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La digestion des boues urbaines : une solution plus attrayante que jamais

31 decembre 2006 Paru dans le N°297 à la page 37 ( mots)
Rédigé par : Françoise PETITPAIN

La digestion anaérobie des boues produites par le traitement des eaux résiduaires municipales est l'un des destructeurs de cellules les plus puissants du monde biologique. Utilisée pour éliminer de grandes quantités de matière organique (MO), elle réduit de 40 à 50 % la teneur en MO des boues mixtes. Elle stabilise les boues par minéralisation de leur fraction organique, réduit leur masse et leur dégagement d'odeurs mais aussi permet de générer de l'énergie grâce au biogaz produit transformable en énergie thermique et électrique. La production de cette énergie permet de diminuer la consommation d'énergie fossile et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

, chef de marchéTraitements Biologiques - Degrémont

La digestion anaérobie des boues produites par le traitement des eaux résiduaires municipales est l’un des destructeurs de cellules les plus puissants du monde biologique. Utilisée pour éliminer de grandes quantités de matière organique (MO), elle réduit de 40 à 50 % la teneur en MO des boues mixtes. Elle stabilise les boues par minéralisation de leur fraction organique, réduit leur masse et leur dégagement d’odeurs mais permet aussi de générer de l’énergie grâce au biogaz produit, transformable en énergie thermique et électrique. La production de cette énergie permet de diminuer la consommation d’énergie fossile et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La digestion anaérobie a été mise en œuvre pour la première fois à Exeter (Royaume-Uni) en 1895, il y a plus de 100 ans. Pourtant, alors que la technologie et ses avantages étaient bien connus, cette solution a été laissée de côté ces dix dernières années en Europe, et en particulier en France, à cause des incertitudes entourant la valorisation agricole des boues. D’autres technologies comme le séchage des boues,

[Photo : Degrémont]
[Photo : Station d’épuration de Cholet (France) avec passage en digesteur avant centrifugation.]

L’incinération et même la gazéification étaient préférées aux traitements anaérobies. Mais aujourd’hui, les idées sont en train de changer radicalement, l’augmentation du coût de l’énergie et l’apparition de certificats pour l’électricité “verte” dans des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Belgique orientent de nouveau les filières vers le traitement anaérobie des boues.

Degrémont, Groupe Suez, a conçu et construit ces dernières années de nombreuses installations de digestion. Les plus célèbres et les plus importants par la taille sont les huit digesteurs de 15 000 m³ de la station d’épuration de La Farfana (Santiago, Chili), mais il y a aussi ceux des stations d’épuration de Gabal el Asfar (Le Caire, Égypte) et de Tours (France), ainsi que ceux en cours de construction ou de mise en service à As Samra (Jordanie), Tripoli (Liban), etc. En France, après Tours, Cholet et Aix-en-Provence, la station de Sallanches (53 000 E.H.) s’apprête elle aussi à s’équiper de digestion.

Les ingénieurs de Degrémont pensent que la digestion constitue une étape nécessaire avant le séchage ou l’incinération, car elle permet une importante réduction de la masse de boue et optimise par conséquent les investissements liés aux équipements de post-traitement, ainsi que les coûts énergétiques d’exploitation grâce à la production combinée de chaleur et d’électricité (cogénération).

En réduisant le taux de matières volatiles dans les boues avant leur déshydratation, la digestion facilite le processus de déshydratation. Une amélioration de 1 à 3 points de siccité est obtenue par rapport à la déshydratation de boues fraîches. La diminution de la masse de boue s’accompagne d’une réduction de la consommation de polymères, de chaux et d’électricité, mais aussi de la formation d’odeurs dans le bâtiment de déshydratation. C’est l’option choisie à Cholet (France) pour la station d’épuration de 116 000 équivalents habitants construite par Degrémont et exploitée par Lyonnaise des Eaux. Deux digesteurs de 3 000 m³ traitent un mélange de boues primaires et de boues biologiques et permettent d’obtenir, après centrifugation, une siccité des boues d’environ 28 %.

Dans les cas où le chaulage des boues s’impose pour augmenter leur siccité et apporter de l’alcalinité nécessaire aux sols acides, la chaux est plus facile à mélanger avec des boues digérées qu’avec des boues humides, et il faut moins de chaux pour obtenir le même résultat. La nouvelle station d’épuration de Tours, d’une capacité de 400 000 E.H., avec ses trois nouveaux digesteurs d’une capacité unitaire de 4 500 m³ traitera dans un très proche futur 18 tonnes de matière sèche par jour en régime normal. La chaux est ajoutée après centrifugation et avant épandage agricole à la carte en fonction des besoins du sol en alcalinité : ajout de 20 % de chaux pour l’épandage au sud de Tours et de 30 % pour l’épandage au nord de Tours.

La digestion des boues : un prétraitement attractif

Parce que la digestion réduit la masse de boue, elle permet en amont d’un séchage thermique d’optimiser la taille du sécheur, et de diminuer la quantité d’eau à évaporer et donc la consommation d’énergie nécessaire au séchage. Le biogaz produit par la digestion peut en outre être utilisé comme source d’énergie thermique pour le sécheur.

