Avec une production journalière de 3 millions de mètre cubes d'eau traitée et la prise en compte de son extension future à 4,2 millions de mètres cubes, la station de traitement de Prospect est aujourd'hui, à l'échelle mondiale, la plus grande filtration de cette capacité réalisée en une seule étape. Mise en service fin 1996 à l'issue de 30 mois de construction, et exploitée depuis par Australian Water Services, filiale de Suez Lyonnaise des eaux, cette station alimente désormais en eau potable 85% de la population de Sydney (3,5 millions d'habitants).
Les enjeux techniques de cette réalisation étaient essentiellement de trois ordres :
- - la conception hydraulique d’ensemble, du fait de l’importance de son débit (36 puis 50 m³/s) mais aussi d’une contrainte sur la hauteur géométrique disponible due à des infrastructures existantes ;
- - le mélange des réactifs, dont l’impact sur le rendement de la filtration et la qualité finale de l’eau traitée n’est plus à rappeler ;
- - la filtration proprement dite, compte tenu de sa vitesse nominale élevée : 23 à 25 m/h.
La conception générale du traitement des eaux
La station de Prospect est alimentée par une eau résultant du mélange, dans des proportions variables, d’eaux brutes provenant de trois origines : Lake Burragorang, Upper Nepean Storage Reservoir et Prospect Reservoir.
Cette eau se caractérise essentiellement par une turbidité de 0,5 à 25 NTU, une couleur de 5 à 50 ° Hazen et la présence de fer et de manganèse.
Le traitement retenu — une filtration directe, sans décantation préalable — a été mis au point au cours d’une campagne d’essais pilotes d’optimisation très détaillée, rendue nécessaire par le nombre de réactifs requis et la vitesse nominale de filtration.
Le traitement proprement dit comporte les étapes successives suivantes :
- - une première correction du pH et une précipitation du manganèse soluble par le permanganate de potassium, dans le cas de concentrations élevées dans l’eau brute,
- - une seconde correction du pH, dont la valeur est alors ajustée en fonction de l’optimum requis pour la coagulation,
- - une injection de chlore, qui n’est utilisée que dans des conditions d’eau brute particulièrement difficiles.
Tableau 1 : Résultats obtenus sur l’installation industrielle
Cahier des Charges — Résultats obtenus | |||||
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(Objectif / Maximum / Minimum / Maximum / Moyenne) | |||||
pH | 7,7-8,1 | 8,1 | 7,8 | 8,0 | 7,9 |
Turbidité (NTU) | <0,3 | <0,5 | 0,03 | 0,1 | 0,045 |
Couleur (°H) | <5 | <10 | 2 | 4 | 3,4 |
Fer (mg/l) | <0,15 | <0,3 | <0,015 | <0,015 | <0,015 |
Manganèse (mg/l) | <0,02 | <0,05 | <0,006 | <0,006 | <0,005 |
Trihalométhanes (mg/l) | <0,1 | <0,2 | 0,015 | 0,030 | 0,022 |
- une coagulation primaire au chlorure ferrique,
- une coagulation secondaire par dosage d'un polymère cationique avec une nouvelle correction simultanée du pH par addition d'eau de chaux,
- une floculation par dosage d'un polymère anionique,
- la filtration à grande vitesse proprement dite, sur des filtres Degrémont Aquazur V à sable homogène monocouche,
- une correction finale du pH de l'eau traitée à l'eau de chaux,
- une désinfection finale au chlore,
- une fluoration par addition de fluosilicate de sodium,
- une chloramination pour la protection du réseau.
Le tableau ci-dessus donne les résultats obtenus sur l’installation industrielle, en regard des critères de qualité qui sont exigés par le Cahier des Charges.
La conception hydraulique de la station
La conception hydraulique de la station de Prospect a été pour une part orientée par les infrastructures existantes qui limitaient la chute géométrique disponible.
