La centrale nucléaire de production d'électricité de Nogent-sur-Seine utilise l'eau brute de la Seine dans le circuit de refroidissement. Cette eau, riche en bicarbonate de calcium, peut déposer du tartre sur les surfaces des packings dans les tours d'aéroréfrigérants. Pour lutter contre l'entartrage, on procède à une vaccination à l'acide sulfurique. La régulation d'injection d'acide est faite aujourd'hui selon une méthode thermodynamique approximative. Les résultats de tests d'entartrage accéléré par une méthode électrochimique distinguent les eaux plus ou moins entartrantes. L'automatisation de ces tests fournit un signal représentant la menace d'entartrage influencée par les conditions de fonctionnement de la centrale. Un capteur industriel, inspiré du montage expérimental, permettra de détecter l'approche de la menace d'entartrage et de corriger le réglage du débit d'acide.
La Centrale Nucléaire de production d’électricité de Nogent-sur-Seine utilise l’eau brute de la Seine dans le circuit de refroidissement. Cette eau, riche en bicarbonate de calcium, peut déposer du tartre sur les surfaces des packings dans les tours d’aéroréfrigérant. Pour lutter contre l’entartrage, on procède à une vaccination à l’acide sulfurique. La régulation d’injection d’acide est faite aujourd’hui selon une méthode thermodynamique approximative. Les résultats de tests d’entartrage accéléré par une méthode électrochimique distinguent les eaux plus ou moins entartrantes. L’automatisation de ces tests fournit un signal représentant la menace d’entartrage influencée par les conditions de fonctionnement de la centrale. Un capteur industriel, inspiré du montage expérimental, permettra de détecter l’approche de la menace d’entartrage et de corriger le réglage du débit d’acide.
Si les dépôts de carbonate de calcium (tartre) ne se manifestent, pour la plupart d’entre nous, que par des désagréments (calcaire sur les lavabos et baignoires, diminution du débit aux robinets, détartrage périodique des chauffe-eau...), l’entartrage par les eaux industrielles peut provoquer des effets spectaculaires et entraîner des pertes économiques très importantes.
La centrale nucléaire d’EDF à Nogent-sur-Seine a connu ce problème d’entartrage depuis le démarrage de sa production d’électricité. Le phénomène se produit dans le circuit de refroidissement du condenseur qui utilise l’eau brute de la Seine en appoint. Cette eau, déjà bien chargée initialement en bicarbonate de calcium (TH ≈ 24 °F, TAC ≈ 21 °F), est concentrée à cause de l’évaporation. La concentration des sels et le dégazage du CO₂ conduisent, si le traitement antitartre est insuffisant, à la précipitation des dépôts sur les parois internes des tubes dans le condenseur et surtout sur la surface du corps d’échange thermique (packing) dans la tour d’aéroréfrigérant.
Le traitement antitartre par vaccination acide consiste à injecter en continu de l’acide sulfurique dans l’eau circulant entre l’aéroréfrigérant et le condenseur. Selon les conditions atmosphériques, la puissance et les valeurs de TH et TAC de l’eau de la Seine, la quantité d’acide introduite varie de 10 à 15 tonnes par jour. Bien que la vac-
circulation acide soit efficace et maîtrisée, elle présente l’inconvénient de rejeter du sulfate dans la rivière par la purge. La législation impose une limite aux rejets de sulfate, donc à la quantité d’acide utilisée. Dans les cas les plus défavorables, le circuit risque de s'entartrer mais on ne peut pas vacciner davantage… Il faut alors baisser la puissance, ce qui entraîne une perte économique importante : ainsi, pour une tranche de 1300 MW, une baisse de charge de 30 % pendant cinq heures entraîne une perte de production de l'ordre de 2 millions de kilowattheures qu’il faut compenser par la production d’une autre centrale pour un coût supplémentaire d’environ 500 000 F.
La régulation de la vaccination est actuellement basée sur une méthode approximative nommée Tacatel (TAC, Calcium, Température, Limite) [1], dans laquelle l’automate d’injection (système CTF) calcule le débit d’acide essentiellement en fonction du TH, TAC de l'eau de la Seine, de la température et de la puissance de la tranche. Cependant, cette méthode ne prend pas en compte directement ni en continu la menace d’entartrage, et c’est pour tenter d’optimiser l’injection d’acide qu’EDF a engagé, en collaboration avec la société Rime (filiale de Comap), le présent projet : automatiser des tests d’entartrage accéléré, pour élaborer un signal représentant la menace d’entartrage.
