Au Sénégal, avec la sécheresse et l'explosion démographique, la demande en eau potable est croissante. Or, les réserves d'eau ne nécessitant que de faibles traitements avant utilisation s'amenuisent. Il faudra à brève échéance utiliser des réserves d'eau de moins bonne qualité nécessitant des traitements plus coûteux. Les techniques à membrane peuvent être une solution à ce problème. Cette étude relate les résultats de l'évaluation des performances de l'osmose inverse et de la nanofiltration pour le dessalement d'une eau saumâtre au Sénégal. La nanofiltration apparaît comme une technique de choix car elle associe une déminéralisation partielle à moindre coût énergétique à une désinfection presque totale.
Le but de cette étude est l’évaluation des possibilités de dessalement d'une eau saumâtre du Sénégal par osmose inverse et par nanofiltration. Il s’agit des résultats d’une étude préliminaire à un projet plus important de dessalement d’eaux saumâtres et de production d’énergie solaire au Sénégal (projet Sénégalo-Nippon d’énergie solaire et de dessalement : appel d’offre n° 004/93/PSNES du 12 juillet 1993). Ces premiers résultats, présentant un intérêt immédiat dans le cadre de l’installation prochaine de dix unités de dessalement solaire par osmose inverse dans les régions de Kaolack et Fatick au Sénégal, nous ont paru devoir être portés à la connaissance de la communauté internationale.
Nous tenons toutefois à mettre en garde nos lecteurs sur un certain nombre de points qui concernent les conditions matérielles des expériences menées. Nous avons volontairement mis en œuvre ces deux technologies dans des conditions de fonctionnement extrêmes : pas de prétraitement des eaux d’alimentation, pas d’utilisation de produits chimiques sinon l’ajout de pastilles de chlore pour le stockage, afin de se placer dans les conditions de fonctionnement les plus proches d’un fonctionnement sur le terrain, en Afrique.
Introduction
Les exploitants d'eau au Sénégal sont de plus en plus confrontés au problème de la présence de sels à des teneurs dépassant souvent les normes de potabilité (salinité).
Mots clés : Eau saumâtre, Déminéralisation, Désinfection, Nanofiltration, Osmose inverse, Sénégal.
maximale pour une eau de consommation humaine : 500 mg/l) dans les eaux de puits et de forages. Les raisons de cette salinité importante sont :
- - (i) la nature des sols
- - (ii) la sécheresse qui est à l’origine d’une concentration des sels dans les puits et les nappes d'eau
- - (iii) l’augmentation des débits de pompage soumis aux contraintes d’une demande sans cesse croissante
- - (iv) l’avancée du biseau salé en bordure des côtes (Gaye, [1]).
Face à cela, les exploitants d’eau sont à la recherche de nouvelles ressources contenant des eaux directement potables ou ne nécessitant que peu de traitement. Ainsi ils doivent aller de plus en plus loin des centres d'approvisionnement et à des profondeurs de plus en plus grandes. Le coût de l'opération est bien souvent élevé. Ils devront alors envisager, à brève échéance, d'utiliser des réserves d’eaux de moins bonne qualité, mais nécessitant des traitements plus coûteux. Le traitement des eaux saumâtres, ou faiblement saumâtres, disponibles en très grande quantité dans tout le bassin du Sénégal (Travi, [2]), peut être effectué par les techniques de filtration sur membranes.
En raison même de la taille des particules à séparer, les techniques à membranes pouvant être utilisées pour le dessalement sont l’osmose inverse et la nanofiltration. L’osmose inverse était jusqu’à présent la technique la mieux adaptée pour le traitement des eaux saumâtres. Sur le marché mondial du dessalement, elle représente plus de 90 % des installations en place pour le traitement des eaux saumâtres. Cependant, elle possède plusieurs inconvénients dont une faible sélectivité entre les différents sels, des taux de rétention élevés pour tous les sels (> 95 %) ainsi que des pressions de travail importantes (> 40 bars) ; ce qui entraîne des coûts énergétiques et de fonctionnement encore inaccessibles aux pays en développement (Maurel, [4], Rumeau, [3B], Pontié, [5]).
