Quoi qu'en pensent les descendants des fiers gaulois friands des aventures d'Astérix, les romains avaient peut-être la folie des grandeurs, mais un énorme bon sens dans les domaines de l'aménagement militaire et civil, et particulièrement dans le génie hydraulique. Si par exemple certains de nos contemporains ont les pieds dans l'eau alors que les occupants des mêmes lieux à l'époque romaine étaient au sec, on peut se demander qui détient la sagesse et la science au bout de deux millénaires d'histoire.
Crédit photographique : Françoise Poitvin, Jean-Louis Mathieu
Quoi qu’en pensent les descendants des fiers Gaulois friands des aventures d’Astérix, les Romains avaient peut-être la folie des grandeurs, mais un énorme bon sens dans les domaines de l’aménagement militaire et civil, et particulièrement dans le génie hydraulique. Si, par exemple, certains de nos contemporains ont les pieds dans l’eau alors que les occupants des mêmes lieux à l’époque romaine étaient au sec, on peut se demander qui détient la sagesse et la science au bout de deux millénaires d’histoire.
À ce titre, l’histoire du site de Mennecy dans l’Essonne et de ses aqueducs souterrains est assez édifiante, même s’il n’est pas avéré que les Romains aient eu une présence marquante sur les lieux. Les techniques de captage, de transfert des eaux, les matériaux utilisés et leur maçonnerie sont d’une tradition romaine prolongée et connue et qui confirme une maîtrise de l’eau devenue légendaire.
La carte IGN au 1/25 000ᵉ montre, du sud au nord et du plateau au fond du vallon de l’Essonne, trois zones très distinctes : « la plaine », en fait un plateau très récemment urbanisé, le village et ses différentes extensions historiques avec le parc de Villenoy et, enfin, le Petit Mennecy au bord des étangs de l’Essonne. Les trois entités sont naturellement délimitées par deux ruptures de pente que soulignent les ouvrages humains : la nationale 191 (Corbeil, La Ferté-Alais, Étampes), qui suit pratiquement le bord du plateau à la cote 80 m ; et la cote 50 qui est soulignée par la voie ferrée et marque la limite entre le versant, son glacis et les marais, étangs et bras de la rivière.
Le vaste espace du plateau colonisé depuis peu par des lotissements pavillonnaires, des immeubles et bâtiments publics et industriels, a quelques pro
Problèmes d’assainissement pluvial.
Les bâtisseurs impénitents ont « viabilisé » des lotissements pavillonnaires où il est vivement déconseillé de construire sur cave, à moins de vouloir qu’elle serve de citerne en période de pluie. Les ingénieurs de l’équipement n’ont pas fait mieux avec l’aménagement de la nationale qui fait obstacle au drainage naturel du plateau. Personne ne s’est demandé pourquoi, pendant des siècles, les anciens n’ont jamais construit sur le plateau. Il restait dédié aux cultures et il ne serait pas surprenant de trouver des réseaux anciens de drainage agricole en poterie, que les engins de fondation routière ont complètement obturés.
Depuis « les siècles des siècles », les villageois étaient installés dans la pente entre le plateau argileux et les tourbières de la rivière. Là était la pierre calcaire pour construire, l’eau saine des sources pour boire et la pente pour assainir facilement le sol. À vrai dire, pour construire, on sortait aussi du grès des carrières ouvertes dans les buttes sablo-gréseuses du plateau. Ce grès, résistant à l’écrasement et à l’érosion chimique, se retrouve dans les fondations et soubassements des maisons, mais aussi dans la maçonnerie et particulièrement la cunette des aqueducs souterrains qui quadrillent le village. Cette maçonnerie souterraine comprend aussi de la brique, sans doute fabriquée localement avec l’argile du plateau puisque l’on a retrouvé les éléments d’un alandier, foyer de four de céramique mais aussi de briqueterie, dont la technique s’est maintenue de l’époque romaine jusqu’au début du deuxième millénaire.
Si l’eau qui émergeait des calcaires du versant était bienfaitrice, la dispersion des sources était gênante. Les anciens creusèrent donc des galeries captantes qui assuraient un drainage efficace sous les maisons et les rues. La toponymie en témoigne encore avec la rue de la Fontaine ou la rue du Ru.
Tout le monde, même le seigneur et les gens d’église qui possédaient les terres moins pentues avant la rivière, se sont accommodés au mieux de cette situation jusqu’à la Renaissance. Époque faste où les goûts dispendieux pour les châteaux, jardins et jeux d’eau se répandirent dans la noblesse riche de l’Île-de-France à l’image de Versailles ou de Vaux-le-Vicomte. Le système hydraulique de Mennecy en fut bouleversé.
