUE GÉNÉRALE DES BOUES (2)
Il s'agit de caractéristiques générales relatives à chacune des deux phases constitutives, qui s'avèrent être d'utiles points de repère.
II.1.1. — Caractéristiques de la phase solide :
- — concentration en matières sèches de la boue obtenue par séchage à 105 °C d'un échantillon de boue ensuite pesé ;
- — teneur en matières volatiles (M.V.) se détermine par calcination à 600 °C d'un échantillon de boue préalablement séché à 105 °C ;
- — teneur en matières minérales (M.M.) se calcule à partir de la précédente : M.M. (en %) = 100 – M.V. ;
- — composition élémentaire pondérale. Sa détermination est longue et délicate, aussi on se contente généralement de quelques analyses en fonction du but recherché (par ex. : valorisation agricole), notamment la recherche d'éléments intéressants (carbone, azote et phosphore), ou gênants (éléments métalliques potentiellement toxiques, substances organiques comme pesticides, détergents) ;
- — état de surface de la matière solide caractérisé par la mesure du potentiel Zêta.
II.1.2. — Caractéristiques de la phase liquide :
La composition du liquide interstitiel peut influer grandement sur le comportement de la boue (stabilité) tout en entrant en ligne de compte dans l'évaluation des risques potentiels présentés en cas de mise en décharge ou d'épandage des boues (pollution des eaux souterraines).
Il est donc intéressant de mesurer :
- — le pH, la salinité et l'alcalinité ;
- — la teneur en acides volatiles (composés intermédiaires d'une dégradation anaérobie des matières organiques) ;
- — les DBO5 et DCO, grandeurs permettant l'appréciation de la pollution organique ;
- — et certains composés comme par exemple les sulfures (indice d'un milieu réducteur).
II.2. — CARACTÉRISATION DE L'ÉTAT PHYSIQUE DES BOUES
Nous considérerons ici les propriétés mécaniques des boues à l'état plus ou moins concentré et plus précisément leur consistance.
Un certain nombre de notions sont utilisables a priori pour décrire l'état physique d'une boue lorsqu'on veut assurer sa manutention. Il s'agit de :
- — liquidité,
- — plasticité (aptitude à la compaction),
- — friabilité,
- — adhérence,
- — comportement sous agitation, etc.
Des travaux récents du service de recherche de l'I.R.H. ont permis de définir des tests de caractérisation spécifique permettant de ranger une boue déterminée parmi trois états physiques conventionnels : liquide, plastique, solide avec retrait (friable).
Nous avons résumé dans le tableau précédent les relations qui existent entre les grandeurs caractéristiques de chacun des états physiques et le comportement des boues lors de leur manutention.
II.3. — CARACTÉRISATION STRUCTURELLE DES BOUES. CLASSIFICATION GÉNÉRALE :
Il apparaît que l'aptitude plus ou moins grande à la déshydratation est définie par la structure même des boues, dans la mesure où les particules élémentaires qui les constituent possèdent une capacité d'absorption de l’eau très variable, fonction de leur nature et de leur composition physico-chimique.
On peut évaluer les forces de liaison de l’eau avec les particules par des études thermogravimétriques.
L'établissement de thermogrammes (figures ci-après) sur les boues permet d'estimer les qualités d’eau qu’elles soutiennent, en particulier :
● l'eau libre : quantité d'eau éliminable à vitesse constante de séchage (SL étant la siccité de la boue après la perte de cette eau), ● et l'eau liée : quantité d'eau restant dans la boue au premier point critique SL.
Perte de poids Vitesse d’évaporation < 1er point critique Temps Siccité (SL)
Il s’avère que l'aptitude à la déshydratation est d’autant plus difficile que le caractère hydrophile de la boue est plus marqué et, plus précisément, que l'eau liée par rapport à la matière sèche et l'énergie de liaison relative de l'eau absorbée sur les particules sont plus importantes.
