La mesure de la DCO (Demande Chimique en Oxygène) est incontournable dès lors que l’on travaille sur l’épuration d’effluents liquides et se fait obligatoirement en laboratoire. Sa mesure sur site et en continu en sortie de process de transformation est aujourd’hui impossible. Le laboratoire du Grappe de l’École Supérieure d’Agriculture d’Angers travaille depuis plusieurs années sur les effluents vinicoles. Pour optimiser la mesure de la DCO, nous avons développé une démarche nous permettant une évaluation préliminaire, indirecte, simple et rapide de la DCO par turbidité. Cette évaluation doit orienter l’opérateur vers l’un des deux protocoles disponibles tout en évitant la multiplication des dilutions inutiles. Par ailleurs, des applications en entreprises vinicoles, pour les constructeurs de systèmes de traitement, pour les organismes techniques ou de contrôle pourraient être intéressantes.
Deux méthodes disponibles pour la même analyse.
Pour mesurer la DCO, nous disposons au laboratoire de deux protocoles (tableau 1). Le premier est édité par l’AFNOR sous la
[Photo : Tableau 1 : Tableau comparatif des deux méthodes de dosage de la DCO]
référence NF XT 90-101 pour une gamme de 0 à 700 mg/l. Cette méthode homologuée est longue dans sa mise en œuvre tout en nécessitant un investissement important en matériel. Mais le facteur le plus limitant reste le nombre d’échantillons analysés simultanément. En effet, la préparation des tubes, leur chauffage, le refroidissement et le dosage volumétrique ne permettent pas une rotation importante du matériel.
L’autre méthode adoptée au laboratoire est une méthode en micro-tube prêt à l'emploi suivie d’un dosage par colorimétrie pour une gamme 0 à 1500 mg/l. Plusieurs marques proposent ce type de matériel sur le marché. Notre choix s’est porté sur le matériel de la marque Hach. L’avantage est son faible encombrement, le grand nombre de tubes dosés simultanément (25 par poste de chauffage), la rapidité ainsi que la simplicité de mise en œuvre. Cependant, ce dernier ne nous donne pas entière satisfaction pour des DCO de faibles valeurs (inférieures à 200 mg/l). Il s'agit donc pour notre laboratoire d’orienter rapidement la méthode de dosage en fonction de la DCO présumée tout en évitant de multiplier les dosages. Or la charge d’un effluent se mesure en termes de DCO mais elle est fortement corrélée à d’autres variables (matière en suspension, turbidité…). Il nous a semblé pertinent de corréler la DCO et la turbidité dont la mesure est immédiate et fiable.
Campagne de prélèvement
Nous avons profité d’un suivi de performance de système de traitement d’effluents au sein d'une cave particulière pour effectuer de façon systématique la mesure de la
[Photo : Figure 1 : Étude de la turbidité en fonction de la DCO]
[Photo : Figure 2 : Arbre de décision]
Tableau 2 : Résultats obtenus avec les échantillons d’effluents agro-alimentaires
DCO réelle (mg/l) |
Turbidité réelle (NTU) |
Turbidité estimée (NTU) |
Écart (%) |
284 |
48 |
361 |
87 |
521 |
40 |
407 |
90 |
735 |
112 |
452 |
75 |
1 152 |
283 |
557 |
53 |
2 962 |
152 |
1 392 |
89 |
DCO et de la turbidité. Cette cave est tout à fait représentative des autres caves de la région du Maine et Loire avec une production de 1 500 hl par an. La campagne a débuté en octobre et se poursuit encore actuellement. L’effluent est un rejet de cave vinicole composé des eaux de nettoyage. Elles contiennent des composés issus de la fermentation du jus de raisin. La composition est variable au cours de l'année selon les opérations unitaires de vinification. Cependant, d’un point de vue de la DCO, seule la charge évolue. Les effluents sont tout à fait typiques de ceux rencontrés habituellement pour les caves vinicoles. D’après la disposition de la cave, nous avons effectué les prélèvements au niveau d’un stockage aéré. Nous avons pris la précaution à chaque étape de bien remettre en suspension les matières décantables par une aération forcée au moment du prélèvement puis par une agitation permanente pendant les prises d’échantillon. Le nombre total de prélèvements s’élève à 52. La DCO a été mesurée par l'une ou l'autre méthode citées ci-dessus. Pour la turbidité, nous utilisons un turbidimètre Hach 2100 AN. Il suffit de placer l’échantillon dans une cuve de lecture puis l'appareil effectue directement la mesure. Nous avons toujours utilisé des échantillons prélevés le jour même car nous ne connaissons pas pour le moment l’effet du stockage et de la conservation des échantillons (réfrigération ou congélation) sur la turbidité.
