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La géothermie en France : des recherches en plein développement

28 février 1985 Paru dans le N°89 à la page 22 ( mots)
Rédigé par : M. BOUVET

Adaptée, compétitive et fiable, la géothermie, énergie pionnière du début des années 80 a acquis en moins de cinq ans ses titres de noblesse. En effet, ce sont plus de 120 000 T.E.P. qui sont maintenant économisées chaque année par la géothermie, cela grâce à la réalisation des opérations dénombrées comme suit :

  • - 1979 : première opération géothermique française : Melun l’Almont ;
  • - 1980 : 7 opérations ;
  • - 1982 : 25 opérations ;
  • - 1983 : 40 opérations ;
  • - 1984 : 60 opérations environ, dont plus de 40 en région parisienne.

Le développement aussi soutenu d’une énergie nouvelle venue dans le sérail des énergies classiques s’explique par la juxtaposition de trois facteurs intrinsèques fondamentaux :

  • — adaptation au marché du besoin de chaleur ;
  • — compétitivité économique ;
  • — fiabilité technique ;

et de trois facteurs externes :

  • — attribution de moyens liés à une volonté nationale ;
  • — existence d’une prise de conscience locale ;
  • — constitution d’un secteur industriel spécialisé.

Nous examinerons ci-après les incidences de ces divers éléments.

Adaptation au marché du besoin de chaleur

L’adaptation de la géothermie au marché du besoin français de chaleur basse température (60 M TEP environ, soit 30 % de la consommation énergétique totale) était une condition sine qua non de son développement. Cette adaptation a été double : sur le plan technique et sur celui du montage des projets. En effet, le projet de géothermie « modèle 1980 » était relativement standard. L’objectif géologique était le Dogger (aquifère à 2 000 m de profondeur) et le projet visait à desservir 3 000 équivalent-logements grâce à un réseau de chaleur basse température. Aujourd’hui, les projets se sont considérablement affinés, diversifiés et par la même, adaptés pour mieux tenir compte de plusieurs facteurs tels que les caractéristiques fines des installations de distribution de chaleur, les réelles possibilités de ressources existant dans le sous-sol ou encore la complémentarité avec les autres sources d’énergie.

Une des grandes illustrations de cette adaptation technique a été l’annonce en septembre 84 de la création de la procédure Aquapac. Cette procédure, mise en place par l’A.F.M.E., E.D.F. et le B.R.G.M. est née de l’idée d’après laquelle la mobilisation des seules ressources géothermales profondes (500 à 3 000 m) constituait une démarche incomplète puisque sous l’ensemble du territoire français existent des nappes phréatiques très superficielles (quelques mètres) ou peu profondes (quelques dizaines de mètres) qui disposent d’une eau à température relativement faible (12 à 25 °C) mais qui ont l’immense avantage d’être facilement captables à moindre coût. De plus, leur potentiel thermique peut être valorisé très avantageusement par l’adjonction de pompes à chaleur eau-eau. La procédure Aquapac a donc consisté à faire profiter le

[Photo : Montage en cours – Travaux sous-sol – Travaux surface – fonctionnement]

Maître d’ouvrage potentiel d'une garantie de ressource et donc de faire en sorte que le risque géologique lié à l’incertitude initiale de la configuration de l’aquifère soit rendu acceptable par adhésion à un système spécifique d’assurance. À cette assurance initiale a été couplée une garantie de pérennité de la ressource sur cinq années.

La géothermie au « sens large » telle qu’elle est comprise aujourd’hui, c’est donc l'utilisation optimale de l'énergie des eaux souterraines, qu’elles soient situées à 25 m ou à 2 500 m de profondeur. L'adaptation de la géothermie à la demande de chaleur est alors immédiate puisque dans le sous-sol de la région parisienne existent ainsi plus de dix aquifères situés entre 0 et 3 000 m qui permettent de répondre aux besoins d’un petit immeuble de 50 appartements, aussi bien qu’à ceux d’une Z.U.P. de plusieurs milliers d’équivalent-logements.

Afin de compléter l’illustration de cette adaptation technique, l'étude de l’évolution de la régulation des réseaux de chaleur basse température alimentés par géothermie durant ces dernières années, est tout à fait démonstrative. Dans la recherche constante d’une gestion optimale de la chaleur puisée très souvent à grands frais sous terre, l’automatisation des réseaux de distribution ainsi que la possibilité de moduler finement et à chaque instant leurs caractéristiques de fonctionnement ont constitué des progrès considérables qui permettent actuellement d’exploiter et de gérer au mieux les calories d’origine géothermale.