Enfin, parce que les boues séjournent 20 jours dans le digesteur, leur qualité à l’entrée du sécheur est constante et homogène, ce qui constitue un avantage réel dans la mesure où le fonctionnement des sécheurs thermiques est très sensible aux variations de caractéristiques des boues. La digestion rend le séchage plus fiable.

L’autre avantage majeur du couplage du traitement anaérobie et du séchage thermique par rapport au séchage des boues humides est de réduire le dégagement d’odeurs.

Le cas de l’usine de Limoges, conçue et construite par Degrémont, est typique de cette application : la ligne de traitement des eaux usées traite par boues activées l’équivalent pollution de 285 000 habitants. Deux digesteurs d’un volume total de 6 600 m³ traitent les boues avant séchage par un système Centridry également fourni par Degrémont. Le biogaz apporte une partie de l’énergie nécessaire pour le séchage.

Degrémont a par ailleurs mis en service la station d’épuration de Varsovie (Pologne) qui traite jusqu’à 112 000 m³ d’eaux usées par jour en débit de pointe. Après un séjour

[Photo : Digesteurs de 15.000 m³ et l’unité de stockage du biogaz de la station d’épuration de La Farfana (Chili).]

Station de Cork

Digestion des boues

MST : 25 000 kg/j

MVS : 77 %

Volume total de digestion : 10 200 m³

Réduction des MVS : 42 %

Production totale de biogaz : 7 200 Nm³/j

Séchage des boues

Quantité de MS : 16 000 kg/j

Eau à évaporer : 2 150 kg/h

Nombre de sécheurs : 2

Bilan thermique

Chaleur totale requise pour les sécheurs : 1 320 kW

Consommation de biogaz : 6 850 Nm³/j

Dans trois digesteurs de 8 000 m³ chacun, le mélange de boues primaires et de boues biologiques alimente un sécheur thermique Innoplana. Le biogaz produit par la digestion est utilisé pour chauffer le digesteur et le sécheur. Autre réalisation, la station de Cork, en Irlande (415 000 E.H.) a été mise en service fin 2004 avec trois digesteurs. Les boues digérées sont séchées dans un sécheur thermique Innoplana, comme pour l'usine de Varsovie. Dans ces stations, les digesteurs sont chauffés soit par la chaleur basse température récupérée au niveau de l’installation de séchage, soit par une chaudière spécialement installée à cet effet, soit par combinaison de ces deux types de chaleur. En régime normal de fonctionnement, l'énergie récupérée au niveau des sécheurs est plus importante que celle nécessaire pour réchauffer les digesteurs.

La production de biogaz est suffisante pour alimenter la chaudière à huile thermique qui chauffe le sécheur à couche mince qui constitue le premier étage du sécheur Innodry. En cas de variation de la charge ou d'intervention de maintenance, la chaudière à huile thermique peut fonctionner avec du gaz naturel à la place du biogaz. Comme pour le séchage thermique, en cas d'incinération des boues, la digestion anaérobie permet d’optimiser les investissements en réduisant la taille de l’incinérateur. La quantité d’eau à évaporer est moindre, ce qui entraîne une diminution de la consommation d’énergie et du volume de gaz de combustion à traiter à la sortie de l’incinérateur. Ce dernier point est très important, car les contraintes concernant le traitement des gaz de combustion sont considérables et le coût du traitement des fumées d'incinération très élevé.

Degrémont travaille actuellement à la construction de la station d’épuration de Tri-

