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Les organoétains dans l'environnement

28 février 2001 Paru dans le N°239 à la page 47 ( mots)
Rédigé par : Gaétane LESPES et Martine POTIN-GAUTIER

La plupart des dérivés organostanniques présents dans l'environnement sont d'origine anthropique. Certains figurent sur la liste noire de la Communauté Européenne en raison de leur grande toxicité: ce sont les sels de di- (DBT) et tributylétain (TBT) et les sels de di- (DPhT) et triphénylétain (TPhT). D'autres composés, tels que les monobutyl- (MBT), monophényl- (MPhT), mono-, di-, tri- octyl- (MOT, DOT, TOT) et cyclohexyl-étains (McHexT , DcHexT, TcHexT), ont également des effets néfastes sur le milieu naturel. Si les composés butylés ont été largement étudiés en milieu marin, peu de résultats sont reportés dans la littérature concernant plus généralement les organoétains en milieu continental. Le but du présent document est de faire une synthèse bibliographique concernant les différents organoétains d'origine anthropique, de leurs propriétés jusqu'à leurs implications environnementales. Leur incidence en milieu dulcicole et dans l'environnement humain est en particulier abordée.

[Photo : Sources de contamination environnementale (St. ép. : station d’épuration)]

La plupart des dérivés organostanniques présents dans l’environnement sont d'origine anthropique. Certains figurent sur la liste noire de la Communauté Européenne en raison de leur grande toxicité : ce sont les sels di-, tributylés (DBT, TBT), di- et triphénylés (DPhT, TPhT). Mais d'autres composés butylés, phénylés, octylés ou cyclohexylés ont également des effets néfastes sur le milieu naturel.

Si les composés butylés ont été largement étudiés en milieu marin, peu de résultats sont reportés dans la littérature concernant les différents organoétains en milieu continental et humain. Au travers des données disponibles, nous avons donc tenté de faire le point sur l'ensemble de ces composés, depuis leurs nombreuses utilisations jusqu’à leurs implications environnementales.

Utilisations

L’étain est l'un des éléments les plus utilisés sous sa forme organique RₓSnX(4) (avec R : groupement alkyle ou aryle et X : groupement anionique). Ainsi, la production industrielle mondiale d’organoétains est la plus importante production de dérivés organométalliques : elle a été multipliée par cinq

Tableau 1 : Propriétés et principales utilisations des organoétains [1-4]

Monosubstitués
methyl-, butyl-, octylétains (MMT, MBT, MOT) / butylétain (MBT)
Propriétés : augmente la résistance à la température / catalyseur
Principales utilisations : PVC / procédés industriels
Disubstitués
methyltain (DMT) / butylétain (DBT) / butyl-, octylétains (DET, DOT)
Propriétés : augmente la résistance à la lumière / catalyseur, vernis / stabilisateurs
Principales utilisations : PVC, verres / polyuréthane, élevage de volaille / PVC rigides et plastiques
Trisubstitués
butylétain (TBT)
Propriétés : biocide, fongicide, insecticide
Principales utilisations : peintures antisalissures, industries du bois, textile, papier, cuir, systèmes industriels de refroidissement, détergents domestiques
cyclohexylétain (TcHT) / phénylétain (TPhT)
Propriétés : insecticide / fongicide, pesticide
Principales utilisations : agriculture / agriculture / peintures antisalissures, agriculture
Tetrasubstitués
phénylétain (TePhT)
Propriété : agent anticrovif
Principales utilisations : condensateur, systèmes électriques

Ces quarante dernières années, la production d’organoétains est estimée à environ 50 000 t/an, dont 23 % de biocides trisubstitués (TBT, TPhT et tricyclohexylétain, TcHT) [1].

Les propriétés des composés organostanniques dépendent grandement du nombre (n) et de la nature des radicaux organiques (R) liés à l’atome d’étain, le groupement X n’induisant pas d’effet particulier, sauf propriétés intrinsèques [2]. Les principales utilisations de ces composés sont répertoriées dans le tableau 1.

Les tétraorganoétains ne sont généralement employés que comme intermédiaires de synthèse d’autres organoétains. Apparaissant sous forme d’impuretés des composés trisubstitués, leur concentration dans le produit fini peut être de l’ordre de 10 %. C’est en particulier le cas du tétrabutylétain (TeBT), que l’on retrouve dans le TBT [3].