De nouvelles membranes, ayant une moindre rétention vis-à-vis des sels et une meilleure séparation entre eux, peuvent traiter des eaux moyennement minéralisées à des pressions très basses (< 15 bars). Elles ont vu le jour dans les années 1980 (Conlon, [6]), (Conlon et Mc Clellan, [7]), (Eriksson, [8]), (Perry et Linder, [9]). Il s’agit de membranes de nanofiltration. Ces membranes possèdent des seuils de coupure proches de 400 Daltons (1 Dalton = 1 g·mole-1), ce qui correspond à des diamètres de pores théoriques de l’ordre du nanomètre (Rautenbach et Groschl, [10]), (De Witte, [11]), (Tanghe et coll., [12]), (Rumeau, [3b]). Elles cumulent les avantages de l'osmose inverse au niveau ionique et ceux de l'ultrafiltration pour leur faible pression de fonctionnement. Elles sont donc moins consommatrices en énergie (Conlon, [13]), (Cadotte et coll., [14]), (Watson et Hornburg, [15]), (Conlon et coll., [6]).
Les conditions de fonctionnement sont simplifiées car le colmatage minéral est moins important. L’eau obtenue après un traitement par nanofiltration est débarrassée des bactéries et des virus (Moulin et coll., [16]), (Cote et coll., [17]), (Leuenberger, [18]), mais cette eau ne présente pas les qualités d'une eau potable selon les normes européennes. En effet, les membranes spiralées laissent passer des virus en raison de problèmes de fuites sur les carters. Seules les membranes à fibres creuses collées dans des carters ont montré leurs vraies capacités de stérilisation (Mandra et coll., [19]). La chloration reste donc indispensable, notamment pour le stockage de l’eau.
Aujourd’hui, avec la diversité des membranes disponibles sur le marché (Winston Ho et Kamalesh, [20]), il est possible, lors de la déminéralisation des eaux, de faire le choix de la membrane en fonction de la salinité désirée. Pour cela, le taux de rétention en chlorure de sodium est pris comme référence et il conditionne le choix de la membrane pour atteindre la déminéralisation souhaitée. En nanofiltration, les taux de
La rétention en NaCl peut varier entre 20 et 90 % (De Witte, [21]).
Le choix de la technique de dessalement dépend essentiellement de la consommation énergétique. Cette consommation énergétique, et par voie de conséquence le coût du dessalement, est directement fonction de la concentration saline et de l’origine de l'eau à traiter. Le choix de la technique de traitement dépendra surtout du coût global du traitement.
On remarque sur la figure n° 2 que le coût des procédés par évaporation demeure à peu près constant, quel que soit le degré de salinité. Pour les eaux présentant une faible concentration, l’avantage revient à l’électrodialyse, procédé bien adapté au traitement des eaux faiblement saumâtres. Il faut noter toutefois le palier qui apparaît pour une salinité inférieure à 3 g/l et qui met en évidence l'importance de la salinité finale désirée en électrodialyse sur le coût énergétique global ; plus on voudra dessaler plus cela coûtera cher. Si on représentait l’échange d’ion, on verrait qu’il s’impose dans le domaine des très faibles teneurs en sels.
Dès que la salinité dépasse 5 ou 6 g/l, l'osmose inverse paraît plus indiquée. Pour les eaux de mer où la concentration moyenne atteint une trentaine de grammes par litre, les installations par distillation multiples effets sont encore les plus utilisées sur le marché des installations de grosses capacités de dessalement.
Le choix de la technique de dessalement dépend aussi des conditions locales : ressources en énergie, isolement, éloignement et profondeur du gisement, besoins en débits ou volumes, conditions climatiques : ensoleillement, fréquence et force du vent, etc., qui sont des paramètres agissant directement sur le coût du dessalement.
Dans un pays comme le Sénégal, les ressources en eau de qualité ne nécessitant que de faibles traitements avant consommation tendent à disparaître. Dakar accuse un déficit en eau potable estimé à 100 000 m³/j. Le sous-sol contient d’abondantes réserves d’eau. Par exemple la nappe maestrichtienne qui s’étend sur l'ensemble du bassin du Sénégal représente, avec près de 30 milliards de m³ de réserves d’eaux évaluées, la principale réserve d'eau du pays pour l’avenir. La plupart de ces eaux sont saumâtres avec une teneur moyenne en substances dissoutes d’environ 2 g/l, et même la partie du littoral où la nappe affleure tend à devenir non utilisable à cause de la surexploitation à l’origine de l’avancée du biseau salé.
