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Exposition professionnelle aux eaux usées et séroprévalence vis à vis des hépatites virales A et E

30 octobre 1996 Paru dans le N°195 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : V ANZIANI, G DUVERLIE, F ANARRATONE et 3 autres personnes

La prévalence de l'hépatite A et E chez les personnes en contact avec les eaux usées, a été déterminée par les auteurs à la suite d'une étude épidémiologique chez les travailleurs exposés. L'analyse statistique univariée exploitant les résultats biologiques et les données épidémiologiques recueillies au moment de la prise de sang fait apparaître le rôle joué par certains facteurs d'exposition, et plus particulièrement l'âge, le nombre d'enfants, l'ancienneté professionnelle et la fratrie pour l'hépatite A. D'autre part, l'exposition aux eaux usées n'apparaît pas comme un facteur de risque pour l'hépatite E. Les résultats de cette étude ont permis d'orienter la stratégie vaccinale des compagnies gestionnaires d'eaux.

* Laboratoire de Virologie - CHRU - hôpital Sud - Amiens.

** Biobanque de Picardie - Amiens.

*** Département d'Informatique Médicale - CHRU - hôpital Nord - Amiens.

Les progrès intervenus au niveau de l’hygiène collective dans un pays industrialisé comme la France ont permis une diminution rapide de l’incidence de l’hépatite virale A dans la population générale [1], [2].

Le nombre d’adultes jeunes non immunisés est donc en constante augmentation [3]. Parmi ces adultes jeunes, certains vont commencer un métier en rapport avec les eaux usées, et donc se trouver exposés à des contacts réguliers avec des eaux contaminées.

Si le risque professionnel lié à l’exposition aux eaux usées est maintenant fortement suspecté pour le virus de l’hépatite A (VHA) [4], [5], il n’avait jamais été étudié pour un autre virus à transmission féco-orale, le virus de l’hépatite virale E (VHE).

L’étude présentée ici a pour double but de confirmer sur un échantillon de 233 travailleurs exposés, la notion de risque professionnel vis-à-vis de l’hépatite virale A, et d’étudier en parallèle la séroprévalence des anticorps anti-VHE chez ces mêmes sujets par rapport à une population témoin.

Enfin, la coopération entre la Biobanque de Picardie, qui a réalisé les analyses biologiques, et les compagnies gestionnaires d’eaux, a permis aux médecins du travail de ces entreprises d’orienter leur politique vaccinale vis-à-vis de l’hépatite A.

Il faut en effet garder à l’esprit que la fréquence des formes graves d’hépatite A augmente progressivement avec l’âge [3], et que le nombre d’adultes jeunes non protégés arrivant sur le marché du travail est également en augmentation constante.

Matériel et méthode

L’étude a donc cherché à évaluer les séroprévalences des anticorps totaux anti-VHA et les anticorps anti-VHE de classe IgG (avec recherche des anticorps anti-VHE de classe IgM en cas de positivité des anticorps anti-VHE IgG) sur une population exposée professionnellement aux eaux usées, et de comparer ces séroprévalences à celles d’une population témoin.

La population exposée correspond à des travailleurs de plusieurs compagnies gestionnaires de stations d’épuration et de réseaux d’eaux usées, provenant de trois départements différents (Somme, Pas-de-Calais, Aisne).

L’étude n’a porté que sur l’effectif masculin de ces entreprises. Tous les sujets retenus dans l’étude travaillaient

dans une station d’épuration ou bien s’occupaient de l’entretien des réseaux d’eaux usées.

La réalisation du prélèvement sanguin a été basée sur la notion de volontariat, avec un taux d’acceptation proche de 85 %, en rapport avec des réunions d'information préalables organisées par les responsables sécurité des compagnies gestionnaires.

La population témoin est représentée par des personnes ayant bénéficié d’un bilan de santé au Centre de Prévention et d’Examens de Santé d’Amiens (CPES). Le personnel des compagnies gestionnaires a été prélevé sur dix sites de travail et a rempli à cette occasion un questionnaire précisant notamment le degré d’exposition, la fratrie, le niveau d’étude, la notion de voyage en zone d’endémie, le type d’habitation, et l’existence ou non d’un tabagisme sur le lieu de travail.