Le tableau suivant fournit une classification générale des différentes boues, avec comme critères principaux de classement :
● le comportement en déshydratation en relation avec la présence plus ou moins importante d'une fraction colloïdale hydrophile (capacité de fixation de l'eau) ; ● la composition chimique des boues (taux de matières organique et minérale, présence d'huiles, etc.) ; ● la nature de la rétention de l’eau dans les boues (taux d'eau libre et d’eau liée).
III. — MÉTHODOLOGIE D'ÉTUDES UTILISÉE POUR L'ÉVALUATION DES CARACTÉRISTIQUES DES BOUES EN RAPPORT AVEC LEUR TRAITABILITÉ
Nous décrirons ci-après sommairement les différentes méthodes permettant, par une approche expérimentale de laboratoire ou semi-industrielle, de calculer les paramètres fondamentaux de dimensionnement et d'évaluer les performances susceptibles d'être obtenues à l'échelle industrielle.
III.1. — ÉPAISSISSEMENT DES BOUES (3) :
III.1.1. — Détermination des grandeurs caractéristiques de l’aptitude des boues à l’épaississement gravitaire :
Nous rappellerons que la quasi-totalité des boues, par suite de leur concentration élevée en matières solides, donne lieu à une sédimentation freinée caractérisée par la formation rapide d'un interface net entre le liquide clarifié et la phase boueuse.
L’utilisation d’un dispositif expérimental très simple : cylindre rempli par le bas, de 1 m de hauteur et d’au moins 20 cm de diamètre, permet de tracer la courbe de décantation statique h = f(t) (hauteur de l’interface en fonction du temps).
Conformément à la théorie de Kynch, on en déduit la courbe Vi = f(Ci) donnant les vitesses de l’interface Vi en fonction de la concentration Ci de la boue (Vi = pente des tangentes à la courbe h = f(t)).
La grandeur essentielle qui conditionne le dimensionnement de l’épaississeur est le flux de solides (par unité de section) qui est donné à chaque instant en décantation statique par Fs = Ci · Vi.
La courbe Fs = f(Ci) nous renseigne sur les charges matières (en kg MS/m²·j) admissibles à l’entrée de l’épaississeur en fonction des concentrations désirées de la boue épaisse.
Ci, concentration de la boue à l’interface, est donnée par :
Ho · Co Ci = ──────────── hi
avec Co : concentration initiale de la boue Ho : hauteur initiale de la boue à épaissir dans la colonne.
DECANTATION STATIQUE VITESSE DE DÉCANTATION FLUX STATIQUE h(t) = … Vi(t) = … Fs = Ci · Vi
III.1.2. — Aptitude des boues à l’épaississement par flottation :
Pour étudier les possibilités de flottation on peut avoir recours, dans un premier stade, à un test de laboratoire (le flottatest), effectué en discontinu par pressurisation-détente, afin de savoir si la phase solide est flottable et, au besoin, de déterminer la nature et les doses de réactifs nécessaires pour agglomérer les particules dont la taille ne permet généralement pas l’accrochage des bulles d'air.
L’étude de l’ouvrage de flottation est complétée par des essais en installation-pilote opérant sur le même principe que les installations industrielles.
L’expérimentation permettra la détermination précise des paramètres opérationnels (charge hydraulique, taux de recyclage, etc.) et des performances d’épaississement pouvant être obtenues à l’échelle industrielle dans des conditions de fonctionnement bien définies.
III.2. — STABILISATION DES BOUES BIOLOGIQUES :
La notion de stabilisation réside essentiellement dans l'élimination ou la destruction accélérée et contrôlée d’une partie des matières organiques, en tout cas des matières à évolution bactérienne rapide, de façon à obtenir un reliquat stabilisé, humus à vitesse de décomposition lente sans émissions odorantes désagréables.
— Pour procéder au dimensionnement des installations industrielles de digestion il est évidemment indispensable d'avoir recours à une expérimentation en pilote, qui seule permettra une évaluation précise des performances en fonction de la charge appliquée (en kg MV/m³.j).