Les ressources énergétiques du pays sont nombreuses : ressources permanentes : soleil et vent toute l'année, et ressources non renouvelables : gisements de gaz et de pétrole à Diamniadio (nord de Dakar, réserves de gaz estimées à 10 milliards de m³), barrage hydroélectrique à Manantalli (sud-est du Sénégal, avec une production moyenne de 800 millions de kWh dont 33 % revenant de droit au Sénégal). Depuis plusieurs années de nombreux projets tentent de développer ces potentialités dans le cadre de programmes gouvernementaux. Il demeure que l’option officielle est l’énergie solaire même si des efforts importants sont développés pour la mise en œuvre des autres programmes.
Matériel et méthodes
Schéma des pilotes de nanofiltration et d’osmose inverse
Les éléments des installations d’osmose inverse et de nanofiltration sont représentés sur la figure n° 3. Le module de nanofiltration est constitué d’un corps de pression tubulaire (Osmoclips IF21-2521 SOVAP) et d'une membrane de configuration spiralée de chez Dow Chemical (Danemark) sous l'appellation commerciale Filmtec NF70-2521 (N° A 1093632) (Conlon, [13]).
Witte, [15]). Le module d’osmose inverse est constitué d'un corps de pression tubulaire en acier inoxydable fourni par la société Toyobo (Japon). La membrane d’osmose inverse est en acétate de cellulose. Cette membrane, vendue sous l'appellation commerciale Hollosep, est de configuration fibre creuse.
Les installations d’osmose inverse et de nanofiltration décrites sur la figure n° 3 et illustrées sur les photographies n° 1 et 2, permettent d’atteindre des productions qui sont respectivement de 60 L h⁻¹ et 250 L h⁻¹. La différence essentielle entre ces deux pilotes est liée à la présence en nanofiltration d’une boucle de recirculation à la sortie du rejet de concentrat, ce qui permet d’ajuster le taux de conversion sur la valeur souhaitée, indépendamment de la pression appliquée. L’installation d’osmose inverse ne permet pas cela et le taux de conversion est fixé avec la pression appliquée. Des opérations de prétraitement (filtration sur sable ou microfiltration) et de post-traitement (chloration avant stockage, passage sur un lit calcaire) sont indispensables pour compléter le traitement membranaire. Nous ne les avons pas mises en œuvre à l’échelle du laboratoire ; seule une filtration sur papier a été utilisée car les conditions de fonctionnement choisies (faible taux de conversion, pression modérée, vitesse de circulation élevée) permettent de s’en affranchir.
Le but de cette étude étant essentiellement basé sur la déminéralisation des eaux, nous n’avons pas étudié le colmatage éventuel (minéral ou organique). Ce phénomène a par ailleurs été abondamment décrit dans la littérature (Belfort, [22, 23]), (Bennasar, [24]), (Buckley et coll., [25]), (Kawana et coll., [26]), (Fountoukidis et coll., [27]), (Meireles et coll., [28]).
Les analyses d’eau
L’analyse de ces eaux a été réalisée en se référant aux Normes Françaises en matière de dosage des éléments dissous ou en suspension dans l’eau. Les méthodes employées pour doser les constituants de l’eau sont décrites par Rodier [5] :
- salinité (méthode conductimétrique, conductimètre Tacussel – Type CDRV62 Série A n° 79522 – cellule à immersion Tacussel – Type XE30 n° 42972) ; (les taux de rétention pour la détermination de la sélectivité des membranes aux solutions salines sont déterminés par conductimétrie)
- dureté (méthode volumétrique à l’EDTA) ;
- sodium et potassium (photomètre de flamme PHF 80B) ;
- sulfates (méthode néphélométrique) ;
- silice (méthode colorimétrique) ;
- fluorures (méthode ionométrique en présence de tampon TAFIC : Tampon d’Ajustement et de Force Ionique ; électrode spécifique Ingold et millivoltmètre de précision Knick type 712) ;
- chlorures (méthode coulométrique à anode d’argent, chloruromètre Corning 926) ;
- pH (pH-mètre Tacussel (Type Mini 80B 74139) équipé d’une électrode combinée Ingold) ;
- Matières en Suspension (gravimétrie après filtration (filtre de porosité 4)) ;
- Résidu Sec (évaporation – gravimétrie) ;
- Demande Chimique en Oxygène (méthode volumétrique au bichromate de potassium) ;
- Flore totale (concentration de 100 ml d’échantillon, puis ensemencement d’1 ml du concentrat en milieu PCA ; au bout de 3 jours à 37 °C : comptage) ;
- Indice de colmatage (IC) ou Fouling Index (FI) selon la méthode classique de filtration sur membrane Millipore de 0,45 µm de porosité et de 47 mm de diamètre sous une pression de 2,1 bars pour un temps de filtration de 15 min.