Le seigneur Charles de Neufville, dit d’Halincourt, était propriétaire au début du XVIIᵉ siècle du château de Villeroy et de son parc, en contrebas du village. Il va en faire une des plus belles demeures châtelaines de la Renaissance en France, avec bassins, fontaines et jardins à la mode d’Italie que les architectes des princes ont si bien transposés, en France. Mais ce projet superbe exige beaucoup d’eau que les machines hydrauliques de l’époque ne pouvaient pas faire remonter de la rivière (pour Versailles, la « machine de Marly » ne sera construite qu’en 1673).
Le pouvoir et la fortune donnent bien des droits et Charles de Neufville va s’approprier les eaux qui jaillissent au sud-ouest
Du vieux village, déjà deux galeries aux côtes 74 et 70 regroupaient les eaux de l’est à l’ouest du village, et il est amusant de voir la galerie de la côte 70 qui traverse les jardins avec dans chacun un ou plusieurs accès avec escalier, bassin de dessablage et cunette d’alimentation d’un bassin. À la Gaudine, où nous accueille Françoise Poitvin, fondatrice de l’association Eaux et Fontaines de Mennecy, un tel bassin était couvert d’un joli bâtiment de calcaire blanc et dont la voûte était en arcs rentrants en brique rouge, véritable chef-d’œuvre d’un compagnon maçon. C’était la fontaine couverte, autrefois appelée la Fontaine Gaudine, datant de 1623.
C’est justement du 12 octobre 1623 que date un document, archivé à l’étude de Villeroy, dont l’extrait suivant détaille les travaux que Charles de Neufville confie contractuellement à deux artisans qualifiés :
« Furent présents Simon Collignon, maçon tailleur de pierre, demeurant à Fontenay-le-Vicomte et Ludovic Bonnemoeurs, aussi maçon fontainier demeurant à Fontainebleau, lesquels... se sont obligés… pour Monsieur d’Haincourt… À savoir de faire soixante et dix toises de rigoles ou ce qu’il en faudra pour le ramassage des eaux et sources que Monseigneur désire faire venir au château de Villeroy du village de Mennecy. Creuser plus profond que le fond de la grande fontaine... Plus seront tenus fournir tant et si grande quantité de quartiers de grès qu’il en faudra pour les-dites rigoles et autres ouvrages... Plus fourniront la taille de grésérie qu’il faudra pour faire le bassin et regard de ladite fontaine... Plus feront la maçonnerie du bassin et regard... Seront tenus de mener et conduire lesdites eaux là où il sera montré par Monsieur de Champrony, capitaine et gouverneur du château et marquisat de Villeroy... »
Est-ce que Simon Collignon et Ludovic Bonnemoeurs ont été correctement rétribués pour leur talent et la qualité de leur travail ? On ne le saura pas, mais on l’espère pour eux car, bientôt quatre siècles après, cunettes et voûtes sont en état et l’eau y circule toujours.
Cependant, leurs travaux n’ont semble-t-il pas suffi à collecter toute l’eau espérée par « Monseigneur », puisque d’autres documents de l’étude de Villeroy témoignent d’autres opérations toujours à la demande du duc de Villeroy, en fait les descendants du premier, puisque ces actes datent respectivement de 1669 et 1790 :
« Vente faite par André Chanteclerc, vigneron et Catherine Robillard, sa femme, à M. le duc de Villeroy, de six toises de terre ou environ (12 ca), faisant partie d’une grande pièce au village de Mennecy, au bout du jardin où demeurent les vendeurs, dans lesquelles six toises il y a une fontaine et source d’eau... » (28 décembre 1669)
Et rappel d’une situation datant de 1770 :
« Marie Mahy, veuve de Jean Brouillot, cède quatre perches de terre, prises vingt ans auparavant par le duc de Villeroy pour former et établir le regard et entrée du réservoir des eaux du château de Villeroy et le talus dudit réservoir formant un cintre... » (27 octobre 1790).