II.3. — DÉSHYDRATATION MÉCANIQUE DES BOUES PAR FILTRATION (4-5) :
II.3.1. — Évaluation des paramètres répondant au comportement de la boue en filtration :
La plus ou moins grande aptitude à la filtration d'une boue est caractérisée essentiellement par deux grandeurs :
- la résistance spécifique à la filtration (α)
- le coefficient de compressibilité du gâteau de filtration (s).
Ces critères sont définis par la théorie de Carman, à partir de l’équation générale de la filtration dont l'intégration à pression constante conduit à la relation :
\[ \frac{t}{V} = K + \frac{α C \eta h}{2 \Delta P S^2} V \]
où S = surface filtrante, ΔP = pression différentielle de filtration, η = viscosité du filtrat, C = teneur en MS de la boue avant filtration.
On peut facilement les déterminer à l'échelle du laboratoire par des mesures de volume de filtrat (V), à intervalles de temps définis ce qui permet de tracer la droite :
\[ \frac{t}{V} = f(V) \]
dont la pente b permet le calcul de :
\[ α = \frac{2 b \Delta P S^2}{\eta C} \]
α s'exprime selon le système d'unités en S²/g, cm/g, m/kg.
Des mesures de α à plusieurs pressions permettent de représenter graphiquement la relation α = α₀ P^s sur papier bilogarithmique.
On obtient une droite dont la pente est égale à s.
On considère généralement en pratique, pour des boues de 3 à 5 % de matières sèches, qu'il est nécessaire d'atteindre des valeurs de résistance spécifique à la filtration :
\[ α < 10^{12} \]
m/kg (sous 0,5 bar) pour que les boues soient filtrables par un filtre à tambour rotatif industriel (capacité de filtration > 10 kg MS/m².h).
\[ α < 10^{11} \]
m/kg (sous 7 bar) pour justifier une filtration sous pression à l'échelle industrielle (productivité > 1,5 kg MS/m².h).
Par ailleurs, on admet que les boues dont les coefficients de compressibilité sont < 0,7 peuvent être essorées avec succès par filtration sous pression.
II.3.2. — Recherche d'un conditionnement approprié en vue de l'amélioration de l'aptitude à la filtration :
Les essais de floculation du type jar-test sont insuffisants pour définir le système de conditionnement chimique le plus approprié, car il faut se garder de croire qu'une excellente floculation assure forcément une bonne rentabilité de la boue.
Pour permettre la sélection des meilleurs adjuvants de conditionnement (surtout pour les réactifs polymériques) ou définir les meilleures conditions d'autoclavage (température, durée de cuisson), on pourra utiliser avec succès le test de filtrabilité par succion capillaire (mise en œuvre de l'appareil Triton Electronics). Ce test très rapide permet, en conditionnant la boue avec une large gamme de floculants, d'établir des courbes traduisant l'abaissement du temps de succion capillaire en fonction d’un ajout croissant de réactifs, dont la comparaison rend très aisé le choix du floculant le plus efficace.
II.3.3. — Évaluation de l’amélioration des performances de filtration. Dimensionnement des appareillages de filtration (6-7) :
Afin d’optimiser le conditionnement défini préalablement (c’est-à-dire les dosages à appliquer) et évaluer l’amélioration des performances de filtration (c’est-à-dire de la production des filtres), on aura recours obligatoirement aux essais de filtration de laboratoire pour déterminer les paramètres de filtrabilité qui permettront de suivre l’évolution de l’état colloïdal de la boue déstabilisée dans des conditions bien définies.
À partir des valeurs de résistance spécifique (α) et de compressibilité (s) déterminées à l’échelle du laboratoire, on pourra calculer le temps de pressage (filtre sous pression) et la capacité de filtration (filtre sous vide) par des expressions déduites par intégration de l’équation de Carman.
