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Drainage et valorisation du biogaz de décharge

29 janvier 1988 Paru dans le N°115 à la page 30 ( mots)
Rédigé par : A WICKER

La formation de biogaz dans une décharge contrôlée est un phénomène relativement récent, lié au développement des techniques de compactage des déchets et à l'utilisation de sites étanches.

En effet, de façon à réduire rapidement le volume des déchets et surtout à s'affranchir des risques d'incendies en couches profondes, les exploitants de décharges contrôlées ont mis en œuvre, ces dix dernières années, des engins lourds qui épandent et compactent les déchets jusqu'à obtenir une densité proche de l'unité, entraînant ainsi l'absence de vides internes et donc d'oxygène.

Parallèlement, afin de garantir la qualité des eaux souterraines, et en accord avec les nouvelles réglementations (notamment la circulaire du 11 mars 1987 relative à la mise en décharge contrôlée de résidus urbains), les sites actuels sont choisis dans des terrains présentant de faibles coefficients de perméabilité : il s'ensuit une possibilité d'accumulation d'eau en fond de décharge, provenant de la percolation des eaux météoriques à travers les déchets.

La coexistence de ces deux facteurs, absence d'oxygène et saturation en eau, dans un milieu contenant une part importante de matières organiques fermentescibles broyées et dilacérées, donc présentant une surface d'échanges maximale, est l'une des conditions rêvées pour un adepte de la méthanisation : l'idée est plaisante de considérer alors la décharge contrôlée comme un gigantesque fermenteur.

A. WICKERSociété Géometra

La décharge contrôlée : un fermenteur de mauvaise qualité

Il s'avère en première analyse que la décharge contrôlée est un mauvais fermenteur dont les paramètres sont difficiles à maîtriser, tant à l'entrée qu'à la sortie.

À l'entrée, la matière première est constituée des déchets qui sont apportés sur le site. Aucun tri, aucune exigence de qualité, aucune obligation de granulométrie, aucun seuil de teneur en eau ne peuvent être infligés à la benne à ordures ménagères qui vide son contenu. Et lorsque le camion suivant apporte une pleine cargaison de gravats, il est compréhensible que, à l'échelle d'un site couvrant parfois plusieurs hectares, le mélange résultant ne sera guère homogène, présentera des cheminements préférentiels et des zones totalement inaptes à la multiplication de bactéries méthanogènes.

Une fois les déchets mis en place et l'oxygène disparu, les processus biochimiques qui aboutiront à la production de méthane sont identiques à ceux rencontrés en laboratoire ou dans un fermenteur industriel. On y retrouve bien la succession des trois phases : hydrolyse, acidogenèse, puis enfin méthanogenèse ; mais ce processus se met en place avec lenteur, contrarié par une teneur en eau faible au départ, qui limite les échanges et ne favorise pas l'hydrolyse, soumis à un ensemencement naturel parfois déficient, gêné localement par une trop forte teneur en sacs plastiques etc. Au lieu des quelques jours nécessaires au démarrage de la méthanogenèse en milieu bien contrôlé, il faut attendre parfois plusieurs mois pour entrer en phase de production et plusieurs années pour que le rendement de la dégradation atteigne des valeurs intéressantes (figure 1).

À la sortie, le problème n'est pas simple. Une décharge contrôlée est entourée de digues et divisée en casiers d'exploitation indépendants entre eux. Sa hauteur peut atteindre plusieurs dizaines de mètres sur lesquels sont réparties un nombre variable de couvertures intermédiaires en matériaux « inertes ». Sa couverture finale peut présenter des hétérogénéités et n'est pas rigoureusement étanche, ni aux gaz, ni à l'eau ; enfin, l'existence de tassements différentiels dus à l'évolution biochimique des déchets amène parfois la formation de décalages et fissures dans le matériau de recouvrement, qui forment autant de fuites non maîtrisables.

Malgré ces mauvaises conditions opératoires, cette absence de maîtrise de paramètres fondamentaux, cette étanchéité aléatoire, une chose est certaine : les milieux...

[Photo : Composition du biogaz durant la dégradation des ordures ménagères]

Des millions de m³ de déchets stockés dans une décharge contrôlée produisent, pendant plusieurs années, des dizaines de millions de m³ de biogaz, conformément aux formules biochimiques habituelles (figure 2).

[Photo : Schéma général de la méthanisation.]

Le biogaz, source de nuisances et d’énergie

Avec un tel fermenteur, il est bien évident que le biogaz obtenu n’aura pas, en qualité et en quantité, des caractéristiques comparables à celles du gaz obtenu dans une installation industrielle, même si l’on y retrouve les deux composants principaux : méthane et gaz carbonique.