Les prélèvements sanguins ont été acheminés directement à la Biobanque de Picardie, où ils ont été centrifugés et aliquotés le jour même avant d’être congelés à - 80 °C.

Chaque sérum de sujet exposé a été apparié par tirage au sort avec un sérum témoin recruté dans un lot de trois mille sérums du CPES d’Amiens.

L’étude a été menée de juin 1994 à septembre 1994. Les recherches d’anticorps totaux anti-VHA et anti-VHE ont été réalisées par technique immuno-enzymatique.

Les sérums positifs en anticorps totaux anti-VHE ont été envoyés à la société Abbott, qui s’est chargée de détecter les anticorps anti-VHE de classe IgM.

La prévalence des anticorps anti-VHA a été étudiée en fonction de différents paramètres (âge, niveau de diplôme, degré d’exposition aux eaux usées, type d’habitat, fratrie, nombre d’enfants du travailleur et antécédents de signes cliniques évocateurs d’hépatite).

Les personnes exposées, ainsi que les sujets du groupe témoin, ont été appariés par tranches de dix ans, afin de réaliser des courbes de séroprévalence pour le virus VHA.

Le degré d’exposition aux eaux usées a été évalué de manière semi-quantitative en fonction de la durée d’exposition, du type de travail, du caractère habituel ou exceptionnel de l’exposition (0 à ++++).

Le nombre d’enfants des travailleurs a été réparti en trois catégories : aucun, un ou deux enfants et plus de deux.

La séroprévalence a été étudiée par centre et par département.

L’ensemble des données a été saisi à l'aide du logiciel Epi Info (version 5.01b, d’avril 1992), et traité de manière informatique par ce même logiciel.

[Photo : Fig. 1 : Séroprévalence de la hépatite A.]

Résultats

L’analyse descriptive a porté sur l‘interrogatoire des 233 personnes du groupe exposé, et apporte les résultats suivants.

Le degré d’exposition aux eaux usées n’apparaît pas comme significatif (p = 0,09), la différence n’étant statistiquement significative que pour des valeurs de p < 0,05. À signaler toutefois que 70 % des effectifs de l’étude ont été classés dans la catégorie des fortement et très fortement exposés.

En revanche, la prévalence varie très sensiblement en fonction du nombre d’enfants du travailleur (p = 0,0003), et de l’ancienneté professionnelle (p = 0,017).

L’étude de la prévalence en fonction des points de prélèvement n’a pas montré d’« effet centre », mais a révélé en revanche une différence significative d'un département à un autre (p = 0,025), la Somme apparaissant comme le département le plus touché, comparativement à l’Aisne et au Pas-de-Calais.

Le type d’habitation montre une séroprévalence supérieure chez les gens habitant dans une maison individuelle par rapport à ceux vivant en appartements (p = 0,011).

En ce qui concerne la notion ou non de restauration collective, il n’a pas pu être mis en évidence de différence significative au sein du groupe étudié (p = 0,28).

L’analyse comparative a porté sur 233 personnes exposées et autant de sujets témoins, tous de sexe masculin. L’âge moyen de la population étudiée était de 37,5 ans, avec des extrêmes de 20 à 59 ans.

Les résultats des sérologies de l’hépatite A montrent une séroprévalence de 67,4 % dans le groupe exposé, contre 58,8 % dans le groupe témoin. La différence n’est pas significative (p = 0,054).

Comme le montre la figure 1, les pourcentages de positivité deviennent très similaires au-delà de 50 ans. Lorsque cette analyse est réalisée sur les deux populations âgées de moins de 50 ans, les prévalences sont respectivement 65,4 pour le groupe exposé et 54,3 pour le groupe témoin, et deviennent alors significativement différentes (p = 0,02).

Les courbes de séroprévalence affichent, pour les deux groupes, une augmentation des sérologies positives avec l’âge, avec dissociation des deux courbes dès la tranche d’âge 21 / 30 ans, avec regroupement de ces deux courbes vers l’âge de 50 ans.

