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Dépollution des sols et des nappes : réduire les délais et limiter les coûts

27 février 2018 Paru dans le N°409 à la page 27 ( mots)
Rédigé par : Antoine BONVOISIN

Les projets de réhabilitation de friches industrielles doivent en permanence faire face à des problématiques de coûts et de délais qui conditionnent généralement la conduite des travaux et le choix des techniques employées. Si les traitements in situ offrent l’avantage de limiter sensiblement les coûts, ils ne répondent pas toujours aux délais impartis. Cependant, l’amélioration des méthodes de traitement des sols et nappes polluées et du diagnostic des sites permet aujourd’hui de favoriser la mise en œuvre de projets plus efficients.

Les techniques de traitement des sols et nappes pollués sont aujourd’hui bien définies et ont fait leurs preuves. Les procédés physicochimiques, thermiques, biologiques, ou le confinement, sont les méthodes employées en routine sur le terrain, que ce soit in situ, ex situ ou hors-site. Le choix d’une technique ou d’une autre dépend ensuite de différents paramètres, tels que la taille du chantier, le type de pollution, la nature du sol, les délais impartis à la décontamination, les risques pour les opérateurs, les coûts des traitements… etc.

L’excavation et le stockage : les techniques les plus répandues

Selon un rapport de l’ADEME, les méthodes les plus utilisées restent le confinement in situ (25,4 %), le stockage de déchets hors-site (25 %), le traitement biologique hors-site (11,8 %), le venting et bioventing in situ (11 %) et le stockage de déchets non dangereux (8,8 %).
Les coûts moyens associés aux techniques utilisées sont très variables. On passe ainsi de 75 €/t transport compris pour un traitement-valorisation des terres hors site en biocentre, à 15 € la tonne pour le venting et bioventing in situ.

De manière générale, les traitements hors-site sont plus coûteux que les traitements in situ ou sur site, avec des coûts compris entre 45 €/tonne et 135 €/tonne selon les filières de traitement, contre 10 €/tonne et 40 €/tonne pour les traitements sur site et in situ.

En outre, les traitements in situ sont globalement moins coûteux que les traitements sur site : les coûts des traitements sont compris entre 10 €/tonne et 30 €/tonne, contre 30 €/tonne à 40 €/tonne en moyenne pour les traitements sur site.

Aujourd’hui, « L’excavation reste la technique la plus répandue, le traitement dépend ensuite de la pollution et est effectué par les centres de traitements » témoigne Gaël Plassart, membre Fondateur et Directeur d’Envisol.

Les techniques in situ, moins onéreuses mais plus lentes à mettre en œuvre ? « Oui cela reste une réalité encore aujourd’hui », confirme Patrice Imberti, Directeur Général de l’activité Remédiation de Suez en France. Cette filiale de Suez est l’un des principaux acteurs du domaine, en France et à l’international. Elle met en œuvre toutes les techniques de réhabilitation, et intervient en milieu industriel comme en milieu urbain, notamment, dans le cadre du Grand Paris Express. « Les techniques in situ restent toujours plus longues à mettre en œuvre et à opérer. On doit traiter un sol souvent dans ses différentes composantes en mettant en œuvre plusieurs technologies dans un milieu complexe qui est multiphasique. Il en résulte des temps d’action plus longs pour les techniques employées ».

Gaël Plassart partage cet avis. « Aujourd’hui, les techniques de dépollution par excavation, qui sont plus chères, sont toujours privilégiées. Elles ont l’avantage d’être plus rapides et d’assurer la réalisation d’un projet contraint dans le temps. Ceci étant, dans le cas des friches industrielles, pour lesquelles nous avons généralement plus de temps pour les requalifier, il est intéressant de mettre en œuvre des techniques in situ, plus longues mais moins onéreuses ».