C’est ainsi que le biogaz est assez riche en méthane (de l’ordre de 40 à 50 %), mais qu’il sert de vecteur à un grand nombre de composés soufrés nauséabonds… La qualité de ces composés, toujours en faible quantité, dépend bien sûr de la composition des déchets reçus.

Sur le plan de la régularité de la production, le biogaz dégagé est soumis à des paramètres extérieurs mal maîtrisés, tels que la teneur en eau des déchets, la pluviométrie et même la pression atmosphérique.

Selon le point de vue d’où l’on se place, le biogaz de décharge peut ainsi être considéré comme une source de nuisances ou bien une source d’énergie. C’est là un paradoxe difficile à résoudre : l’exploitant aura tendance à réduire la production de biogaz, notamment en évitant tout apport d’eau, et le « récupérateur » aura tendance à augmenter cette production, par exemple en arrosant les déchets.

Le biogaz source de nuisances

Le biogaz en lui-même ne peut pas être considéré comme toxique ; par contre, certains de ses composants peuvent entraîner des problèmes pour l’environnement.

Le gaz carbonique (50 à 60 %) a tendance à s’accumuler en fond de décharge et à se solubiliser dans l’eau lorsque les déchets sont saturés : son incidence est donc négligeable.

Le méthane, gaz léger et sans odeur, présente un risque d’explosion lorsqu’il est mélangé à 10 ou 15 % d’air : c’est un danger dont il faut tenir compte dans les installations de captage, et même pour le voisinage immédiat. Mais son rôle est surtout néfaste au niveau du développement de la végétation : lorsqu’il est mal capté, il a tendance à cheminer horizontalement ou le long des fissures éventuelles de la couverture finale. Au contact des racines, il entraîne une déshydratation locale responsable d’une nécrose irréversible des systèmes radiculaires.

Le biogaz contient également des traces de composés soufrés (sulfures, mercaptans, thiols…) qui, aux concentrations rencontrées (quelques ppm en général) ne sont jamais toxiques. Par contre, ces composés sont fortement malodorants et leur dispersion, en même temps que celle du méthane, provoque une nuisance parfois importante dans l’environnement proche.

Il est donc indispensable, dans un premier temps, pour des raisons de protection de l’environnement, de prévoir le captage et l’élimination du biogaz.

Le biogaz source d’énergie

Le pouvoir calorifique inférieur du biogaz de décharge, compte tenu de la présence de méthane, représente environ 5 thermies par m³ ; or, une tonne d’ordures ménagères peut en produire de l’ordre de 10 m³ par an pendant une dizaine d’années, ce qui représente, pour une décharge recevant 100 000 tonnes d’ordures ménagères par an, une production théorique annuelle de 1 million de m³, soit 500 TEP, ce qui n’est plus négligeable. Ainsi, le biogaz de décharge contrôlée apparaît comme une source potentielle de revenus : la décharge contrôlée perd sa qualité de procédé d’élimination des déchets pour devenir procédé de valorisation. Là encore, la première étape passe par un captage efficace.

Les réseaux de captage

De nombreux dispositifs ont été testés ces dernières années, en vue d’offrir au gaz un cheminement préférentiel capable d’assurer son évacuation, la plus complète possible, en dehors de la masse des déchets. Comme le milieu des déchets est hétérogène, de même que les zones de production de gaz, le réseau doit être adaptable, d’autant que la décharge commence à produire du biogaz lorsqu’elle est encore en exploitation.

Les drains et conduites horizontales ont été pratiquement abandonnés au profit des cheminées verticales disposées de place en place dans les déchets ; en effet, les tuyaux horizontaux ne résistent guère à l’écrasement lors du compactage des déchets et l’horizontalité réelle est impossible à obtenir : il arrive toujours un moment où un point bas est constitué, qui s’emplit d’eau, et le biogaz ne peut plus s’échapper. Cependant, certaines expériences en vraie grandeur ont été menées à bien, notamment par constitution de drains horizontaux au moyen de pneumatiques.

Les cheminées verticales, constituées de buses en béton perforées et empilées, présentent l’avantage de pouvoir être montées au fur et à mesure de l’exploitation. Leur nombre définitif, une fois le remblaiement terminé, peut être modulé selon les conditions de production de biogaz. Un réseau de collecte de surface permet ensuite de relier les différents puits entre eux. Ce mode opératoire permet de suivre très tôt l’évolution des déchets, de capter les premiers dégagements gazeux, même en cours d’exploitation, et de monter régulièrement l’ensemble du réseau de captage.

