[Photo : La retenue de Sault-Brénaz : l’entretien des digues par les moutons.]
Les nouveaux paysages du Haut-Rhône et leur gestion pastorale*
Le cours du Rhône entre Genève et Lyon s’insère entre le massif du Jura et celui des Alpes dont il constitue la ligne de séparation naturelle.
L’aménagement hydroélectrique du fleuve a commencé en France à l’amont par les mises en service, immédiatement après la guerre, de Génissiat dans la gorge du Rhône, et de Seyssel ; il s’est poursuivi entre 1978 et 1986 par l’équipement en quatre basses chutes des 60 km du cours aval du fleuve entre la Chautagne et Sault-Brénaz.
Un cadre majestueux
L’histoire géologique a fortement marqué le paysage de ce secteur : les glaciers ont entaillé la vallée, creusant même des lits multiples, aujourd’hui fossiles, et des dépressions occupées par des marais ou des lacs.
Le fleuve, qui a charrié au gré des crues les alluvions arrachées aux montagnes, a rempli le fond des canons glaciaires ; le lit mineur à l’origine fluctuant a été souvent stabilisé par l’action humaine mais il est, dans certains secteurs, resté sauvage et dynamique en façonnant des îles dans les cônes d’alluvions.
Le régime des eaux est influencé par la présence stabilisante des lacs dont les deux plus importants sont le lac Léman à l’amont et le lac du Bourget, le plus vaste de France ; cette stabilisation fait contrepoint au tempérament violent des affluents du Jura et des Alpes : Arve, Fier, Guiers.
Des projets paysagers
La couverture végétale traduit l’activité agricole traditionnelle, marquée par la vigne sur les coteaux. Le fond de vallée est occupé par quelques cultures souvent menacées par les crues, les zones les plus basses étant des prairies utilisées dans le passé pour la fauche d’engrais verts, cependant que les îles et les « brotteaux » (1) étaient utilisés pour la coupe du bois de chauffe. La déprise agricole récente se traduit par une évolution de la végétation vers des boisements, cependant la populiculture (2) s’est développée, ainsi que la culture de variétés appropriées de maïs.
Les nouveaux aménagements sont construits dans les plaines inondables ; ils ont conduit à d’importants travaux
[Image : LES SITES PROTÉGÉS DU HAUT-RHÔNE EN 1902]
* Extrait du numéro 35 de la revue “Espace pour demain”, 20, avenue Mac-Mahon, 75017 Paris.
de terrassements correspondant aux endiguements des retenues, aux creusements des canaux d’amenée et de fuite, aux terrassements des ouvrages de génie civil, usines et évacuateurs de crues.
Des études paysagères ont permis de compléter ces ouvrages techniques et de composer de nouveaux paysages.
Les retenues elles-mêmes ont épousé la morphologie naturelle des sites en englobant des dépressions constituant ainsi de nouveaux lacs : lac du Lit au Roi à Cressin, de Murs-Gélignieux, de Montalieu dont l’usage touristique pour la plaisance est croissant grâce à l’équipement de bases nautiques ; le passage des bateaux est d’ailleurs possible entre les retenues et avec le lac du Bourget.
La reconquête systématique de la couverture végétale des zones terrassées a été assurée par la mise en place de terre végétale et d’enherbements. Les projets se sont appuyés sur deux options : mise en place de plantations arbustives sur les digues pour constituer des bosquets permettant de rompre la monotonie des ouvrages et de créer des volumes variés, d’autre part de retrouver par des plantations de haute tige une intégration dans le paysage traditionnel des espaces voisins de l’aménagement.
La protection des zones humides et de l’environnement
La haute vallée du Rhône recèle un domaine présentant un intérêt écologique considérable ; il a été évalué à 5 000 hectares.
Actuellement environ 740 hectares font l’objet de mesures spécifiques de protection sous des formes diverses : réserve naturelle volontaire, arrêté de biotope. Ce sont :
- les îles de la Malourdie,
- le marais de Lavours,
- les îles de Brégnier-Cordon et le méandre du Saugey.
Au titre des nouveaux aménagements, la Compagnie Nationale du Rhône est partenaire des organismes gestionnaires avec les collectivités locales ; elle contribue donc financièrement au fonctionnement de ces réserves.
À la suite des aménagements, un développement considérable de l’hivernage des oiseaux d’eau, dû à l’extension des plans d’eau mis en réserve de chasse, a pu être enregistré par le groupe ornithologique de Savoie. Le castor, qui a été réintroduit, poursuit une colonisation expansive du milieu.
La gestion pastorale de la végétation
Le développement excessif des végétaux qui est susceptible d’affecter certaines fonctions techniques doit être maîtrisé : un contrôle et un entretien sont donc nécessaires.
Le premier secteur concerné est celui des « vieux Rhône » (3) – environ 37 km – où circule un débit réduit du fait des dérivations en temps normal et où les crues doivent cependant pouvoir être évacuées ; le second est constitué par les talus des digues dont la structure ne peut être détériorée par des développements racinaires d’arbres importants et où le développement de ronciers doit être également exclu pour permettre la surveillance.
Pour opérer cet entretien il a été convenu de n’utiliser que des méthodes traditionnelles ; les digues étant plantées d’espèces herbacées, il a été décidé d’entretenir ces espaces par le pacage d’animaux moyennant quelques équipements (clôtures, barrières canadiennes). Ce mode de gestion intéresse 470 ha environ.
Les troupeaux de moutons, au nombre de trois, sont constitués de 700 brebis et de leurs agneaux : ils sont déplacés sur les aménagements en fonction de la végétation.
Il s’y ajoute un troupeau de chèvres utilisées pour nettoyer les zones limoneuses des îles du vieux Rhône des arbustes susceptibles de s’y implanter.
Cette solution de gestion animale de la végétation s’avère à l’expérience économiquement très intéressante si on la compare au coût de l’entretien mécanique qui est pratiqué ailleurs et qui pose le problème du devenir des déchets végétaux.
L’insertion des grandes infrastructures hydroélectriques dans le paysage du Haut-Rhône et leur gestion peuvent être opérées en évitant de stériliser les emprises. En intégrant ainsi à des outils énergétiques une production animale, il est possible de rapprocher économie et écologie.
Élément d’animation du paysage, cette méthode suscite enfin la sympathie des riverains, des promeneurs et de nombreux touristes qui fréquentent ces espaces.
(1) marécages(2) culture des peupliers(3) terme donné aux secteurs « court-circuités » du Rhône initial.
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