Les résultats des sérologies de l’hépatite E montrent une séroprévalence de 3,8 % pour la population étudiée, contre 3,0 % pour le groupe témoin. Il n’y a donc pas de différence significative entre les deux groupes.

Parmi les neuf personnes présentant une sérologie VHE positive dans le groupe exposé, deux n’avaient pas d’anticorps dirigés contre le VHA.

Parmi les sept personnes présentant une sérologie VHE positive dans le groupe témoin, trois n’avaient pas d’anticorps contre le VHA.

L’étude des questionnaires n’a pas permis de retrouver de facteur de risque particulier chez les sujets présentant une sérologie VHE positive.

À noter que les IgM anti-VHE ont été recherchées pour toutes les sérologies anti-VHE positives ; elles se sont révélées toujours absentes.

Discussion

Le virus de l’hépatite A est un petit virus à ARN, de la famille des picornavirus. Son excrétion dans les selles d’un sujet infesté est maximale 2 à 4 semaines

après l’exposition et précède l’ictère. La résistance de ce virus dans le milieu extérieur est importante, notamment au cœur des particules de matières fécales présentes en grandes quantités dans les eaux usées domestiques [6].

Le virus de l’hépatite E est un virus proche des Calicivirus et du virus de Norwalk, mais sa place dans la classification virale fait encore l’objet de discussions. Il est capable de provoquer une symptomatologie similaire à celle de l’hépatite A, mais avec une mortalité sensiblement supérieure, notamment chez les femmes enceintes [7].

Sa résistance dans le milieu extérieur semble être également importante, et son mode de contamination hydrique reconnu.

Actuellement, les cas sporadiques d’hépatites E dans les pays développés ont toujours concerné des voyageurs en provenance de pays où le virus est endémique [8].

Notre étude confirme les travaux précédents [4], [5], mettant en évidence un risque professionnel de contamination par le VHA chez les sujets exposés aux eaux usées, avec une limite d’âge aux alentours de 50 ans, au-delà de laquelle la surexposition professionnelle au VHA n’apparaît plus.

D’autre part, nous confirmons le rôle de la fratrie, du nombre d’enfants, du type d’habitation, de la durée d’exposition potentielle avec le VHA, exprimée en ancienneté dans la compagnie gestionnaire [5].

De plus, le rôle du département du lieu de travail est ici significatif, mettant en évidence une inégalité de prévalence d’anticorps anti-VHA dans ce type de population, d’un département à un autre.

Certaines hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer cette disparité, comme la présence ou non d’un traitement de l’eau d’alimentation par le chlore, l’ozone ou tout autre produit désinfectant susceptible d’agir sur le VHA, ou bien l’existence d’une différence quantitative (parc de stations d’épuration) au niveau du traitement des eaux usées dans ces départements, dans la mesure où ces stations concentrent les virus, sans concourir à l’élimination de ceux-ci.

À noter qu’aucun cas d’hépatite clinique n’a été retrouvé à l’interrogatoire des sujets de l’étude, confirmant ainsi le taux très important de formes inapparentes dans cette pathologie.

En ce qui concerne l’hépatite E, cette étude rejoint les prévalences généralement décrites [7], [8], mais démontre clairement l’absence de véritable risque professionnel pour les personnes en contact avec les eaux usées.

Conclusion

Ces travaux insistent donc sur le rôle important de l’exposition professionnelle au VHA. Ils ont permis d’orienter la stratégie vaccinale des compagnies gestionnaires qui ont participé à cette étude. Tous les employés séronégatifs ont ainsi bénéficié d'une vaccination contre l’hépatite A.

En revanche, la transmission du VHE en France ne semble pas liée à l’exposition aux eaux usées.

Une étude quantitative du taux d’anticorps anti-VHA aurait peut-être permis de relier l’exposition au taux d’anticorps observé. Par ailleurs, il semble que les trousses de dépistage aient des sensibilités assez différentes [9]. Il n’est pas exclu que les prévalences puissent en être affectées. Cependant, l’ensemble de l’étude a été réalisée de manière homogène, avec le même test, donc la comparaison des deux groupes doit être similaire quel que soit le test.

