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L'utilisation de la rhéologie dans le conditionnement des boues d'une usine d'eau potable

30 mars 1993 Paru dans le N°162 à la page 41 ( mots)
Rédigé par : Jean-marc PHILIPOT et Laurent TROCHU

L'usine de Choisy-le-Roi, principale unité du Syndicat des Eaux d'Ile-de-France, produit annuellement environ 125 millions de m3 d'eau potable. Le traitement de clarification génère un déchet constitué par les matières en suspension de la rivière et les réactifs. Les ouvrages comportent un dispositif d'extraction des boues de décantation en continu, un ensemble de deux épaississeurs, un système de mélange des boues épaissies avec du lait de chaux et trois filtre-presses. L'unité de déshydratation produit 5000 t/an de boues pelletables dont la siccité est de 40%. Elles sont valorisées en milieu agricole. La régulation de l'injection du lait de chaux est fondée sur les propriétés rhéologiques du mélange. Le rhéomètre, qui était d'ordinaire employé pour le dosage de polymère dans le traitement des boues d'épuration, a été adapté à notre contexte local pour le dosage de la chaux. Cette technique, qui a été testée avec succès pendant un an, constitue une innovation dans le domaine des eaux potables. L'appareil fonctionne en routine et permet de stabiliser la qualité du produit déshydraté. Autonettoyant, il est d'un entretien faible et de qualité robuste.

La Compagnie Générale des Eaux exploite, en région parisienne pour le compte du Syndicat des Eaux d'Ile-de-France (SEDIF), trois usines de production d’eau potable : sur l'Oise à Méry (270 000 m³/j), sur la Marne à Neuilly (800 000 m³/j), sur la Seine à Choisy-le-Roi (800 000 m³/j). Ces unités de production desservent 144 communes et 4,5 millions d’habitants. Leur production moyenne journalière est de 1 million de mètres cubes.

Nous examinerons ci-après les conditions dans lesquelles sont traitées les boues produites par l’usine de Choisy-le-Roi, notamment en ce qui concerne leur conditionnement à la chaux.

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L'usine de Choisy-le-Roi alimente environ 1 800 000 habitants du sud de la banlieue parisienne et produit environ 125 millions de m³ d'eau potable par an.

Le traitement de potabilisation de l'eau génère des boues de décantation constituées par les matières minérales et organiques en suspension contenues dans l'eau de la rivière et par les réactifs utilisés pour la clarification et la déstabilisation des colloïdes, à savoir des sels d’aluminium ou de fer. Ces déchets, qui présentent une teneur en matières sèches de l'ordre de 1 g/l, produisent localement une nuisance pour l'environnement : leur traitement était donc nécessaire.

Les installations de traitement des boues

Les boues issues de la clarification vont suivre plusieurs étapes de traitement (figure 1) jusqu’à leur utilisation finale en agriculture, à savoir : raclage dans les décanteurs, épaississement, déshydratation mécanique.

Ces opérations sont menées à bien grâce aux automatismes mis en œuvre : automate programmable industriel et régulateur de dosage.

Raclage

Des racleurs longitudinaux situés dans le fond de chaque couloir de décantation collectent les boues, lesquelles sont périodiquement purgées et amenées vers une bâche-tampon au moyen de vannes automatiques. Outre l’avantage de produire une eau décantée d'une qualité excellente et constante, ce dispositif permet un écoulement régulier vers la station de traitement des boues de l'ordre de 5000 m³ par jour, avec une teneur des boues en matière sèche qui fluctue autour de 0,1 %.

Épaississement

De la bâche-tampon, les purges sont reprises par des groupes de pompage et acheminées vers deux épaississeurs de 3000 m³ chacun. L’adjonction d’un floculant au taux de 2 ‰ (rapporté aux matières sèches) permet d’obtenir une décantation rapide tout en conservant une qualité de surverse satisfaisante.

Les boues ainsi accumulées dans les épaississeurs peuvent y séjourner plus d’un mois avant d’être transférées vers la phase de déshydratation. Les volumes traités représentent plus de 20 000 m³ de boues par an, d’une siccité de 8 % à 10 % de matières sèches.

Déshydratation

Le succès de l’opération tient à un bon conditionnement des boues épaissies avec de la chaux, qui est dosée sous forme de lait de chaux à raison de 300 à 350 kg par tonne de matières sèches. Pour cette raison, le dosage est géré par un régulateur qui utilise les caractéristiques rhéologiques de la boue et du mélange obtenu.

Sous le contrôle du rhéomètre, les boues conditionnées sont pompées sous une pression de 7 bars vers les chambres de trois filtres-presses équipés chacun de 75 m² de toiles filtrantes dont le débachage est automatique. Ils produisent annuellement 5000 tonnes de boues pelletables, d’une siccité comprise entre 40 % et 45 % de matières sèches. La consommation moyenne de fleur de chaux atteint annuellement 500 tonnes. Enfin, des convoyeurs acheminent les boues déshydratées dans des trémies de stockage d’une capacité de 550 m³, puis elles sont évacuées régulièrement par camion.

