La désinfection par le chlore
L'utilisation régulière de la chloration pour désinfecter l'eau a contribué à faire régresser les maladies d'origine hydrique. Elle a incontestablement été un facteur déterminant de progrès socio-économique et de bien-être pour l'homme. La connaissance de la réactivité du chlore avec les composés de l'eau a progressé et permis d'évaluer non seulement les avantages de la chloration mais aussi ses effets négatifs.
L'effet négatif le plus connu des consommateurs est un goût désagréable de l'eau et l'apparition de composés organochlorés, tels les trihalométhanes et acides haloacétiques. Ces deux effets ont pour origine la réaction du chlore avec les matières organiques. La réaction avec l'ammoniaque est également une cause de dégradation de la saveur de l'eau (présence de dichloramines).
La présence de composés organochlorés dans l'eau pouvant présenter un risque pour la santé humaine, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la Directive Européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine limitent la teneur en chloroforme et en bromodichlorométhane dans l'eau.
L'avantage du chlore est sa relative stabilité, ce qui permet de maintenir un résiduel désinfectant dans le réseau de distribution. Le réseau de distribution est en effet le siège de réactions pouvant dégrader la qualité de l'eau, au cours de son transport dans les canalisations et suivant son temps de séjour dans celles-ci.
Des traitements alternatifs
Tant pour améliorer le goût de l'eau que pour limiter la formation des organochlorés, un intérêt croissant est né pour trouver des traitements désinfectants alternatifs en substitution au chlore ou pour simplement limiter la dose de chlore. C'est à cette catégorie de traitement qu'appartiennent l'ozone, utilisé depuis le début du siècle, le bioxyde de chlore, la monochloramine et les membranes.
L'ozone est un oxydant puissant et un excellent désinfectant plus efficace que le chlore mais il ne laisse pas de résiduel désinfectant dans le réseau.
[Photo : Figure 1 : Sortir d’un cercle infernal en augmentant les rendements d’élimination de la matière organique et des particules en suspension.]
[Photo : Figure 2 : La réglementation sur les sous-produits de désinfection interfère non seulement avec celle sur la qualité microbiologique des eaux, mais aussi avec celle du plomb. Dans les 3 situations, le rôle du pH est primordial.]
Distribution.
Son action est donc souvent complétée par un traitement de chloration à faible dose qui permet de maintenir ce résiduel. L’ozone génère également des sous-produits comme les aldéhydes, acides organiques, bromates et organobromés. L’ozone est réputé produire moins de sous-produits nocifs pour la santé humaine que la chloration. Les bromates préoccupent cependant l’OMS. Notons que le chlore, sous sa forme eau de javel, est aussi une source de bromates.
• Le bioxyde de chlore est également largement utilisé pour désinfecter l’eau. Il ne forme pas de trihalométhanes et persiste dans l’eau. Mais il produit des chlorites et des chlorates qui doivent être contrôlés car ils peuvent également être nocifs pour la santé.
• La monochloramine est un désinfectant moins puissant que le chlore, l’ozone et le bioxyde de chlore mais il est plus persistant dans l’eau. Elle est largement utilisée aux USA mais elle présente quelques inconvénients, le principal étant la dégradation de la saveur de l’eau liée à la présence de traces de dichloramines. Un deuxième effet négatif est l’apparition progressive dans le réseau de nitrites qui excèdent la norme française.
Contrairement à l’ensemble des désinfectants précédemment cités qui sont utilisés depuis de nombreuses décennies, la filtration sur membrane est un procédé récent dans le traitement des eaux. Elle présente deux avantages majeurs qui sont : une très grande efficacité vis-à-vis des microorganismes de désinfection et la non génération de sous-produits. Il n’y a évidemment pas de persistance de résiduel désinfectant dans le réseau ; il faut donc compléter le traitement par une chloration, la dose dépendant de la richesse en matières organiques de l’eau.
Éliminer la matière organique biodégradable
Le souhait de la Commission Européenne est d’aller vers plus de sévérité tant sur l’efficacité de la désinfection que sur le contrôle des sous-produits de la désinfection. Cela peut sembler contradictoire. Tandis que l’application de chlore à de fortes doses limitera l’activité biologique dans le réseau de distribution, il produira aussi la formation de sous-produits de chloration sapides et nocifs pour la santé humaine. D’autre part, en absence de chlore résiduel libre, les bactéries peuvent proliférer en consommant la matière organique biodégradable présente dans l’eau. La seule voie pour sortir de ce cercle infernal consiste à renforcer le traitement des eaux en améliorant les performances des traitements en amont de la chloration : coagulation, décantation, filtration sur sable, ozone, filtration sur charbon, pour augmenter les rendements d’élimination de la matière organique et des particules en suspension (figure 1).
L’élimination de la matière organique limitera la formation des organochlorés lors de la désinfection et stabilisera le chlore dans le réseau. La rétention des matières en suspension constituera une première étape de désinfection et renforcera l’action désinfectante du chlore et de l’ozone qui est contrecarrée par la présence de particules qui, en transportant les bactéries, les protègent contre l’action des oxydants.
Nous devons apprendre à gérer au mieux les outils que nous avons à notre disposition pour répondre aux nouvelles contraintes que nous impose la Directive Européenne sur la qualité des eaux de consommation. Le tableau 1 résume les différentes actions des étapes conventionnelles du traitement.
Ainsi naît le concept des multiples barrières. Ce concept, qui inclut la mise en œuvre de plusieurs traitements, permet d’additionner leur action désinfectante en limitant leurs sous-produits respectifs.
