Les membranes sont arrivées à maturité : les coûts diminuent, et les performances augmentent. De nouvelles membranes voient le jour, amenant de nouvelles applications dans différents secteurs industriels. Explications.
Depuis que les premières membranes céramiques sont sorties de l'industrie nucléaire pour arriver dans le domaine de l'eau, elles ont fait du chemin. Des membranes céramiques, on est passé aux membranes organiques. Elles couvrent aujourd'hui une large gamme en microfiltration, ultrafiltration, nanofiltration et osmose inverse. Les membranes céramiques en revanche ne sont pas disponibles pour l’osmose inverse. « De plus, souligne Jean-Michel Lainé, responsable adjoint du pôle eau potable, au Cirsee (Ondeo Services), la nanofiltration céramique reste peu diffusée, et présente généralement un seuil de coupure plus élevé qu'en membrane organique ». L'innovation pour améliorer leurs performances est continue.
« On ne voit désormais plus d’innovations fondamentales concernant la structure chimique de la membrane elle-même. En revanche, on assiste à des progrès constants dans les résistances chimiques et mécaniques, ainsi que dans la sélectivité des membranes », indique Jacques Sibony, directeur des technologies et directeur adjoint de Vivendi Water System. « On observe certaines innovations de mise en œuvre industrielle, notamment au niveau de la conception des modules de microfiltration et d'ultrafiltration », renchérit Jean-Michel Lainé.
Si l'on se trouvait auparavant face à un dilemme, entre des membranes organiques
détériorées par les solvants et des membranes céramiques ne possédant pas le bon seuil de coupure, ce n'est désormais plus le cas. Par ailleurs, la diversité des configurations membranaires (planes, spiralées, tubulaires ou fibres creuses) offre aujourd’hui à l'industriel un vaste choix selon ses besoins.
Des membranes interchangeables ou uniques
Aujourd’hui, au-delà du rapport membranes céramiques versus membranes organiques, une autre hiérarchie se dessine. Il s'agit de membranes bénéficiant d’une « technologie propriétaire » versus les membranes interchangeables. Dans ce dernier cas, peu importe le fabricant, c’est le type de membranes qui compte. « Ce processus s’est passé, et est toujours en cours, pour l’osmose inverse », remarque Jacques Sibony. Tout le bénéfice revient alors à l'utilisateur, qui peut choisir sa membrane selon des critères de coût, et non plus d’efficacité. « En osmose inverse et nanofiltration, les technologies sont effectivement interchangeables, en ce qui concerne les configurations spiralées », précise Jean-Michel Lainé.
Mais pour l’osmose inverse, tout comme pour sa petite sœur la nanofiltration, les applications en milieu industriel restent marginales. Des cas se trouvent par exemple lorsque l’industriel a besoin de séparer des sels dissous dans l'eau. « Les ventes de ces membranes en milieu industriel sont marginales par rapport au volume de membranes vendues », rappelle Jacques Sibony. Des niches d’application devraient devenir de plus en plus importantes, au fur et à mesure que les coûts baissent et que les utilisations sont plus ciblées. « Mais elles restent des niches », insiste-t-il.
La seconde catégorie, celle des technologies propriétaires, est le domaine réservé de la microfiltration et de l’ultrafiltration. « Les technologies restent propriétaires, quelle que soit la mise en œuvre ou la configuration du module », remarque Jean-Michel Lainé. Mais la caractéristique de ces marchés est la présence de membranes dotées de qualités très variables, de haute résistance (à la température, aux produits chimiques caustiques, etc.). Ces membranes céramiques se placent dans des niches d'application bien précises. « C’est un gros marché, constitué de nombreuses niches », conclut Jacques Sibony. Dans les technologies propriétaires, on voit arriver sur le marché des membranes soit spécialisées, soit couplées à un traitement particulier. Le grand classique du couplage est aujourd’hui le bioréacteur à membranes, où les membranes sont couplées à un traitement biologique. La société canadienne Zenon Environnement a ainsi réussi à ôter des huiles émulsionnées dans l'eau de traitement pour General Motors avec de l'ultrafiltration. « Des applications sont réalisées avec des combinaisons de traitement, notamment en couplage ultrafiltration/osmose inverse, ou microfiltration/osmose inverse », remarque Jean-Michel Lainé. « Ces combinaisons sont souvent identifiées comme IMS (Integrated Membrane System), ou dual membrane system, et présentent un intérêt pour le concept de double barrière ». Selon Emmanuel Trouvé, directeur commercial chez Orélis, on voit aussi apparaître des couplages avec des réacteurs physico-chimiques, ainsi qu’avec l’évaporation. Les membranes spécialisées sont des membranes sur lesquelles une fonction est greffée (fonction chimique d’adsorption, complexation par exemple). « Les forces de surface, qui jouent un rôle primordial, sont encore mal comprises », regrette Rémi Lebrun, de l'université du Québec Trois-Rivières. L'une des voies d’application serait par exemple de capturer des molécules pendant le procédé de fabrication. Pendant longtemps, les recherches se sont orientées sur des fixations définitives. « Mais les conditions d’opérations macroscopiques ne sont pas compatibles avec une membrane modifiée », souligne Emmanuel Trouvé. Une stratégie plus pragmatique s'est donc mise en place, où la membrane, non spécialisée au départ, est « habillée » de manière à ce que la fonction reste stable dans les conditions opératoires. Orélis vend ainsi une membrane dotée d'une fonction répulsive par rapport à la peinture, pour le traitement des bains automobiles.
