La caractérisation et la quantification de la pollution engendrée par temps de pluie est désormais nécessaire. Dans ce cadre, Anjou Recherche, en liaison avec des exploitants et différentes sociétés a développé une expertise qui permet de répondre en grande partie aux questions et aux attentes des exploitants dans ce domaine. Le présent article en donne les grandes lignes et fait le point des recherches en cours, sans entrer dans les développements techniques.
Quoi traiter ? Combien traiter ?
De nombreuses campagnes de mesures (Toulouse, Arras, Lens, …) ont permis d’identifier les principaux polluants présents dans ces eaux de temps de pluie (matières en suspension, hydrocarbures, métaux) et de donner des ordres de grandeur de cette pollution.
Mais l’importance considérable de cette pollution et l’inadéquation des moyens de traitement actuels face à des afflux massifs d’eau ont montré la nécessité d’une prise en compte globale, sur une agglomération ou un bassin versant donné, de l’ensemble des phénomènes qui agissent sur le système d’assainissement (réseau et ouvrages de traitement) et son milieu récepteur.
Cette prise en compte globale a fait l’objet d’une méthodologie d’étude mise au point par Anjou Recherche en liaison avec des exploitants de réseaux. Elle allie des outils de calcul mathématique (Flupol, Kalplan) à des campagnes de mesures (les plus restreintes possibles) permettant la validation des outils mathématiques. Cette méthodologie, par l’utilisation d’outils de simulation, permet d’accéder à des hypothèses non révélées par les seules mesures et permet aux exploitants de proposer aux collectivités des solutions adaptées aux conditions économiques locales.
La méthodologie développée par Anjou Recherche comporte un volet ayant trait à l’analyse de la pluviométrie et au choix du niveau de protection et donc de la pluie de dimensionnement des ouvrages de traitement. Sa première application, réalisée avec le Centre Régional Artois-Boulonnais-Picardie, a abouti, en 1991, à l’élaboration du schéma directeur d’assainissement du district urbain d’Arras, schéma comportant un volet d’aménagement des infrastructures existantes (extension de l’usine d’épuration, mise en place de bassins de stockage et de décantation, …) et un volet semi-réglementaire vis-à-vis des nouvelles urbanisations. Cette démarche, qui va au-delà des classiques études diagnostics, est maintenant reconnue par certaines agences de l’eau. Ainsi, plusieurs nouvelles applications de cette méthode, à échelle plus réduite, ont depuis été réalisées à la demande des exploitants locaux (Lens, …).
Comment traiter ?
Les moyens de traitement à mettre en place dépendent des contraintes liées à la qualité des milieux récepteurs. Par ailleurs, les techniques doivent être capables d’accepter une sollicitation instantanée et des variations importantes de débits et de charges de pollution. Enfin, les volumes engendrés par des événements de période de retour rare (supérieure à un an) sont considérables. Les axes de travail sur lesquels nous nous sommes orientés permettent d’offrir aux exploitants une gamme d’outils répondant à des exigences plus ou moins importantes de protection. Ces axes complémentaires sont de trois sortes :
• mise au point de techniques compactes et spécifiques aux eaux de temps de pluie permettant une élimination poussée de la pollution particulaire,
• définition des volumes et des charges à accepter dans les usines d’épuration de type biologique par temps de pluie,
• réflexion sur les techniques de diminution du ruissellement ou des apports.
aux réseaux (chaussées de type structure-réservoir, infiltration).
Une gamme d'outils a été ainsi mise au point permettant d’apporter aux collectivités un certain nombre de réponses au niveau de la caractérisation et de la quantification des eaux de temps de pluie et de leur traitement. Cette gamme va être étendue et améliorée avec, notamment, des recherches sur le devenir des boues de décantation et sur la gestion et le suivi des installations de dépollution des eaux de temps de pluie.
Modéliser les réseaux d’assainissement
L’objet d’une modélisation d’un réseau d’assainissement est de reproduire, par le calcul, le fonctionnement du réseau étudié, ainsi que de simuler l’effet qu’auraient des événements hydrologiques ou hydrauliques particuliers ou encore les conséquences d’un réaménagement du système d’assainissement.
Parmi les outils de simulation développés ou acquis figure le logiciel Flupol, co-développé avec l’Agence de l’Eau Seine-Normandie et le Syndicat des Eaux d’Île-de-France, en réponse aux besoins d’évaluation de la pollution générée par les zones urbaines en temps de pluie.