Filtration sous pression : Temps de pressage (minutes) :
\[ t_p = k \cdot 2{,}125 \times 10^4 \cdot \frac{α \eta^2 e}{P^2 C} \left[ \frac{s}{s+1}\left(1-\frac{1}{d}\right) + \frac{100^s - 2^s}{4} \right] \]
tp = temps de filtration effectif (minutes), P = pression de filtration (kg/cm²), e = épaisseur du gâteau (cm), s = compressibilité du gâteau, η = viscosité du filtrat (centipoise), d = densité de la matière solide (g/cm³), C = teneur en matière sèche de la boue (g/l), Sg = siccité du gâteau que l'on cherche à obtenir (%), k = 1,5, facteur de correction tenant compte de phénomènes difficilement chiffrables, dus au colmatage des toiles, etc.
Filtration sous vide : Rendement d’un filtre sous vide :
\[ f = \frac{T}{t} \cdot C \cdot \frac{264{,}2}{d^s} \sqrt{\frac{r \cdot e}{\alpha}} \]
f = production horaire de matière sèche (kg/m²/h), C = teneur en matière sèche du gâteau filtré, t = siccité finale du gâteau (%), η = viscosité du filtrat (centipoise), α = résistance spécifique (10⁶ sec³/g ou 10² cm/g), T = durée du cycle de rotation (minutes), r = fraction d'immersion du tambour, e = épaisseur du gâteau, v = facteur dépendant essentiellement de la résistance du médium filtrant,
\[ k = \sqrt{\frac{N}{(i + e - v)} \cdot 0{,}575} \]
Il convient de préciser cependant qu’une expérimentation semi-industrielle (utilisation d’installation pilote) est toujours souhaitable pour dimensionner une installation de filtration sous vide ou sous pression, car elle permet de vérifier les capacités de filtration calculées à partir des essais de laboratoire et de préciser avec plus de rigueur les conditions de fonctionnement en permettant en particulier le choix du médium filtrant.
Cette expérimentation en pilote devient d’ailleurs absolument indispensable pour dimensionner un filtre à bande industriel, car il n’existe à notre connaissance aucun test de laboratoire qui repose sur une relation mathématique intégrant l’ensemble des processus intervenant dans une filtration par pression progressive.
III.4. — DÉSHYDRATATION MÉCANIQUE DES BOUES PAR CENTRIFUGATION (8)
III.4.1. — Méthodes d’évaluation de l’aptitude à la déshydratation des boues par centrifugation
Il n’existe pas à vrai dire dans le domaine de la centrifugation, comme en filtration, de relations mathématiques permettant de déterminer des paramètres fondamentaux de l'aptitude à la centrifugation d'une boue, susceptibles d’être utilisées pour évaluer les performances et les conditions d’exploitation d'une centrifugeuse industrielle.
On peut cependant se baser utilement sur un certain nombre de tests de laboratoire qui s’avèrent une première approche dans la caractérisation du comportement d'une boue vis-à-vis de la centrifugation.
Les essais sur centrifugeuse de laboratoire ne peuvent fournir que quelques indications concernant :
— l'homogénéité ou l'hétérogénéité du culot de centrifugation, qui affecte considérablement le rendement de centrifugation industriel, une hétérogénéité de la boue, du point de vue taille ou densité des matières en suspension, provoquant une séparation sélective à l’intérieur de la centrifugeuse. Ce phénomène est notablement réduit par le conditionnement chimique ;
— le volume du culot de centrifugation, qui permet de prévoir le volume de phase solide à extraire de la centrifugeuse et, par conséquent, de choisir une vitesse adéquate pour le racleur hélicoïdal de la machine ;
— l'humidité ou la siccité du culot de centrifugation obtenu à haute vitesse et dans des conditions reproductibles, qui donne une idée de la liaison de l'eau et de la matière solide dans la boue.
Les travaux de R. A. VESELIND (Norway Water Research Institute) pour dégager des paramètres de mesures plus précis de la centrifugabilité d'une boue et notamment de la transportabilité du sédiment au véhiculage, liée à sa consistance et à ses propriétés rhéologiques, ont abouti à des mesures par pénétrométrie.
