Tout le monde parle aujourd'hui d'Externalisation ou d'Outsourcing, mais que recouvre vraiment ce terme? Est-ce un effet de mode ou un moyen de tendre vers la rationalisation et la productivité ? Certains industriels souhaiteraient évoluer vers ce principe sans vraiment le cerner ni être en mesure de quantifier les gains possibles ; d'autres savent qu'ils le subiront (car imposé par les stratèges des groupes) sans pour autant être convaincus du bien fondé de la démarche. Aussi, sans apporter de réponses ni volonté de convaincre ou de dénigrer ce concept, ce dossier tente de poser les bonnes questions en mettant en exergue les arbitrages qu'il faudra gérer, au sein de chaque entreprise qui choisira cette voie, dans les domaines suivants ; la stratégie industrielle, le volet social et la politique financière.
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Plus que la simple « sous-traitance », l'externalisation est le fait de confier à un fournisseur une tâche effectuée auparavant par l'entreprise en lui transférant une partie de son personnel.
Ce concept est déjà en marche depuis quelques années. De très nombreuses entreprises délèguent déjà à des prestataires le service de gardiennage, l'entretien des bâtiments et des espaces verts, la facturation ou la gestion des fiches de paie, etc.
Mais, quand on commence à toucher l'outil
de production, ou des organismes proches, la notion de risque industriel prend de l'importance et draine son lot de suspicions. C'est de ce niveau d’externalisation, touchant de près la production, dont il est question dans ce dossier. En termes de métier, il semble évident (à ce jour) que l'industriel garde la maîtrise du cœur du process mais tout ce qui n'est pas strictement l’outil de production doit pouvoir s’externaliser. Toutefois, plus la proximité existe, plus le niveau de risques et de responsabilités pour l'industriel et le sous-traitant sont importants. À ce jour, sont principalement concernés par le concept “Externalisation” la production et la gestion de l'eau (eaux industrielles, de refroidissement, production de vapeur, station d’épuration (step)), de l'énergie et des déchets. Confier une station d’épuration semble le moins risqué d'un point de vue industriel (en aval de la production) mais la problématique du transfert ou non (et dans quelles proportions) de la responsabilité du producteur ou du traiteur d’eau reste posée, et le traitement des boues et des déchets reste un enjeu majeur pour les années à venir. Mais quand externaliser ?
Quand Externaliser ?
Nous n’évoquerons pas dans ce paragraphe l’impact positif évident sur les ratios financiers (souvent moteur de la décision) en abordant les notions de réductions de capitaux engagés, d’actif, ou de sensibilité opérationnelle mais sur les opportunités qui peuvent se présenter à l'industriel pour franchir le pas. Pour aller très vite, nous pouvons en dénombrer trois principales :
- sociale : un service “externalisable” (exemple : une chaufferie) pour lequel la pyramide d’âges du personnel est élevée ; au lieu de renouveler tout ou partie du personnel, l'industriel peut penser à confier ce service à un fournisseur compétent,
- volonté de spécialisation : la gestion des déchets ou d'une step sont de plus en plus pointus ; ne vaut-il pas mieux les confier à un spécialiste qui s’engagera en plus sur les moyens à mettre en œuvre et les performances ?,
- réduire l'investissement : quand on doit construire une chaudière ou une step par exemple, ne semble-t-il pas judicieux de faire supporter l'investissement par le fournisseur ?
En face de chaque projet d’externalisation doit se mettre en place un contrat ; la durée de ceux-ci (en fonction du montant des investissements) se situe entre 3 et 10 ans en moyenne. Les dossiers complexes s’accompagneront d'un grand nombre de garanties et autres clauses de sortie ou d’évolution de contrat ; comment ne pas imaginer qu’en dix ans, les impératifs en matière de production ou de législation ne changeront pas au moins 2 ou 3 fois ?
Qui décide ?
Le monde industriel a évolué très vite ces dix dernières années ; nous passons d’un système où chaque usine décidait localement du choix des techniques et des fournisseurs à un système où finalement, au plus, un groupe de 3 à 5 personnes dans l'entreprise va faire le choix du partenaire en lui confiant ou vendant une partie de l’usine. Celui-ci aura en charge non seulement de fournir les prestations passées mais aussi de prendre sous sa responsabilité un pan complet du process incluant des objectifs économiques, des résultats technologiques tout en garantissant les investissements humains et financiers.