Des procédés plus efficaces
Dans les procédés, les membranes sont assez largement utilisées, selon toutefois le type d'industrie. Dans la production de sirop d’érable au Canada, les membranes ont
trouvé une application originale. Auparavant, d’immenses bassins permettaient l’évaporation. Aujourd’hui, les membranes organiques de nanofiltration ont remplacé les bassins. « Elles nécessitent cependant un nettoyage fréquent, du fait de la présence des bactéries qui donnent ce goût si particulier au sirop », indique Marie Tétrault, directrice R&D de la société québécoise Darv-Eau.
Le Canada est aussi l'un des principaux producteurs de papier au monde. Le chlorate de sodium est le principal produit de blanchiment.
Or un fabricant de chlorate de sodium souhaitait réduire sa consommation énergétique au niveau de ses cellules d’électrolyse. La saumure, acheminée vers les cellules d’électrolyse, était jusqu’ici traitée de manière conventionnelle, c’est-à-dire avec neutralisation, précipitation, filtration classique, cristallisation et résines échangeuses d’ions.
La plupart des ions et impuretés cathodiques sont pratiquement éliminés, ce qui n’est en revanche pas le cas du sulfate de sodium.
Le CNETE, le Centre national en électrochimie et en technologies environnementales, a donc étudié deux techniques membranaires, l’électrodialyse avec membranes anioniques sélectives aux mono-anions, et la nanofiltration.
Les essais en laboratoire ont permis d’identifier une membrane de nanofiltration ayant un fort potentiel, mais avec la nécessité d’un pré-traitement approprié avec du peroxyde d’hydrogène avant d’effectuer la séparation.
Le passage au pilote industriel a montré le besoin d’ajouter une boucle de contrôle de pH sur la ligne de filtration pour éviter de détériorer inutilement la membrane.
Dans les sociétés de biotechnologie et pharmaceutique, l’avancée est certaine, mais il reste encore des applications à trouver. « 20 à 30 % des procédés pharmaceutiques pourraient être déplacés vers des procédés avec membranes », explique Emmanuel Trouvé.
Les avantages selon lui sont de quatre ordres : moins de volume à traiter, moins de dilution à effectuer, une vitesse de fabrication plus grande, et un souci de l’environnement.
C’est en partant sur le constat que l’on pouvait valoriser des déchets industriels que la société canadienne Aqua-Biokem et le CNETE se sont penchés sur les techniques membranaires.
L’industrie gaspésienne de la crevette nordique produit la quasi-totalité des 11 000 tonnes de résidus de crevette nordique.
Or ces résidus, qui représentent près de 70 % de la biomasse fraîche, contiennent une teneur importante de protéines, de lipides, de sels minéraux et de chitine, bref des composés intéressants pour les secteurs industriels de l’agro-alimentaire, de la cosmétique, de la pharmaceutique et de l’environnement.
Le procédé mis au point par le CNETE a permis de fractionner et de concentrer différentes protéines par filtrations tangentielles successives, une microfiltration suivie d’une nanofiltration.
Les résidus de crevettes ne sont aujourd’hui plus rejetés en mer ou enfouis avec les déchets ménagers, mais bel et bien valorisés.
D’autres secteurs industriels sont bien sûr concernés par l’amélioration de leurs procédés par des systèmes membranaires.
La concentration des protéines dans l’industrie laitière est un exemple qui se rencontre de plus en plus.
Les membranes peuvent alors être utilisées pour concentrer un sous-produit qui auparavant, faute de techniques adaptées, était rejeté au milieu.
Et aujourd’hui, de nouvelles membranes peuvent être utilisées sur milieu non aqueux (solvants), alors que leurs applications se limitaient auparavant aux milieux aqueux et parfois aux bains d’huiles.
« Beaucoup d’innovations sont en cours de maturation, dont certaines en phase de développement assez avancée », remarque Emmanuel Trouvé.