Il s'agit là d'une méthode d'appréciation intéressante de l’aptitude à la centrifugation dans la mesure où elle fournit des renseignements sur le degré de cohésion du sédiment de centrifugation.
Les performances de centrifugation dépendent, dans une large mesure, du conditionnement chimique essentiellement polymérique de la boue. Pour déterminer les conditions optimales de floculation de la boue (choix rationnel du réactif) un test de centrifugabilité a été mis au point par l'I.R.H. Nancy qui consiste en une évaluation de la résistance au cisaillement des boues floculées.
L'essai consiste à mesurer en fonction du temps le couple s’exerçant sur l'axe d'un système d'agitation à pales et contrepales, conçu pour répartir uniformément le cisaillement dans toute la masse de la boue. Le réactif de floculation étant introduit à l'instant initial, l’évolution du couple se traduit par une croissance, reflet de la floculation, puis une décroissance asymptotique, reflet de la destruction du floc par le cisaillement. Pour une même boue la position du maximum et de l'asymptote de la courbe expérimentale sont caractéristiques du floculant utilisé et permettent une classification des réactifs polymériques utilisés.
III.4.2. — Nécessité de l’expérimentation industrielle ou sur machine pilote semi-industrielle
Les méthodes de laboratoire décrites ci-dessus ne peuvent cependant être utilisées qu’à titre d’orientation.
Le dimensionnement de l'installation de déshydratation, l'évaluation précise des performances pouvant être obtenues par un décanteur-centrifuge, et la détermination des conditions optimales d’exploitation impliquent cependant obligatoirement une expérimentation sur machine industrielle ou éventuellement sur un appareillage pilote permettant l’extrapolation.
Il conviendra par ailleurs de procéder au choix du type de machine à utiliser, en fonction des propriétés physico-chimiques et structurelles de la boue à traiter.
Ce choix est délicat à effectuer a priori, car toutes les machines fabriquées par les différents constructeurs possèdent des paramètres constructifs qui leur sont propres et dont dépendent évidemment les performances de centrifugation pouvant être obtenues.
Il est important de signaler par ailleurs que l'obtention de performances optimales de centrifugation, pour chaque type de machine, nécessite un réglage judicieux des paramètres « machine » (vitesse absolue du bol, vitesse relative du racleur, etc.), et une adaptation rigoureuse des paramètres opérationnels (débit d’alimentation en boue, conditionnement polymérique, etc.) à la nature de la matière boueuse à déshydrater.
III.5. — CARACTÉRISATION DES BOUES EN VUE DE LEUR ÉLIMINATION FINALE
Les modes d'élimination finale des boues résiduaires sont généralement limités à :
— la valorisation par utilisation agricole ;
— la mise en décharge ;
— ou l'incinération.
Le choix entre les diverses possibilités dépend à la fois des caractéristiques des boues et de multiples conditions locales.
III.5.1. — Cas de l’élimination des boues par utilisation agricole (9,10)
III.5.1.1. — Composition élémentaire. Teneur en éléments utiles
L'utilisation des boues en agriculture peut représenter les avantages suivants :
— apport d'éléments minéraux faisant le plus souvent défaut dans le sol : NH₄⁺, K⁺, PO₄³⁻, NO₃⁻ ;
— apport de matières humigènes pouvant compenser les pertes d’humus dues à une exploitation intensive.
L'intérêt agricole d'une boue pourra donc être défini à partir de la connaissance des grandeurs suivantes :
— teneur en azote, phosphore, carbone, potassium, teneur du rapport C/N (qui devrait être inférieur à 20) ;
— état physique de la boue, qui conditionne son mode d'épandage.
Les boues sont classées, du point de vue de leur valeur agronomique, en fonction des rapports Matières Volatiles/Matières Sèches et Matières Volatiles/Azote.
III.5.1.2. — Teneur en substances nuisibles ou toxiques
Certains composés contenus dans les boues peuvent être préjudiciables à l'utilisation agricole même si la valeur agronomique, déterminée par les critères ci-dessus, est certaine.
