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Étude de l'efficacité d'un système de traitement extensif "lagunage facultatif" dans l'élimination des détergents anioniques

31 decembre 2006 Paru dans le N°297 à la page 39 ( mots)
Rédigé par : Saadia ABID et Nadia-el BOUKFAOUI

Les eaux usées de la ville de Marrakech sont chargées en détergents anioniques. Le traitement de ces eaux usées par le lagunage facultatif a permis une réduction assez importante de ces polluants. Les deux bassins aboutissent à des taux d'abattement saisonniers comparables. Cependant, le mode d'élimination de ces détergents anioniques diffère en fonction de la saison et du type du bassin. Par ailleurs, la qualité agricole de ces eaux usées a été améliorée après traitement.

Mots clés

Eau usée, épuration, lagunage facultatif, détergents anioniques, réutilisation agricole.

Au Maroc, la dégradation du milieu hydrique amplifiée par les sécheresses répétées font des eaux usées une ressource d'intérêt agricole particulier. Outre les substances minérales présentant un intérêt agronomique, les eaux usées urbaines contiennent des polluants organiques toxiques notamment les détergents. Les nuisances dont ces derniers sont responsables sont multiples et se manifestent selon divers processus (Borneff & Knerr, 1960 ; Prat & Giraud, 1964 ; Holtzclaw & Sposito, 1978 ; Muramoto & Oki, 1984 ; Khalil et al., 1988 ; Metcalf & Eddy, 1991 ; Dentel et al., 1993). Actuellement, trois catégories principales de détergents sont commercialisées : anioniques de type sulfonate, non ioniques et cationiques de type ammonium quaternaire. Les détergents anioniques sont les plus couramment utilisés. Toutefois, très peu d'études ont été consacrées aux inconvénients causés par la présence éventuelle des détergents dans les eaux d'irrigation, et à leur élimination par les systèmes d’épuration des eaux usées. Cette étude

permettra d’évaluer le pouvoir d’élimination des détergents anioniques par des bassins de lagunage facultatif et d’élucider les voies de leur élimination dans un tel système. Leur impact éventuel sur la productivité des cultures a été également abordé.

Matériel et méthodes

1. Site d’étude (figure 1)

Le système de lagunage facultatif étudié est un système pilote de type extensif, installé dans la zone d’épandage des eaux usées de la ville de Marrakech. Il est formé de deux bassins sub-circulaires, disposés en série, et de profondeur respective de 2,3 et 1,5 m. La surface du plan d’eau est de 2 400 m². Il est précédé par un canal ouvert de 2 km de longueur et de 20 cm de profondeur.

2. Échantillonnage (figure 1)

L’échantillonnage spatio-temporel est réalisé en se basant sur une étude statistique effectuée par Casellas (1990) sur les mêmes bassins de lagunage facultatif. Ainsi, trois points de prélèvements d’eaux usées ont été définis : Entrée du premier bassin (EB1), Sortie du premier bassin vers l’entrée du second bassin (SB1/EB2) et Sortie du second bassin (SB2). Les sédiments ont été prélevés à l'aide d'une bouteille type Van Dorn à différents points de chaque bassin, permettant ainsi de prendre en considération l’hétérogénéité spatiale de la sédimentation. Les différents prélèvements ont été effectués à une fréquence de 15 jours, en tenant compte du temps de séjour des eaux usées dans les bassins de lagunage. Ce temps a été estimé à 28 jours, avec 15 et 13 jours respectivement dans le premier et le second bassin.

3. Méthodes analytiques

La teneur en détergents anioniques des eaux usées a été déterminée selon la méthode colorimétrique au bleu de méthylène (APHA, 1989) dont la limite de détection est de 0,01 mg/l. Des essais de répétabilité de cette méthode ont conduit à des valeurs de 95 ± 2 %. Les détergents anioniques adsorbés aux sédiments ont été tout d’abord extraits dans le méthanol basique. Après évaporation complète du solvant, le résidu organique est mis en solution dans l'eau distillée et analysé par la méthode au bleu de méthylène (Lassee, 1985). Le taux d'extraction des détergents anioniques des sédiments par cette méthode dépasse 85 % (Matthijs & Dehenau, 1987).

Les tests statistiques réalisés sont : l’analyse de la variance et l’analyse de la régression standard et multiple pas à pas.

Résultats et discussion

1. Potentialités épuratoires

Le taux moyen de détergents anioniques noté dans les eaux usées brutes de Marrakech fluctue entre 25 et 44 mg/l, avec une moyenne de 31 mg/l. Ce taux décroît considérablement après passage à travers le canal à ciel ouvert et après traitement par les bassins de lagunage facultatif (tableau 1).