Sources de contamination environnementale

L’origine de la présence environnementale des organoétains est multiple, comme le montre la figure 1, les composés trisubstitués, plus toxiques, étant largement présents. En 1982, 10 % des biocides utilisés entraient directement dans l’écosystème aquatique [3]. La première cause de pollution établie au début des années 80 a été les peintures antisalissures contenant du TBT. Elles étaient utilisées pour la protection des coques de bateaux, aussi bien en milieu marin que dulcicole [5]. La mise sur le marché et l’usage de ces peintures ont été strictement réglementés en Europe, aux USA et en Nouvelle-Zélande au cours des années 80-90. Ces produits continuent cependant à être employés dans certains pays, dont la France, pour les bateaux dont la longueur est supérieure à 25 m.

Les rejets urbains sont également une source importante de contamination, compte tenu des multiples utilisations des organoétains dans les produits de la vie quotidienne [6]. Les eaux et boues de stations d’épuration contiennent systématiquement des butylétains (de ng (Sn)/l à quelques centaines de µg (Sn)/l dans les effluents) et fréquemment des octylétains [6, 7]. La majeure partie des butylétains arrivant dans la station est éliminée de l’eau principalement par adsorption sur les boues qui contiennent en moyenne de 100 à 500 mg (Sn)/kg [6]. Les stations d’épuration ont donc tendance à déplacer la pollution de l’eau vers les boues qui deviennent, en plus des effluents non totalement décontaminés, des sources importantes de pollution selon leur utilisation ultérieure. L’épandage agricole, le stockage sur des sites non protégés ou le rejet en milieu marin constituent une voie de contamination importante des sols, des eaux de ruissellement ou de mer, de la faune et de la flore [6, 8].

Les eaux usées industrielles (centrale électrique, décharge, chantier naval, bassin de radoub) peuvent contenir de fortes teneurs en TBT [3]. Les sites industriels utilisant les organoétains (par exemple les usines de traitement du bois) sont aussi une source potentielle de contamination par déversements accidentels ou volontaires de TBT [6]. Les matériaux de dragage des zones portuaires et voies de navigation constituent également un stock de déchets à risque.

L’activité agricole contribue à l’introduction directe du TBT et du TPhT dans l’environnement. L’évaporation et les précipitations contribuent alors à disséminer la pollution. Aux Pays-Bas, par exemple, environ 2,6 t de TPhT antifongique sont relarguées chaque année dans les eaux hollandaises. Mais la pollution peut également atteindre les nappes phréatiques par drainage des sols agricoles [6, 8].

La contamination directe par les organoétains mono- ou disubstitués contenus dans un grand nombre de matières plastiques très employées est également à considérer. Dans ce cas, le lessivage ou l’usure de pièces élaborées avec ces matériaux interviennent [3]. Les précipitations sur les décharges municipales conduisent également au lessivage des nombreux produits et emballages en plastique (y compris ceux à usage alimentaire) contenant des organoétains mono- ou trisubstitués. Cela peut être, comme aux États-Unis, une importante voie de pénétration dans l’environnement [6].

Il faut enfin noter que les sources d’apport environnemental du TBT sont également une voie de contamination par son intermédiaire de synthèse, le tétrabutylétain.

Présence et répartition environnementale

Les multiples usages des organoétains ont contribué et contribuent encore à une large contamination de l’environnement. Tous les compartiments apparaissent pollués à des niveaux plus ou moins importants : l’atmosphère, les eaux douces et marines, les sédiments, les sols, les plantes, les organismes aquatiques, comme le montre le tableau 2.

Tableau 2 : Concentrations typiques rencontrées dans les différents compartiments environnementaux

Compartiment Organoétains Concentration (ng(Sn)/L d’eau ou mg(Sn)/kg de solide) Références
Eau de pluie MMT, DMT, MBT 1 – 20 15
Eau de surface TBT/PBT 10 – 600 / 20 – 1200 3, 6, 9, 11
MES et sédiment TBT/PhT/TeBT/TMT 10 – 5000 / 4 – 900 ; 0,4 – 900 6, 9
Faune aquatique DBT, MBT, MPT, TPrT 10 – 10000 6, 9
Plantes aquatiques MBT, DBT 2 – 40 8
Plantes terrestres Fentin/TcHT/TPhT 3 / 60 ; 3000 – 20000 8

a également été décelée dans des produits domestiques (bavoirs, chaussettes, papier et tampons hygiéniques, flacons de gel douche…). Ceci explique en partie la présence des organoétains dans les effluents et les boues d'épuration [6].