Ce sont :
— les polluants organiques du type pesticides, hydrocarbures, solvants chlorés, détergents, graisses, etc., dont la recherche analytique est souvent délicate ;
— la présence de germes pathogènes, bactéries, virus, vers, larves de parasite lorsque les boues sont susceptibles d’entrer en contact avec des végétaux à usage alimentaire ;
— et surtout les métaux lourds à caractère toxique.
À l'heure actuelle, la concentration des métaux est facilement déterminable par spectrophotométrie d'absorption atomique, après minéralisation et solubilisation des échantillons.
Les teneurs admissibles en éléments métalliques sont fixées par une norme expérimentale, résumée dans le tableau ci-dessous :
Éléments | Concentration admissible en mg/kg de MS |
---|---|
Zinc | 3000 |
Cuivre | 1500 |
Manganèse | 500 |
Plomb | 300 |
Chrome | 200 |
Nickel | 100 |
Cobalt | 20 |
Cadmium | 15 |
Mercure | 8 |
III.5.2. — Cas de la mise en décharge des boues résiduaires :
La mise en décharge de déchets, quelle que soit leur nature, s’accompagne de phénomènes complexes relevant des interactions entre les constituants des boues, l’eau qu’elles contiennent ou provenant d’un apport extérieur et enfin le sol et le sous-sol jouant le rôle de milieu récepteur.
III.5.2.1. — Liste des paramètres caractéristiques de la boue :
Dans l’hypothèse où le site envisagé pour la mise en décharge de boue ne donne pas des garanties totales, les facteurs de risques à prendre en compte sont, en ce qui concerne la nature des déchets, les suivants :
• Toxicité directe vis-à-vis de l’espèce humaine par des contaminants minéraux ou organiques dont les effets toxiques sont connus et évalués par l’indice de SAX.
• Toxicité indirecte par l’intermédiaire de l’eau vis-à-vis :— de l’homme (ce facteur peut être évalué pour chaque substance identifiable en se reportant aux normes de potabilité nationales ou à l’O.M.S.),— de la vie aquatique et de l’auto-épuration,— et des plantes.
• Pathogénicité du point de vue bactériologique et virologique, dont l’évaluation assez délicate doit être abordée par le biais de l’analyse microbiologique.Doivent entrer dans la définition de ce facteur les paramètres tels que :— l’identification et la numération des pathogènes,— la virulence des organismes,— leur survivance dans le milieu naturel (air, eau, sol),— les formes d’existence possibles (spores, etc.).
• Stabilité de la boue.— sur le plan biologique : analyse de la biodégradabilité (facteur jouant dans un sens favorable) et de l’influence, par des mesures, de la concentration en oxygène ou, mieux, d’un constituant spécifique de celle-ci : l’ATP, ainsi que de l’activité enzymatique hydrolytique de la boue ;— sur le plan chimique : examen indispensable de la stabilité dans le cas où le déchet contient des métaux lourds susceptibles d’être libérés dans les eaux de percolation par suite de phénomènes d’hydrolyse ou de décomposition chimique.
Pour évaluer ce risque, l’I.R.H. pratique couramment dans ses laboratoires des tests de lixiviation sur des boues, par mise en contact ou percolation avec de l’eau pure (eau distillée) ou avec des solutions simulant une eau de pluie contaminée par pollution atmosphérique, ou des eaux chargées en produits de décomposition de matières organiques, en milieu aérobie ou anaérobie.
III.5.2.2. — Évaluation globale des risques de mise en décharge :
Il est possible d’obtenir une note globale dont la valeur permettra d’estimer l’adéquation d’un site à la décharge d’un type de boue déterminé en pondérant les différents paramètres relatifs tant à la boue qu’au site de décharge lui-même.La difficulté consiste à estimer le poids relatif des diverses caractéristiques, à intégrer certains aspects non quantifiables et à collecter les données nécessaires à un coût raisonnable.