La phase de déshydratation ne requiert qu’une simple surveillance : un agent, à raison de 29 heures par semaine, qui, le reste du temps, est employé à la maintenance des équipements.

[Photo : Fig. 1 – Vue d’un épaississeur et du bâtiment des filtres-presses. Les boues conditionnées, accumulées dans les épaississeurs, sont pompées sous pression vers les chambres des filtres-presses.]
[Photo : Fig. 2 – Chargement d’un camion en boues déshydratées.]
[Photo : Fig. 3 – Dosage de la chaux pour la déshydratation des boues d’eau potable. Détail d’un rhéomètre : rotor à palettes et pot de mesure.]

Valorisation agricole

La valorisation agricole s’est avérée exploitable grâce à la présence dans les boues d’une importante quantité de chaux et à la faveur de très faibles teneurs en métaux lourds. La chaux, en effet, participe à l’amélioration globale de la qualité physique des sols et les agriculteurs de la région de Corbeil-Essonnes ont considéré que les terres de décantation pouvaient tout aussi bien que les amendements calcaires traditionnels, assurer l’entretien calcique de leurs sols.

Par ailleurs, les caractéristiques physiques des boues déshydratées permettent une mise en tas facile, un stockage extérieur de plusieurs mois et un épandage sans problèmes.

Application de la rhéologie au conditionnement des boues à la chaux

Objectifs

L’objectif était de réguler la quantité de chaux à mélanger avec les boues épaissies avant qu’elles ne soient injectées dans les filtres-presses. Les avantages d’une telle régulation sont nombreux :

  • - assurance d’un rendement optimum des filtres-presses ainsi que leur bon fonctionnement (débachage automatique). Le taux optimum de 35 % de chaux rapporté aux matières sèches permet d’obtenir des terres dont la siccité sera supérieure à 40 % ;
  • - respect du taux de chaux minimal sur lequel l’exploitant s’est engagé contractuellement avec les agriculteurs depuis trois ans ;
  • - optimisation du coût de traitement.

Historique

Les procédés classiques proposaient de mesurer la concentration en matières sèches (MS) des boues épaissies afin d’asservir le dosage de la chaux. Les difficultés étaient nombreuses, puisque les boues, avec une concentration de 8 % à 10 % de MS, sont très opaques, collantes et contiennent des fibres, ce qui a conduit à écarter les sondes optiques, à abandonner les sondes à ultrasons (à cause de l’environnement) et à éviter l’utilisation délicate du gammaden­s­imètre.

C’est au terme d’une étude réalisée en laboratoire que l’utilisation de la rhéologie a été évoquée. Une société canadienne (Zénon) disposait d’un appareil pour le dosage de polymère en traitement des boues d’eaux usées : il restait à l’adapter au cas particulier du dosage de la chaux utilisée en déshydratation de boues d’eau potable, dans lequel la mise au point de cette technologie constituait une innovation intéressante.

Quelques rappels de rhéologie

La rhéologie est l’étude du comportement de l’écoulement et de la déformation des fluides soumis à un cisaillement, et plus particulièrement de leur viscosité.

Pour schématiser le phénomène, prenons le cas de deux plaques parallèles horizontales de même surface A, dont l’une est fixe, distantes de e et séparées par le fluide. L’application d’une force

[Photo : Schéma fonctionnel de la régulation de la chaux.]

F sur la plaque mobile provoque sa mise en mouvement à la vitesse V. L’application d’une contrainte de cisaillement τ = F/A crée à l’intérieur du fluide un gradient de cisaillement γ = V/e.

Les boues épaissies présentent un comportement pseudoplastique à caractère thixotrope. Le fluide est thixotrope si, pour un gradient de cisaillement constant, la contrainte de cisaillement diminue avec le temps (la viscosité décroissant).

Rhéomètre utilisé

Le capteur est disposé au-dessus d’un pot de mesure destiné à recevoir les échantillons de boues (figure 3). Il utilise un système à gradient de vitesse imposée, à savoir que le rotor formé par six pales tourne à une vitesse fixe de 40 tr/min. Il est entraîné par un servomoteur à courant continu. Le rotor est associé à un capteur optique qui émet un signal électrique proportionnel au couple nécessaire pour maintenir la vitesse du rotor. La mesure du couple est obtenue par un ressort calibré.

L’échantillon de boue est soumis à un cisaillement de dix secondes, durant lequel le microprocesseur traite le signal du capteur et gère les 100 données ainsi obtenues ; seules la valeur maximale et la moyenne des dix derniers points sont retenues (figure 4).

Le microprocesseur a également la charge de piloter les séquences d’échantillonnage suivant le modèle du parfait manipulateur, à savoir : rinçage, calibrage, purge, prélèvement, mesure et vidange. L’étape du rinçage effectuée après chaque mesure permet de réduire l’entretien du pot et du rotor. Le cycle d’une analyse est inférieur à 2 minutes.