Eaux et sédiments

Bien que le problème ait historiquement été mis en évidence dans les zones côtières marines, les études menées ces dernières années montrent une large contamination du milieu dulcicole : lacs, rivières, matières en suspension (MES) et sédiments [6, 9, 12]. Deux suivis menés durant plusieurs mois dans le nord de l'Angleterre et en France sur le bassin Rhin-Meuse montrent que les trois espèces butylées sont systématiquement détectées et que la présence des phénylétains bien qu’occasionnelle est également incontestable [6, 10]. Des pics de pollution ont été mis en évidence en été dans le Rhin, les concentrations atteignant alors dans les eaux 65 ng (Sn)/l du composé le plus toxique, le TBT. Ces différents composés sont non seulement présents dans les eaux, mais également dans les matières en suspension et les sédiments. Les niveaux de contamination sont identiques dans les rivières d’une même région, avec ou sans trafic fluvial. Les débits contribuent à la diffusion d'une pollution d’apports continus et d'origines diverses, probablement liée à la fois aux rejets urbains et industriels et aux activités agricoles.

Au Canada, non seulement les eaux douces de surface mais également les eaux souterraines apparaissent contaminées par le TBT et le DBT [13, 14]. La présence ponctuelle du TPhT et de ses produits de dégradations ainsi que celle du di et mono-octylétain a été également mise en évidence dans des sédiments d’eau douce, alors que le TeBT a été détecté dans des sédiments portuaires allemands [6].

Les organoétains (méthyl et MBT) peuvent également être présents dans les eaux pluviales, comme le montre une étude américaine [15]. Cette pollution semble cependant très faible, ponctuelle et probablement liée à la vaporisation d’insecticides en ce qui concerne l'espèce butylée. La présence des méthylétains dans les eaux et sédiments provient à la fois des sources anthropiques et de la méthylation de l’étain inorganique. Peu d'études y ont été consacrées, il est donc difficile de connaître la part anthropique de leur présence environnementale. Il semble cependant que les concentrations en méthylétains trouvées dans des sédiments dulcicoles soient très variables [6].

Faune aquatique et terrestre

Compte tenu de la pollution généralisée des eaux, les organismes vivants marins et dulcicoles se trouvent exposés aux organoétains de façon quasi-permanente. Les problèmes liés à la pollution des zones ostréicoles ont largement été étudiés depuis le début des années 80. Les travaux réalisés sur le milieu dulcicole montrent également la contamination à des niveaux extrêmement variés des organismes (crustacés, mollusques et poissons) y vivant, comme le montre le tableau 2 [3, 6, 8, 11]. Les facteurs de concentration eau/biomasse sont d’environ (1 à 4) 10⁴, selon les espèces vivantes.

Certains animaux d’élevage tels que les poulets apparaissent également contaminés par les butylétains en raison de l'emploi de ces produits à des fins thérapeutiques. Les organoétains se concentrent alors dans certains organes dont le foie [11].

Plantes aquatiques et terrestres

De même que pour la faune, la flore aquatique apparaît contaminée par les organoétains. Des algues prélevées en sortie de station d’épuration se sont avérées contenir du MBT et DBT. Le potentiel accumulateur des plantes peut être très important, de l’ordre de 3 × 10⁴ [8].

Les fruits et légumes cultivés peuvent être également contaminés par les organoétains contenus dans les pesticides agricoles, ces composés s’accumulant particulièrement dans les lentilles, pommes de terre, endives et carottes [8]. Les suivis de pesticides à base d’étain tricyclohexylé (TcHT) ou triphénylé (TPhT) pulvérisés sur des fruits (pommes, kiwi, poires et noix de pécan) ont mis en évidence la présence d’étain en très fortes concentrations sur une partie des fruits analysés et dans les feuilles de pécan [16, 17]. Dans ce dernier cas, même si les processus de déphénylation peuvent apparaître relativement rapidement (quelques jours), les concentrations présentes restent extrêmement préoccupantes, supérieures à 10 mg/kg d’organoétains, alors que le sol proche des plantations a été contaminé. Ces quelques études ponctuelles montrent que les pulvérisations d'insecticides sont une source potentielle de contamination des fruits et légumes destinés à la consommation humaine. Il est cependant difficile de faire un bilan à plus large échelle et d’évaluer les risques vis-à-vis de la santé humaine, les données disponibles étant trop peu nombreuses.