Les rendements moyens d’élimination de ces détergents anioniques par les bassins de lagunage facultatif enregistrés par saison sont donnés dans la figure 2. Ces rendements ont été déterminés en se basant sur les charges entrantes et sortantes de détergents, afin de prendre en compte les pertes hydriques par évaporation et par infiltration. L’examen de la figure 2 montre que le lagunage facultatif intégral a permis une réduction de l’ordre de 66 à 84 %, avec une moyenne de 74 %. Les deux bassins ont abouti à des abattements saisonniers moyens statistiquement comparables (p > 0,05). L’élimination des détergents s'est montrée plus importante en été pour le premier bassin (67 %) et en hiver pour le second (56 %). Toutefois, l’application de l’ANOVA à deux facteurs (saison, bassin) a montré que la variation saisonnière notée au sein de chaque bassin est non significative (p > 0,05).

[Photo : Schéma de la station pilote de lagunage facultatif de traitement des eaux usées et localisation des points de prélèvement.]

Tableau 1 : Teneurs en détergents anioniques (mg/l) dans les eaux usées brutes et traitées par lagunage facultatif

Moyenne Minimum Maximum
Eau usée brute 31 25 44
Entrée 1ᵉʳ bassin 17 11 28
Sortie 1ᵉʳ bassin – Entrée 2ᵉ bassin 11 9 17
Sortie 2ᵉ bassin 8 6 11

D'après ces données, il semble que le lagunage facultatif aboutit à des abattements plus ou moins importants que ceux rapportés par d'autres travaux. En effet, Cabridenc (1971) et Adachi & Kobayachi (1988) rapportent respectivement un taux d’abattement de 88 % et 98 % pour des stations de traitement dont ils n’ont pas précisé le type. Brunner et al. (1988) ont montré que les détergents anioniques type alkylbenzènes sulfonates linéaires sont complètement éliminés par les boues activées (99 %). Par ailleurs, d’après l’Association internationale de la savonnerie et de la détergence, le taux d’élimination des détergents anioniques par des stations composées d'une sédimentation primaire et d’un lit bactérien n'est que de 38 %.

2. Mécanisme d’élimination

L'analyse des sédiments des deux bassins a montré qu'une partie des détergents anioniques est retenue à ce niveau. La quantité notée varie de 6,77 à 19,48 et de 8,54 à 17,35 g/kg PS respectivement dans le premier et le second bassin. Les concentrations ainsi relevées sont relativement plus élevées que celles rapportées par Brunner et al. (1988) et Giger et al. (1987) dans les boues de stations de traitement des eaux usées urbaines. Ceci montre d’une part que les eaux usées de Marrakech sont probablement plus chargées en détergents anioniques, notamment les difficilement dégradables.

D’autre part, ces détergents ont la capacité de s'adsorber aux matières en suspension et de se sédimenter par la suite. L'importance du processus de sédimentation et de dégradation dans un tel système de traitement biologique a été évaluée par la réalisation du bilan eau-sédiment entre les charges entrantes et les charges sortantes de détergents anioniques. Les résultats sont donnés dans la figure 3.

Cette figure montre que l’élimination des détergents anioniques est réalisée aussi bien par la sédimentation que par la dégradation. L’importance de ces deux processus varie en fonction de la saison et du bassin considéré. En effet, le taux de sédimentation est plus élevé dans le premier que dans le second bassin, soit respectivement de 22 à 40 % et de 16 à 23 %. Ceci est dû probablement à la forte accumulation des boues. Le taux de ces dernières a été estimé à 28,63 et 9,63 g/l respectivement dans le premier et le second bassin. Les travaux de Brunner et al. (1988) et Bevia et al. (1989) ont montré qu’environ 19 à 50 % de détergents sont éliminés par sédimentation dans des systèmes de traitement biologiques.

La figure 3 montre également que la dégradation des détergents anioniques est plus importante que la sédimentation dans le deuxième bassin quelle que soit la saison considérée alors qu'elle ne l’est qu’en été et au printemps dans le premier bassin. En raison de la profondeur et de la charge importante des eaux usées dans le premier bassin, ce dernier est généralement caractérisé par des conditions anoxiques mais pas totalement anaérobie. Son état d’oxygénation ne lui permet donc pas d’assurer une dégradation aérobie très poussée en particulier en hiver. Cependant, en été et au printemps, les conditions (température, rayonnement…) sont optimales pour la photosynthèse et le développement du phytoplancton ; par conséquent, les eaux des bassins sont bien oxygénées. Le taux moyen d’oxygène observé est toujours plus élevé dans le deuxième que dans le premier bassin, soit respectivement 14 et 7 mg/l. Cette oxygénation favorise la croissance des organismes aérobies ou facultatifs intervenant dans l’épuration biologique ou la biodégradation de la matière organique, notamment les détergents anioniques.

