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Les recherches sur l'impact de l'épandage de boues

31 mars 2003 Paru dans le N°260 à la page 63 ( mots)
Rédigé par : M. TERCé

Deux journées techniques sur la gestion optimale des boues d'épuration ont été organisées à l'INSA de Toulouse, les 4 et 5 juin 2002, sous le patronage de l'INSA, de l'INRA, du CNRS, de l'EMAC, de l'ARPE, de l'Agence de l'Eau Adour-Garonne et du Conseil Régional de Midi Pyrénées. Dans ce cadre, responsables de collectivités territoriales, professionnels des filières de traitement et d'élimination des boues, représentants d'organismes de recherche, du monde agricole et des industries agroalimentaires ont pu s'informer, débattre sur le sujet et ouvrir de nouvelles perspectives concernant la production des boues et les problèmes qui y sont associés. Après avoir évoqué dans notre précédent numéro les évolutions technologiques pour mieux garantir et pérenniser une gestion optimale des boues, nous abordons ici les problématiques de l'épandage.

Deux journées techniques sur la gestion optimale des boues d’épuration ont été organisées à l’INSA de Toulouse, les 4 et 5 juin 2002, sous le patronage de l’INSA, de l’INRA, du CNRS, de l’EMAC, de l’ARPE, de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et du Conseil Régional de Midi Pyrénées. Dans ce cadre, responsables de collectivités territoriales, professionnels des filières de traitement et d’élimination des boues, représentants d’organismes de recherche, du monde agricole et des industries agroalimentaires ont pu s’informer, débattre sur le sujet et ouvrir de nouvelles perspectives concernant la production des boues et les problèmes qui y sont associés. Après avoir évoqué dans notre précédent numéro les évolutions technologiques pour mieux garantir et pérenniser une gestion optimale des boues, nous abordons ici les problématiques de l’épandage.

Les recherches menées sur la valeur agronomique et l'innocuité de l’épandage agricole des boues d’épuration des eaux usées ont accompagné cette pratique à ses débuts. En France, il y a eu la création d'un comité « sols et déchets solides » en 1973 sous l’égide du Ministère de l’Environnement pour le financement et le suivi de recherches.

De nombreuses équipes de l'INRA ont participé à ces recherches et se sont intéressées au devenir des éléments traces métalliques (ETM) apportés par les boues dans les sols et les plantes. Ce comité a fonctionné pendant une quinzaine d'années et les recherches réalisées dans ce cadre ont abouti non seulement à l’acquisition de connaissances, mais aussi à une valorisation de ces dernières sous forme de cahiers techniques précisant les conditions optimales du recyclage des boues, les limites à ne pas franchir, voire les interdictions réglementaires lorsque les risques étaient considérés comme non acceptables au plan sanitaire ou environnemental. En 1976, l’Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets est créée puis remplacée par l’ADEME en 1991. Cette agence a pris un rôle très important dans le dispositif de recherche, en soutenant financièrement des travaux de recherches et en éditant, à partir de 1994, des synthèses des connaissances sur les éléments indésirables des boues et sur leur valeur agronomique ou amendante afin de rendre accessibles et intelligibles les travaux de la recherche. En Europe, le programme « COST 68/681 » a généré de 1972 à 1990 pas moins de 260 programmes de recherches concertées sur l'épandage agricole des boues. Tous ces travaux ont donné lieu à des centaines de publications rassemblées sous forme d’ouvrages édités par la CEE. À l'occasion d'un colloque national en juillet 2000, réunissant tous les acteurs concernés par l’épandage des boues, l’ADEME et l'INRA ont rappelé l’historique des recherches menées sur ce sujet.

Pourquoi avoir relancé des recherches sur les boues à l’INRA ?

En 1994, la Chambre syndicale des fabricants d’amendements organiques, de sup-

[Photo : L’épandage des boues est la seule pratique agricole qui a fait l'objet d'autant de recherches et dispose de nombreuses données.]