Devenir dans l’environnement : transformations et temps de demi-vie

Divers mécanismes ont une influence sur la persistance des organoétains : les phénomènes physiques (volatilisation, adsorption, écoulement de l'eau, dégradation thermique), les phénomènes chimiques (irradiation UV, dégradation chimique) et les phénomènes biochimiques (dégradation biologique, biométhylation) [3]. Lorsque la décomposition des organoétains intervient, elle se produit généralement par désalkylations ou désarylations successives, faisant

intervenir la rupture de la liaison Sn-C.

Phénomènes physiques

Les composés organostanniques, introduits dans l'environnement, ont une grande aptitude à s'adsorber sur les particules. Dans les sédiments de lacs ou de rivières, les concentrations en TBT sont parfois jusqu'à 1 000 fois plus importantes que celles mesurées dans la colonne d'eau [5]. De plus, malgré les restrictions d'utilisation des peintures antisalissures et compte tenu des autres voies d'introduction, on ne constate pas toujours de diminution de la pollution. Les sols ou les sédiments (dulcicoles et marins) peuvent donc constituer des réservoirs importants. Malgré une adsorption forte, le relargage des organoétains lors de fortes précipitations, crues, tempêtes… est possible et parfois même important [3]. Les phénomènes d’adsorption/désorption constituent donc une voie importante de pollution « auto-entretenue ».

La volatilisation est également un phénomène contribuant à la diffusion de la pollution ; les pesticides organostanniques pouvant être disséminés jusqu'à 20 km de la culture où ils sont pulvérisés [6]. La dégradation thermique n’intervient pas dans le milieu naturel puisque la liaison Sn-C est stable jusqu'à 200 °C.

Phénomènes chimiques ou biochimiques

Il semble que la principale voie de disparition des butylétains dans l’eau et les sédiments soit la dégradation microbienne [13]. En ce qui concerne le TBT, certains auteurs ont montré que la diminution des concentrations en cette espèce dans les rivières provenait essentiellement de phénomènes de dégradation et non pas de la dilution [3]. Les vitesses de décomposition sont cependant très variées car elles dépendent beaucoup des conditions environnementales, en particulier de la température et de la nature des micro-organismes, comme le laissent apparaître les différents temps de demi-vie répertoriés dans le tableau 3 [3, 13]. Ces résultats montrent qu’une pollution persistante des eaux de nappes et de ressource est possible dans certaines conditions. Les phénomènes photolytiques sont, quant à eux, limités aux eaux de surface et sols exposés à la lumière solaire. La présence d’algues d'eau douce capables de métaboliser le TBT en composés moins toxiques est également une autre voie de dégradation biologique. Les phénomènes de biométhylation interviennent aussi dans les processus de détoxification [3].

Tableau 3 : Temps de demi-vie (50 % de dégradation) des triorganoétains dans différents compartiments de l'environnement [3, 13]

– Sol : Tributyltétain (TBT) : 1 à 18 jours
– Eau de surface : Triphénylétain (TPhT) : quelques jours à 3 ans
– Eau marine ou estuarienne : Tributyltétain (TBT) : 1,8 à 15 jours
– Eau douce et/ou sédiment : Triphénylétain (TPhT) : 4 à 5 mois
– Eau et sédiment en anaérobie : Tributyltétain (TBT) : 12 mois à plusieurs années

La principale voie de dégradation des phényl et cyclohéxylétains dans les eaux de surface semble être la photolyse ; elle conduit à la formation des dérivés mono- et di-substitués. La vitesse de décomposition n’est pas la même selon les composés ; le DPhT a par exemple un temps de vie beaucoup plus court que celui du TPhT [9, 11]. Ceci explique que ce composé ne soit pas souvent détecté dans les eaux de rivière. Dans les sédiments, la biodégradation aérobie est le phénomène prépondérant d’élimination. Quant à la dégradation des octylétains, elle semble être beaucoup plus lente que celle des butylétains.

