Les avantages des techniques membranaires en production d'eau potable sont aujourd'hui bien connus : comparés aux techniques classiques de séparation (coagulation(décantation, filtration sable, filtration sur charbon actif en grain...) ces procédés notamment (Cité 1997) la possibilité d'éliminer en une seule étape une large gamme de polluants ; - la sécurité d'une désinfection par rétention physique des micro-organismes et des pathogènes ; - une qualité d'eau traitée constante ; - la réduction de l'usage des réactifs chimiques.
Hervé Buisson, Anjou Recherche
Thomas Lebeau, Anjou Recherche
Claire Lelièvre, Anjou Recherche
Louis Herremans, Anjou Recherche
Les avantages des techniques membranaires en production d’eau potable sont aujourd’hui bien connus : comparés aux techniques classiques de séparation (coagulation/décantation, filtration sable, filtration sur charbon actif en grain...), ces procédés offrent notamment :
- la possibilité d'éliminer en une seule étape une large gamme de polluants,
- la sécurité d’une désinfection par rétention « physique » des micro-organismes et des pathogènes,
- une qualité d’eau traitée constante,
- la réduction de l’usage des réactifs chimiques.
Aujourd’hui, l’évolution du cadre règlementaire et la dégradation des ressources utilisables contribuent principalement au développement et à la diffusion de ces technologies pour la production d’eau potable. Ainsi, ces dernières années, l’attention portée aux sous-produits de désinfection (formés par réaction du chlore sur la matière organique naturelle) ou d’ozonation (bromates, DEA, DIA...) et l'identification de « nouveaux » micro-organismes pathogènes tels que les protozoaires Giardia et Cryptosporidium résistants à la chloration (Bontoux, 1997) ont renforcé l'intérêt pour les technologies à membranes qui permettent
DEA et DIA (déséthylatrazine et désisopropylatrazine) sont deux sous-produits d’arylation de l’atrazine par l’ozone.
Tableau 1 – Principales caractéristiques des procédés à membranes « à gradient de pression »
Filtration sur média | Microfiltration (MF) | Ultrafiltration (UF) | Nanofiltration (NF) | Osmose inverse (OI) | |
---|---|---|---|---|---|
Plus petitesespèces retenues | particules | colloïdes, micro-organismes | virus, matièreorganiquepolymérisée | ions divalents, laplupart des petitesmolécules organiques | la plupart desespèces dissoutes |
Pressionsopératoires (bar) | 0,1 – 0,2 | 0,2 – 1,0 | 1 – 5 | 5 – 15 | 15 – 80 |
Flux typiques(l/m² · h) | 2 000 – 10 000 | 100 – 500 | 50 – 200 | 15 – 30 | 15 – 30 |
Applicationprincipale | clarification | clarification | clarification | adoucissement, éliminationde la MON, des pesticides,de la couleur | dessalement |
de réduire l’usage des oxydants dans la chaîne de production d’eau potable et améliorent la désinfection par la rétention physique des micro-organismes.
Au terme d’une longue phase de recherche et développement, ces procédés sont aujourd’hui disponibles pour des applications à grande échelle et la compétition entre les fabricants a favorisé une réduction significative des coûts ces dernières dix années.
Principaux procédés à membranes en traitement de l’eau
Les procédés à membranes sont basés sur l’utilisation de pellicules minces, semi-perméables séparant l’eau à traiter en deux « phases » (perméat et concentrat) sous l’effet d’une force motrice qui peut être la pression, un champ électrique, un gradient de température ou une différence de concentration. Nous nous limiterons, dans cet exposé, au cas des procédés dont le fonctionnement est basé sur l’utilisation d’un gradient de pression. Il s’agit de la microfiltration et de l’ultrafiltration (MF et UF) ainsi que de la nanofiltration et de l’osmose inverse (NF et OI).
Les principales caractéristiques des procédés « à gradient de pression » sont présentées dans le tableau 1, en comparaison avec la filtration classique sur matériau filtrant. La microfiltration ne retient que des particules de petites tailles, incluant les micro-organismes et les pathogènes (Giardia et Cryptosporidium). L’ultrafiltration a un pouvoir de séparation plus fin et retient avec une sécurité accrue les virus ainsi que les molécules organiques de grandes tailles. Ces deux procédés fonctionnent comme des tamis dans lesquels la rétention d’une espèce ne dépend que des dimensions respectives des pores de la membrane et de l’espèce considérée.
Les niveaux de traitement de la MF ou de l’UF peuvent être améliorés par conversion de certaines espèces dissoutes en particules de tailles supérieures au pouvoir de séparation des membranes. Cette conversion peut être réalisée par adsorption sur charbon actif, par coagulation ou encore, par oxydation (ou réduction) biologique ou chimique.