Nous pouvons donc facilement comprendre que ce phénomène fasse parler de lui ; on est en train d’expliquer à des milliers de décideurs que l'avenir à moyen terme serait de leur ôter leur pouvoir de décision pour un concept que peu de gens arrivent finalement à appréhender aujourd'hui.
Le succès de cette démarche passera certainement par une consultation globale dans l'Entreprise, non pas pour prendre la décision (prises par la Direction Générale voire plutôt la Direction Financière) mais pour vendre l'idée en interne du bien-fondé de la démarche ne serait-ce que pour conserver la motivation des cadres et surtout éviter les conflits sociaux puisque cela revient finalement à vendre (ou louer) l'Entreprise par morceaux au nom du “core business”.
La Stratégie Industrielle
Dans les années 80, la tendance des grands groupes était d’être encore plus grands, quitte à acheter des entreprises qui n’avaient, a priori, rien à voir avec le métier qui avait permis à ce groupe de grandir. Et... quelques 20 années plus tard, on ne parle que de recentralisation sur son métier de base, de spécialisation, jusqu’à imaginer vendre une partie de son usine que l’on jugera comme non stratégique pour l’unité. Finalement, les questions que chaque industriel doit se poser vis à vis de l’externalisation sont : jusqu’où puis-je aller pour produire encore plus et mieux, en utilisant des compétences extérieures, sans pour autant perdre la maîtrise et la connaissance de mon outil industriel ? Que se passerait-il en cas de défaillance du fournisseur ? Est-ce que je ne risque pas, en succombant à cette tendance, de ne plus être capable de revenir en arrière et donc d’être lié plus que je ne le voudrais à un fournisseur ?
C’est à ce niveau-là que doit s’étudier le risque industriel, avec attention. On peut aussi imaginer que les contrats puissent être
dénoncés ; mais que faire quand on n’a plus les gens, ni une partie de l’outil de production ?
Ne peut-on pas raisonnablement penser aussi que l’Externalisation ait été pensée par l’Industriel comme un moyen (simple) d’atteindre ses budgets en fixant des objectifs élevés à son partenaire tout ceci soigneusement accompagné de dédommagement au cas où ... ? Mais, n’était-ce pas une faiblesse de croire que les aléas bien connus du process industriel seront aussi rencontrés par le partenaire, comme l’industriel le connaissait auparavant avec ses propres équipes ?
Par ailleurs, en imaginant qu’il n’y ait que quelques grands acteurs à ce jour susceptibles de prendre des marchés globaux (Ondeo, Vivendi, Saur/Buckman), n’y a-t-il pas un risque finalement de niveler le progrès technique et la différenciation (si utile en B. to B.) en confiant de toute façon les utilités (Eaux / Énergie) à l'un des trois protagonistes cités ? À moins que, comme certains s’accordent à le dire, les utilités n’apportent pas de réelles valeur ajoutée ? D’un autre côté, ne peut-on pas avancer aussi qu’à ce jour c’est certainement un des trois acteurs qui a déjà en main tout ou partie de l' “externalisable” ?
Le deuxième volet de l’arbitrage industriel doit se situer en matière de définition de responsabilités non seulement au niveau de l'intervention du “partenaire” dans le process (s’expose-t-on à des procès en série si les cahiers des charges ne sont pas respectés ?) mais particulièrement au niveau de l'impact sur l'Environnement (rejets aqueux, gazeux, déchets) ; qui serait responsable d'une pollution ponctuelle : le “traiteur” chargé de dépolluer ou l’Industriel ayant rejeté accidentellement une substance inhabituelle ? On peut en effet penser que la voie de l’Externalisation peut offrir à l’industriel une opportunité finalement de transférer une partie de la responsabilité sur le partenaire ; mais, en France la loi du pollueur / Payeur veille et le dossier de la responsabilité reste à ce jour sans réponse. Gageons que l’Externalisation fera le bonheur des ... juristes.