Ainsi, tous les sérums ayant été aliquotés selon la méthodologie de la Biobanque de Picardie (paillettes haute sécurité CBS à ‑80 °C), il serait intéressant, à la lumière des travaux récents évaluant la sensibilité des trousses de dépistage des anticorps anti-VHA [9], de réévaluer les prévalences avec les trousses réputées les plus sensibles, afin de déterminer ou non une différence significative de résultats avec la première technique.

Remerciements

Nous tenons à remercier :

  • • La Compagnie Générale des Eaux, et tout particulièrement M. Labourier, ainsi que le Docteur Couteux, médecin du travail.
  • • Le Service des Eaux de la ville d’Amiens, et en particulier M. Pinson, ainsi que le Docteur Callens, médecin du travail.
  • • M. Foucart, Directeur Général de la SAUR.
  • • Le Docteur Kadi, pour son aide précieuse dans le traitement informatique de cette étude.
  • • M. Bitbol, de la société Abbott.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Joussemet M., Bourin P., Buisson Y., Fabre G., Diminution du taux de prévalence des anticorps anti-V.H.A. chez les jeunes militaires de 20 ans

[Photo : Le virus de la hépatite A.]
[Encart : GLOSSAIRE VHA : Virus de l’hépatite A VHE : Virus de l’hépatite E Anticorps : Molécule fabriquée par le système immunitaire d’un organisme, en réponse spécifique à l’introduction d’un agent étranger Antigène : Substance ou corps étranger qui, introduit dans l’organisme, provoque l’apparition d’anticorps spécifiques IgG : Anticorps appartenant à la classe des immunoglobulines de type G. Ce sont les anticorps qui persistent le plus longtemps dans l’organisme après contact avec l’antigène IgM : Anticorps appartenant à la classe des immunoglobulines de type M. Ce sont les plus précoces à apparaître après contact avec l’antigène. Il signe en général l’existence d’une infection récente. Séroprévalence : Pourcentage d’une population qui, à un moment donné, possède des anticorps spécifiques dirigés contre un antigène déterminé, permettant d’affirmer le contact actuel ou ancien avec celui-ci p (degré de signification) : Indice donné par un calcul statistique permettant de savoir si une relation entre deux paramètres est significative. Si le p est inférieur à 0,05, la relation est dite significative. Aliquotage : Procédé de fractionnement de sérums, en vue d’une conservation et analyses ultérieures.]

- B.E.H., 1991 ; 28 : 115-16.

[2] Dubois F., Thévenas C., Caces E. et al., Séro-épidémiologie de l’hépatite A dans six départements du centre Ouest de la France, B.E.H., 1992 ; 49 : 231-2.

[3] Hepatitis surveillance (CDC), Department of Health and Human Services 1987 ; 51 : 18.

[4] Cadilhac P., Roudot-Thoraval F., Évaluation du risque de contamination, par le virus de l’hépatite A, du personnel travaillant en égouts, enquête transversale - B.E.H., 1994 ; 1 : 139-141.

[5] Schlosser O., Roudot-Thoraval F., Exposition professionnelle aux eaux usées et risque d’hépatite virale A - B.E.H., 1994 ; 12 : 54-55.

[6] Denis F., Diagnostic des infections par le virus de l’hépatite A - Sérologia, volume 5, n° 1, 7-9.

[7] Denis F., Nicot T., Ranger-Rogez S., Diagnostic virologique des hépatites E. Spectra Biologie, 1995 ; n° 95/2 : 33-36.

[8] Debord T., Roue R., Buisson Y., Sagui E., Les hépatites virales E. Aspects épidémiologiques et cliniques en France et dans le monde - Médecine et Maladies infectieuses, 1994, tome 24, numéro spécial, 594-603.

[9] Maniez-Montreuil M., Mattlinger B., Courouce A.M., Sensibilité IgG des trousses de dépistage des anticorps totaux dirigés contre le virus de l’hépatite A - Revue française des Laboratoires, 1995 ; n° 279 : 31-34.

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