Électrodéposition et temps d’entartrage
Le test d’entartrage accéléré consiste à provoquer, sur une électrode métallique, par micro-électrolyse, le dépôt du carbonate de calcium formé à partir de l’eau testée dans une cellule électrochimique à trois électrodes. La figure 1 présente le montage expérimental utilisé en laboratoire pour des mesures manuelles. La réduction de l'oxygène dissous, à un potentiel approprié, donne naissance aux ions OH⁻ ; l’élévation locale du pH qui en résulte au voisinage de l’électrode de travail fait déplacer l’équilibre calco-carbonique dans le sens de la précipitation. Le carbonate de calcium étant électriquement isolant, l’allure de diminution, en fonction du temps, de l'intensité du courant traversant l’électrode de travail et l’électrode auxiliaire, représente la vitesse du développement de la couche de tartre (figure 2).
On définit le « Temps d’Entartrage » (TE) par l’intersection de la tangente d’inflexion avec l’axe du temps. Plus l’électrode est entartrée rapidement, plus le TE est faible. On convient de dire qu’une eau est plus entartrante qu’une autre si son TE est plus faible.
Plusieurs méthodes d’électrodéposition ont été développées et mises au point par différents laboratoires [2], [3], [4]. Ces méthodes sont basées sur le même principe électrochimique et ne diffèrent que par la mise en œuvre du dispositif de mesure.
La méthode à électrode fixe brossée, initialement conçue par l’ENSAM, nous a paru la méthode la plus apte à l'automatisation.
Développement du montage expérimental CAEFA
Des études préliminaires de faisabilité, à partir de la méthode choisie, ont été effectuées en laboratoire avant d’engager la conception et la réalisation d’une maquette automatique expérimentale. Après avoir vérifié la validité du brossage mécanique de l’électrode par un banc motorisé, nous avons optimisé, par l’expérimentation, chaque paramètre influençant la mesure [5]. Une maquette automatique expérimentale dénommée CAEFA (Chrono-Ampérométrie à Électrode Fixe Automatique) a ainsi été fabriquée. La maquette est composée essentiellement de quatre parties :
- • un poste d’échantillonnage (partie hydraulique) ;
- • une cellule de mesure (partie électrochimique) ;
- • un poste de nettoyage de l’électrode (partie mécanique et pneumatique) ;
- • un poste de traitement du signal et de pilotage (partie informatique).
Le montage expérimental CAEFA est piloté par un micro-ordinateur à l'aide d’un logiciel développé en langage Quick Basic. Ce logiciel, dénommé TSC-NSs Version 1.0, assure les fonctions suivantes [6] :
En mode de fonctionnement « Pilotage Automatique » :
- • lancement automatique du cycle de mesure ;
- • acquisition des données ;
- • traitement du signal par modélisation pour obtenir le TE ;
- • enregistrement de la courbe I-t et des résultats du calcul.
En mode de fonctionnement « Gestion des Données et Pilotage Manuel » :
- • rappel des courbes enregistrées ;
- • affichage des résultats obtenus ;
- • simulation de courbe théorique ;
- • apport de correction d’un opérateur sur l’exploitation de la courbe ;
- • lancement manuel du cycle mécanique ;
- • impression de la courbe I-t sur un traceur HP-color.
Les études, le développement et la mise au point du concept CAEFA ont conduit à un dépôt de brevet par la société RIME SA.
Mise au point du CAEFA
Après optimisation des conditions opératoires [7], des mesures avec des eaux minérales du commerce dont la composition chimique est connue ont donné les résultats rassemblés dans le tableau I.
La classification des eaux de la plus entartrante à la moins entartrante est alors : Contrexéville > Vittel > Evian > Volvic.
On remarque :
- • que pour les trois premières eaux, la répétabilité des mesures est satisfaisante, l’écart-type relatif (ETR) est inférieur à 3 %. Pour l'eau de Volvic, la courbe chrono-ampérométrique étant pratiquement une droite horizontale, cette eau peut être considérée comme non entartrante ;
- • que les TE se classent dans l’ordre inverse des minéralisations (tableau II).
Tableau I
Résultats de la mesure du TE avec des eaux minérales du commerce.