Elle répond, par ailleurs, à un ensemble d'objectifs qui se sont imposés dès l’origine du projet, à savoir :
- minimiser pour d’évidentes raisons de compétitivité la taille des différents ouvrages : ouvrage d’entrée de l’eau brute, ouvrages de mélanges des réactifs et filtration proprement dite ;
- mettre en œuvre chaque fois que possible des systèmes de contrôles hydrauliques passifs en vue d’obtenir une fiabilité maximale ;
- mettre l’accent, du fait du traitement lui-même et du nombre de réactifs mis en jeu, sur l'efficacité de leur mélange à l’eau brute ;
- obtenir la meilleure répartition possible du débit et des temps de contact entre les différents ouvrages et en particulier entre les différents filtres ;
- réduire à leur strict minimum, compte tenu de la chute géométrique disponible, les pertes de charges à tous les stades du traitement.
Les solutions appliquées pour tenir ces objectifs : conception du diffuseur et des canaux d’entrée pour une exacte division du débit entre les ouvrages, dispositifs pour obtenir l’uniformité des vitesses dans les zones d’injection des réactifs, canaux de section décroissante et à vitesse d’écoulement constante pour minimiser les écarts de temps entre l’injection des réactifs et l’entrée de l’eau dans les différents filtres, … demandent des développements qui ne peuvent trouver leur place ici. Nous indiquerons simplement que, compte tenu de la complexité de certains phénomènes, certains objectifs n’ont pu être satisfaits qu’en faisant appel à des modèles hydrauliques.
Aujourd’hui, le fonctionnement de la station et ses résultats montrent sans ambiguïté que tous ces objectifs ont été atteints.
Le mélange des réactifs
Une dispersion rapide et un mélange efficace des réactifs de coagulation et de floculation à l’eau à traiter sont essentiels dans tout traitement de clarification.
Ils prennent ici une importance toute particulière car, dans le cas d’une filtration directe, ils constituent en définitive le seul moyen de maîtriser la formation du floc et son grossissement pour l’optimisation du fonctionnement des filtres.
Pour avoir à faire face à des fractions de débit de valeur raisonnable, la filtration a été divisée en 4 modules, chacun étant alimenté par un canal de 4,3 m de largeur et de 6,5 m de profondeur d’eau.
C’est dans ces canaux, calculés pour le débit final de la station, que se font les injections du coagulant minéral et du coagulant organique. Pour l’injection de ces deux réactifs, des grilles équipées de diffuseurs quadrillant la section d’écoulement de chaque canal ont été spécialement développées.
Elles sont alimentées par des pompages dans lesquels s’opère une prédilution. N’ayant jamais été réalisées à une telle échelle, ces grilles ont fait l’objet d’un programme d’étude spécifique, incluant la réalisation d’un prototype qui fut testé dans des ouvrages de traitement existants similaires, de façon à en démontrer l’efficacité.
Ces grilles et leurs diffuseurs ont montré posséder les avantages suivants :
- une efficacité comparable à celle des mélangeurs rapides classiques dans cette application ; au débit nominal, la dispersion des réactifs est obtenue en 1 seconde et les consommations de réactifs sont à l’échelle industrielle celles qui avaient été déterminées lors des essais pilotes ;
- une faible perte de charge, inférieure à 50 mm d’eau, ce qui était l’un des objectifs, l’énergie de mélange étant apportée par le pompage ;
- un ajustement facile de l’énergie de mélange, en intervenant sur le débit d’injection ;
- une maîtrise simple des temps de contact entre l’introduction des deux coagulants, la position relative des grilles dans chaque canal pouvant être aisément modifiée.
- - une bonne fiabilité du fait de leur conception même, les seuls éléments en rotation étant les pompes d'injection pour lesquelles des secours sont prévus ;
- - une consommation énergétique elle aussi comparable à celle des mélangeurs rapides. En revanche, pour le polymère de floculation, les mélangeurs rapides classiques ont montré une meilleure efficacité, non pas vis-à-vis de l’injection elle-même mais vis-à-vis de celle du réactif sur le fonctionnement des filtres.
C'est donc ce type de mélangeur qui a été retenu et mis en œuvre dans des chambres dont l’hydraulique a également fait l'objet d'études, de manière à obtenir un écoulement uniforme, indispensable à une bonne dispersion du réactif, tout en y limitant la perte de charge à son strict minimum.