« Les terres polluées redevables d’une évacuation en filière de type inerte, inerte aménagée ou bien déchets non dangereux représentent la majorité des déblais issus des travaux d’aménagement et de construction, détaille de son côté Jean-Daniel Vilomet, Directeur chez Remea. Compte tenu des coûts modérés d’évacuation/traitement, la contrainte du délai devient la plus importante. Ainsi, les solutions dites hors site sont utilisées ; il ne s’agit pas vraiment de travaux de dépollution mais de gestion de déblais au sein des filières les mieux adaptées. Les grands travaux actuels dans l’agglomération parisienne amènent les acteurs du BTP et du stockage des déchets à développer des plateformes de transit/prétraitement des terres afin de limiter les quantités envoyées en installation de stockage et de favoriser l’élaboration de matériaux recyclés. Les terres polluées redevables d’une évacuation en filière spécifique (désorption thermique, biopile) ou bien déchets dangereux représentent un tonnage plus faible et nécessitent un traitement hors site plus coûteux. De plus, il ne s’agit plus de gérer des déblais mais bien de travaux de dépollution c’est-à-dire à réduire le risque sanitaire lié à l’usage futur du site. Dans cette situation, les contraintes délai, prix et technicité tendent à s’équilibrer ; les clients ouvrent donc l’éventail des techniques possibles ».


Les méthodes in situ privilégiées

Certaines entreprises privilégient les méthodes in situ qui évitent notamment de faire appel aux services de traitements hors site et de stockage des déchets. C’est le cas d’Antea Group. « Ce que l’on cherche à promouvoir ce sont des solutions in situ, qui, bien qu’elles nécessitent beaucoup plus d’ingénierie, avec une phase d’essai préalable, en laboratoire ou avec des essais pilotes, permettent de faire des économies significatives par rapport aux techniques d’évacuation » explique Yves Guelorget, Directeur Technique du métier Environnement d’Antea Group. « Ces techniques permettent d’éviter d’évacuer des déchets vers des centres de stockage, et de devoir ramener de la terre sur le site traité. Notre plus-value consiste à trier les terres et minimiser leur évacuation vers des centres de traitement et de stockage, pour éviter les coûts trop importants et les erreurs d’aiguillage ».

Mais comment répondre aux problématiques de délais, qui sont souvent allongés dans le cas de traitements in situ ? Pour Yves Guelorget, « Avec un phasage des projets de dépollution tout au long de l’aménagement et de la construction, les délais peuvent tout à fait être anticipés. Finalement, les reconversions sont des chantiers assez longs qui s’étalent dans le temps ». Antea Group intervient d’ailleurs de plus en plus sur des missions de conseil sur le phasage des projets, étape qui revêt aujourd’hui une importance capitale. Des contraintes administratives et réglementaires s’ajoutent aujourd’hui aux contraintes techniques, comme par exemple l’obtention des permis de construire ou d’aménagement avec la loi Alur. Ces contraintes doivent être toutes considérées pour planifier les opérations.

Yves Guelorget cite un exemple récent : « Pour un projet de construction sur un ancien site automobile nous avions une problématique de pollution par du chrome. Dans ce genre de situation, une solution rapide est l’évacuation hors-site en classe 1. Nous avons proposé une solution alternative consistant à faire de la réduction chimique sur site, donc avec une excavation et un traitement des terres, pour transformer le chrome 6 en chrome 3 qui n’est pas toxique ni mobile ». Cette opération a coûté 400.000 euros, contre environ 1,2 million si une évacuation avait été mise en œuvre, avec une durée de traitement de 2 mois, donc intéressante du point de vue du délai pour faire une économie conséquente.

Plusieurs acteurs comme Colas Environnement, Remea, Soleo Services, Serpol ou ATI Services ont largement développé les techniques in situ ces dernières années. Celles-ci permettent d’éviter de sortir les terres du site, de façon à ne pas avoir besoin de sous-traitance.