Les eaux synthétiques ont été réalisées à partir d’une eau permutée de conductivité 5 µS cm⁻¹ et de chlorure de sodium, NaCl, pour analyses, Labosi, France (lot n° 290248).
Les compositions de l'eau traitée, de l'eau osmosée et de l’eau nanofiltrée sont données dans le tableau n° 2.
Résultats et discussions
Tests de perméabilité et de sélectivité
Ces tests ont consisté à déterminer la perméabilité et la sélectivité des membranes d’osmose inverse et de nanofiltration tout d'abord pour une eau permutée, puis avec des solutions de chlorure de sodium et enfin pour de l'eau brute.
Dans tous les cas, l’évolution du flux de perméat avec la différence de pression transmembranaire est linéaire conformément à la relation :
Jp = A(ΔP – ΔΠ)
avec Jp, le flux de perméat, en L h⁻¹ m⁻² ΔP, la différence de pression transmembranaire, en bars A, la perméabilité de la membrane d’osmose inverse, en L h⁻¹ m⁻² bar⁻¹
La perméabilité de la membrane d’osmose inverse à l'eau permutée est égale à 1,2 ; elle est de 5,8 en nanofiltration, comme illustré figure n° 4.
La différence observée pour les perméabilités des membranes permet, à une pression donnée, d’atteindre des débits 4 à 6 fois plus importants en nanofiltration qu’en osmose inverse. Deux argumentations complémentaires peuvent être avancées pour expliquer cette différence de perméabilité :
- (i) en nanofiltration, la teneur en eau de la membrane est plus élevée qu’en osmose inverse ; le passage du solvant est facilité sous l’effet de la pression motrice ; la perméabilité est donc plus élevée qu’en osmose inverse.
- (ii) en nanofiltration, les mécanismes de transfert convectif et diffusif sont couplés ; le transfert de l'eau devient plus important dans la mesure où il provient de la somme de deux mécanismes de transfert (Menjeaud et coll., [29]).
En osmose inverse, le flux de soluté est faible et l'eau traverse seule la membrane. La perméabilité ne dépend alors que de la
La pente de la droite obtenue en exprimant le flux de perméat en fonction de la pression transmembranaire est la même pour l'eau permutée et pour une solution saline, comme illustré sur la figure n° 5-a.
Par contre, en nanofiltration, la perméabilité de la membrane change avec la nature du sel et avec sa concentration, comme illustré figure n° 5-b. En effet, le diamètre des pores augmentant, la part de soluté accompagnant l'eau lors du transfert est plus importante. Ces observations peuvent être prises en compte dans une nouvelle relation obtenue en modifiant la relation précédente :
Jp' = A’ (ΔP – Δπ) + A” ΔP
avec Jp’, le flux de perméat, en L·h⁻¹·m⁻²
ΔP, la différence de pression transmembranaire, en bars
A’, la perméabilité de la membrane d'osmose inverse, en L·h⁻¹·m⁻²·bar⁻¹
A”, un coefficient exprimant l'influence du couplage eau-sel (ou plus généralement eau-soluté) lors du transfert membranaire
La perméabilité de la membrane de nanofiltration est de 5,8 avec l'eau permutée ; elle devient 2,5 pour une solution de NaCl à 0,2 mol/L par un mécanisme de solubilisation-diffusion avec une rétention quasi-totale des solutés, tandis qu’une autre partie est transférée par diffusion capillaire avec entraînement par le courant convectif, donc sans rétention des sels.
L’évolution des taux de rétention en fonction de la différence de pression transmembranaire appliquée montre qu’en osmose inverse, de 0 à 45 bars, la rétention en sels augmente en fonction de la dilution qui a lieu dans le perméat ; dilution due à l'augmentation du débit de solvant avec la pression alors que le débit de soluté reste constant. À partir de 45 bars, une couche de polarisation de concentration se forme à la surface de la membrane par accumulation de sels entraînant une diminution de la rétention, comme illustré sur la figure n° 6. En nanofiltration, par contre, le phénomène de polarisation de concentration est moins marqué dans la mesure où le diamètre des pores et le facteur de concentration sont plus faibles ; les limites de solubilité des sels sont alors plus difficilement atteintes.
