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Deux méthodes modernes d'incinération des boues de stations d'épuration

27 decembre 1979 Paru dans le N°40 à la page 139 ( mots)
Rédigé par : E BRUN-LAABARRE

La prise de conscience par l'homme de l'importance primordiale de l'écologie l’a conduit notamment à se préoccuper de la qualité de l'eau.

Ainsi de nombreuses stations de traitement des effluents aqueux industriels ou urbains ont été construites mais leur fonction consiste essentiellement à séparer l'eau de la majeure partie des produits polluants, et à concentrer ces matières indésirables sous forme de boues qui, épandues ou enfouies, créent de nouveaux problèmes de pollution. Dans certains cas, les unités industrielles produisent également des liquides résiduaires qui ne peuvent s'intégrer au cycle biologique naturel, soit parce que leur demande en oxygène est trop élevée, soit parce qu'ils contiennent des substances toxiques qui détruisent ou inhibent les processus d'auto-épuration, soit parce qu'ils sont constitués par des composés organiques à chaîne longue, très difficiles à rompre. La justification écologique de l'incinération trouve quelquefois un appui économique dans d'intéressantes possibilités de valorisation : récupération d'énergie ou de sous-produits commercialisables.

I. GÉNÉRALITÉS SUR LA COMBUSTION DES DÉCHETS

Le traitement thermique des effluents doit tout d'abord remplir sa mission première : transformer complètement les produits organiques polluants en CO₂ et H₂O. Ceci implique le maintien, pendant un temps suffisant, des molécules à une température telle que soient assurées la gazéification puis l’oxydation complète.

Cette dernière requiert :

— que le mélange carburant-comburant s'effectue de façon aussi intime que possible ;  
— que la matière organique soit dans un état aussi divisé que possible ;  
— que soit atteinte une température suffisante assurant :  
  — la vaporisation des constituants liquides,  
  — la décomposition des chaînes organiques,  
  — l'obtention du point d’inflammation des constituants.

Les matières organiques se volatilisent en général à partir de 200 °C, elles peuvent brûler à partir de 500 °C et, au-dessus de 650 °C, leur vitesse de combustion ne dépend plus que de la rapidité du mélange avec l’air comburant. La combustion du résidu carboné qui conduit au dioxyde de carbone fait intervenir quatre réactions chimiques différentes suivant le mode de contact de l'air et des particules combustibles : formation de CO à partir de carbone et d’oxygène, formation de CO₂ à partir de carbone et d’oxygène, formation de CO à partir de CO₂ et de carbone, et combustion du CO en phase gazeuse. Les deux premières réactions sont très rapides et ne dépendent que de la perfection du contact entre l’air et le carbone. La troisième réaction est contrôlée par la température au-dessous de 800 °C et ne dépend que du contact CO₂-carbone pour des températures suffisamment élevées de l’ordre de 1 000 °C.

1.1. Température

On peut penser que la température minimale requise, dont la valeur est d’ailleurs influencée par les autres paramètres étudiés ultérieurement, est de l’ordre de 700 °C, du moins pour des déchets composés essentiellement de carbone et d’hydrogène. Cette température minimale peut cependant être beaucoup plus élevée, de l'ordre de 1 000 °C pour certains produits difficiles à décomposer.

1.2. Temps de séjour à haute température

Les vitesses d'oxydation des corps combustibles sont très grandes à haute température et conduisent

à des temps de réaction très courts si le contact avec l’air comburant est convenable. Pratiquement, c’est le temps d’échauffement du produit qui détermine le temps de séjour, et ce temps sera d’autant plus faible que le produit sera plus divisé.

Contact air-solide et air-gaz combustible.

Toutes les réactions chimiques intervenant dans la combustion sont contrôlées par ce contact. Pratiquement, la nécessité d’avoir un bon contact se traduit par la recherche de la plus grande division possible du matériau à incinérer et par l’injection d’air secondaire à grande vitesse pour favoriser le brassage des produits gazeux.

Pour améliorer le rendement volumique de l’installation et l’homogénéité des fumées, il faut :

  • — que les réactions d’oxydo-réduction s’établissent très rapidement, donc réduire le temps de gazéification ;
  • — augmenter les chances statistiques de collision entre particules.