Laurent Thannberger, Directeur Scientifique et Technique en environnement de Valgo, considère que les techniques in situ ne prennent pas forcément beaucoup de temps. « Pour une oxydation chimique par exemple, nous menons une campagne de 15 jours pour injecter, ensuite il y a un suivi de plusieurs mois mais la période d’intervention est terminée et on peut travailler sur le terrain, en prévenant les effets rebonds. Avec les méthodes thermiques, c’est assez équivalent, nous avons des chantiers qui peuvent durer 3 ou 4 mois ».

Chaque site est unique, et nécessite de trouver pour chaque cas la technique de dépollution la plus adaptée. Tout type de technique peut être efficace pour peu que la pollution du site ait été bien caractérisée en amont. Les problèmes de dépassement de coûts ou de délais sont d’ailleurs souvent liés à une mauvaise évaluation et caractérisation de la pollution au stade initial du projet.
La réglementation, qui a évolué à ce niveau en 2017 avec le Plan de Conception de Travaux (PCT), impose désormais la réalisation de tests d’essais pour valider l’efficience d’une dépollution. Cette disposition permet aujourd’hui d’éviter les erreurs et de faire des économies sur les chantiers engagés.

COLAS Environnement, qui réalise des pilotes de faisabilité et de dimensionnement depuis plus de 15 ans, accueille cette évolution réglementaire favorablement. « Notre besoin interne nous a conduit à nous structurer en conséquence : skids mobiles, laboratoire, personnel spécialisé,… Aujourd’hui, le PCT va permettre de valoriser cette ingénierie en l’intégrant plus efficacement dans la gestion et le phasage des projets » précise Jérôme Rheinbold, Directeur de COLAS Environnement. Vincent Gisel, Responsable Commerciale de COLAS Environnement, a déjà constaté une évolution du marché : « Bien que certains clients aient identifié depuis longtemps qu’il s’agit d’un très bon investissement, historiquement cette activité est majoritairement utilisée en interne, à différents stades des chantiers que nous réalisons. Avec l’intégration du PCT dans la nouvelle méthodologie les demandes de prestations externes sont en augmentation ». Cette disposition permet aujourd’hui d’éviter les erreurs et de faire des économies sur les chantiers engagés.

Au-delà des techniques dites classiques telles que le venting, le criblage ou la biopile, se développent des solutions sur site ou in situ apportant plus de maîtrise sur les coûts et les délais de mise en œuvre. « L’objectif n’est plus de subir les caractéristiques du terrain, le traitement devient actif, explique Jean-Daniel Vilomet chez Remea, qui cite l’injection par tubes à manchettes, le soil mixing, le malaxage sur site ou le lavage des terres. Toutes ces techniques peuvent être mises en œuvre pour des chantiers de toute taille et offrent l’avantage de traiter pour la plupart simultanément les sols et les eaux souterraines. Le caractère actif de ces techniques permet d’apporter des engagements quand elles sont dimensionnées sur la base d’un plan de conception travaux : délai, coût, technicité. Ainsi, les travaux de dépollution gagnent en fiabilité ; ils pourront mieux s’intégrer dans les projets de construction ou d’aménagement ».

Affiner les diagnostics

Une autre façon d’optimiser les coûts liés aux traitements des sols pollués, et de réduire les délais, serait aujourd’hui d’améliorer le diagnostic des sites en amont. C’est ce sur quoi travaillent des opérateurs comme Dekra ou Alcor Contrôles qui cherchent à optimiser et faciliter la requalification. Le but est de poser le diagnostic le plus précis possible avant de dépolluer.

Gaël Plassart, chez Envisol, précise les contours de cette méthodologie novatrice : « Nous avons développé des solutions pour avoir des informations en temps réel, pour connaître la quantité de pollution au moment où l’on réalise les sondages, et s’il faut effectuer d’autres sondages ou non. Jusqu’à maintenant, il s’agissait de faire des analyses au coup par coup, dans des laboratoires extérieurs. Nous utilisons soit des capteurs développés pour d’autres applications et qui ont été adaptés, soit nos propres capteurs que nous avons développés, pour pouvoir faire de l’analyse en direct sur le terrain ».