Par ailleurs, on a pu établir une régression linéaire positive hautement significative (p = 0,01) entre l’élimination des détergents anioniques…

[Photo : Figure 2 : Pourcentages d’abattement des détergents anioniques par les bassins de lagunage facultatif.]
[Photo : Figure 3 : Pourcentage saisonnier de sédimentation et de dégradation des détergents anioniques dans le premier bassin (A) et dans le deuxième bassin (B) du lagunage facultatif.]

anioniques par tout le lagunage facultatif (DA₁) et leur élimination par sédimentation dans le premier bassin (Séd B1) et leur dégradation dans le second bassin (Dég B2). La réalisation de la régression multiple pas à pas a montré qu’à un seuil de 5 %, l’abattement des détergents anioniques par les bassins de lagunage facultatif s’explique, en effet, prioritairement par ces deux processus, suivi par leur dégradation dans le premier bassin (Dég B1) et enfin leur sédimentation dans le second. La prise en compte de la sédimentation dans le second bassin comme variable explicative dans le modèle de régression n’a fait varier que légèrement le coefficient de détermination R². La relation entre ces variables s’écrit sous forme :

DA₁ = 49,331 + 0,61 Séd B1 + 0,38 Dég B2   R² = 0,913 (p = 0,01)  
DA₂ = 42,612 + 0,59 Séd B1 + 0,35 Dég B1 + 0,29 Dég B2 R² = 0,966 (p < 0,05)  
DA₃ = 28,77 + 0,37 Dég 2 + 0,54 Séd 1 + 0,51 Dég 1 + 0,41 Séd 2 R² = 0,999 (p < 0,05)

3. Qualité agricole de l’effluent traité

La teneur moyenne des détergents anioniques dans les eaux usées brutes et les eaux usées traitées est respectivement de 31 ± 5 et 8 ± 2 mg/l. La comparaison de ces données avec les recommandations de certains pays, citées par Chang et al. (1996) montre que la quantité des détergents anioniques dans les eaux usées traitées se rapproche des recommandations, contrairement aux eaux usées brutes. Cependant, ces teneurs restent élevées par rapport aux directives du Portugal et d’autres pays concernant l’épandage des eaux usées sur le sol, fixé à 2 mg/l de détergent (Archer et al., 1999).

Par ailleurs, l’enquête réalisée dans la zone d’épandage des eaux usées de Marrakech a permis d’évaluer le rendement en biomasse de quelques cultures largement produites dans cette zone. En comparaison avec des eaux d’irrigation conventionnelles (eaux de puits), le taux de production de ces cultures suite à l’irrigation par les eaux usées brutes est assez important (tableau 3). L’amélioration du rendement de production était de 42, 15 et 36 % respectivement pour le radis, la coriandre et la luzerne. Des résultats similaires ont été rapportés par Asmama (1996) qui a enregistré une amélioration de la production de l’ordre de 32, 20 et 21 % respectivement pour des cultures de laitue, de carottes et de menthe.

Cependant, l’irrigation à long terme du sol par les eaux usées brutes présenterait une pollution importante pour sa biocénose et pour ses cultures. De plus, l’infiltration de ces eaux polluées dans le sol contamine les eaux de la nappe phréatique de Marrakech (Lyakhloufi et al., 1999) et présente donc un risque sanitaire à craindre du fait que les détergents favorisent l’absorption intestinale de certains hydrocarbures à grand potentiel cancérigène (Borneff & Knerr, 1960). Il faut noter que les hydrocarbures ont été détectés à des taux assez élevés dans les eaux usées brutes de Marrakech (Abid & Elboukfaoui, 1999). Ce risque est très important vu que cette zone est dépourvue de réseaux d’assainissement et d’eau potable, et que l’approvisionnement en eau se fait essentiellement par les puits caractérisés par leur proximité de l’horizon superficiel.

Tableau 2 : Teneurs moyennes des détergents anioniques dans les eaux usées brutes et traitées, en comparaison avec les recommandations citées par Chang et al. (1996)

Détergents (mg/l)
EUB : 25 ± 3Taiwan Sol : 6 ± 1République Populaire de Chine : 5
Israël Sol : 3Maraîchage : 5

Tableau 3 : Rendements en biomasse de quelques cultures irriguées par les eaux usées brutes de Marrakech

Biomasse (t/ha)Amélioration (%)
Céleri102
Coriandre2115
Luzerne3136
Radis2542
Artichaut135

Conclusion

Le traitement des eaux usées de Marrakech par un système de traitement extensif type lagunage facultatif a permis d’éliminer une grande quantité de détergents anioniques. Ceci a permis une amélioration de la qualité de ces eaux usées en vue d’une réutilisation agricole. L’élimination des détergents anioniques par les bassins du lagunage facultatif se fait aussi bien par sédimentation que par dégradation. L’importance de ces deux processus varie en fonction de la saison et du type de bassin. Par ailleurs, les concentrations de détergents anioniques relevées dans les eaux usées brutes et encore plus dans les eaux usées traitées ne semblent pas avoir de répercussions négatives sur le taux de production des cultures. Cependant, le risque d’une part d’absorption et d’accumulation par les plantes et d’autre part de contamination de la nappe phréatique est à craindre.

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