Le traitement des effluents
Mal traités, des effluents industriels peuvent avoir un impact majeur sur les milieux naturels, dont dépend parfois une ressource en eau potable. Les composés organohalogénés volatils (OHV) sont produits par les secteurs d’activité industrielles fabricant des réfrigérants, aérosols, solvants et agents de dégraissage. Deux d’entre eux, le trichloroéthylène (TCE) et le tétrachloroéthylène (PCE), sont responsables de 98 % de la contamination en OHV des eaux souterraines et superficielles. Leur élimination
peut être réalisée à l'aide de différents procédés classiques, comme l’adsorption sur charbon actif, l’oxydation, l’entraînement à l’air ou le traitement biologique. Mais ceux-ci présentent des inconvénients majeurs, comme la formation de nouveaux composés toxiques, le déplacement de la micropollution vers l'air, ou encore une difficulté d'adaptation à la grande variabilité au cours du temps des concentrations en micropolluants dans les eaux brutes. C’est pourquoi l’Agence de l’eau Seine-Normandie a commandé une étude à l'INSA Toulouse, réalisée entre 1997 et 1999, sur leur élimination par distillation membranaire et nanofiltration (cf. encadré). Les résultats montrent des performances variables selon le type d'industrie. Pour l'industrie du cuir, les débits de filtration sont insuffisants, pour l'industrie papetière, il faut faire un traitement biologique en amont pour éviter le colmatage des membranes dès que le facteur de concentration volumique augmente. Dans l'industrie mécanique, les résultats sont mitigés, car si la nanofiltration arrête les métaux contenus dans les fluides de coupe, la DCO résiduelle du perméat exclut tout rejet à l’égout, d'autant que les débits de filtration sont faibles. Par ailleurs, notent les auteurs de l’étude, l'agressivité des effluents de rinçage chromique et de tribofinition dégrade les membranes organiques. En revanche, les résultats sont prometteurs pour l'industrie textile, car la nanofiltration en traitement tertiaire bloque les traces de colorants et réduit la DCO à moins de 20 mg/l. L'industrie automobile est à ce titre particulièrement bien équipée. « Plus aucune de leur ligne de peinture dans le monde ne se fait sans membrane », soutient Bernard Castelas, qui développe l'activité de Rhodia Eco Services/Orélis aux États-Unis.
La réutilisation de l'eau
Un autre secteur majeur, qui se situe à l’interface des procédés et du traitement des effluents, est la production d’eau de bonne qualité grâce à des techniques membranaires, en vue de sa réutilisation. Au Canada, le plus gros marché industriel pour des membranes est celui de la fabrication d’eau pure. Les industries du microprocesseur, de l'optique, de la pharmacie et de la cosmétique sont les principaux consommateurs.
« C’est un secteur particulièrement actif », souligne Marie Tétrault. En France, c'est devenu un exemple générique en environnement. L’eau peut alors être utilisée dans les chaudières, pour laver les véhicules, les tanks, les sols, ou en refroidissement, un cas où l'économie de prélèvement de la ressource est particulièrement conséquente. « On obtient un retour sur investissement très favorable lorsque l'on commence à économiser sur ses achats d’eau potable », indique Emmanuel Trouvé. Les avantages ne se situent pas seulement au niveau du coût, le maintien et la maîtrise de la qualité de l'eau produite est aussi un plus.
La désinfection
tion est de même assurée, même pour une eau de chauffage, propice à la prolifération de légionelles. Quand Genencor, la première entreprise américaine de fabrication d’enzymes industrielles, a décidé de produire ses eaux de procédé et de chaudière dans son site belge de Bruges, elle a choisi l’osmose inverse. « L’eau initiale contenait beaucoup de chlorures », explique Christian de Voos, directeur de la sécurité pour cette usine.
Après filtration, 70 % de l'eau initiale est utilisée, avec 30 % de résidus. « Le volet membranes est désormais présent, et étudié dans 60 à 70 % des projets de traitement des effluents, rappelle Emmanuel Trouvé. En fonction du retour sur investissement et de la facilité de mise en œuvre, on a facilement un produit sur cinq ou six qui donne lieu à réutilisation. Et dans ce cas, il y a toujours des membranes », ajoute-t-il.
Les membranes semblent donc adoptées par l'industrie, bien que de nouvelles applications soient souvent réalisées au cas par cas. « Aujourd’hui, les seuls secteurs fermés à l’utilisation des membranes le sont seulement pour des raisons économiques, il n’y a aucun blocage technologique », souligne Emmanuel Trouvé. Certes, les membranes céramiques restent chères. « Mais elles peuvent trouver leur place dans des conditions extrêmes », note Madeleine Tétrault.
Pour Emmanuel Trouvé, « au fur et à mesure que le secteur des membranes se développe, que la production des membranes se modifie, on voit une baisse des prix ». « Les membranes sont l’un des systèmes les plus performants », conclut Rémi Lebrun.