L'adaptation de la géothermie au marché du besoin de chaleur a également été très sensible dans le cadre de l’appréhension du montage des projets. Alors que l’initiation des projets (inventaires, études de faisabilité) est avant tout l’apanage des collectivités locales et territoriales (conseils généraux et régionaux) qui tiennent le plus souvent, et à juste titre, à être les artisans de l’orientation de ces projets de chauffage urbain, la phase de réalisation voit se multiplier les intervenants et donc les formes d’intervention possibles. Le premier cas, celui qui a été le plus classiquement choisi dans les opérations géothermiques des années 80 à 82 est celui d'une maîtrise d’ouvrage publique. Le maître d’ouvrage est alors la municipalité associée, au sein d'un syndicat mixte, avec l'office municipal ou départemental d’H.L.M. et d’autres partenaires publics (hôpital, lycée, etc.).

Depuis 1983, nous assistons, de manière complémentaire avec le premier schéma, à l’émergence de schémas de maîtrise d’ouvrage mixtes ou privés. La forme prise par l’entité maître d’ouvrage est alors la suivante : d'une part une société d’économie mixte regroupant, par exemple, la municipalité et quelques partenaires privés tels que des chauffagistes et des opérateurs techniques engagés dans l’opération ; d'autre part une société privée qui devient investisseur et concessionnaire de l'ensemble des installations de production et distribution de chaleur.

La multiplicité des choix techniques et juridiques qui se présentent à l’aube de l’étude et de la réalisation d'une opération de géothermie est révélatrice du degré avancé d’adaptation et, par la même, de la maturité atteinte en quelques années par cette énergie « nouvelle ».

Compétitivité économique

Le tableau 1 récapitule les caractéristiques techniques et économiques de six opérations de géothermie qui, par leur diversité, sont assez représentatives de l’étendue des ressources valorisables et des applications possibles.

Tableau 1

Caractéristiques économiques de six opérations-type de géothermie.

On y voit que les opérations de géothermie profonde ont en général un temps de retour compris entre 5 et 9 ans et un taux de rentabilité interne compris entre 9 et 14 %. Pour ce qui est des opérations pompes à chaleur sur nappe superficielle, les temps de retour sont généralement très brefs, entre un et trois ans, ce qui dénote une rentabilité très importante.

Pour ce qui est du prix de revient de la kilothermie d'origine géothermale substituant une énergie conventionnelle, une étude réalisée par le B.R.G.M. au début de 1984 a montré que sur un échantillon de 19 opérations de géothermie profonde en fonctionnement ou en cours de réalisation, le prix moyen ressortait à 144 F avec subventions et à 165 F sans subventions (valeur décembre 1983).

Il est intéressant de constater que ces prix sont difficilement comparables à l'emploi d'une énergie conventionnelle unique car une opération de géothermie profonde permet de substituer en général un cocktail d’énergie dont la composition statique moyenne est de 1/3 gaz, 1/3 fioul lourd et 1/3 fioul domestique. La comparaison à cette énergie de références donne un coût de la kilothermie d'origine géothermale plus faible de 16 % (sans subventions) ou plus faible de 27 % (avec subventions) (voir le tableau 2). Il est toutefois d'une importance majeure de ne pas arrêter ce calcul au seul niveau du maître d’ouvrage, mais de considérer également le point de vue de l’entreprise « France ».

L’énergie géothermale constitue dans une très grande proportion une ressource nationale : en effet, les études qui ont été menées sur les parts respectives de matériel et de service étranger, incorporées à une opération de géothermie lourde, ont montré qu’elles ne représentent que 3,5 % en valeur. Il est donc tout à fait justifié de considérer la géothermie comme une énergie purement nationale.

À l’heure où le dollar atteint des sommets inégalés, la géothermie, quant à elle, se règle ainsi à raison de 96,5 % en devises nationales.

Il peut être tout à fait révélateur de se livrer à un simple calcul économique pour concevoir l’intérêt de l’entreprise « France » dans la promotion de la géothermie ; si l'on considère qu'une opération de cette nature permet de substituer en moyenne 3 000 T.E.P. chaque année, T.E.P. qui ne seront plus importées et que d’autre part l’A.F.M.E. subventionne chaque opération à 15 % environ de sa valeur, et si l'on fait le

[Photo : Tableau 2 - Calcul du prix de revient économique de la kilothermie d'origine géothermale.]