Les matériaux utilisés le plus couramment sont le béton pour les cheminées verticales, puis le polyéthylène haute densité (PEHD) pour tous les composants ultérieurs tels que têtes de puits, pots de purge, branchements et canalisations. Les dimensions de ces composants dépendent bien sûr de l’importance du dégagement : 900 mm de diamètre pour les cheminées verticales qui servent également de puits de pompage des eaux éventuellement accumulées, 150 à 300 mm pour les canalisations en PEHD (figure 3).

Le biogaz étant saturé d’eau, la condensation de la vapeur d’eau dans le réseau de collecte s’avère très importante du fait de la différence de températures entre la décharge et l’air ambiant. Chaque canalisation du réseau doit posséder une pente convenable permettant de recueillir les

[Photo : Captage du biogaz (BSDV/Hofstetter).]
[Photo : Canalisation en PEHD.]

condensats en point bas, et les têtes de puits doivent être équipées de pots de purge (figures 4 et 5).

Enfin, la pression statique du biogaz étant extrêmement faible (quelques millibars), le réseau de collecte doit être muni d’un surpresseur qui maintient une pression d’aspiration suffisante pour mettre la décharge en légère dépression. L'équilibre est difficile à trouver : une aspiration trop forte a pour conséquence l’introduction d’air atmosphérique, et donc d’oxygène, dans les déchets ; en revanche, une aspiration trop faible rend peu efficace le drainage et induit un risque de dispersion du biogaz et des odeurs qui l’accompagnent, vers l’extérieur du site.

[Photo : Tête de puits en PEHD.]

La mise en place de tels réseaux commence à être systématique sur les nouvelles décharges contrôlées et sur les exploitations les plus importantes (qui représentent plusieurs millions de m³ de déchets). Techniquement au point, ils demandent par contre un investissement important et un suivi du nombre de puits nécessaires, des réglages précis de la pression d’aspiration, du débit recueilli etc. (figure 6).

La maîtrise des nuisances

Le gaz une fois capté le plus complètement possible, il est facile alors d’utiliser son pouvoir de combustion pour l’enflammer et ainsi détruire les molécules soufrées. Les torchères existant sur le marché actuel permettent d’obtenir une température de flamme supérieure à 850 °C et même 1 200 °C. À ces températures, on peut constater qu’effectivement la quasi-totalité des composés nauséabonds sont détruits (figure 7).

Ceci signifie qu’il est possible de traiter les gaz de décharge contrôlée de telle façon qu’ils n’engendrent plus de nuisances pour l’environnement : c’est un point important, sans doute le plus important si l’on se place du point de vue de l’exploitant.

La maîtrise de l’énergie

Si l’incinération du biogaz permet de se débarrasser définitivement des composants malodorants, il peut quand même sembler bizarre d’utiliser cette énergie potentielle pour chauffer l’atmosphère. En dehors de quelques cas exceptionnels, c’est pourtant ce qui est constaté en France. La technologie permet de capter le biogaz de décharge, de l’aspirer et de le brûler dans des installations industrielles, mais il apparaît plus délicat de le valoriser. En effet, l’utilisateur potentiel de l’énergie dégagée est rarement situé à proximité immédiate du site, ce qui rend beaucoup moins intéressante cette opération.

Si des installations importantes existent aux U.S.A. et en Allemagne, elles n’ont pas leur équivalent en France. Actuellement, les recherches se tournent vers une utilisation directe du biogaz pour sa transformation en vapeur et/ou en électricité, mais la nature corrosive du biogaz implique soit une épuration poussée, soit la mise au point de moteurs spécialement adaptés, ce qui rend problématique toute valorisation effectivement économique.

[Photo : Station de pompage et d’incinération de biogaz (décharge de Férolles Attilly-Sita).]
[Photo : Schéma type d’une installation de pompage et d’incinération (BSDV/Hofstetter).]

CONCLUSION

Au vu de ces quelques éléments, force est de constater que la décharge contrôlée productrice d’énergie appartient encore au domaine des recherches prometteuses : sa conception même, les impondérables rencontrés lors de toute exploitation, rendent encore difficile la maîtrise parfaite des processus de formation de biogaz et la récupération totale de celui-ci. Il est clair, malgré tout, que les applications en cours démontrent, lorsque les conditions s’y prêtent, l’intérêt de considérer la décharge contrôlée comme une source d’énergie.

Il apparaît important, dans un premier temps, d’affirmer qu’il est possible désormais de maîtriser en aval les nuisances dues à cette production de biogaz et des odeurs qui l’accompagnent. Dans un second temps, que les exploitants français commencent à aborder, de nouvelles techniques sont à développer en association avec des utilisateurs potentiels.

Ainsi, la mise en valeur du gisement énergétique qu’elle représente contribuera à améliorer l’image actuelle de la décharge contrôlée.

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