Techniques séparatives : Information scientifique et technique pour rassembler les éléments de choix
Parmi les techniques séparatives, les applications variées des membranes minérales ou organiques sont maintenant largement maîtrisées et développées. Ce ne sont plus que des éléments financiers qui freinent l’extension irrésistible des domaines d’application des membranes dans les procédés de production et l’environnement industriel. En effet, certains industriels n’hésitent pas à utiliser les nouvelles techniques séparatives membranaires pour leurs performances et les critères concurrentiels de leur cycle de vie. Par contre d’autres chefs d’entreprise, particulièrement dans le traitement de surface, exigent des temps de retour sur investissement trop courts et attendent que des contraintes environnementales plus draconiennes les obligent à s’initier à ces nouvelles technologies et à les appliquer dans leur entreprise.
Aussi, le premier objectif partagé par les chercheurs, les fabricants de membranes et les consultants et ensembliers, est-il l’information et la formation des utilisateurs potentiels. À travers séminaires, conférences, salons et publications, l’information scientifique, technique et commerciale se multiplie depuis environ deux ans. Ainsi, le Club Français des Membranes (CFM) qui réunit des chercheurs spécialisés de différents laboratoires du CNRS, du CEA, de EDF et des universités, a-t-il organisé depuis 1998 plusieurs conférences en France, et même en Belgique, pour expliquer et montrer avec des praticiens les techniques membranaires, nanofiltration, dialyse, électrodialyse, osmose inverse, techniques combinées, et leurs applications dans déjà de nombreux domaines où les industriels ont développé ces nouvelles techniques de recyclage avec succès.
De même le colloque « Intégration des membranes dans les procédés » organisé par le CPE Lyon en mai 2000, avait attiré un public étendu grâce à la richesse des informations apportées sur les applications industrielles très variées des membranes. À la tribune se sont succédé des dirigeants et ingénieurs d’entreprises prestataires tels que M. Pannuzzo, pdg de TIA (Bollène/84) dont les réalisations intéressent plusieurs domaines industriels aussi différents que la laiterie et la production de latex, M. Thoraval, d’Orélis à Lyon, plutôt spécialisé dans le domaine du rejet zéro pour les ateliers de peinture automobile et aussi le domaine de l’épuration des eaux usées. C. Fuchs de Degrémont présentait aussi des procédés membranaires ou combinés pour l’épuration ; G. Maruzzo de Pall (St-Germain-en-Laye/78) présentait les applications des membranes aux fluides de l’industrie électronique. Le domaine des biotechnologies est aussi prometteur, comme la séparation des protéines exposée par un ingénieur de Millipore, ou la fabrication de vaccins. Dans ces colloques et séminaires, les spécialistes sont aussi dans la salle et enrichissent le débat de leurs propres expériences et réussites. J.-M. Chiapello, directeur de JMC Environnement (Brunstatt, Mulhouse) propose la dialyse acide pour les bains de décapage en mécanique et traitement de surface, Vincent Weck de EIVS SA (Courtabœuf/91) propose les applications de l’électrodialyse, en particulier en galvanoplastie, pour récupérer les substances valorisables, limiter la pollution et économiser l'eau. De même la société TREDI, spécialiste des filières de déchets industriels spéciaux, à travers sa filiale SOTREFI, propose des solutions combinées ultrafiltration-évaporation sous vide, autant pour recycler des émulsions d’usinage ou des eaux d’atelier, que pour réduire les volumes à traiter en épuration avant rejet.
À Nîmes en décembre 2000, chercheurs et prestataires débattaient l’application des technologies membranaires dans le recyclage des eaux usées et pluviales urbaines dans les pays secs du bassin méditerranéen. Du 3 au 6 juin 2004, à Grenade en Espagne, l’EMS (Société européenne des membranes) fera le point sur les dernières performances, et de nouveaux couplages proposés aux industriels, comme aux affineurs d’eau.
Toutes ces nouvelles connaissances et informations techniques sont rassemblées dans les recueils et actes de ces colloques et séminaires qu’il est toujours possible de se procurer, comme de contacter les spécialistes présents.
C’est avec le même souci de promotion et de diffusion de ces techniques dans les applications industrielles, que le CFM a édité en décembre 2000 un « Guide de la nanofiltration », d’initiation à l’intention des industriels. C’est le premier ouvrage d’une collection : « Les Cahiers du CFM » que l’on pourra se procurer facilement à la librairie Lavoisier qui en assure déjà la diffusion (TEC & DOC Lavoisier, 14, rue de Provigny ‑ 94236 Cachan Cedex Tél. : 01 47 40 67 82 – Fax : 01 47 40 67 88 Web : www.tecetdoc.com – Email : edition@Lavoisier.fr