Toutes les séquences sont paramétrables, ainsi que des fonctions aussi variées que : l’écart entre deux données, le temps d’ajout de chaux, la vitesse de la vis de chaux, le seuil de viscosité et les différentes limites fixées pour le contrôle du capteur.

Le rhéomètre dans l'installation

L’armoire de régulation et l’automate central de l'installation (figure 5) échangent des informations dans le but de piloter les échantillons de boues, d’ajuster la quantité de chaux et d’autoriser le fonctionnement des pompes de remplissage des filtres-presses. Le rhéomètre analyse les boues épaissies uniquement durant le transfert de celles-ci vers le bac de mélange. Le fonctionnement est discontinu et très court, l’adjonction du lait de chaux ayant lieu dans le même temps. Les mesures ne sont pas utilisées pour la régulation car si, par périodes, les données reflètent bien la concentration en matières sèches des boues, les variations saisonnières perturbent les résultats à plus long terme.

Le remplissage du bac de mélange terminé, le rhéomètre analyse les boues conditionnées. Si les deux données consécutives sont stables et inférieures au seuil de viscosité sélectionné par l’opérateur, le mélange est alors injecté dans les filtres-presses ; dans le cas du mélange.

[Photo : Rhéogrammes de deux échantillons de boues, avec et sans chaux.]
[Photo : Régulation de la chaux en fonction des analyses rhéologiques du mélange.]
[Photo : Fig. 7 : Influence du taux de chaux.]

Contraire (données stables et supérieures au seuil), le régulateur fait procéder à un ajout de chaux dont le temps est paramétrable (figure 6). Plus le seuil de viscosité est sélectionné sur de faibles valeurs, plus le taux de chaux sera important.

Analyse des résultats

Le calage du dispositif a nécessité une mise au point de 18 mois. Les paramètres de la régulation ont pu être ajustés avec toutes les données collectées par un micro-ordinateur. Cela a également permis d’observer l’influence de plusieurs paramètres, comme la proportion de chaux, l’intensité et le temps de l’agitation du bac de mélange, la température et la nature des boues en fonction des saisons.

Les essais réalisés en laboratoire ont montré que l’adjonction de chaux dans la boue, avec plusieurs taux, produisait une diminution de la contrainte de cisaillement ou de la viscosité jusqu’à une valeur-limite qui correspond pratiquement au rendement optimum des filtres. Ce taux optimum est de l’ordre de 35 % de chaux rapporté aux matières sèches contenues dans la boue (figure 7). Sur le site, pour atteindre cette proportion idéale, il a fallu plusieurs mois pour déterminer le seuil de viscosité qui lui correspondait.

L’agitation du bac de mélange provoque également une chute de la viscosité en fonction du temps, ou bien de l’intensité, du brassage. Au cours de la mise au point, la vitesse de l’agitateur a été doublée afin d’obtenir plus rapidement un mélange homogène, en même temps que la viscosité souhaitable. Pour obtenir des mesures rhéologiques stables, il faut agiter près d’une heure dans la majorité des cas (figure 6).

Avec les saisons, les boues recueillies ne sont pas de même nature mais elles conservent néanmoins une concentration en MS située le plus souvent entre 8 et 9 %. C’est en période hivernale que l’influence de la température est la plus défavorable, où la viscosité des boues augmente lorsque la température diminue.

Conclusion

Depuis 1991 le régulateur remplit correctement sa mission. Mieux qu’un asservissement en fonction de la concentration des boues épaissies, cette régulation est du type « boucle fermée », puisqu’elle s’appuie sur la mesure du résultat, les boues conditionnées, et vient agir sur l’installation de chaux dans le cas où la consigne n’est pas atteinte.

L’application de la rhéologie nous a apporté une plus grande régularité de production de boues déshydratées, une aide importante à l’exploitation et la sécurité d’utilisation du matériel. Le bon fonctionnement du système n’impose qu’une maintenance légère : un nettoyage complet du pot de mesure et du rotor à palettes par quinzaine. L’ensemble du dispositif est robuste puisqu’il n’a pas nécessité d’interventions mécaniques ou électriques.

BIBLIOGRAPHIE

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VENTRESQUE C., BABLON G., Optimization of sludge treatment in large scale potable water works, Rheological tests. Communication présentée à la conférence AWWA/WPCF, « Joint Residual Management Conference », San Diego, 13-16 août 1989.

DEMOCRATE C., ANDINE D., VIBERT A., VIGOURET J., Le traitement des boues d’eau potable par lit de séchage : mise en œuvre et performances, « L’Eau, l’Industrie, les Nuisances », n° 133, décembre 1989, pp. 37-41.

FORZINI Y., PERIGOIS J.M., Analyse des diverses utilisations possibles pour les boues de stations d’eau potable, en particulier l’emploi en agriculture. Communication présentée aux journées AGHTM italo-franco-suisses, de Fribourg, 4-6 octobre 1990.

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