Éléments | Contrexeville | Vittel | Evian | Volvic |
---|---|---|---|---|
N° d’essai | Temps d’entartrage (mn) | |||
1 | 2,02 | 4,24 | 10,49 | 171,44 |
2 | 1,89 | 4,56 | 10,79 | 235,73 |
3 | 1,95 | 4,42 | 10,48 | 198,67 |
4 | 2,01 | 4,44 | 10,58 | 212,12 |
5 | 1,95 | 4,54 | 10,52 | 244,12 |
6 | — | 4,53 | 10,61 | 204,38 |
TEmoyen (mn) | 1,96 | 4,46 | 10,58 | 211,09 |
ETR (%) | 27 | 2,7 | 1,1 | 12,49 |
Tableau II
Éléments essentiels influençant les caractéristiques entartrantes.
Éléments | Contrex | Vittel | Evian | Volvic |
---|---|---|---|---|
Calcium Ca²⁺ (mg/l) | 467 | 202 | 78 | 10 |
Magnésium Mg²⁺ (mg/l) | 84 | 36 | 24 | 6 |
Hydrogénocarbonate HCO₃⁻ (mg/l) | 377 | 402 | 357 | 65 |
Tableau III
Répétabilité des mesures de TE par CAEFA.
Date | Heure | TE1 (mn) | TE2 (mn) | TE3 (mn) | TE5 (mn) | TEmoyen (mn) | ETR (%) |
---|---|---|---|---|---|---|---|
23/02 | 12 h 00–12 h 13 | 3,11 | 3,15 | 3,14 | 3,10 | 3,13 | 1,0 |
23/02 | 14 h 01–14 h 15 | 3,12 | 3,09 | 3,08 | 3,13 | 3,10 | 0,9 |
23/02 | 17 h 16–17 h 30 | 3,61 | 3,68 | 3,58 | 3,63 | 3,63 | 1,1 |
23/02 | 22 h 18–22 h 28 | 4,41 | 4,42 | 4,26 | 4,45 | 4,33 | 1,7 |
24/02 | 00 h 24–00 h 34 | 4,81 | 5,07 | 5,12 | 5,20 | 5,04 | 3,1 |
24/02 | 05 h 15–05 h 26 | 5,51 | 5,79 | 5,69 | 6,03 | 5,85 | 2,3 |
24/02 | 10 h 03–10 h 13 | 5,93 | 4,65 | 4,49 | 4,42 | 4,87 | 1,9 |
24/02 | 16 h 57–17 h 07 | 5,33 | 5,79 | 5,84 | 6,15 | 5,92 | 2,6 |
En exprimant la potentialité thermodynamique d’entartrage par l’indice de Langelier [8], on obtient la corrélation de la figure 3.
Surveillance de la menace d’entartrage par l’eau des circuits de refroidissement à la centrale de Nogent-sur-Seine
Après optimisation des conditions opératoires, la maquette automatique du concept CAEFA a été installée sur la centrale de Nogent.
Les résultats de la première série de mesures sur le site de Nogent sont présentés sur la figure 4.
On en déduit les constatations suivantes :
- • Bien que l’eau utilisée soit une eau brute dont l’appoint vient directement de la rivière (Seine) sans pré-traitement, la répétabilité des mesures du TE est satisfaisante. La courbe passant dans le nuage de points est bien définie. Le tableau III récapitule les résultats du traitement statistique du TE à différents moments durant cette série de mesures ; en général, l’écart-type relatif sur cinq valeurs consécutives ne dépasse pas 3 %.
- • La variation du TE correspond bien aux événements relatifs à l’injection d’acide et au fonctionnement du circuit 1CRF. Autrement dit, le CAEFA a détecté sans retard les changements des caractéristiques de l’eau :
- – dans la journée du 23/02/93, il s’est produit un arrêt de vaccination de 10 h à 12 h : le TE diminue considérablement pendant deux heures (début de la courbe). Le TE ne réaugmente légèrement qu’à partir de 13 h. La tendance à l’augmentation du TE se maintient pendant les 20 heures qui suivent, surtout pendant la nuit. Le TE atteint son maximum à l’aube du 24/02, ce qui est parfaitement en cohérence avec la baisse nocturne de la température ;
- – le lendemain, les événements suivants ont eu lieu : isolation d’un poumon du condenseur pendant quelques heures, puis isolation d’un secteur de l’aéroréfrigérant. Ces événements sont également bien détectés : le TE chute brutalement, il reste assez court pendant plusieurs heures et puis diminue encore légèrement. Le TE réaugmente à partir de 13 h lorsque les opérations sont terminées.
Mesures effectuées du 5 au 11 mai 1994
Les résultats sont présentés dans la figure 5. Les variations du TE correspondent aux événements influençant les caractéristiques de l’eau (tableau IV) :
- • la baisse de charge et la remontée de puissance sont des transitoires cou-
Tableau IV
Évolution des conditions fonctionnelles de la tranche (circuit 1CRF).