Bilan d'une opération de géothermie profonde, on constate que l'État :

  • — débourse environ 7 MF de subvention la première année ;
  • — encaisse environ 11 MF de taxes pendant la durée de l'opération (*). (Ces 11 MF sont compensés par le manque à gagner relatif aux taxes non perçues sur la vente de produits pétroliers) ;
  • — économise 27 MF d’achat de combustibles classiques payables en dollars sur la durée de vie de l’installation ;
  • — induit 45 MF d’activité nationale au moment de la réalisation des installations (*) ;
  • — induit la création de 70 MF de chaleur nationale sur la durée de vie de l'installation (*).

Fiabilité technique

Du point de vue technique, l'année 84 a été marquée par une transition par rapport aux années antérieures : alors que l'effort de la profession dans les cinq dernières années a porté sur la réduction des coûts et sur l'optimisation des systèmes (afin de réussir l'adaptation analysée plus haut), 1984 a été l'année où le mûrissement de la réflexion sur la fiabilité des installations a atteint son point culminant. C'est ainsi qu'est né Géoconfiance®, ensemble de procédures mises en place par les spécialistes du B.R.G.M. pour faire en sorte que la fiabilité d'un des points névralgiques de l'installation — la boucle géothermale — soit maximale. La réalisation de cette boucle, où circule le fluide géothermal corrosif, nécessite en effet l'appel à des techniques très spécifiques, inusitées dans le domaine du chauffage urbain traditionnel.

Géoconfiance permet ainsi, selon les cas, de mettre en œuvre des mesures et des traitements préventifs sur l’installation, d’exercer une garantie totale sur certains matériels, et pour finir d’assurer les pertes d’exploitation éventuelles.

(*) Valeurs calculées en actualisant à 9 % les gains futurs.

Après son adaptation au marché du besoin de chaleur et de la démonstration de sa compétitivité économique, la géothermie a bien acquis, avec cette garantie de fiabilité, son troisième titre de noblesse.

L’attribution de moyens liés à une volonté nationale

Depuis 1978, l'État a clairement manifesté sa volonté de promotion de la géothermie. Nous avons vu, au paragraphe précédent, que cette volonté était tout à fait justifiée économiquement. Il existe également d’autres raisons qui font que l'aide publique reste nécessaire.

En France, à la différence des secteurs traditionnels de l'énergie (pétrole, charbon, gaz, électricité), la géothermie a pour caractéristique de ne pas posséder d’opérateur national unique, de sorte que les investissements de production et de distribution de chaleur sont à la charge directe du maître d'ouvrage, lequel ne possède pas, contrairement aux grands opérateurs des autres énergies, l'assise nécessaire à l’autofinancement, au moins partiel, d'une opération lourde (50 MF environ).

Dans une période où les taux d'intérêt sont élevés, l’adhésion des décideurs se fait plus difficilement, d’autant que le prix des énergies de référence (pétrole, gaz, charbon, électricité) reste sous-évolué (cf déficits E.D.F. et G.D.F.) sans perspectives de hausse à moyen terme.

L'incitation des Pouvoirs publics, qui peut prendre des formes diverses (subvention, bonification de taux d’intérêt), joue un rôle essentiel pour emporter l'adhésion des décideurs. Nous avons vu qu’elle est compensée par la suite, et reste au demeurant modeste, inférieure en tout cas à la « prime au charbon national » accordée par l'État à G.D.F. (si l'on se réfère aux conditions du Fonds Spécial Grands Travaux 1° et 2° tranches).

L’existence d’une prise de conscience locale

Malgré les difficultés mentionnées précédemment, il n’en reste pas moins vrai qu’au niveau des décideurs locaux (élus, partenaires divers publics et privés), la nécessité de valoriser les ressources énergétiques locales prioritairement à l’achat de combustible étranger est clairement ressentie, et ceci de manière très partagée. Même si les moyens d’intervention envisagés sont très différents selon le cas (syndicat mixte ou concession privée) le mécanisme de sensibilisation n’en demeure pas moins identique. La volonté clairement affichée de « faire avec » les décideurs locaux restera, pour les promoteurs de la géothermie, la promesse du développement futur de cette énergie.

La constitution d’un secteur industriel spécialisé

La profession « géothermie » en 1984 est constituée de 60 sociétés employant 3 500 personnes, et réalisant un chiffre d'affaires de l'ordre de 1 milliard de francs.

L’existence de ces sociétés, très diversifiées dans leurs techniques et leur « savoir-faire », mobilisées autour d'un objectif commun, a été la condition de la réussite et cela en observant les trois conditions mentionnées ci-dessus (adaptation au marché, compétitivité, fiabilité).

Ce petit secteur industriel a su et saura faire la preuve de son dynamisme en préparant aujourd’hui les opportunités technologiques de demain : héliogéothermie, stockage souterrain de chaleur, roches chaudes sèches, etc.

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