La persistance des organoétains dans l'environnement est donc très variable selon les conditions climatiques et le milieu dans lequel ils se trouvent. Les sédiments, les eaux souterraines et, généralement, les milieux anoxiques protégés des rayonnements solaires peuvent constituer des réservoirs importants où les composés organostanniques vont non seulement être accumulés mais également conservés durant plusieurs mois, voire plusieurs années. Il semble aujourd'hui, de par leurs nombreuses utilisations, que les butylétains constituent la source principale de la persistance de la contamination organostannique. Cependant, compte tenu du faible nombre d’études concernant d'autres organoétains, les phényl ou les octylétains pourraient également dans le futur s’avérer persistants dans les mêmes conditions de stockage.

Toxicologie

Des concentrations très variables peuvent induire des effets toxiques, en fonction de l'organoétain considéré (nombre et nature du groupement alkylé ou arylé) et de l'organisme vivant qui y est exposé. De façon générale, les composés trisubstitués sont les plus toxiques. Les organoétains tétrasubstitués s'avèrent également très toxiques en raison de la formation des triorganoétains qui résultent d’un processus de conversion in vivo [3]. Ce phénomène de détoxification entraîne une apparition retardée de l'intoxication.

Si la toxicité aiguë du TBT a très largement été démontrée pour la plupart des organismes vivants, il semble que celle du TPhT soit aussi importante [11]. Les méthylétains sont les organoétains les moins toxiques pour la faune aquatique ; paradoxalement, il semble qu’ils soient les plus toxiques pour les mammifères [6]. Sur une échelle relative, les octylétains apparaissent alors les moins nocifs.

Effets sur la flore et la faune

Les différentes espèces d’algues ainsi que les bivalves, gastéropodes et poissons ont des tolérances très variées vis-à-vis du TBT et du TPhT. Des concentrations inférieures à 1 ng (Sn)/l en ces composés peuvent nuire gravement à l’écosystème [6, 18]. On observe alors une inhibition ou une perturbation importante des fonctions vitales des organismes vivants (photosynthèse et respiration pour les algues, ou reproduction). L’apparition d'une toxicité chronique peut conduire à des malformations ou des paralysies [11].

Pour les mammifères de laboratoire, la toxicité du TBT a été la plus largement étudiée. Ce composé a été reconnu comme moyennement à fortement toxique, les doses létales étant de l'ordre de 100 à 200 mg/kg de

poids corporel pour le rat et la souris. Les phénomènes d'intoxication se traduisent par des anomalies sanguines, une atteinte des systèmes digestif (foie, rate) et neurologique. Le TBT, le TPhT et les composés disubstitués (DBT, DOT) s’avèrent être immunotoxiques. Le DBT est tératogène [6].

Risque pour la santé humaine

Au vu des résultats précédents, l’évaluation du risque pour la santé humaine est difficile et souvent controversée. Des doses journalières acceptables ont été calculées par plusieurs auteurs. Elles sont, par jour et par kilogramme de poids corporel, respectivement égales à : 3,2 mg de TBTO, 0,5 mg de TPhT et 120 mg d’étain total [6, 18]. La consommation de produits alimentaires contaminés est susceptible d’apporter à l’homme des doses de TBT et TPhT non négligeables par rapport à ces recommandations. Ainsi, les aliments (dont fruits et légumes) conditionnés dans des boîtes de conserve étamées peuvent apporter jusqu'à 95 % de la dose journalière tolérable [8]. Il faut toutefois modérer ces chiffres car il s'agit ici de l’étain total, dont une partie se trouve probablement sous forme minérale non toxique. Les fruits et légumes frais sont aussi une source alimentaire en étain. La consommation de poisson peut également apporter une quantité importante de TBT, jusqu'à quelques mg/kg de poids corporel et par jour, dans les pays tels que le Japon, l’Amérique du Nord, l’Asie ou l’Océanie [6]. Les eaux potables contaminées sont encore des sources potentielles de butylétains. De façon plus générale, tous les organoétains présents dans des matériaux pouvant être en contact avec la peau et les muqueuses (aérosols, textile, produits d'entretien) sont susceptibles d’être absorbés [6].