Le brûleur à mélange de jets, créé par HEURTEY-EFFLUTHERM pour les résidus à bas pouvoir calorifique, est muni d’injecteurs réalisant une atomisation très performante des liquides. Le temps de gazéification est fonction de la taille des gouttelettes, mais aussi de la richesse énergétique du produit combustible.

II – LES TECHNIQUES D’INCINÉRATION

Les différents types de four d’incinération comportent tous des chambres de combustion, enceintes métalliques intérieurement protégées par des revêtements isolants et réfractaires, dans lesquelles sont introduits les résidus et l’air nécessaire délivré par des ventilateurs ou compresseurs. Les fours se différencient par le mode de transfert des résidus à l’intérieur de cette chambre :

  1. 1) les fours où le transfert des produits est assuré par des moyens mécaniques ;
  2. 2) les fours à combustion directe où le transfert des produits est assuré par voie purement aérodynamique ;
  3. 3) les fours en couche fluidisée où les résidus sont véhiculés par de l’air au travers d’une couche de matériau intermédiaire.

Le premier type de four – four à grille, four tournant – est appliqué aux résidus essentiellement solides.

Pour la destruction de boues, les deux concepts les plus généralement retenus sont :

  • — combustion directe ;
  • — couche fluidisée.

II.1. La combustion directe

Cette technologie est applicable essentiellement lorsque les boues contiennent une fraction organique importante ou lorsqu’un combustible résiduaire – huiles usées, solvants – est disponible. Elle n’est utilisable que si les boues possèdent une fluidité suffisante, donc une teneur en eau élevée.

Les fours à combustion directe ne possèdent aucun support intermédiaire où s’effectuerait la combustion.

[Photo : Fig. 1 – 1. Air 2. Combustible 3. Effluent 4. Injections simultanées ou séparées, mélange à recirculation externe ou interne.]

II.1.1. Principe

Le résidu est pulvérisé, soit par de l’air, soit par de la vapeur, dans une chambre de combustion avec ou sans addition d’air de jets.

Il se différencie des autres brûleurs par une flamme à recirculation interne qui occupe pleinement le volume disponible, tandis qu’un mélange pauvre en effluents se forme en périphérie. La stabilisation de la flamme sur l’ouvreau, essentielle quand le brûleur doit fonctionner avec du gaz naturel d’appoint, crée une circulation de gaz peu chargés en cendres, évitant ainsi les dépôts salins sur les réfractaires.

Les recirculations aérodynamiques engendrent une homogénéité optimale des températures et de la composition des veines gazeuses, assurant un flux uniforme, en particulier pour les composés inorganiques formés par les réactions chimiques (fig. 1 à 4).

[Photo : Fig. 2 – Profil des résidus dans la zone injection : températures et injection.]
[Photo : Fig. 3 – Distribution longitudinale des températures.]

II.1.2. Application

Cette technologie est particulièrement intéressante lorsque les boues sont chargées en composés alcalins – cas typique des boues de raffinerie issues du déblaisage, contenant de l’eau de mer et donc du chlorure de sodium, calcium, magnésium.

Il faut alors tenir compte des transformations chimiques et physiques à haute température qui favorisent l’attaque thermo-chimique des réfractaires, les sels fondus se déposant sur ceux-ci.

La coque saline peut être déstructurée par des produits mis au point par HEURTEY-EFFLUTHERM. Une zone de trempe placée à la sortie de combustion refroidit brusquement les gaz, bloquant les réactions thermo-chimiques et solidifiant les sels, qui sont alors entraînés sous forme de poussières fines mais homogènes.

La maîtrise de cette technologie impose :

  • — des recirculations dans la zone d’oxydation pour éviter les hétérogénéités de température et garantir l’absence d’imbrûlés ;
  • — un système de trempe assurant une distribution volumétrique adéquate du fluide refroidissant.

La température des fumées à la sortie de cette zone est fixée en fonction du point de solidification des sels, en tenant compte de la formation d’eutectiques.

[Photo : Fig. 5 – L’installation de boues de raffinerie réalisée pour MOBIL-OL à Wilmington.]