La nanofiltration et l’osmose inverse retiennent des substances dissoutes. La nanofiltration retient, plus particulièrement, des ions divalents ainsi que des petites molécules organiques telles que les pesticides et les molécules constitutives du carbone organique dissous. L’osmose inverse retient la plupart des substances dissoutes. Le degré de rétention des substances organiques ou inorganiques dépend de la taille des molécules considérées mais également de leur solubilité et de leur diffusivité au sein du matériau membranaire.
Tableau 2 – Capacité de rétention des procédés à membranes dans le traitement de l’eau(T : rétention totale, P : rétention partielle, D : rétention dépendant de la forme chimique)
MF | NF | OI | |
---|---|---|---|
Matières en suspension | T | T | T |
Protozoaires (Giardia) | T | T | T |
Cryptosporidium | T | T | T |
Micro-organismes (Coliformes) | T | T | T |
Virus | D | T | T |
Fer, manganèse | D | P | T |
Couleur (substances humiques) | . | P | T |
CO₂ (précurseurs ou sous-produits de désinfection) | . | P | P |
Produits phytosanitaires | . | T | T |
Dureté | . | P | T |
Alcalinité | . | P | T |
Sulfates | . | P | T |
Nitrates | . | D | P |
Ion ammonium | . | D | P |
Radio-éléments | . | D | T |
Arsenic | . | D | T |
Fluor | . | D | T |
Bore | . | D | D |
Les capacités de rétention des quatre procédés MF, UF, NF et OI sont précisées dans le tableau 2.
Membranes utilisées en traitement de l’eau
Matériaux
Une grande variété de polymères est utilisée pour la fabrication des membranes destinées à la production d'eau potable (Zeman et Zydney, 1996). En France, ces matériaux doivent faire l'objet d’un agrément après avis du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France (CSHPF) en application de l’article L21 du Code de la Santé Publique.
Les fabricants hésitent généralement à dévoiler la nature chimique des constituants de leurs membranes et préfèrent en indiquer les principales propriétés en termes de 1) résistance mécanique (déterminant la durée de vie et l'intégrité des membranes), 2) hydrophilicité (déterminant la résistance au colmatage) et 3) stabilité chimique (résistance aux agents lavants).
Les dérivés de la cellulose sont utilisés pour la fabrication des membranes asymétriques d'ultrafiltration, de nanofiltration et d’osmose inverse. Sous l'effet de fortes pressions, ils ont tendance à se compacter entraînant une diminution irréversible de la perméabilité. Ce phénomène n'est pas observé en ultrafiltration où les pressions restent faibles. Ces matériaux présentent une forte hydrophilicité garantissant une faible tendance au colmatage. Leur stabilité chimique est réduite : les pH opératoires doivent rester dans une gamme 4 à 6,5 et la température inférieure à 40 °C pour éviter l’hydrolyse du matériau. Ces matériaux supportent une exposition continue à de faibles concentrations de chlore évitant ainsi leur dégradation complète par les micro-organismes.
Le polypropylène est utilisé pour la fabrication de membranes de microfiltration. C'est un matériau élastique qui résiste bien, sur le plan mécanique, aux rétrolavages fréquents. Son caractère hydrophobe le rend assez sensible au colmatage. Il présente une bonne stabilité chimique dans une large gamme de pH mais peut être détruit par le chlore dont l’usage est donc proscrit.
Les polysulfones sont utilisés pour la fabrication de membranes d'ultrafiltration qui peuvent être utilisées telles quelles ou servir de support à une couche fine de séparation pour constituer des membranes composites de nanofiltration ou d’osmose inverse. Ses propriétés mécaniques et sa résistance chimique sont excellentes (résistance à une large gamme de pH, à une exposition continue au chlore...). Le caractère hydrophobe de ce matériau le rend cependant sensible au colmatage par adsorption de molécules organiques.
Modules de filtration
À partir de membranes planes ou tubulaires d'UF, de MF, de NF ou d’OI, les fabricants ont développé différents types de modules de filtration.
Dans la configuration tubulaire, les membranes peuvent être classées selon leur diamètre : > 5 mm, membranes tubulaires ; 0,5 à 2 mm, fibres creuses. La couche de séparation est située sur la surface interne dans le cas des membranes tubulaires, sur la surface interne ou externe dans le cas des fibres creuses. Les membranes sont assemblées en faisceaux et leurs extrémités sont noyées dans un tampon de colle qui isole le perméat de l'eau à traiter.