Volet Social
La différence majeure entre le “global sourcing”, à savoir confier l’ensemble de ses besoins à un seul fournisseur et l'Externalisation réside dans le transfert éventuel d’une partie du personnel du client vers son partenaire (le fournisseur). Ce point n’est certainement pas incontournable (ce système est bien connu dans les collectivités locales au niveau du personnel des stations d’épuration ou de l’exploitation des stations de pompage d’eau potable par exemple) mais peut représenter pour l’industriel et son personnel un changement culturel profond.
Le sentiment d’appartenir à un groupe doit-il disparaître au profit de la réalisation de la tâche ? Autrement dit, peut-on imaginer se dire “je fais ceci pour telle société mais demain je peux continuer à le faire pour quelqu’un d’autre” sans risquer de perdre la motivation parfois générée par la sensation d’appartenance à une entreprise qui aura réussi à développer une image forte ?
On peut imaginer que les partenaires potentiels auront aussi eu à cœur de développer une notoriété importante mais est-ce que ce sera suffisant ? Ce sera dans tous les cas un élément clé dans l'obtention de marchés que de pouvoir présenter aux employés “transférables” des conditions de travail et autres conventions internes intéressantes.
Mais parler uniquement “motivation” ou “sentiment d’appartenance” serait oublier le nerf de la guerre : les avantages sociaux acquis historiquement dans un groupe, fruit d’années de lutte et jalousement conservés principalement au sein des très grands groupes. Ceci, semble-t-il, peut représenter un frein majeur et un risque important : voir mobiliser l’ensemble du personnel d’une
usine (ou d'un groupe) pour éviter le transfert d'une partie du personnel vers une société moins attractive. Ceci n'est évidemment pas envisageable et on peut difficilement concevoir qu'une personne accepte de quitter un poste pour des conditions moins bonnes ailleurs, et pourtant...
Que permet la loi ?
Celle-ci est claire au niveau de l'article 122-12 du code du travail français ; le transfert dans une autre entreprise est tout à fait possible s'il y a un simple changement dans la personnalité juridique de l’employeur. Ceci ne représente qu’un aménagement du contrat de travail n’entraînant aucune modification substantielle (même lieu et conditions de travail). Ainsi, sauf à dénoncer son contrat de travail (avec les conséquences bien connues), l'employé se doit au regard de la loi d’accepter d’effectuer le même travail, au même endroit pour le compte d'un nouvel employeur. Le travail du DRH (ou du consultant) sera, en plus de passer les contrats et les conventions au crible, de déterminer s'il y a, ou pas, modifications substantielles du contrat en imaginant alors les mesures et les possibilités économiques pour aller de l’avant, tout en évaluant le risque de conflit.
Pour l’employeur, il paraît évident que l’externalisation peut être une opportunité de réduire du personnel et ses charges fixes. Dans tous les cas, ceci doit alors être étudié au cas par cas pour permettre à l’externalisation de fonctionner.
Comme l'ensemble des facteurs intervenant dans ce dossier, le volet social demande une attention toute particulière et fera l'objet de solutions “sur mesure”.
Politique Financière
Si le volet social et les enjeux industriels peuvent faire l'objet de discussions longues et contradictoires, l’aspect financier, puisque exprimé par des chiffres, peut paraître beaucoup plus évident.
Les ratios abordés ci-dessous plaident en effet vers une démarche “Externalisation” bien qu'il faille, comme dans les volets précédents, être capable de mettre en évidence des gains clairs et significatifs.
Afin de mieux cerner la démarche, prenons quelques instants la place d’un Directeur financier qui a comme objectif (fixé par la Direction Générale et le conseil d’administration) de travailler sur les ratios afin de “créer de la valeur” pour faire les yeux doux aux financiers et influer donc positivement sur le cours de l’action… (cela vous dit quelque chose ?...)
La création de valeur
La création de valeur, pour simplifier, est la différence entre les gains générés par les capitaux engagés (rentabilité des coûts engagés = RCE) et le coût (moyen pondéré) des ressources (CMPR) ; autrement dit :
RCE - CMPR = Création de valeur
avec dans tous les cas (il vaut mieux) RCE > CMPR.