II.2. La combustion en lit fluidisé

II.2.1. Principe de la fluidisation

La fluidisation consiste à mettre en suspension un solide pulvérulent dans un courant fluide ascendant. Dans une colonne munie, à sa base, d’une plaque poreuse distribuant l’air au travers d’une couche de solides pulvérulents, les particules restent immobiles jusqu’au moment où la perte de charge du gaz équilibre le poids des solides. À ce point apparaît la fluidisation : la surface devient instable, des bulles se forment et éclatent. En augmentant légèrement la vitesse du gaz, la colonne prend l’aspect d’une masse bouillonnante et, lorsque la vitesse est encore accrue, les solides sont entraînés dans le courant gazeux (fig. 6).

[Photo : Fig. 6 – Différents aspects de la fluidisation.]

La vitesse de fluidisation est donc comprise entre deux limites :

— une limite inférieure au-dessous de laquelle le solide reste au repos,

— une limite supérieure au-dessus de laquelle le solide est entraîné pneumatiquement.

Pour donner un exemple, ces deux limites sont pour une particule de silice de 1 mm de diamètre : 0,6 m/s et 6 m/s.

Les milieux fluidisés sont caractérisés par des coefficients de transfert de chaleur et de matière importants : les réactions chimiques sont donc rapides et l’uniformité de température est excellente.

Cet état fluidisé est souvent utilisé en génie chimique et dans l’industrie minérale où il est fréquent de calciner des minéraux à haute température : 900 et 1 000 °C. Le combustible éventuellement nécessaire, fuel ou gaz, est injecté dans le lit fluidisé même et brûle à l’intérieur de la couche des particules mises en suspension par l’air comburant.

11.2.2. Fonctionnement d’un incinérateur à lit fluidisé.

Les incinérateurs à lits fluidisés sont largement utilisés pour la combustion des boues et nous décrivons leur fonctionnement pour ce type de déchets.

Les boues contenant de 15 à 50 % de matières sèches ont la consistance d’un mastic. Il s’agit de produits difficiles à brûler. Le lit fluidisé constitué de sable de rivière de 0,5 à 2 mm est utilisé dans un premier temps comme un volant thermique qui permet de s’affranchir des fluctuations de l’alimentation en boues tant sur le plan du débit que de la composition.

Les boues sont amenées par une vis sans fin à la partie supérieure du réacteur et à l’aide d’un émetteur, dispersées en mottes de 20 mm environ sur toute la surface du lit fluidisé. Ces mottes, du fait de leur densité, plongent dans le lit de particules et leur température s’élève rapidement. Elles sont tout d’abord déshydratées, puis les matières organiques se gazéifient. La motte perd alors progressivement de sa consistance et se désagrège au contact du sable. Les matières volatiles libérées se dégagent du lit fluidisé et subissent une oxydation finale à la partie supérieure du réacteur où l’air secondaire est injecté. Les cendres minérales, dont la granulométrie est beaucoup plus fine que celle du lit fluidisé, sont entraînées par le courant gazeux hors du four.

Le lit fluidisé agit comme un piège qui maintient les fines particules de boues assez longtemps pour que toutes les matières organiques soient gazéifiées. Ceci explique l’intérêt du lit fluidisé et pourquoi, avec une température relativement basse, 800 à 850 °C à la partie supérieure du réacteur et un faible excès d’air, 20 % environ, la combustion des boues est complète, et que seuls s’échappent du réacteur du CO₂, de la vapeur d’eau et des cendres minérales.

[Photo : Schéma de l'incinérateur S.A. HEURTEY-AHLSTROM.]

11.2.3. Bilan thermique – Déshydratation des boues.

Il est possible, pour certains types de boues, en jouant sur le type de matériel de filtration utilisé (filtre centrifuge, filtre presse…) de choisir, préalablement à l’établissement de tout projet d’incinération, la teneur en matières sèches.

Le bilan thermique, comme tout système de combustion, fait intervenir deux termes, d’une part : la chaleur disponible représentée par le pouvoir calorifique des déchets, d’autre part : la chaleur utilisée comportant la chaleur sensible des fumées, la vaporisation de l’eau, les réactions chimiques endothermiques et les pertes thermiques de l’installation.

En première approximation, la quantité de chaleur disponible représentée par le pouvoir calorifique des déchets est constante et indépendante des modes de déshydratation préalable des boues. Par contre, le second poste est variable et il dépend en particulier de la quantité d’eau à évaporer.