Cette approche semble prometteuse car les premières estimations montrent qu’elle permettrait de réaliser 30 % d’économies sur la phase de diagnostic, et de gagner 50 % de temps. Sur la globalité du projet, ce diagnostic en continu permettrait d’enregistrer des gains compris entre 10 et 50 %.

« Une fois que les analyses en temps réel ont débuté, nous pouvons modéliser la pollution en 3D dans les sols, et évaluer précisément la pollution sur les zones pour lesquelles il y a beaucoup d’incertitude. Habituellement, la dépollution est évaluée de manière un peu empirique, donc avec des erreurs, et cela engendre des surcoûts. Avec notre méthode, nous parvenons à bien quantifier les volumes à dépolluer, ce qui permet de faire des économies conséquentes » explique Gaël Plassart. « Ce type de diagnostic innovant est déjà pratiqué aux États-Unis et le sera a priori de plus en plus en France où nous sommes les précurseurs ».

Ce modèle de diagnostic peut bien sûr être appliqué pour tout type de pollution, et peut être adapté in situ, ex situ, ou hors-site.

Actuellement, Envisol réalise ce genre de diagnostic sur le projet du Grand Paris Express. Les mesures mises en place permettent ainsi de caractériser les déblais des tunneliers en temps réels, pour éviter d’avoir à les stocker en milieu urbain. L’entreprise intervient également sur un ancien site industriel basé à Pont-de-Claix (38), dans la périphérie de Grenoble. La commune souhaite y faire un aménagement dans 8 ans, avec des logements et quelques commerces.

« Nous avons mené des réflexions sur l’usage temporaire possible du site en attendant 8 ans que l’aménagement soit fait. Nous avons proposé plusieurs types de dépollutions classiques pour avancer sur la principale partie du chantier, mais nous utilisons aussi ce site pour tester de nouvelles méthodes de dépollution, par exemple pour le traitement de PCB » indique Gaël Plassart. « Nous mettons également en place un système innovant de monitoring de la dépollution, avec la géophysique, pour suivre en direct la dépollution, et savoir où il faut agir pour gagner du temps ».

L’amélioration du diagnostic pollution et plus particulièrement une meilleure caractérisation des sources de pollution est un préalable nécessaire, à la fois pour le choix de la (des) technique(s) de dépollution la (les) plus pertinente(s) mais aussi pour leur dimensionnement. Dans ce contexte, Burgeap a développé différentes méthodologies fondées sur des projets de Recherche & Développement pour la caractérisation des sources de pollution de type NAPL (Non Aqueous Phase Liquid), typiquement des hydrocarbures pétroliers (LNAPL) ou des composés organo-halogénés volatils (DNAPL). « Ces méthodologies comprennent à la fois des stratégies de diagnostic (MACAOH, FLUXOBAT, …), des protocoles d’échantillonnage/analyses (par exemple le protocole MACAOH pour les composés volatils ou le protocole SoSie pour les sols contenant du NAPL mobile (“hydrocarbures flottants”)), des capteurs temps réel (par exemple des capteurs couplés à des engins de forage permettant de préciser la présence/absence de NAPL), des outils de modélisation pour interpréter les données (par exemple les logiciels OREOS ou SAMBBA), estimer les volumes de polluants (outils géostatistiques), évaluer les risques sanitaires de façon spatialisée (CARTORISK) ou dimensionner un procédé de dépollution in situ (logiciels SIMUSCOPP, CubicM, …) », explique Jean-Marie Côme, directeur R&D chez Burgeap.