Ainsi, en nanofiltration, plus qu’en osmose inverse, la sélectivité globale de la séparation dépend moins des caractéristiques propres de la membrane que des conditions de fonctionnement des installations et de la géométrie des modules.
Tableau n° 2 : Résultats des analyses de l’eau traitée, de l’eau osmosée et de l’eau nanofiltrée
Salinité (mg/l) | 2033 | 16 | 382 | 300 à 500 |
---|---|---|---|---|
TH (°F) | 44,5 | 0 | 19 | 25 |
Na⁺ (mg/l) | 600 | 0,6 | 57 | 200 |
K⁺ (mg/l) | 65 | 0 | 5,7 | 10 |
SO₄²⁻ (mg/l) | 162,2 | 0 | 21 | 160 |
Cl⁻ (mg/l) | 602 | 7 | 219 | 200 |
F⁻ (mg/l) | 0,84 | 0,15 | 0,59 | 1,5 |
NO₃⁻ (mg/l) | 18,40 | 0,06 | 1,63 | 50 |
SiO₂ (mg/l) | 16 | 3 | 0,82 | 10 |
DCO (mg/l) | 7,75 | 6,04 | 7 | < 3 |
pH | 7,75 | 6,04 | 7 | 6,5 – 9 |
Rés. sec (mg/l) | 1230 | 0 | 630 | 1500 |
MES (mg/l) | 0 | 0,5 | 0,2 | < 100 |
Flore totale/ml | 6000 | 2 | 3 | < 100 |
La rétention des sels est plus élevée avec la membrane d’osmose inverse (> 98 %). En nanofiltration, les taux de rétention sont faibles (compris entre 55 et 85 %) ; ils conduisent à une déminéralisation partielle. Cette rétention partielle intervient dans la mesure où une partie de l'eau pure passe.
Résultats des analyses d’eau
Il s'agit d’une eau de puits d’un village nommé Palmarin, situé à environ 100 km au sud-est de Dakar, dans la région de Fatick.
La détermination de l’indice de colmatage au bout de 15 minutes de filtration (IC15) donne une valeur de 5,5.
Interprétation des résultats
Le tableau n° 2 montre une différence importante entre la déminéralisation par osmose inverse et par nanofiltration. L’eau osmosée est nettement en dessous des critères de potabilité d'une eau de consommation humaine sur le plan physico-chimique. Une reminéralisation est indispensable. Le pH est faible en raison de la bonne rétention des ions hydrogénocarbonate ; par contre l'acide carbonique n'est pas retenu (Simpson et coll., [30]) et un réajustement du pH est indispensable. La concentration en cations divalents (Ca++ et Mg++) dans le perméat est faible tant en osmose inverse qu'en nanofiltration ; ceci provient de leur forte énergie d’hydratation ; on pourrait y remédier en faisant passer l'eau sur un lit calcaire. Par contre, les ions monovalents, moins hydratés, sont moins bien retenus (Pontié [29a], Menjeaud et coll. [29b]). Il est intéressant de souligner qu'un abattement en nitrates supérieur à 90 % est observé en nanofiltration. D’autres auteurs l’ont également remarqué (Rautenbach et Gréschl, [10]).
Du point de vue microbiologique, avec respectivement 2 et zéro micro-organismes totaux dans 1 ml d’eaux osmosée et nanofiltrée pour 6000 présents dans l’eau brute, la potabilité est assurée. Notons toutefois que certains auteurs observent parfois des fuites de microparticules et de virus (Taylor J.-S. et coll., [31] ; Cote P. et coll., [32]). On observait ces fuites avec les premières membranes de nanofiltration ; aujourd'hui le procédé de fabrication est mieux maîtrisé et les diamètres de pores plus uniformes. D’autre part une pression d'utilisation élevée est un facteur défavorable pour certaines membranes qui vieillissent rapidement sous l'effet de la pression.
Avec un indice de colmatage de 5,5, l'eau traitée est fortement encrassante pour les membranes. Si l’on se reporte aux données du tableau n° 3, il apparaît qu'une telle eau nécessite une fréquence très élevée de nettoyage des membranes.