[Photo : Intérieur de l’un des digesteurs de la station d’épuration de Cork.]
[Encart : À propos de la digestion* Une stabilisation biologique n'est évidemment mise en œuvre que sur des boues dont la teneur en matières biodégradables est importante (généralement supérieure à 50 % des MS), c’est-à-dire : * les boues de simple décantation d’eaux résiduaires urbaines, ou “boues primaires” ; * les boues de traitement biologique aérobie à moyenne et forte charge (boues activées en excès, boues de lits bactériens, boues provenant du lavage de biofiltres), appelées souvent de façon succincte “boues biologiques” ; * le mélange des deux types de boues précédents ou “boues mixtes” ; * les boues de traitement biologique aérobie à faible charge sans décantation primaire (boues activées en excès) ou “boues d’aération prolongée”. Les boues fraîches des effluents urbains ont une couleur grise ou jaunâtre ; elles contiennent des matières fécales, des débris de légumes, des fibres... Elles sont malodorantes. Les boues dont la digestion est achevée ont une couleur noire (sulfure de fer) et dégagent une odeur faible proche de celle du goudron. On ne peut pratiquement plus distinguer leurs constituants initiaux (à l’exception des cheveux, poils, certaines graines et certains déchets plastiques), 90 % des salmonelles et de la plupart des germes pathogènes sont détruits, mais l’élimination des virus et des œufs d'helminthes semble un peu moins bonne. La manipulation à l’air libre des boues digérées n’entraîne plus de nuisances et on n'observe pas de reprise de fermentations même après un temps de stockage prolongé (au contraire des stabilisations chimiques voire aérobies). La production de gaz d'une digestion bien équilibrée conduit à une production de 900 à 1 100 l de gaz pour 1 kg de MO détruite. Le gaz est composé essentiellement de CH₄ (60 à 65 % v/v) et de CO₂ (35 à 40 % v/v). D’autres éléments peuvent être présents en très faible proportion : CO, N₂, hydrocarbures, H₂S, mercaptans, COV. Son PCI dépend évidemment de la proportion de CH₄. Il est compris entre 21 300 et 23 400 kJ·Nm³ (5 600 et 6 100 kCal·Nm³). L'influence de la température est déterminante sur le bon fonctionnement d’une digestion : rapidité de démarrage, stabilité de la fermentation, production de gaz. Outre la température, le temps de séjour (rapporté au débit journalier entrant de boues fraîches) et la charge organique appliquée sont des éléments essentiels de dimensionnement. Trois autres paramètres améliorent le fonctionnement et les performances du digesteur de boues : l’intensité du mélange, la régularité de l’apport, la concentration en MO, sa nature et sa structure. Pour éviter le moussage, le dysfonctionnement principal rencontré sur les digesteurs, il faut éviter la présence de bactéries filamenteuses (Nocardia, Microthrix...) dans les bassins d’aération, mais aussi les à-coups de charge ou de débit, les températures excessives (> 40 °C), l’alimentation du digesteur avec des boues déjà très fermentées riches en AGV, et la présence de tensioactifs peu ou mal dégradés dans la ligne de traitement d’eau. Pour s'affranchir de la précipitation de struvite (MgNH₄PO₄), l’attention au pH doit être constante et des sels de fer bloquant les phosphates (FePO₄) peuvent être injectés. Pour améliorer les performances de la digestion anaérobie, éliminer plus de matière organique (évacuer moins de boue de la station), augmenter les productions de biogaz (valorisation in situ), les cinétiques des réactions et diminuer les volumes des réacteurs (diminuer les investissements), des prétraitements thermiques, enzymatiques, mécaniques, par ultrasons ou chimiques peuvent être mis en œuvre. * Extrait du nouveau manuel de traitement de l’eau Degrémont, disponible depuis juin 2008.]
[Photo : Digesteurs de la station d’épuration de Cork (Irlande).]

Tripoli, au Liban. Cette station, qui traitera les eaux usées de 997 000 habitants, sera équipée d’une unité de cogénération qui transformera le biogaz en chaleur et en électricité ; ses trois digesteurs de 10 000 m³ produiront 1,5 MW électriques à partir du biogaz. Les 39 tonnes par jour de boues digérées à 27 % de siccité, mélangées à 655 tonnes par an de graisse, seront incinérées avec réaction de combustion auto-thermique.

Les “plus” énergétiques

La valorisation énergétique par cogénération est le deuxième gros avantage de la digestion à une époque où, d’une part, l’énergie devient de plus en plus chère et où, d’autre part, les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites. Nombre d’exploitants choisissent en effet cette technologie pour avoir une station autosuffisante ou partiellement autosuffisante en énergie. C’est le choix fait par la RADEEMA (Régie Autonome des Eaux et de l’Électricité au Maroc) pour la station d’épuration de Marrakech. Les boues primaires seront digérées et le biogaz fournira, via une unité de cogénération, suffisamment d’électricité dans les conditions normales d’exploitation pour satisfaire en totalité les besoins de la station d’épuration. L’usine d’épuration de Gabal, en Égypte, a été conçue pour traiter un volume de 500 000 m³ d’eaux usées par jour ; elle est équipée de huit digesteurs primaires d’une capacité unitaire de 9 760 m³ et de deux digesteurs secondaires d’une capacité unitaire de 8 750 m³.

La production de boues à digérer est de 147 tonnes de matière sèche par jour. Avec cette quantité de boue, la production de biogaz est comprise entre 45 000 et 49 000 Nm³ par jour. La station étant équipée de cinq moteurs de cogénération de 2 320 kVA chacun, l’électricité produite par le gaz représente 77 350 kWh par jour. Cette production d’énergie fournit la moitié de la consommation d’électricité de la station d’épuration et apporte une économie d’environ 450 000 € par an sur les coûts d’exploitation.

En tant que constructeur, cela fait des années que Degrémont construit dans le monde entier des stations d’épuration utilisant la digestion des boues primaires et mixtes afin de les stabiliser, de réduire la quantité de boues et le dégagement d’odeurs, mais aussi pour optimiser les investissements.

En tant qu’exploitant de stations d’épuration, Degrémont préconise la digestion afin d’optimiser les dépenses d’exploitation, en particulier dans les pays où les coûts d’électricité sont très élevés.

En diminuant la consommation d’énergies non renouvelables, les émissions de CO₂ ou de CH₄, les volumes de boues à transporter, à stocker ou à mettre en décharge, la digestion constitue un des éléments majeurs de l’offre de Degrémont en faveur du développement durable.

Références bibliographiques

  • La digestion anaérobie des boues urbaines – état des lieux, état de l’art SOLAGRO
  • Energy price rises fuel advanced digestion. World Water & Environmental Engineering Magazine, March/April 2006
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