Jean-Pierre Vanbaelinghem, Président Directeur Général de Le Floch Dépollution, confirme l’importance d’un bon diagnostic tout en faisant remarquer que son optimisation (coûts, délais, résultats etc.) doit être recherchée. « De plus cette phase “avant-travaux” (diagnostics/appel d’offres/processus achat/contractualisation) ne doit pas être trop pénalisante en réduisant d’une manière importante la phase “travaux” (délai restant), explique-t-il. Il précise également qu’en dehors des points évoqués de réduction des délais et limitation des coûts, « une vraie dépollution doit être axée sur une réduction des volumes à la source (réutilisation maximum des matériaux traités et valorisation maximum des terres restantes, comme lors des opérations de dépollution de l’ex-site AZF à Toulouse) ». Il évoque la combinaison des méthodes de dépollution, primordiale pour une dépollution optimale y compris à l’international (exemple : travaux de dépollution à Pointe-Noire, Congo).

Quelles innovations dans le secteur de la dépollution ?

En dehors de l’amélioration du diagnostic, quelques innovations sont à noter en matière de dépollution des sols et nappes. Notamment, Suez qui développe tant en matière de traitements in situ qu’en traitements hors site avec la mise en place d’un réseau de plateformes Neoter® : des installations qui permettent de rapprocher des chantiers un ensemble de solutions de traitement hors-site. Une méthodologie qui combine l’efficacité de l’excavation avec la proximité des services de traitement. « Ces installations sont notamment très intéressantes pour des projets qui s’inscrivent dans des programmes de renouvellement urbain. Dans le cadre d’un projet concernant l’agglomération de Lyon par exemple, nous ne pouvions traiter in situ au regard des contraintes de temps imposées par le planning d’aménagement et de restitution des terrains, nous avons donc utilisé ce type de plateformes » explique Patrice Imberti chez Suez Remediation. « Ces installations permettent au client de réaliser des économies conséquentes, en optimisant la prise en charge des matériaux : leur transport, les opérations de tri et de prétraitement, et les outils de traitement ».

Au niveau des techniques de traitement, ces dernières années n’ont pas connu de changements significatifs, mais plutôt des optimisations des méthodes actuelles.

C’est par exemple le cas des techniques de stabilisation ou d’inertage des pollutions, maîtrisées par Remea, Ortec ou Ikos Environnement : cette approche consiste à mélanger un sol avec un liant chimique pour engendrer un complexe stable pendant plusieurs années. L’objectif, avec ce genre de produits, est d’obtenir une stabilité pendant 50 ou 60 ans.

On note par ailleurs quelques avancées sur le réemploi des terres polluées : des plateformes multimodales de tri et de revalorisation des terres se sont créées par Biogénie, GRC, GRS Valtech, Ikos Sol Meix, Envisan, Extract Ecoterres, Ortec, ou encore Suez. Les terres sont excavées, envoyées sur un site, traitées et lavées. Cela permet de les réutiliser plutôt que de les enfouir dans des centres de stockage. Ces installations peuvent aussi être utilisées pour accélérer les possibilités d’exportation et de valorisation vers la Belgique. En effet, ces plateformes permettent d’obtenir des autorisations d’export permanentes. Il est alors possible d’évacuer des terres dans un délai de seulement 3 jours, au lieu de plusieurs semaines habituellement (quand un dossier export spécifique doit être réalisé pour chaque chantier). Pour gagner en réactivité et en vitesse d’évacuation, GRC-Kallo (centres de recyclage dans les ports d’Anvers et de Zeebrugge) s’appuie désormais sur des plateformes de regroupement à Dunkerque et Strasbourg.

Les techniques appliquées in situ, notamment chimiques ou thermiques, ont connu également certaines améliorations. Pour les techniques chimiques, celles-ci portent sur le type de composé injecté dans le sol, où sur la manière de les injecter. En réduction chimique, des solutions de Fer zéro peuvent par exemple être injectées avec des solutions de matière organique, pour avoir un double effet, chimique et biologique. Sur les techniques d’injection, Yves Guelorget, Antea, explique que « Les ouvrages dirigés, une technique utilisée en géothermie, permettent de faire des injections sous les bâtiments, et cela peut être utilisé pour les opérations de dépollution sur des sites en activité ».