Là comme ailleurs, la Révolution va raser la splendeur passée et au 19ᵉ siècle, à
par les dépendances encore existantes aujourd'hui, seuls les ouvrages souterrains ont survécu, bien que des dégradations plus récentes ne les aient pas épargnés. L’oubli vient, car peu de traces écrites mentionnent encore la présence de parties du réseau réalisé à la demande des ducs. L’étude de Me Gros révèle un document du 4 septembre 1891 : « Bande de terrain cadastrée n° 225 et 226 : ... dans cette bande existe un regard voûté avec escalier en pierre pour y descendre. Dans ce regard, se trouvent des réservoirs souterrains recevant les eaux d'une direction qui semble être celle de la plaine de Mennecy. Ces eaux sont dirigées dans le grand réservoir du château par une conduite voûtée, tout au moins en partie, en traversant le chemin de Fontenay à Écharcon et une partie du Parc. »
Le fameux grand réservoir ! Il a plus souffert de prédations récentes que de la Révolution et d'autres avatars historiques. Le linteau de l’entrée est surmonté d'un bas-relief très mutilé où l’on reconnaissait encore récemment Pomone, déesse romaine de l’abondance, figurée par des fruits, fleurs et jardins. Mais l’outrage le plus grave qu’a subi le grand réservoir, s'il a changé son environnement immédiat, compromet gravement sa solidité à venir : l’un des maires de Mennecy au cours de la dernière décennie a fait raser le talus élégamment végétalisé qui le surplombait, au prétexte que les racines allaient détériorer l’édifice. Cette butte, voulue par les constructeurs, protégeait le réservoir des variations thermiques, particulièrement du grand gel qui fait éclater les pierres calcaires des voûtes, et assurait la fraîcheur de l’eau.
Elles sont superbes ces voûtes et le bassin du réservoir, nettoyé, est d’un bel ajustement de pierres avec un large trottoir qui permet d’en faire le tour. La galerie d’amenée déversait l’eau à travers une grille de bronze pour retenir d’éventuels flottants, puis l’eau tombait dans le bassin en glissant sur une plaque métallique qui, éloignant la lame d’eau de la paroi, favorisait l’oxygénation de l’eau stockée.
La pluviométrie surabondante de cet hiver a amené beaucoup plus d’eau et le débit a atteint le réservoir, sec depuis longtemps, et c'est un privilège de le voir en eau, même s’il est loin d’être plein. Si le grand réservoir est en eau, la dernière fontaine du château ne l’est plus, l’un des élus trouvant déplaisant que l’eau y verdissait l’été... Arrêtez les fontaines ! On voit du vert partout ! On est quelquefois tenté de croire que la bêtise devient plus abondante que l’eau.
Comme l’écrit Nicole Dauchon, présidente de « Mennecy et son histoire », dans « Mennecy notre village » : « Aujourd’hui, Villeroy est un beau parc communal, réservé à la promenade et au plaisir du contact avec la nature. Le randonneur peut y trouver un point d’eau moderne, simple robinet qui n’a rien de secret, extrémité d'une conduite de plastique non moins moderne, qui semble ridiculiser les énormes ouvrages mis autrefois en chan- »
Tier pour capter, puis conduire la précieuse eau qui manquait au confort et au plaisir du seigneur raffiné. Le mystère des eaux souterraines et des passages secrets que découvraient les enfants du village est bien oublié... Sauf que de grands enfants curieux nous prennent aujourd'hui par la main pour retrouver l'eau et son histoire perdue.
Il faut se laisser guider dans les galeries, avoir vu le sable sautiller dans les griffons des sources enfouies à 6 mètres sous le bitume des chaussées modernes, avoir vu l’eau couler vive et claire dans les cunettes et les vasques de grès dégagées de leur tuf pluriséculaire, avoir vu les reflets du jour dans le grand réservoir, comme pour un parcours initiatique, pour tout comprendre d'un coup.
Comprendre la passion, la persévérance, l’action bénévole permanente de la fondatrice de « Eaux et Fontaines de Mennecy », comprendre la participation des membres locaux de l'association, non seulement aux visites, expositions et conférences pédagogiques, mais aussi aux travaux de recherche historique ou tout bonnement d'entretien et de restauration de telle ou telle partie du réseau, ou encore à la réalisation d’une cartographie hydraulique cadastrale, jointe au POS de Mennecy. À propos, les chantiers du patrimoine, ça vous intéresse ? Et le patrimoine hydraulique de Mennecy en particulier ? Alors appelez au 01 64 57 07 82, ou passez par le fax : 01 69 90 56 04, ou encore le Net : francoise.poitvin@laposte.net
L’association « Eaux et Fontaines de Mennecy » fait partie de la Fédération Nationale des Associations de Sauvegarde des Sites et Monuments et de l’Association de Protection des Paysages de France. Nous remercions sa présidente Françoise Poitvin pour son accueil, sa patience de guide, ses informations et les illustrations de cet article.
Jean-Louis Mathieu