Le port de culture et de leurs dérivés a interpellé l’INRA pour connaître les travaux de recherche réalisés sur l’épandage agricole de produits résiduaires et notamment des boues d’épuration des eaux usées. Les industriels concernés ont rappelé que la loi sur l’eau de 1992 prévoyait l’interdiction de la mise en décharge à partir de juillet 2002 des déchets non ultimes et ont insisté sur la nécessité de dégager des pistes de valorisation agricole dans les principales filières, notamment les boues et les composts urbains. Les normes existantes sur les boues et amendements organiques ne correspondaient plus à la pratique agricole actuelle. Il était donc nécessaire d’avoir des produits résiduaires mieux connus à la fois sur leurs impacts environnementaux et agronomiques. Face aux enjeux futurs, l’INRA ayant jugé que les recherches effectuées sur le sujet étaient trop parcellaires et menées en ordre dispersé, a constitué en 1996 un groupe de travail sur « la filière agricole d’élimination des déchets. Bilan agronomique et environnemental ». Ce groupe avait pour mission d’être une structure de coordination et de proposition pour l’élaboration d’une problématique de recherches. Il a, dans un premier temps, identifié les besoins de recherches nouvelles auprès des chercheurs et ensuite ceux des partenaires extérieurs (ADEME, APCA, ITCF, MATE, les Missions déchets mises en place par l’APCA et l’ADEME, etc.). La synthèse de ces besoins de recherches a fait l’objet d’une proposition d’AIP (action incitative programmée) « Agrede » (agriculture et épandage de déchets urbains et agro-industriels) qui a recueilli l’aval de la Direction générale de l’INRA. Un premier appel d’offres a alors été diffusé fin 1997 et un comité scientifique est constitué pour sélectionner les réponses et favoriser les synergies entre les équipes. L’originalité d’Agrede réside dans la composition de ce comité scientifique : contrairement à d’autres AIP INRA, le comité n’est pas uniquement composé de chercheurs, mais également de partenaires extérieurs (APCA, ADEME, MATE, MAP, Syprea, Agence de l’eau). Agrede a été également financée par l’ADEME.

Les axes de recherche prioritaires d’Agrede

– Contribution au bilan environnemental de la filière d’épandage : devenir et impacts environnementaux des polluants minéraux et organiques contenus dans les déchets ; bilan environnemental comparatif de la filière épandage.

– Utilisation agricole des déchets et impact sur les produits agricoles : transfert des micropolluants vers la plante et l’animal ; composition des récoltes et risques toxicologiques ; valeur fertilisante et/ou amendante des déchets – conséquences pour les modalités d’utilisation.

– Économie et organisation des filières : évaluation économique de l’épandage agricole aux différentes échelles pertinentes ; enjeux socio-économiques et modalités de négociation.

– Valorisation des connaissances par le développement d’outils : caractérisation des produits et milieux récepteurs ; systèmes experts et aide à la décision concernant l’acceptabilité de l’épandage et les modalités d’utilisation dans l’exploitation agricole ; constitution et utilisation des banques de données.

Huit projets à l’appel d’offres de 1997 ont été retenus en 1998 par le comité scientifique d’Agrede. Cependant, les premiers projets émanaient principalement de spécialistes de science du sol et d’agronomie et l’axe 3 n’avait pas reçu de proposition. Un nouvel appel à propositions a été diffusé en 1999 avec les priorités suivantes : la prise en compte de nouvelles cultures (ligniculture et autres productions non alimentaires, évitant d’éventuels transferts dans la chaîne alimentaire) ; la prise en compte de nouveaux produits résiduaires, en particulier ceux issus d’élevages intensifs ; une meilleure évaluation des risques liés aux pathogènes végétaux, animaux et humains ; les aspects socio-économiques. Cinq nouveaux projets sont retenus fin 1999. Ces projets ont été réalisés en collaboration avec d’autres organismes tels le Cemagref, le Cirad, le CNRS, des laboratoires universitaires, etc.

Les programmes de recherche et les principaux résultats

Les résultats présentés ici ne concernent que les boues ou compost de boues.

Disponibilité en azote des effluents urbains, agro-industriels et issus d’élevage

L’étude de la dégradation et de la dynamique de N minéral et l’amplitude et la dynamique des émissions de NH3 et N2O a été réalisée sur une large gamme de produits. Elle a permis d’acquérir une base de données importante et homogène. Les liens entre nature du produit et devenir dans le sol n’apparaissent pas clairement. Les expérimentations au champ pour évaluer la minéralisation de N d’effluents agro-industriels ou urbains confirment la diversité de leur comportement obtenu au laboratoire. Mais il est difficile de faire une comparaison entre les vitesses de minéralisation obtenues au champ et au laboratoire. Les émissions de N2O sont faibles, le temps de l’expérimentation.

Phytodisponibilité et valeur fertilisante du phosphore de déchets urbains

La phytodisponibilité de P de 80 échantillons de boues a été évaluée à court terme en pots de culture. L’indicateur le plus robuste de la valeur fertilisante est la contribution de P de la boue à la nutrition en P. Le P des boues biologiques, de déphosphatation biologique et physico-chimique a une phytodisponibilité équivalente à celle de P

minéral soluble. Dans un essai suédois de 19 ans, la solubilité et la mobilité de P de la boue ne diffèrent pas de celui de P minéral soluble.