Yves Guelorget poursuit : « L’évolution la plus importante que l’on constate est qu’auparavant, ces techniques servaient à maîtriser un ensemble de pollutions dissoutes, on était dans la maitrise des impacts, on attaquait de faibles concentrations. Avec l’amélioration des techniques, on peut maintenant s’attaquer à des concentrations de polluants plus élevées, on s’attaque aux sources de pollution pour réellement dépolluer ».

Le défi pour les techniques chimiques est d’avoir un produit qui est à la fois réactif et durable, ce qui peut sembler antagoniste. Le but est de limiter le nombre de campagnes d’injection. Pour répondre à cette problématique, une autre innovation consiste à utiliser des particules de fer de plus petite taille, et enrobées d’une enveloppe, afin d’étaler leur effet dans le temps pendant plusieurs années avec une libération progressive des particules. Les techniques biologiques ne sont pas en reste, par exemple COLAS Environnement, le BRGM, le Laboratoire Géomatériaux et Environnement de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et le Laboratoire Réactions et Génie des Procédés de l’Université de Lorraine ont initié un partenariat de recherche sur la production de biosurfactant permettant la mobilisation et la biodégradation les HAP. Ce projet fera l’objet d’une présentation à la conférence Battelle en avril prochain.

Mais la principale évolution dans le secteur semble résider dans la combinaison des techniques, comme le confirment la plupart des acteurs, dont Patrice Imberti, Suez Remediation : « Les techniques actuelles ont prouvé leur robustesse. Notre force aujourd’hui est de savoir et de pouvoir combiner ces solutions pour être encore plus efficace. Par une approché intégrée et globale, nous pouvons appliquer une combinaison de techniques de manière ciblée, selon la configuration du sol, la nature des polluants et leurs concentrations. Cela permet de prendre en compte la complexité des situations, et d’adopter des solutions mixtes de traitement in situ, on site ou hors-site. Les essais pilotes réalisés au préalable dans nos laboratoires permettent également de tester la faisabilité des solutions envisagées, la pertinence de nos choix techniques et de définir les paramètres de dimensionnement des projets. Ces approches contribuent notamment à la robustesse des solutions que nous proposons ».

Aujourd’hui, les entreprises de dépollution ont donc intérêt à utiliser différentes techniques pour être plus efficaces, et s’adapter de manière plus fine au terrain. Si certaines techniques ont mal fonctionné par le passé, c’est généralement en raison d’une connaissance insuffisante du terrain.

Matthieu Hirrien, Responsable Études, Conception, Réalisation chez GRS Valtech, explique que les process de mise en œuvre des travaux ont également beaucoup évolué. « Avec la récente législation sur le PCT, on réfléchit en amont sur l’ingénierie, de façon à être plus robuste dans la gestion de projet. La manière dont on va appliquer les techniques va beaucoup dépendre de la gestion de projet. Certaines techniques ne pourront par exemple pas être appliquées si le cycle de vie du projet n’a pas été anticipé ».

Le phytomanagement : à la recherche d’une réelle traduction sur le marché

Un certain nombre d’études ont été menées pour développer la phytoextraction, qui permet d’extraire les polluants du sol via des végétaux, ou la phytostabilisation, pour stabiliser la pollution avec les plantes.
Malgré le fait qu’elles soient très prometteuses, ces techniques ont souvent été testées et approuvées en laboratoire, ou utilisées à petite échelle, mais n’ont pas encore réellement trouvé leur traduction sur le marché.

Laurent Thannberger, Valgo, explique qu’« Aujourd’hui, personne n’utilise les techniques de phytoextraction, elles n’existent que dans les laboratoires, et ne sont pas appliquées sur le terrain. Il y a par contre beaucoup de recherches dans ce domaine actuellement. Nous sommes en train de terminer un programme d’étude de 4 ans sur le sujet ».

Pour l’heure, ces techniques ont fait leurs preuves sur des terrains très étendus, en milieu naturel, sans fréquentation, par exemple sur des sites miniers.