Des résultats encourageants
Les valeurs ont donné lieu à un ajustement exponentiel (figure 1) avec une équation de la turbidité en fonction de la DCO :
Y = 313,3 e^5,10⁻³ X. La première partie de la courbe est pour nous la plus intéressante car elle correspond à la plage de données la plus utilisée.
Au-delà d’une turbidité de 3 500 mg/l, les données semblent moins ajustées à la courbe du fait du faible nombre de valeurs dans cette zone. Malgré ceci, le coefficient de corrélation linéaire R sur l'ensemble entre les variables est de 0,92, ce qui est très satisfaisant et significatif au seuil de 1 %. Ceci nous a conduits à mettre en place un arbre de décision (figure 2) pour la mesure de la DCO dans notre laboratoire permettant une économie de temps et de réactifs. Les opérateurs effectuent les analyses de façon optimisée par un choix objectif du protocole à utiliser et de la dilution la plus adaptée. Cela leur permet d’être rapidement opérationnels.
Cette corrélation est-elle valable pour des effluents d’autre nature ?
Nous avons travaillé pour le moment essentiellement sur les effluents vinicoles mais nous sommes également sollicités pour des effluents du secteur agro-alimentaire, ce qui remet en cause la validité de l’équation obtenue pour d’autres types d’effluents. Nous avons ainsi procédé à cinq prélèvements dans différentes entreprises du secteur agro-alimentaire (laiterie, transformation de poisson, abattage ou découpe de volaille, ovoproduits) pour le vérifier. Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 2 où figure la turbidité estimée à l'aide de l’équation obtenue précédemment.
Nous constatons d’emblée que les résultats sont loin d’être concluants au vu des écarts relatifs importants. Il semble donc a priori qu'une telle relation ne s'applique qu’à un seul type d’effluent. Une hypothèse sur les causes de variation entre les effluents agro-alimentaires et les effluents vinicoles peut être la DCO dite « soluble ».
En effet, les matières organiques solubles très présentes dans les effluents agro-alimentaires ne peuvent apparaître par turbidimétrie mais sont très consommatrices de dichromate de potassium lors de la réaction d’oxydation. Cependant, le nombre d’échantillons restant faible, il est sans doute hâtif de tirer dès maintenant ce genre de conclusion. Une étude complète différenciant les effluents par secteur d’activité avec un grand nombre d’échantillons permettrait de le confirmer.
Références bibliographiques
(1) AFNOR, Recueil des normes françaises « Qualité de l'eau, environnement », 900 pages.
(2) Arcanger, Jourjon, Réveillère, « Analyse des flux d'eau dans les caves angevines », Revue française d'œnologie, p. 27, n° 178, septembre 1999.
(3) Bailly, Crucitti, Fontaine, Guillaume, Lemoine (1995), « Détection des rejets vinicoles en entrée de stations d'épuration et conséquences de ces rejets sur leur fonctionnement », École Supérieure d’Agriculture d’Angers, 60 pages.
(4) Chanteau, Chauvin, Géraudel, Guillevic, Harduin, Lesquel (1997), « Impact des rejets vinicoles stockés sur la station d’épuration de Beaulieu-sur-Layon, Détection des rejets vinicoles en entrée de station par turbidimétrie », École Supérieure d’Agriculture d’Angers, 80 pages.
(5) Jourjon, Arcanger, « Caractérisation des flux d’effluents vinicoles, application aux caves angevines », p. 299, 2ᵉ congrès international sur le traitement des effluents vinicoles, Cemagref Éditions, 1998.
(6) Grenier, Racaud, Mekikdjan, « Méthode simplifiée d’évaluation de la charge polluante d'une cave en période de vendanges », p. 8, Vinitech Bordeaux 1992, Cemagref Éditions.
(7) Rochard, « Traitement et épuration des rejets vinicoles », p. 9, n° 58, Revue des œnologues, 1990.
Conclusion
Notre objectif est atteint en ce qui concerne les effluents vinicoles. Il est important de souligner que la relation obtenue entre la DCO et la turbidité peut être améliorée. De nouvelles campagnes de mesures permettraient d’obtenir des échantillons plus nombreux sur les zones de DCO inférieure à 500 mg/l et supérieure à 4 000 mg/l. Il faut rester prudent pour les extrapolations vers d'autres types d’effluents. Nous aurions plutôt tendance à penser qu'une telle corrélation est liée à la nature de l'effluent. Cela laisse des perspectives en matière d’évaluation instantanée de la DCO. De telles corrélations peuvent trouver des applications en automatisme et en pilotage de systèmes d'épuration et même en évaluation rapide de la charge d’effluents vinicoles pour une meilleure connaissance de la pollution produite.