La filtration
La station de Prospect comporte 24 filtres qui offrent une surface de filtration totale de 5 710 m². Au débit nominal de 3 millions de m³/j, la vitesse de filtration varie entre 23 et 25 m/h. La filtration étant divisée en 4 modules de 6 filtres chacun, son extension à 4,2 millions de m³/j sera obtenue par l’addition de 2 filtres supplémentaires à chaque module, ce qui portera alors leur nombre total à 32. L'adoption d'une vitesse de filtration très élevée, approximativement du double de celle couramment appliquée sur les installations conventionnelles de filtration directe, a permis une réduction très significative de la surface de filtration et par voie de conséquence du coût de construction. Les filtres du type Aquazur V, conçus par Degrémont, ont une surface de filtration unitaire de 237,9 m², ce qui les situe parmi les plus grands filtres jamais réalisés. Chaque filtre comporte deux cellules de surface identique, situées de part et d’autre du canal d’évacuation des eaux de lavage.
Le milieu filtrant est constitué par une couche de 2,15 m d'un sable homogène concassé de 1,8 mm de taille effective. Ce matériau a été choisi de préférence à un milieu filtrant bicouche pour des raisons de coût mais aussi d’économie sur les volumes d'eau requis pour son lavage.
Chaque filtre reçoit un débit qui se situe entre 5 500 et 6 000 m³/h. Il était donc nécessaire de concevoir une alimentation en eau qui permette une répartition uniforme de ce débit au-dessus du matériau filtrant (temps de contact) mais aussi une dissipation de l’énergie afin d’écarter toute perturbation sur le lit filtrant lui-même.
La conception du filtre Aquazur V a été adaptée pour prendre en compte cette remarque et l'ensemble des enseignements tirés des essais pilotes, ce qui a conduit à la création dans le filtre lui-même de deux canaux latéraux équipés d’orifices calibrés situés à deux niveaux.
Durant la phase de filtration, les orifices supérieurs et inférieurs de ces canaux assurent une répartition longitudinale du débit d’alimentation sur la totalité du filtre et uniformisent le temps de contact au-dessus du matériau filtrant avant que l'eau n’y pénètre. L’influence cruciale de ce point sur la performance globale des filtres avait été clairement mise en évidence lors des essais.
En phase de lavage, seuls les orifices inférieurs sont utilisés pour créer un courant transversal, dit de balayage de surface, qui accélère l’évacuation des matières. L’adoption d’un lavage « haute énergie » comporte deux séquences.
La première séquence est un contre-courant simultané d’air au débit de 70 m³/h·m² et d’eau au débit de 30 m³/h·m², destiné à désagréger les flocs denses qui résultent de l’utilisation conjuguée de deux polymères organiques au stade de la coagulation et de la floculation.
La seconde séquence est un rinçage à l'eau seule au débit de 60 m³/h·m² dont le but est double : achever l’élimination des matières retenues durant le cycle de filtration mais aussi chasser l’air résiduel qui pourrait, dans des conditions d'eau difficile, réduire la durée des cycles de filtration.
De façon à limiter le débit instantané de l'eau de rinçage, chaque cellule de chaque filtre peut être lavée indépendamment. Bien que les débits d’eau de lavage atteignent des valeurs assez inhabituelles, la consommation d'eau de lavage reste malgré tout très faible : moins de 6 m³/m² de filtre, soit moins de 3 m³/m³ de sable.
L'efficacité des filtres a été prouvée au cours des 30 jours successifs d’essais de réception, durant lesquels, quelle que soit la qualité de l’eau brute, la turbidité de l'eau filtrée n’a jamais excédé 0,05 NTU. Efficacité et qualité ne se sont pas démenties depuis.
Conclusion
La conception de la station de Prospect a constitué un exercice très complet. D’autant plus qu’elle est, à son échelle, la plus grande station de ce type construite dans les dernières années. Son hydraulique, sa maîtrise des pertes de charge, sa compacité liées aux techniques mises en œuvre et son coût total de réalisation en font un modèle du genre. Le filtre Aquazur V développé dans le cadre de cette station a fait l'objet d'un brevet déposé et accepté dans de nombreux pays dont l’Australie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, les USA, l’Afrique du Sud…