Le chantier est exceptionnel à plus d’un titre, entre les contraintes de temps, l’utilisation d’une solution technique nouvelle pour un aqueduc enterré, le fait que l’ouvrage contribue à alimenter 20 % de l’eau potable distribuée à Paris, etc.
La base vie se trouvait au détour d’une route communale à la sortie ouest de Villabé (Essonne), mais rien n’indiquait qu’Eau de Paris réalisait, ici, entre septembre et décembre 2025, un chantier exceptionnel dans le cadre de son Plan pluriannuel d’investissement (PPAI 2021-2026). Il s’agissait en effet de la réhabilitation d’un tronçon de 750 mètres linéaires – entre les communes de Lisses et Villabé – de l’aqueduc du Loing, « une installation particulièrement stratégique du schéma d’alimentation de Paris, et qui est l’un des cinq vecteurs d’approvisionnement en eau potable[1] et l’un des quatre grands aqueducs historiques alimentant la capitale et la zone interconnectée ».
« Nos aqueducs historiques représentent un réseau d’une longueur totale de 470 km. Les plus anciens sont en fonctionnement depuis plus de 150 ans, les plus récents depuis une centaine d’années. Entre les aqueducs, les réservoirs, les réseaux, les usines de production, etc., notre patrimoine représente une valorisation de l’ordre de 15 milliards d’euros. Un tel patrimoine requiert un investissement considérable mais nous pouvons nous appuyer notamment sur une stratégie d’investissement raisonné », rappelle Benjamin Gestin, directeur général d’Eau de Paris.
Mis en service le 11 juin 1900, l’aqueduc du Loing, long de 95 km, achemine jusqu’au réservoir de Montsouris, d’une manière gravitaire, les eaux captées dans les vallées du Loing, du Lunain et de la Voulzie, et dans le champ captant « Vals de Seine ». « L’eau, qui met entre 30 et 36 h pour couvrir les 95 km, est prétraitée vis-à-vis des micropolluants dans les usines de Sorques, située à Montigny-sur-Loing, et de Longueville (près de Provins), et elle subit une désinfection aux UV au sein de l’usine de la Porte d’Arcueil », indique Alban Robin, directeur à la direction de la ressource en eau et de la production d’Eau de Paris.
Bien que discret, car très majoritairement enterré pour assurer une bonne protection thermique de l’eau, l’aqueduc affiche un diamètre intérieur de 2,5 mètres et une capacité de transport de 210 000 m3 par jour, soit 20 % de l’approvisionnement en eau potable de Paris.
Plusieurs défis à relever
Pour ce projet de réhabilitation, Eau de Paris et les entreprises prestataires étaient confrontés à plusieurs défis. Il y avait d’abord la contrainte de temps parce que l’arrêt technique[2] programmé de l’aqueduc ne durait que quatre mois (entre août et décembre 2025), et que le prochain arrêt ne serait que dans quatre ans – les cycles d’arrêt d’eau passeront tous les trois ans. Bien que la structure maçonnée de l’ouvrage soit en très bon état général, ce secteur spécifique traverse une zone géologique instable (retrait et gonflement d’argile) et une nappe aquifère affleurante.
« L’instabilité du sol génère des contraintes mécaniques sur l’aqueduc, susceptibles de provoquer des microfissures et des désordres sur l’ouvrage. Et la nappe alluviale remonte fortement, notamment en période hivernale, immergeant partiellement l’aqueduc avec des infiltrations d’eau extérieure non maîtrisées », explique Arnaud Lefort, directeur adjoint à la direction de l’ingénierie et du patrimoine d’Eau de Paris.
L’aqueduc avait fait l’objet d’une rénovation par les méthodes traditionnelles en 1999-2000, mais les équipes d’Eau de Paris avaient observé, lors des dernières visites, des petites traces de calcite (calcaire), signes de la présence de fissures dans l’aqueduc. « Nous nous sommes rendus compte qu’il fallait faire évoluer la technique de réparation et les études nous ont amené à choisir une solution technique nouvelle pour un aqueduc enterré, le tubage. Le principe repose sur l’ajout d’une seconde peau à l’intérieur de l’aqueduc de telle manière à pouvoir assurer une étanchéité parfaite, à limiter les risques de fissuration à moyen et long termes, et à encaisser la charge exercée par la terre au-dessus (en cas de menace de ruine) et les pressions hydrostatiques », résume Arnaud Lefort.
Le tubage intégral de la section
Le tubage intégral de la section concernée est fait par des tuyaux en polyéthylène haute densité (PEHD) à paroi structurée de 2,1 m de diamètre. Ce matériau a été privilégié pour sa parfaite étanchéité sanitaire avec une résistance élevée aux pressions hydrostatiques et à la fissuration à long terme. Un coulis de ciment est ensuite injecté dans le vide annulaire – l’espace entre l’ancienne maçonnerie et le nouveau tube – pour solidariser l'ensemble.
« Pour pouvoir manutentionner les tubes de 6 m de long, un puits d’environ 8 m a été réalisé et des rails ont été ajoutés à l’intérieur de l’aqueduc pour limiter la résistance lors du déplacement des tubes. La particularité des tubes utilisés réside dans leur forme en Z au niveau des points de jonction, ce qui permet de bien les aligner. Et une soudure par extrusion permet d’assurer une étanchéité parfaite », ajoute Arnaud Lefort.
Une fois la remise en eau effectuée mi-décembre, la partie réhabilitée de l’aqueduc du Loing, qui a représenté un projet d’un montant de 2,39 millions d’euros HT, contribuera à la résilience de l’alimentation en eau de la capitale et de l’ensemble de la zone dense parisienne. Une seconde phase de travaux est d’ores et déjà programmée sur la période 2027-2032 pour poursuivre la sécurisation de l’ouvrage sur la commune de Lisses.
[1] La ville de Paris est alimentée à 50 % par des ressources en eau de surface (Marne et Seine) et à 50 % par de l’eau souterraine provenant de puits et de sources.
[2] Les arrêts d’eau n’ont aucun impact sur la distribution d’eau à Paris grâce au schéma d’alimentation d’Eau de Paris diversifié et résilient