Le logiciel Flupol
La fonction de Flupol est de calculer, à partir d’une reproduction mathématique du réseau et de la zone qu’il dessert et face à un événement pluvieux donné, non seulement les débits, mais aussi les flux polluants (en matière en suspension, demande biochimique en oxygène, demande chimique en oxygène et azote total Kjeldahl) générés par le ruissellement comme par les activités humaines et susceptibles de transiter dans le réseau d’assainissement avant de rejoindre la ou les usine(s) d’épuration ou d’être déversés dans le milieu naturel.
Ces résultats, pour être fiables et donc utilisables, doivent être issus d’une étude rigoureuse du réseau et du terrain, dont les calculs ne sont qu’une partie, et qui nécessite des mesures de débit-pollution destinées à vérifier la “fidélité” du modèle mathématique vis-à-vis du système réel.
Ce logiciel, opérationnel depuis 1990, a déjà été utilisé sur de nombreux sites en France (Région Parisienne, Arras, Nancy …) et a été diffusé auprès de plusieurs bureaux d’études.
Le programme Must
Outre cette action de diffusion et en plus du soutien apporté aux chargés d’études pour la mise en œuvre du logiciel, Anjou Recherche, s’appuyant sur l’expérience acquise avec Flupol, s'est associé avec le centre de recherche et d’ingénierie de Wallingford (Angleterre), l’un des premiers spécialistes du Royaume-Uni en la matière, pour mettre au point un nouvel outil de modélisation dont les capacités accrues, notamment une hydraulique plus performante, devraient permettre de traiter aisément des cas difficiles (réseaux maillés, plats, ouvrages spécifiques, événements extrêmes…), délicats à simuler avec Flupol en son état actuel.
Une part importante des efforts de développement est également consacrée à la convivialité du programme ainsi qu’aux fonctions graphiques qui permettront la présentation de résultats sous forme synthétique, facilement accessibles au public et donc aptes à répondre aux besoins d’information croissants des usagers et des collectivités. Cette opération, très importante, est intégrée à un projet Euréka : le programme Must qui regroupe des partenaires anglais, français, danois et finlandais.
Maîtriser les eaux pluviales
Le difficile problème de la maîtrise des eaux pluviales ne permet pas toujours de réaliser, dans des conditions techniques et économiques satisfaisantes, un système d’assainissement dans lequel l’ensemble des eaux pluviales sont directement collectées et immédiatement transportées vers un site de traitement centralisé.
Par ailleurs, certaines contraintes (absence d’exutoire, limitation des débits à rejeter dans les réseaux existants) ne sont plus aujourd’hui considérées par les aménageurs comme un réel frein à l’urbanisation. L’ingénieur « assainissement » doit donc proposer des solutions innovantes afin de satisfaire aux exigences du cycle de l’eau de pluie (collecte-transport-traitement) dans un environnement parfois contrarié, souvent peu propice à la mise en œuvre d'une solution classique.
Dans ce cadre, nous avons développé une nouvelle approche pour assurer la maîtrise des eaux pluviales.
Une nouvelle approche
Cette nouvelle approche s’identifie comme suit :
- - Identifier et spécifier chaque source de production d’eau de pluie. Les eaux de parking, de voirie et de toiture ne possèdent pas les mêmes caractéristiques de production, de composition et de risques de pollution chronique ou accidentelle. Il est alors possible d’imaginer des modes de traitement ou de stockage adaptés à
chacun de ces types d’eau de ruissellement.
- allier un mode collectif à un mode non collectif d’assainissement pluvial. Le traitement (notamment infiltration des eaux de toiture) et le stockage temporaire des eaux de pluie à la parcelle permettent généralement de limiter ou d’étaler les volumes injectés dans les réseaux.
- décentraliser les lieux de stockage. La dissémination des lieux de stockage, à la parcelle ou sur la voie publique, par des systèmes de petits bassins ou par des solutions plus originales (chaussées à structure réservoir), conduit à un écrêtement toujours important des débits de pointe.
La limitation des volumes produits et l’écrêtement des débits de pointe offrent la possibilité de réduire sensiblement la taille des ouvrages d’assainissement et autorisent, quand cela est nécessaire, l’installation de petits systèmes de traitement direct au fil de l’eau.
Mais à l’image de cette nouvelle perception du problème des eaux pluviales, les méthodes de travail doivent également évoluer :
- la démarche doit être globale et fédératrice, afin de bien évaluer l’ensemble des paramètres liés à la collecte, au transport et au traitement des eaux pluviales et leur interdépendance ;
- la démarche doit être entamée rapidement, afin de concilier contraintes d’urbanisme et gestion des eaux pluviales.