Les effets toxiques de ces composés sur l’homme sont très variés : le TBT peut provoquer des dommages sur le système immunitaire humain et ainsi réduire la résistance aux infections [6, 8, 11]. Les organoétains sont des neurotoxiques ; ils peuvent également provoquer des dermatoses, des irritations des yeux et de l’appareil respiratoire. La toxicité à long terme reste inconnue, mais un fort pouvoir accumulateur du corps humain a été démontré, principalement au niveau du foie, des reins et du cerveau [6]. Quelques cas d'intoxication ont été diffusés dans la littérature. Ainsi, on peut citer l'accident survenu en 1954 : à la suite d'une intoxication collective au Stalinon, produit antistaphylococcique oral à base de diodoéthylétain, 210 personnes ont été contaminées et 102 sont décédées. Parmi les différents troubles observés, on avait alors recensé des céphalées intenses, des troubles neurologiques et digestifs, voire des comas.

Législation ou recommandation

Normes

Quelques pays possèdent des normes ou recommandations concernant l’usage, les rejets ou les doses alimentaires journalières acceptables des composés organostanniques. Le tableau 4 ci-après présente quelques-unes d’entre elles.

À l’heure actuelle, une norme internationale est en cours d’élaboration pour les dosages des butyl, phényl, octyl et tricyclohexylétains dans les eaux, sur une gamme de concentrations de 10 à 1 000 ng/l [19].

Après les dommages importants causés à l’ostréiculture, la France a été le premier pays à promulguer un arrêté en 1982, transformé en décret en 1985 et modifié en 1987 et 1992 [20]. Ce décret réglemente la commercialisation et/ou l'utilisation de certains produits à base d’organoétains. Les rejets d'eaux résiduaires sont également réglementés.

Tableau 4 : Normes et législations

Législation française
– Utilisation/commercialisation de produits industriels (peintures antisalissures, produits de protection du bois)
– Traitement des eaux industrielles
– Prélèvement des eaux de consommation et rejet des eaux des installations classées :
  • dans les eaux superficielles
  • dans les eaux souterraines
Législations européennes
Allemagne
– Analyse normalisée des eaux potables et de surface
– Rejet des eaux résiduaires
Suède, Grande-Bretagne
– Rejet des eaux résiduaires
Suisse
– Rejet des eaux résiduaires
Autres législations
Canada
Recommandations sur :
  • eau douce/eau marine
  • abreuvement des animaux d’élevage
  • alimentation
Japon
– Dose journalière acceptable
Organotins concernés
Trisubstitués, DBB (*)
Trisubstitués
Étain et ses composés organostanniques
Butyl, phényl, cyclohexyl et octylétains
TBT, TPhT
TBT, TPhT/TBT
TBT, TPhT, TeBT
Octylétains
Étain
DBT (chlorure), TBT (oxyde), TPhT (acétate, chlorure, hydroxyde), TeBT
Références
Décret 92-1074 (oct. 1992)
Arrêté du 2/2/1998
Directive 76/464/CEE
DIN 38407-F16 (1994)
Ordonnance de 1975
[6]
(*) DBB : di-ω-oxo-di-n-butylstanniohydroxyborane

Conclusion

L’ensemble des données bibliographiques démontre de manière incontestable l’omniprésence des organoétains en milieux marin et continental. Tous les compartiments apparaissent pollués à des niveaux souvent suffisants pour perturber les écosystèmes, voire provoquer une toxicité chronique. Les butylétains, les plus fréquemment étudiés, ont été détectés dans les eaux, les sols et les sédiments qui servent alors de réservoir. Ils peuvent y rester stockés durant plusieurs mois, voire plusieurs années, et contribuer à une nouvelle contamination par relargage dans le milieu naturel lors de précipitations ou de remise en suspension.

Peu de travaux concernent les phényl-, octyl- ou cyclohexyltains. Cependant, il est probable, compte tenu de leurs multiples utilisations, qu’ils soient également largement présents dans l’environnement.

Les organoétains apparaissent aussi dans l’environnement domestique humain, sans que les sources en soient très clairement délimitées. Les stations d’épuration urbaines reçoivent ainsi des effluents systématiquement pollués. La pollution organostannique se concentre dans les boues qui sont par la suite mises en décharge ou recyclées à des fins agricoles, contribuant à leur tour à la contamination de l’environnement.

Peu de travaux relatifs à des suivis en milieu dulcicole ont été réalisés, en particulier en France. Aucun bilan à moyen terme ne peut donc être établi concernant le niveau de contamination.

Le transfert des organoétains eaux-sols-plantes, les risques liés à la consommation humaine de fruits et légumes et à la contamination des eaux de ressource restent donc à ce jour inconnus.

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