Les freins à la mise en place du phytomanagement sont de plusieurs ordres. Ces méthodes sont complexes à mettre en œuvre, prennent du temps, et nécessitent que toutes les parties prenantes aient la volonté de les utiliser et de suivre leur efficacité sur le long terme. En outre, il existe une contrainte réglementaire sur la réutilisation de la biomasse fournie. La réglementation évolue et il devrait être possible d’utiliser prochainement cette biomasse pour différentes applications.

“Recycler” certaines friches industrielles

Dès sa création, Valgo a fait le choix de mettre en place un modèle novateur. Pour limiter le grignotage des terres agricoles dans les projets de remédiation, l’entreprise cherche à recréer des zones d’activité à la place des zones industrielles réhabilitées. Sur les projets qui le permettent, Valgo expérimente ainsi un modèle d’économie circulaire, en rachetant certains terrains à réhabiliter. Une sorte de “compostage d’entreprises”, comme l’exprime Laurent Thannberger avec humour. « C’est notre modèle d’ingénierie immobilière : démolition, dépollution, développement. Ce sont les projets finaux qui permettent de financer tous les travaux qui précèdent. Ce qui n’est pas en contradiction avec la réglementation puisque la démarche de dépollution nationale implique de dépolluer en conformité avec l’usage futur. On a donc formalisé ce concept, nous créons un projet immobilier et nous prenons en main tout le projet. Avec cette vision, nous sommes sortis de l’approche classique du dépollueur, qui consiste souvent à mettre en œuvre les techniques, sans l’accompagner d’une vision de long terme sur les projets ».

À titre d’exemple, sur la ville de Petit-Couronne, Valgo mène un projet de réhabilitation d’une friche suite à l’abandon d’un ancien site de raffinage. Bolloré Energie a racheté une partie de la raffinerie pour la transformer en site de stockage commercial. Les 90 hectares restants ont été rachetés par Valgo qui y met en œuvre des travaux de dépollution pour réinstaller des entreprises. Une manière également pour Valgo de limiter le nombre d’industries qui iront s’installer à la campagne, et donc le grignotage des terres agricoles.

Les particularités du milieu urbain

Le milieu urbain présente différentes particularités, et les interventions dans ce domaine nécessitent toujours de prendre en compte un certain nombre de contraintes.
La plateforme Brezillon de Longueil-Sainte-Marie a été conçue pour permettre une meilleure valorisation des terres polluées devant être évacuées hors site par l’exploitation des brevets de traitement développés par Brezillon, qui bénéficie de près de 20 ans d’expérience en travaux de dépollution. Elle offre toutes les garanties de sécurité, qualité et traçabilité et dispose d’un quai sur l’Oise pour des livraisons par voie fluviale, au bénéfice du bilan carbone des opérations.

La première est la densité de population : la proximité des riverains nécessite de prendre certaines dispositions. Comme l’évoque Patrice Imberti chez Suez Remediation, « Nous avons dû intervenir sur plusieurs chantiers, notamment au cœur de la petite couronne, sur des sols très chargés en polluants organiques, donc odorants, et nous avons dû confiner tout le chantier pour éviter les nuisances à l’encontre des riverains. Nos équipes ont un réel savoir-faire pour opérer dans ce type de configuration. Par ailleurs, un chantier qui dure dans le temps entraîne d’autres types de nuisances, visuelles, sonores, tout cela implique une organisation logistique bien adaptée ».

Cette proximité avec les habitants demande donc de « Faire des confinements dynamiques de nos activités, ce qui peut vite être lourd à mettre en place sur les projets » témoigne Matthieu Hirrien chez GRS Valtech. « Il faut en outre prendre en compte la problématique d’engorgement des réseaux routiers si on doit évacuer les terres vers l’extérieur après une excavation ».