L’application au district urbain d’Arras
Le schéma d’assainissement de la ZAC Artoipôle est un cas d’application de cette démarche, exemplaire, car elle a su s’adapter aux principales dispositions définies par le schéma directeur d’assainissement du District Urbain d’Arras en ce qui concerne la gestion des apports futurs en eaux pluviales, notamment la réduction des volumes d’eau à évacuer et la limitation des débits rejetés dans les réseaux.
L’objectif visé par Anjou Recherche est bien la mise au point d’une démarche pérenne, car reproductible, pour la maîtrise des eaux pluviales de futures zones d’urbanisation.
La dépollution des eaux pluviales
En assainissement, la technologie de l’Actiflo, mise au point par OTV, répond bien aux caractéristiques des eaux de temps de pluie qui sont pour l’essentiel :
- la présence d’un effluent chargé, susceptible de générer notamment des filasses contre lesquelles il convient de se prémunir,
- la variation importante de flux, qui impose des précautions hydrauliques spécifiques,
- le type de floc, qui doit s’adapter aux caractéristiques physiques du lest,
- la compatibilité du réacteur avec des arrêts fréquents et des redémarrages à effet instantané.
Pour mettre en œuvre des traitements locaux, nous testons depuis quelque temps des procédés déjà éprouvés pour le traitement des eaux usées, notamment la décantation lamellaire et l’aéroflottation afin d’en évaluer les possibilités d’application aux eaux de temps de pluie.
La décantation lamellaire
La pollution due au ruissellement par temps de pluie en zone urbaine est très liée aux matières en suspension dont les caractéristiques hydrodynamiques sont favorables à la dépollution par décantation. Les volumes à traiter étant très importants, il faut recourir à des procédés compacts de séparation solide-liquide de type séparation lamellaire (réduction de 1 à 10 de la taille des ouvrages).
La Compagnie Générale des Eaux avec la participation de l’Institut National Polytechnique de Toulouse, d’Anjou Recherche et de Sogea, a entrepris de tester la validité de ce procédé pour réaliser la dépollution des eaux pluviales, les variations de charges hydrauliques étant plus importantes dans le domaine pluvial que dans celui des eaux usées.
Un pilote d’étude (6 m³/h) fonctionnant en contre-courant a ainsi été installé sur le site de la station d’épuration de Ginestous de Toulouse. Les résultats étant très encourageants, un pilote industriel, baptisé TLALOC(1), conçu par Sogea et Anjou Recherche, a été construit par Sobea Ile-de-France, en dérivation d’un collecteur pluvial de Massy. Les campagnes de mesures effectuées sur le collecteur drainant la zone ont permis de valider le logiciel Flupol.
TLALOC reproduit l’ensemble des contraintes de conception, de réalisation et d’exploitation susceptibles d’être rencontrées pour un ouvrage opérationnel enterré.
Les résultats obtenus par les deux modes de décantation lamellaire expérimentés (contre-courant et courants croisés) permettent, d’ores et déjà, de confirmer ceux du pilote d’étude. L’étape suivante consistera à valider le procédé en vraie grandeur.
L’aéroflottation
Des essais de traitabilité des eaux pluviales par ce procédé sont actuellement menés sur un pilote industriel situé à l’exutoire d’un bassin versant de 284 hectares. Les événements pluvieux analysés montrent que l’aéroflottation est particulièrement efficace dans ce cas.
Les boues écopées seront caractérisées : l’aéroflottation permet d’obtenir une boue à faible teneur en eau.
À l’issue de ces essais, il sera possible, d’une part de proposer des objectifs épuratoires pour ce type de traitement, et d’autre part, de bien identifier l’ensemble des paramètres qu’il conviendrait d’optimiser afin de concevoir un traitement efficace dans des conditions d’exploitation raisonnables.
La décantation lamellaire et l’aéroflottation couvrent des champs d’application différents :
- la première semble parfaitement adaptée à un traitement direct au fil de l’eau de débits importants (de l’ordre de plusieurs mètres cubes par seconde),
- le mode de fonctionnement de la seconde ne permettra qu’un traitement différé des eaux, mais avec des rendements élevés.
La diversité des techniques et des champs d’application est finalement l’assurance de pouvoir résoudre de façon performante le difficile problème de l’épuration des eaux de temps de pluie.
(1) TLALOC : Treatment by LAmellar settlement of a Local Overflow from an urban Catchment, du nom du Dieu de la pluie de la civilisation précolombienne Toltèque.