Qualité des sols agricoles et des récoltes

Les objectifs de ce programme étaient de connaître les teneurs en éléments traces métalliques (ETM) dans les grains d'une seule variété de blé (Trémie) en raisonnant par “série de sol”, pour des pratiques agricoles sans épandage de produits résiduaires et d’estimer l’effet d’un ou plusieurs épandages de boues urbaines sur des parcelles cultivées en blé tendre correspondant aux mêmes “séries de sols”. La comparaison entre des parcelles amendées ou non par des boues montre qu'à court terme, aux doses d’apport réglementaire, il n’y a pas de différence dans les teneurs en ETM dans les grains de blé.

Étude du devenir ETM apportés par les boues dans différents sols du Vexin Français

La 1re partie de cette étude a consisté à faire une base de données géoréférencées en utilisant un SIG sur l’épandage de boues dans une petite région agricole. Ces données étaient soit spatiales (parcellaire, unités de sol, prélèvements d’échantillons, etc.), soit descriptives ou quantitatives (description des sols et des épandages, analyses de sols et des boues, etc.). Cette base a permis de tracer un état des lieux de l’enrichissement des sols en ETM dans les horizons superficiels et de sélectionner des sites pour des études plus précises sur la migration des ETM en profondeur. Le transfert latéral concerne surtout Zn et Cu.

Effet des ETM contenus dans les déchets urbains sur la qualité biologique des sols agricoles

Afin de mesurer l’impact des ETM de boues sur la qualité biologique de sols, deux types de dispositifs expérimentaux ont été choisis : un dispositif mis en place en 1974 et ayant reçu jusqu’en 1993 des quantités importantes de boues contaminées sur un sol sableux acide et un dispositif ayant reçu un apport réglementaire de boues très peu chargées. Les résultats montrent que dans le premier dispositif, il y a une quasi-absence de phytotoxicité du milieu et dans le second, il n’y a pas d’effet mesurable sur la qualité biologique du sol.

[Photo : La controverse de l’épandage dépasse largement l’état des connaissances scientifiques, à savoir qu’en respectant la législation, l’épandage est la filière environnementale la moins coûteuse et à moindre risque, le risque zéro n’existant pas.]

Disponibilité des micropolluants organiques dans les sols amendés par des boues de station d’épuration

Une mise au point de méthodes fiables de dosage des HAP dans les boues et les sols a d’abord été réalisée. À partir d’expériences réalisées sur des échantillons de sol, de cultures en pot et de microlysimètres, les résultats montrent que les composés traces organiques présents dans une boue peuvent se dégrader mais que 2 à 43 % de la quantité de phénanthrène apportée avec une boue peuvent être lessivés ou prélevée par la plante.

Transfert d’un xénoestrogène, le nonylphénol, vers la plante et l’animal : étude de sa biotransformation

Le nonylphénol est un produit de dégradation de surfactants non ioniques qui se forment lors de l’épuration des eaux et les boues peuvent en contenir des teneurs élevées. Le nonylphénol est rapidement dégradé dans le sol mais la présence de boue retarde sa dégradation. Le transfert sol-plante du produit est faible.

Effets environnementaux d’épandage de boues de station d’épuration en conditions forestières

L’épandage de boues en sylviculture n’est possible en France qu’à titre expérimental. Un site atelier instrumenté a été mis en place en 1999 dans les Landes pour suivre l’impact de l’apport de différents types de boues sur la croissance de pins maritimes et sur l’environnement forestier. Après deux années d’apports, les effets des boues sur la croissance des pins sont identiques à ceux d’une fertilisation minérale classique. Les boues augmentent de 150 à 300 % la biomasse du sous-bois. Les ETM s’accumulent à la surface du sol et migrent peu dans les eaux de drainage.

Valeur agronomique et impacts environnementaux de composts d’origine urbaine : variation avec la nature du compost

La valeur amendante et fertilisante d’un compost de boues et de déchets verts a été mesurée au laboratoire et en plein champ. Le compost a une teneur totale en P importante dont une proportion modérée soluble. L’épandage augmente la biomasse microbienne du sol. Les teneurs en ETM et composés traces organiques du compost sont bien inférieures à celles de l’arrêté “boues” du 8/01/1998. Il n’y a pas de transfert notable dans les plantes cultivées. Les premiers résultats montrent que le compost a une valeur fertilisante immédiate faible et contribue surtout à l’entretien de la matière organique des sols.

L’épandage des boues d’épuration urbaines sur les prairies : le danger parasitaire (cysticercose)

Les helminthes et en particulier le Taenia du bœuf sont fréquents dans les boues et peuvent être transmis à l’homme via la consommation de viande bovine. Une méthode fiable de repérage et de comptage des œufs de taenia a été mise au point.