L’eau à traiter est toujours directement en contact avec la couche de séparation. Selon sa position à l’intérieur ou à l’extérieur du « tube », la filtration est soit interne-externe (de l’intérieur vers l’extérieur de la membrane) soit externe-interne (de l’extérieur vers l'intérieur de la membrane). Ces deux configurations sont schématisées dans la Figure 1 (Fig. 1a et 1b respectivement). Dans le cas des configurations en carter de filtration, l'eau d’alimentation est mise sous pression. Lorsque les membranes sont immergées sans carter, le perméat est aspiré à chaque extrémité des fibres sous une faible dépression (< 0,3 bar) (Figure 1c).
Les membranes planes sont assemblées en cassettes ou en modules spiralés. Ces assemblages comportent toujours trois types d’éléments : deux espaces de circulation (un pour l'eau à traiter appelé espaceur d’ali-
Tableau 3 – Membranes tubulaires de MF et d’UF et modules industriels associés
Caractéristiques des membranes
Caractéristiques des modules
A : Aquasource, B : Asahi Chemical Industry Co. Ltd, C : Daicen, D : Memtec Corp., E : Koch Membrane Systems Inc., F : X-Flow, G : Zenon Environmental Inc.
mentation et un pour le perméat appelé espaceur perméat) encadrent la membrane. Ces deux espaces de circulation sont constitués par des « grilles » plastiques. Ces deux configurations sont présentées à la Figure 2 (a et b).
Les principaux critères de choix d’un couple membrane-module sont le volume occupé par les membranes (leur « densité »), la sensibilité au colmatage de la membrane, la possibilité de réaliser des rétrolavages (en MF et UF), la simplicité et l’efficacité des opérations de nettoyage ainsi que les coûts d’investissement et de fonctionnement. Les configurations les mieux adaptées au traitement de l’eau sont aujourd’hui bien identifiées. Il s’agit :
- 1) des fibres creuses pour la clarification par MF et UF,
- 2) des modules spiralés pour le traitement des eaux clarifiées par NF ou le traitement des eaux saumâtres par OI et
- 3) des fibres creuses ou des modules spiralés en carter de filtration pour le dessalement de l’eau de mer par OI.
Les principales caractéristiques de quelques couples membranes-modules industriels de microfiltration et d’ultrafiltration sont indiquées dans le tableau 3.
Systèmes membranaires
Un procédé membranaire s’intègre toujours dans un environnement dont les principaux éléments sont indiqués à la figure 3.
Dans cet environnement, les prétraitements ont principalement pour objet :
- – de réduire le colmatage des membranes en éliminant les petites particules telles que les colloïdes et les substances susceptibles de précipiter à la surface des membranes (principalement pour NF et OI),
- – de limiter l’accumulation de matière au sein des dispositifs de filtration,
- – d’améliorer l’efficacité de la séparation en modifiant certaines substances (par oxydation, adsorption, coagulation…) (principalement pour MF et UF).
Le « procédé à membranes » comprend l’ensemble des modules connectés entre eux et fonctionnant en « série-parallèle ». Un ensemble de modules forme une unité de dimensionnement appelée rack, block, tube ou cassette selon le type de module considéré.
À grande échelle, ces ensembles partagent certains équipements auxiliaires tels que des systèmes de test in situ de l’intégrité des membranes ou encore des dispositifs de nettoyage en place. L’aspect de certaines de ces unités de dimensionnement est indiqué sur la figure 4.
Le mode de filtration peut être frontal (écoulement de l’eau perpendiculairement à la surface de filtration) ou tangentiel (l’écoulement balaye la surface de filtration). Dans le premier cas, l’accumulation des substances retenues par la membrane constitue un gâteau de filtration, cycliquement éliminé par rétrolavage (avec le perméat ou à l’air sous pression). Le mode tangentiel est systématique en NF ou en OI et peut être mis en œuvre en UF et en MF avec, en général, recirculation du concentrat pour minimiser son volume.
Toutes les installations comportent un dispositif de nettoyage-en-place des membranes (NEP) qui peut être partagé entre plusieurs unités de dimensionnement. Ce dispositif comprend des bâches de stockage des réactifs chimiques, une bâche de mélange et de préparation des solutions lavantes ainsi que les pompes nécessaires pour l'injection des solutions au sein des systèmes de filtration. Les réactifs utilisés (acides, oxydants, bases) sont choisis en fonction de leur compatibilité avec la membrane utilisée, leur efficacité pour faire face aux problèmes de colmatage rencontrés et également leurs possibilités de neutralisation et d’évacuation après usage.
Enfin, les besoins en post-traitements sont généralement réduits dans le cas des applications de la MF ou de l'UF sauf lorsque la présence de substances dissoutes requiert la mise en œuvre d'une étape supplémentaire d'affinage (adsorption de pesticides par exemple). Dans le cas de la NF ou de l'OI, le perméat doit dans certains cas être neutralisé et reminéralisé avant sa distribution.