Repères | Date | Heure | Conditions de fonctionnement du circuit |
---|---|---|---|
A | 06/05/94 | 0 h | Baisse de charge |
B | 06/05/94 | 7 h | Remontée de puissance |
C-D | 07/05/94 | 11 h – 22 h | Augmentation de la température |
E | 09/05/94 | 4 h | Baisse de charge |
F | 09/05/94 | 7 h | Remontée de puissance |
G-H | 10/05/94 | 8 h – 19 h | Augmentation de la température |
I | 11/05/94 | 1 h | Baisse de charge |
J | 11/05/94 | 7 h | Remontée de puissance |
Dans l’exploitation de la Centrale, comme le débit d’appoint est constant, le réglage de la puissance entraîne systématiquement une variation de température ainsi qu’une variation du facteur de concentration. Lors de la baisse de charge, la puissance déversée au condenseur diminue, la température diminue, l’évaporation, donc le facteur de concentration, deviennent moins importants et la menace d’entartrage s’éloigne. Dans le cas d’une remontée de puissance, le phénomène est inversé, la menace d’entartrage se rapproche.
• Quand la tranche est en fonctionnement nominal, l’augmentation naturelle de la température pendant la journée provoque souvent le rapprochement de la menace d’entartrage.
Les variations du TE démontrent que la régulation actuelle de l’injection d’acide n’est pas suffisante. En fait, la méthode Tacatel ne prend en compte parmi les paramètres influençant l’entartrage que ceux mesurables de façon classique ; la régulation du débit d’acide n’arrive pas à maintenir suffisamment éloignée, d’une marge constante, la menace d’entartrage.
Conclusion
Le montage expérimental CAEFA mesure automatiquement, en direct et en continu, le temps d’entartrage (TE) d’une électrode mise en présence d’une eau étudiée. Ce TE représente au mieux, selon les connaissances actuelles et dans les limites des essais et observations effectués dans un circuit de refroidissement (CRF) de la Centrale Nucléaire de Nogent-sur-Seine, la menace d’entartrage du condenseur et de l’aéroréfrigérant.
Inspiré du CAEFA, un capteur industriel (en cours de finition) permettra d’améliorer la régulation d’acide, en apportant au régulateur une correction optimale sur le débit injecté dans le circuit pour éloigner la menace d’entartrage.
En dehors de l’application spécifique à un circuit de refroidissement de centrale, le futur capteur Vigitartre peut être applicable dans beaucoup d’autres domaines ; par exemple, surveiller la dose de chaux ajoutée dans un traitement de décarbonatation, tester l’efficacité des produits ou procédés antitartre, optimiser le traitement antitartre de procédés industriels utilisant l’eau comme fluide réfrigérant...
Bibliographie
[1] COMBAZ P., Rapport d’études interne EDF : « Prévention de l’entartrage de l’eau de circulation – Progression des mesures et contrôles », avril 1991.
[2] LEDION J., LEROY P., LABBE J.-P., Détermination du caractère incrustant d’une eau par un essai d’entartrage accéléré. TSM-L’EAU, p. 323-328, juillet-août 1985.
[3] LIN W., Thèse de Doctorat, « Caractérisation du pouvoir entartrant d’une eau et de sa modification par un procédé électrolytique », Université Pierre et Marie Curie, Paris, 1991.
[4] LEROY P., LIN W., LEDION J., KHALIL A., Caractérisation du pouvoir entartrant des eaux à l’aide d’essais d’électrodéposition – étude comparative de plusieurs méthodes. AQUA, vol. 42, n° 1, pp. 23-29, janvier 1993.
[5] Société RIME S.A., rapport d’études pour EDF : Mesure automatique du pouvoir entartrant – Étude du nettoyage automatique de l’électrode – Expérimentation sur le brossage mécanique, juillet 1992.
[6] Société RIME S.A., rapport d’études pour EDF : Mesure automatique du pouvoir entartrant – Informatisation du montage chronoampérométrique à électrode fixe – programme de traitement du signal, décembre 1992.
[7] Société RIME S.A., rapport d’études pour EDF : Mesure automatique du pouvoir entartrant – Mise au point et suivi des mesures automatiques du pouvoir entartrant, mars 1993.
[8] LANGELIER W.F., The Analytical Control of Anticorrosive Water Treatment, J. Amer. Chem. Waters Work Asso., vol. 28, p. 1500, 1936. ■