Pour Matthieu Hirrien, une autre particularité en ville est que les opérations de travaux doivent toujours faire face à une couche d’environ 1 mètre en surface qui contient tous les résidus des activités humaines (métaux, plastiques, etc.). Cela doit être pris en compte car certaines techniques peuvent poser problème (comme le fait de chauffer en présence de plastiques), et il faudra aussi prendre en compte cette couche particulière si des opérations de tri des matériaux sont mises en œuvre.
Zone de traitement thermique in situ (Soil Venting Thermal Extraction) en cours d’installation. La technologie développée et mise en œuvre par GRS Valtech permet de traiter des sources de pollution très concentrées dans tous les contextes.

La troisième contrainte est celle de l’espace : « Le milieu urbain est toujours très contraint » explique Gaël Plassart chez Envisol. « La loi impose de maîtriser l’étalement urbain, il faut donc bâtir sur des terrains déjà construits, nous devons démolir, dépolluer et reconstruire au même endroit, et cela incite à réutiliser les matériaux directement plutôt que de les évacuer et en prendre de nouveaux. Des efforts sont également réalisés pour le tri et le traitement directement sur le site ».

La taille du site conditionne d’ailleurs les techniques utilisées. Il faut souvent faire appel à des installations spéciales pour atteindre la pollution en profondeur. Cet aspect, ajouté au confinement, peut parfois représenter jusqu’à 20 à 30 % du coût du projet global.

« En milieu urbain, les techniques de désorption thermique in situ ont le vent en poupe, parce qu’elles permettent de dépolluer à pratiquement 100 % les pollutions aux hydrocarbures, sans devoir excaver, et cela même sous des bâtiments existants, explique-t-on chez Haemers technologies. L’ISTD en cela a permis d’apporter les solutions techniques à des problèmes de pollution jusqu’ici techniquement intraitables ». Reste que l’environnement urbain implique souvent de devoir excaver et évacuer les terres. Simplement parce que « Nous devons généralement créer trois étages de parking souterrain, ce qui implique donc une excavation des terres dans tous les cas » explique Laurent Thannberger chez Valgo. « Et dès qu’il faut être rapide, ou s’il y a des contraintes de place ou de voisinage, il faut également évacuer les terres ». L’excavation entraîne des coûts plus importants pour les projets, mais ceux-ci peuvent être compensés par la valeur plus forte des terrains en ville.

Des projets toujours plus efficients

Ces prochaines années verront probablement de nouvelles techniques se développer, comme avec le phytomanagement, approche prometteuse qui doit répondre encore à un certain nombre de contraintes.
Sur les 45 ha de la ZAC Novaciéries à St Chamond (42) impactés par des Hydrocarbures, HAP, PCB et métaux lourds (As,Pb,..) Hub Environnement a mis en œuvre une plateforme interne multimodale de traitement des sols (6.000 m²) pour assurer la réduction des coûts. 100.000 m³ de terres polluées ont été traitées et revalorisées sur le site, induisant une économie de près de 4 millions d’euros par rapport au budget du plan de gestion initial.

Certaines entreprises réalisent actuellement différentes études en R&D pour mettre au point de nouvelles méthodes d’analyses et de traitements. C’est le cas de Valgo par exemple, qui s’intéresse à l’utilisation de la géophysique pour le diagnostic et le suivi en dimensions réelles des chantiers depuis la surface. C’est le cas de Serpol qui développe l’utilisation de mousse in situ pour confiner les zones sources de pollution puis optimiser leurs traitements. Autre piste de recherche, toujours avec Valgo : l’électro-remédiation, c’est-à-dire l’utilisation d’un courant électrique pour mener des opérations de dépollution. Mais ces méthodes n’en sont encore qu’au stade du laboratoire.

Au-delà de l’amélioration des techniques de traitement, c’est aujourd’hui l’amélioration du diagnostic, de la conception des travaux et la combinaison des méthodes de dépollution qui semble permettre d’envisager des projets plus efficients en matière de réhabilitation des friches industrielles.



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