Applications
À titre d’exemple, quelques cas d'application à grande échelle des procédés à membranes sont indiqués dans les paragraphes suivants.
Élimination des sulfates
La nanofiltration permet également d’éliminer les sulfates contenus dans les eaux d’exhaure de mines dans lesquelles ils sont formés lors de l’oxydation des pyrites. Bertrand et al. (1997) ont décrit les résultats obtenus à Jarny dans l’est de la France où les concentrations trouvées dans l’eau d'alimentation ont atteint 2000 mg/L.
Affinage des eaux de surface
Dans les zones fortement urbanisées, les eaux de surface sont souvent les seules ressources utilisables pour la production d'eau potable bien que leur qualité soit généralement très dégradée.
Plusieurs procédés à membranes ont été développés pour remplacer l'affinage « traditionnel » par ozonation et filtration sur charbon actif en grain avec les objectifs suivants :
- 1) désinfection par rétention « physique » des micro-organismes,
- 2) élimination de la matière organique naturelle,
- 3) élimination des micropolluants organiques et
- 4) élimination partielle de certaines espèces inorganiques (calcium…).
À titre d'exemple, on peut citer :
- le cas de Méry-sur-Oise où la nanofiltration est utilisée après une clarification complète de l'eau à traiter (Ventresque et Bablon, 1997). L’application de la nanofiltration permet d’étendre la capacité de traitement de l’usine de 140 000 m³/j (mise en service prévue en 1999) ;
- le cas de Vigneux-sur-Seine où l’ultrafiltration est mise en œuvre dans un procédé hybride associant membranes et charbon actif en poudre pour l’affinage de l’eau de Seine (55 000 m³/j) (Anselme et al., 1997).
Clarification des eaux karstiques
Les eaux karstiques sont des eaux souterraines peu profondes dont la qualité dépend des conditions climatiques. Une trentaine de petites installations complètement automatisées de microfiltration ou d’ultrafiltration ont été réalisées depuis la fin des années 80 pour traiter la turbidité (Côté, 1995).
Clarification des eaux de surface
La détection récente de Giardia et de Cryptosporidium dans certaines eaux de surface aux États-Unis, au Canada et en Angleterre a conduit à l’adoption de la microfiltration comme procédé de clarification à la place de la filtration sur sable. Plusieurs installations de tailles importantes ont été construites ces dernières années pour faire face à ces contaminations : 19 000 m³/j à San José, Californie (Yoo et al., 1995) ; 27 000 m³/j à Collingwood, Canada (Mourato, 1997) et 80 000 m³/j à Huntington, Angleterre (Hillis, 1997). Quelque 50 installations ont été mises en place au Japon pour répondre au même objectif (CHC Corporation, 1997).
Derniers développements au sein du groupe Générale des Eaux
Les plus récents développements sont basés sur l'utilisation de membranes fibres creuses.
directement immergées dans l'eau à traiter sans carter de mise en pression (voir Figure 1). Cette configuration est idéale pour coupler certains traitements « classiques » à la filtration membranaire tels que la coagulation, une oxydation chimique, un traitement d’adsorption ou de bioassimilation.
Une première unité de production basée sur l’utilisation de ces membranes est actuellement en phase de démarrage à Ocana en Corse (secteur d'Ajaccio). Sa construction est le fruit d'une collaboration entre plusieurs sociétés du Groupe Générale des Eaux (CEO, OTV INDUSTRIES et Anjou Recherche).
La ressource est constituée par une eau de surface de type Al, très douce, pouvant présenter des teneurs importantes en fer et en manganèse dissous. La filière comprend une première étape de reminéralisation (CO₂ et neutralite), une étape d’oxydation au bioxyde de chlore avant la filtration sur membranes et la désinfection finale (Figure 5).
Conclusion
L'utilisation des membranes pour des applications hors-dessalement se développe en production d'eau potable. Ce développement peut s’accélérer si les coûts de ces applications diminuent et si les exigences en matière de qualité d’eau et le cadre réglementaire continuent à se renforcer.
Une grande variété de membranes, de modules et de systèmes de filtration sont aujourd'hui disponibles. L’absence de standardisation en MF et en UF où les configurations, les sens de filtration et les propriétés des membranes apparaissent comme extrêmement variés est un facteur de renchérissement des coûts. Ce facteur n’existe plus dans les applications du type NF ou OI que l'on peut considérer comme matures car la standardisation des équipements (membranes, modules...) est aujourd’hui achevée. Parmi l'ensemble des configurations disponibles, certaines apparaissent mieux adaptées que d'autres : c'est le cas notamment des modules spiralés de NF et d’OI pour le dessalement des eaux saumâtres et l’affinage des eaux de surface clarifiées et les fibres creuses rétrolavables pour les applications de clarification.