III.5.3. — Cas de l’élimination des boues par incinération :
L’élimination d’une boue nécessite que soient connus les paramètres du déchet qui permettent de prévoir :
• les conditions de stockage et de manutention (aspect physique, comportement mécanique de la boue, évaluation de son agressivité vis-à-vis des matériaux, de son vieillissement, etc.) ;
• le bilan thermique : pouvoirs caloriques inférieur (PCI) et supérieur (PCS).
La bonne marche thermique de l’incinérateur est surtout conditionnée par la valeur du PCI (exprimé en kCal/kg MS ou MJ/t MS) qui exprime la quantité de chaleur qu’on peut dégager d’une tonne complète de déchet en considérant que l’eau dégagée par la combustion se trouve à l’état de vapeur.En pratique, on déterminera en fait l’aptitude d’un combustible quelconque via le PCS, qui se définit en supposant que l’eau dégagée par la combustion se retrouve condensée dans les produits de la combustion.On calcule le PCI en déduisant l’énergie de vaporisation de l’eau engendrée par la combustion de l’hydrogène contenu dans la boue.
Dans le cas d’une boue déterminée contenant des matières organiques, il existe un lien étroit entre le taux de matières volatiles et le PCI. L’incinération peut se faire par un apport extérieur de calories ; l’énergie fournie par la boue pourra être à l’origine largement suffisante pour assurer le maintien. Cette valeur limite, qui dépend du PCI, est appelée auto-combustibilité. Elle se situe pour les boues biologiques entre 60 à 70 %, pour un rapport M/MS de 80 à 90 %.
• la tenue du réfractaire : le revêtement est très sensible à la présence, même à faible teneur, de nombreux éléments : alcalins, métaux lourds (plomb, molybdène, mercure), halogènes (brome, fluor) susceptibles de provoquer une dégradation plus ou moins rapide du réfractaire.
• la liste des éléments à surveiller et leur limite de tolérance dépendent de la nature du déchet.
• la nature des effluents gazeux et des cendres : de nombreux éléments vont se retrouver dans les fumées sous forme de poussières, résidus ou aérosols, ou de gaz toxiques ou indésirables (CO, SO₂, halogènes et oxydes halogénés, etc.). Toutes ces informations conditionnent le bon fonctionnement des dispositifs de lavage de gaz.Même si elles ne sont pas nécessaires de connaître la composition des cendres susceptibles de présenter des toxicités dues aux formes oxydées, leurs combinaisons complexes devront être étudiées.
Dans l’hypothèse d’une mise en décharge, le lessivage par les eaux de pluie peut provoquer une solubilisation partielle avec danger de contamination des cours d’eau et des nappes phréatiques. Nous avons résumé dans le tableau ci-après la démarche analytique que nous proposons pour évaluer les possibilités technico-économiques d’élimination d’un déchet.
IV. — CONCLUSION
Dans le cadre de cet exposé, l’auteur a rassemblé des idées générales qui gouvernent les choix techniques conduisant à une résolution rationnelle du problème des boues.
À l’heure actuelle, l’I.R.H. utilise une méthodologie d’études qui, à l’échelle du laboratoire, lui permet de dégager de nombreuses caractéristiques des boues à partir de l’analyse, desquelles il est possible de mieux choisir la filière de traitement à adopter.
Néanmoins, de nombreux problèmes demeurent à résoudre et font l’objet de recherches détaillées.Par ailleurs, aussi bien menée soit-elle, l’étude laboratoire ne peut être considérée, dans la majorité des cas, qu’avant tout comme une étape de préparation à des ouvrages et appareils, ou comme une étape préliminaire permettant de définir des orientations et de valider la démarche expérimentale avant d’aller à plus grande échelle.
Une expérimentation semi-industrielle (utilisation d’un matériel-pilote de fiabilité suffisante) est en effet indispensable pour permettre une extrapolation sans perte de résultats au niveau des performances et la définition des paramètres opérationnels et dimensionnels des installations industrielles…
J.-C. BEGLIN
BIBLIOGRAPHIE
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