Le coût des ressources correspond à la rémunération des actionnaires plus le coût des emprunts.
On comprend alors aisément que si le coût des ressources peut être fixé à l'avance (bien que …), tout ou presque repose sur la capacité du Directeur financier à améliorer la rentabilité des capitaux engagés.
La rentabilité des capitaux engagés (RCE)
Comme son nom l'indique, la rentabilité des capitaux engagés (RCE) représente une création de richesse rapportée à l'investissement de départ (capitaux engagés = actif économique).
Aussi, tout ce qui pourra contribuer à améliorer la RCE a un sens pour l’Entreprise ; générer du CA en limitant (voire diminuant) les capitaux engagés devient le nerf de la guerre.
RCE = Résultat opérationnel / Capitaux engagés = Marge × Rotation des capitaux
Ainsi, sans rentrer dans la formule plus détaillée du RCE, on peut vite analyser qu’en confiant (en vendant par exemple) une partie de l'exploitation du site en échange d'un contrat ne perturbera pas le chiffre d'affaires mais… réduira l'investissement ou l’actif immobilisé.
Toutefois, il faut savoir arbitrer entre le fait de diminuer l'investissement pour améliorer la RCE et… augmenter parallèlement les charges en diminuant de surcroît le résultat d'exploitation et le cash flow opérationnel.
En termes d’évaluation du risque, il semble prépondérant que cette étude soit menée dans le détail en réalisant plusieurs projections afin d’envisager, pourquoi pas, une...
externalisation totale ou partielle voire un retour en arrière en mettant en évidence une rentabilité non significative.
Notion de risque
On ne peut parler Finances sans évoquer une notion quotidiennement managée par le financier évoluant dans le monde industriel : le Risque exprimé au travers de la sensibilité opérationnelle (SO).
La sensibilité opérationnelle, basée sur le ratio charges variables / charges fixes, permet d'apprécier l'impact que pourrait avoir une chute du CA sur le résultat d’exploitation, notion essentielle quand on dirige une activité. La sensibilité opérationnelle peut s'exprimer de la façon suivante :
S.O. = (CA - charges variables) / (CA - charges variables - charges fixes)
Aussi, plus les charges fixes sont élevées, plus le dénominateur sera faible et donc… plus la sensibilité opérationnelle sera importante.
À titre d’exemple, si SO = 3, cela signifie que si le chiffre d'affaires diminue de 10 %, le résultat d’exploitation (ou marge opérationnelle) chutera de… 30 % !
On peut donc comprendre que l’externalisation soit un moyen évident (et logique) de baisser les charges fixes notamment en transférant du personnel. Aussi, tout doit être mis en place pour rendre variable le plus grand nombre d’unités possibles pour influer positivement sur la sensibilité opérationnelle et diminuer le risque industriel.
Conclusions
Finalement, en terminant par le volet financier, il nous semble évident de vouloir évoluer vers l’Externalisation ; personnellement, je dirai qu'il semble naturel d’étudier la possibilité d’évoluer vers ce concept mais non de dire d'une façon dogmatique : nous devons y aller. Nous avons vu qu'il était nécessaire d’analyser en détail l’Entreprise et de faire une approche globale, transversale. Il semble en effet que, pour éviter des erreurs stratégiques (lourdes de conséquences), les industriels qui passeront ce cap avec succès seront ceux qui auront pris le temps d’étudier et d’analyser précisément les gains réels et concrets, sur le long terme, que peut apporter l’Externalisation.
Ces gains existent et sont quantifiables, n’en doutons pas, mais il ne faut pas céder trop facilement aux “prêcheurs” de l’externalisation car gageons qu’aucun système n’est parfait ou applicable à tous les secteurs et à toutes organisations.
Les opportunités semblent nombreuses pour l'industriel notamment pour réduire les investissements ou le personnel mais des risques importants existent, risques majeurs au niveau social ou de la perte de savoir-faire par exemple.
Ces risques devront attentivement et impérativement être identifiés et quantifiés pour ne pas commettre l'irréparable et pour transformer réellement (avec chiffres à la clé) le concept “Externalisation” en création de valeur… industrielle.
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