La température d’incinération devant être suffisamment élevée (supérieure à 800 °C) pour permettre la combustion et la destruction de toutes les matières organiques, on conçoit donc qu’il est possible de dégager trois domaines d’incinération en fonction de la teneur en matières sèches :

— 1° domaine : il est constitué par des boues déshydratées, contenant de 15 à 35 % de matières sèches, qui nécessitent un appoint de combustible et le réchauffage de l’air pour limiter cet appoint.

— 2° domaine : il est constitué par des boues contenant de 35 à 45 % de matières sèches dont l’incinération nécessite un simple réchauffage de l’air par récupération thermique sur les fumées, par exemple.

— 3° domaine : c’est celui des boues contenant plus de 45 % de matières sèches dont l’incinération ne nécessite ni air réchauffé, ni combustible d’appoint, mais au contraire demande un réglage précis pour éviter l’élévation exagérée de la température — 550 °C pour les grilles de fluidisation. Cette récupération partielle peut avoir pour effet de diminuer de plus de 20 % la dépense en combustible additionnel.

Pour montrer l’intérêt d’une déshydratation des boues, nous avons rassemblé dans le tableau suivant les données relatives à deux installations permettant l’incinération de la même quantité de matières sèches (500 kg/h) mais faisant intervenir des teneurs en eau très différentes, 85 et 55 %.

Installation 1 Installation 2
Débit matières sèches 500 kg/h 500 kg/h
Teneur en matières sèches 15 % 45 %
Teneur en eau 85 % 55 %
Débit d’eau à vaporiser 2 800 kg/h 600 kg/h
Préchauffe de l’air 500 °C
Appoint de combustible 300 kg/h
Dépense annuelle de combustible (7 000 h) 2 000 t/an
Diamètre de l’incinérateur 4 m 2 m

III – CONSEQUENCE DE L’INCINERATION

À la sortie des équipements de combustion les fumées possèdent une certaine enthalpie partiellement récupérable et sont plus ou moins chargées en poussières.

III.1. Récupération d’énergie.

Les systèmes de récupération prennent en considération le caractère poussiéreux des fumées.

Si l’on considère le rapport énergie produite par surface de transfert, de tels équipements sont peu performants : vitesse de passage des fumées pouvant éviter les colmatages, écart moyen logarithmique de température peu important en raison du bas niveau énergétique de l’air entrant. À l’intérieur des équipements de récupération de l’air de combustion, les contraintes de fonctionnement énergétique sont plus élevées pour l’ampleur du réseau à maintenir ; à faible température, comme : vitesse de passage d’une ligne, exit d’un simple appareil (rondeau ?) et un rayon allant du principal.

Compte tenu de la taille des installations, la solution de récupération la plus fréquemment retenue consiste à réchauffer l’air de fluidisation dans le four en couche fluidisée. Pour les fours à combustion directe, il n’est pas nécessaire, ni air réchauffé, ni combustible d’appoint, mais au contraire un réglage précis est requis pour éviter l’élévation de la température de sortie des équipements de combustion ; la température de sortie doit atteindre 400 à 450 °C pour les brûleurs.

[Photo : Incinération de boues urbaines. Ville de Cannes.]

L’installation d’incinération doit enfin être complétée par un système de dépoussiérage — cyclone, laveur venturi, filtre à manche ou précipitateur électrostatique — très souvent par un ventilateur de surcharge, car les équipements possèdent une certaine énergie à consommer pour éviter les transferts de pollution lors de la combustion et pour l’échange de débit aux circuits de circulation ou de sortie disponibles.

Il est impossible de conclure cet aperçu sur les techniques applicables à l’incinération des boues d’épuration sans insister sur l’impérative nécessité d’une pré-étude technique et économique permettant d’intégrer l’ensemble des paramètres locaux. Ainsi pourront être dimensionnés les équipements de préparation des boues constituant alors la solution globalement la plus économique. Pourquoi, en raffinerie, consommer de l’énergie pour concentrer les boues lorsque des résidus énergétiques sont disponibles ? Ainsi pourrait-il s’envisager des produits chimiques de conditionnement des boues ajustés et ne s’avérant pas critiques lors de la combustion ou du traitement des matières.

Cette opération radicale qu’est l’incinération doit être soigneusement étudiée pour être fiable, continue et ne pas induire un transfert de pollution, et judicieusement étudiée pour ne pas conduire à un gouffre financier.

Mme E. BRUN-LABARRE.

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