La formation des sous-produits est également contrôlée par une meilleure maîtrise des doses d’oxydant et des temps de contact avec l’eau (concept du Cxt*) suffisants pour une désinfection efficace, mais pas excessifs pour éviter la formation des sous-produits.
Ceci nous conduit à approfondir notre connaissance des Cxt pour différents types de microorganismes et pour différents désinfectants, pour différents pH et températures et à acquérir une totale maîtrise de l’hydraulique de nos réacteurs industriels.
Cxt* :
C = résiduel moyen d’oxydant dans la cuve de contact
t : temps de contact hydraulique dans la cuve
Tableau IEffets négatifs et positifs des étapes de traitement en amont de la chloration : le concept des multiples barrières
Nom des procédés |
Effets positifs |
Effets négatifs |
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--- |
--- |
COAGULATION OPTIMISÉE (avec éventuellement CAP) |
élimination de la matière organique, des précurseurs de THM, des Giardia, Cryptosporidium, des particules et des bactéries fixées sur ces particules |
augmentation de l’aluminium ou du fer résiduel (si le pH n’est pas optimisé), de la production de boue |
OZONATION |
amélioration de la clarification et de la filtration ; diminution des précurseurs de sous-produits de chloration ; action bactéricide, virucide, inactivation des parasites (Giardia, Cryptosporidium) |
augmentation de la matière organique biodégradable ; recroissance bactérienne dans les réseaux de distribution en l’absence de chlore ; formation de bromates |
CHARBON ACTIF EN GRAINS |
amélioration des goûts et odeurs ; élimination des micropolluants ; biodégradation de la matière organique ; eau biologiquement stable dans le réseau de distribution |
n’élimine pas les bromates, ni les THM ; produit des fines et libère des microorganismes |
OZONE/CAG |
élimination de la matière organique biodégradable ; production d’une eau biologiquement stable dans le réseau ; diminution de la demande en chlore et de la formation de sous-produits de chloration |
formation de bromates non éliminés par le charbon actif |
MICROFILTRATION ET ULTRAFILTRATION |
élimination des bactéries, parasites, composés sous forme particulaire (ex. fer, aluminium) |
pas d’élimination des produits sous forme dissoute (pesticides, C.O.D., ammoniaque) |
NANOFILTRATION |
élimination quasi totale de la matière organique biodégradable (inférieure à la limite de détection) ; production d’une eau biologiquement stable dans le réseau ; pas de demande en chlore du réseau de distribution ; pas de formation de sous-produits de chloration, ni de bromates ; élimination des parasites, des virus et des bactéries, de la couleur, des micropolluants ; pas de goût et odeurs |
— |
La réglementation sur les sous-produits de désinfection interfère non seulement avec la réglementation sur la qualité microbiologique des eaux mais aussi avec celle du plomb car, dans les trois situations, le rôle du pH est primordial (figure 2). Citons par exemple les bromates qui ne sont pas formés dans les eaux acides.
La tendance est la même pour les trihalométhanes qui sont préférentiellement formés dans les eaux alcalines. Nous sommes, par ailleurs, de plus en plus fréquemment confrontés à des ressources en eau dont la qualité se dégrade.
Le problème n’est pas nouveau mais peut devenir, parfois, difficile à maîtriser.
La contamination des ressources en eau de certaines grandes agglomérations atteint des niveaux pouvant dépasser les valeurs guides A3 ; mais nous ne serions plus en mesure de garantir, à un coût raisonnable, une eau produite de qualité, si la ressource devenait trop fortement dégradée au plan bactérien.
Conclusion
Avec ces multiples contraintes, conduire une station de traitement d’eau va devenir de plus en plus difficile, en particulier si nous laissons la qualité de nos ressources se dégrader.
Nous aurons besoin d’exploitants encore plus compétents, d’outils fins de régulation des taux de traitement, et de systèmes experts ou logiciels de simulation, pour pouvoir choisir les conditions optimales d’exploitation.
[Encart : Références bibliographiques
(1) Gatel (D.), Bourbigot (M.-M.), Vandevelde (T.), Devauchelle (V.). Enjeux scientifiques et techniques du traitement des eaux de rivière. L’Eurobiologiste, tome XXX, n° 224, juillet-août 1996, pp. 9-16.
(2) Gatel (D.). Examen des diverses techniques de désinfection en eau potable. Techniques, Sciences, Méthodes, vol. 91, juillet-août 1996, pp. 489-493.
(3) Haslay (C.), Leclerc (H.). Microbiologie des eaux d’alimentation. Paris, Tec & Doc-Lavoisier, 1993, 500 p.
(4) Organisation Mondiale de la Santé. Directives de qualité pour l’eau de boisson. 2ᵉ éd., vol. 1. Recommandations. Genève, OMS, 1994, 203 p.
(5) Rigaud (G.), Randon (G.), Gatel (D.), Gagnon (J.-L.), Dutang (M.). Pourquoi un autocontrôle bactériologique décentralisé des réseaux d’eau potable. L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 176, octobre 1994, pp. 54-57.
(6) Geldreich (E.E.). Microbial quality of water supply in distribution systems. New York, Lewis Publishers, 1996, 504 p.
(7) Minear (R.A.), Amy (G.L.) (eds). Disinfection by-products in water treatment. The chemistry of their formation and control. New York, Lewis Publishers, 1996, 502 p.
(8) 100 ans après Pasteur : microbiologie et désinfection des eaux potables. Point Sciences et Techniques, vol. 6, n° 2, décembre 1995, 56 p.
(9) Directive n° 80/778/CEE (modifiée) du Conseil du 15 juillet 1980, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. JOCE, n° L 229 du 30 août 1980.]