[Photo : L'épandage est souvent une relation entre agriculteur et société de valorisation. Cette relation se base sur une confiance assurée par une relation longue de plusieurs années.]

Une parcelle de prairie a été épandue avec des boues contenant des œufs de Taenia. Après le délai réglementaire de 6 semaines, 5 broutards ont été introduits dans la parcelle et ont été abattus en fin de saison de pâturage. Les animaux étaient indemnes et n'ont pas eu de taeniasis larvaire. Dans les conditions de cet essai, les résultats montrent que le danger d'une contamination pour l'homme est nul.

Les dynamiques de réorganisation de la filière de traitement des boues. Acteurs, textes et contextes locaux dans deux départements marqués par le moteur urbain

Cette étude s'est intéressée à la controverse de l’épandage des boues dans deux départements (la Dordogne et la Seine-et-Marne). Dans ces 2 départements, les espaces ruraux sont recomposés par la rurbanisation et l’opposition à l’épandage de boues se développe par la création d’associations protestataires. Elles ont peu à peu construit un argumentaire : soucis d’expertise, références scientifiques et enrôlement d'alliés divers. Ce processus crée une tension entre le calendrier de l’épandage et les accords passés entre les administrations et les acteurs traditionnels de l’épandage. Les organismes agricoles semblent en retrait des conflits entre les acteurs de l’épandage, les élus et les associations, et encore plus les agriculteurs, face aux rurbains qui prétendent être aussi les acteurs légitimes de la gestion de l’espace rural.

Les déchets urbains et agro-industriels : vers l’invention de nouvelles filières de traitement

Une analyse des phénomènes liés à la déstabilisation de l’épandage des boues, pratique agricole pourtant ancienne, de la défaillance de la réglementation en tant que repère crédible à l’épandage a été réalisée. La mise en place de dispositifs destinés à rassurer cette pratique a été suivie au niveau local. Dans le Bas-Rhin, des opérations pilotes ne sont plus négociées uniquement entre les acteurs traditionnels de l’épandage, mais avec un engagement, par des réunions publiques, de qualité et de traçabilité, garanti par la Chambre d’agriculture. En Wallonie, les oppositions à l’épandage s’estompent dès que les conditions favorables à un contexte de confiance sont rassemblées. L’épandage est alors souvent une relation entre agriculteur et société de valorisation. Cette relation se base sur une confiance assurée par une relation longue de plusieurs années.

Le rendu d’Agrede

Le rendu scientifique d'Agrede a eu lieu les 21 et 22 mars 2002 avec l'ensemble des contractants scientifiques, le comité scientifique et deux experts indépendants. Il a été décidé d’en faire un rapport écrit de valorisation par le biais d’un numéro spécial des “Dossiers de l'environnement de l’INRA” et destiné à un large public d'utilisateurs des résultats de la recherche. Un rendu intermédiaire a été fait fin 2001, à l'occasion des journées nationales des chargés de Mission Déchets mises en place par l’APCA et l'ADEME. Ce rendu d'une journée a satisfait 75 % de l’auditoire. Les interventions sur la valeur phosphatée et azotée des déchets, le risque helminthique, le devenir des ETM et des composés traces organiques, la qualité biologique des sols et les études sociologiques ont été les plus appréciées.

Conclusion

L’épandage des boues est la seule pratique agricole qui a fait l’objet d’autant de recherches et dispose de nombreuses données. Elle est très encadrée par la législation qui a su tenir compte des résultats de la recherche. Les adversaires à l’épandage soulignent tous les dangers inconnus, même s'ils ne sont pas avérés. La controverse de l'épandage dépasse largement l'état des connaissances scientifiques, à savoir qu’en respectant la législation, l’épandage est la filière environnementale la moins coûteuse et à moindre risque, le risque zéro n’existant pas. Le débat est passé au niveau socio-politique.

[Encart : Références bibliographiques * Andersen A. 1999. Audit environnemental et économique des filières d’élimination des boues d’épuration urbaine. Les études des agences de l'eau, n° 70, 28 p. + annexes. * Boraz O. 2000. L’utilisation des boues d’épuration en agriculture : les ressorts d'une controverse. Courrier de l'environnement de l'INRA, 41, p. 25-32. * IFEN. 1999. L’environnement en France. Edition 1999, 480 p. * Leyzour F., Chevallier D. 2000. Transparence et sécurité de la filière alimentaire en France. Tome I : Rapport. Les documents d'information de l'Assemblée Nationale, n° 2297. Edition Assemblée Natio-]
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