Tableau n° 3 : Relation approximative entre la fréquence de nettoyage et l’indice de colmatage pour des membranes d’osmose inverse
IC15 | Fréquence de nettoyage |
---|---|
2 | 3 à 12 mois |
3 | 3 à 12 mois |
4 | 1 à 3 mois |
5 | 1 à 2 semaines |
Pour abaisser la fréquence de nettoyage il est prévu d’effectuer un prétraitement par microfiltration (10 ou 25 µm) (Belfort, [22, 23]), (Moulin et coll., [33]), (Fu et coll., [34]). Enfin, les post-traitements de chloration sont simplifiés en nanofiltration. Il a été montré une rétention quasi totale du carbone organique dissous biodégradable (CODB). Cette composante du Carbone Organique Total (COT) est consommée par les micro-organismes qui se développent dans les réseaux de distribution. L’élimination du CODB permet d’abaisser le résiduel de chlore libre (inférieur à 0,1 mg/L) nécessaire en sortie de filière de traitement (Leunberger, [18]), (Moulin et al., [16]), (Mandra et coll., [19], Pontié [29a]), et d’assurer le maintien de la qualité de l'eau lors de sa distribution et de son stockage éventuel.
L’énergie dépensée, W, ramenée au m³ de perméat, s’exprime selon Maurel [35, 38] par :
W = (P d) / (36,7 · ηp · Y) avec : d = densité du solvant P = pression de refoulement Y = flux de perméat / flux entrant (taux de conversion dans l'installation) ηp = rendement du groupe électropompe
Ce calcul, réalisé dans les conditions de traitement de l'eau analysée (P = 10 bars, taux de conversion = 10 %), donne une consommation énergétique de 4 kWh m⁻³ en osmose inverse. En nanofiltration, la dépense énergétique est de 2,3 kWh m⁻³ (P = 6 bars, Y = 10 %), soit environ moitié moins qu’en osmose inverse. Comparativement à la distillation où, dans le meilleur des cas, la consommation énergétique atteint 16 kWh m⁻³ (Malik, [36] ; Maurel, [4, 37, 38]), les techniques à membranes appliquées au dessalement possèdent l’avantage d’une consommation énergétique beaucoup plus faible avec des frais d’investissements moindres.
Conclusion
Cette étude a permis de mettre en évidence les avantages et les inconvénients du dessalement d’une eau saumâtre par nanofiltration et par osmose inverse. La simplicité du procédé de nanofiltration, son caractère modulaire et sa faible consommation énergétique ainsi que la grande qualité d'eau obtenue en font un procédé de choix. Cette étude montre qu'il n'est pas avantageux de traiter les eaux saumâtres par osmose inverse (reminéralisation indispensable, coût énergétique plus élevé). Par contre le traitement des eaux saumâtres par nanofiltration est une technique beaucoup plus envisageable tant du point de vue économique (consommation énergétique) que qualitatif (pas de reminéralisation, prétraitement simplifié).
D’autre part, la faible demande énergétique du procédé peut permettre d’envisager un couplage avec une alimentation par des panneaux solaires (Maurel, [35]), (Rod Gohen et coll., [39]), ou par l’énergie éolienne (Petersen et al., [40]), (Mc Bride et al., [41]). Mais un fonctionnement optimum ne peut être obtenu qu’en utilisant un stock de
Batteries jouant le rôle de tampon et lissant les fluctuations naturelles de l’alimentation solaire ou éolienne.
L’utilisation de la nanofiltration s’avère particulièrement adaptée à l’alimentation en eau potable des sites isolés. Des essais dans ce sens se poursuivent au Sénégal.
Malheureusement, l’effort de recherche dans ce domaine reste encore très insuffisant par rapport aux besoins nécessaires.
Remerciements :
Nous remercions la Société Dow France et plus particulièrement Monsieur Creuse qui nous a très généreusement fourni la membrane de nanofiltration. Nous remercions la Direction des Affaires Scientifiques et Techniques du Sénégal. Enfin, nous tenons à remercier pour leur collaboration technique à ce travail, Monsieur Falilou Fall, technicien au Laboratoire d’Analyses et Essais (ENSUT BP 5085 Dakar), ainsi que Harouna Sissoko et Mariama Ndiaye.
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