Face à l'augmentation des cas de légionellose ces dernières années, la lutte contre la légionelle s'organise. Parmi les nouvelles dispositions réglementaires, la Circulaire DGS n° 2002/243 du 22 avril 2002, fournit enfin une synthèse et des éclaircissements très pertinents sur les différentes phases de la prévention légionelles. Dans ce contexte, l'APAVE témoigne de son retour d'expérience des diagnostics des installations de production et de distribution d'eau chaude sanitaire.
Depuis quelques années, les cas de contamination par la bactérie de la légionelle sont en constante augmentation : de 440 cas déclarés en 1999 en France à 610 pour l'année 2000 dont environ 90 cas mortels (soit une létalité provisoire de près de 15 %). Pourquoi une telle progression de cette maladie ? Essentiellement parce que depuis 1987, date d'institution de l'obligation de déclaration de la légionellose, les médecins diagnostiquent et déclarent mieux les cas. Bien qu'impressionnants, ces chiffres restent sous-estimés et les professionnels du secteur s'accordent à penser que la réalité est plus proche de 2000 cas chaque année en France.
D'où vient cette bactérie ?
Les légionelles, bactéries d'origine hydrotellurique, vivent à l'état naturel dans l'eau : rivières, lacs et parfois même dans les sols humides. Cette famille de bacilles à Gram négatif comprend 43 espèces et 64 groupes sérologiques dont la forme la plus impliquée dans la pathologie de l'homme est la Légionella pneumophila de sérogroupe 1. Sa température optimale de croissance se situe entre 25 et 43 °C mais elle survit plusieurs mois à des températures basses (moins de 25 °C). De plus, les légionelles tolèrent de faibles concentrations en chlore. Elles sont de fait présentes depuis la ressource d'eau potable jusqu'à la distribution, même si les méthodes analytiques actuelles ne permettent pas de les détecter à l’aval des compteurs d’eau en aussi faible quantité. Les légionelles, via l'eau potable, vont donc coloniser les circuits internes de distribution si elles rencontrent des conditions favorables à leur développement.
La contamination
La contamination de l'homme ne se fait que par inhalation des bactéries dans le poumon profond sous forme d’aérosol de 1 à 5 µm. Il faut signaler que la contamination par ingestion d'eau n’a pas été démontrée à ce jour et qu'il n’existe pas de cas de transmission inter-humaine.
Les réservoirs de germes et les vecteurs de contamination
La prolifération de cette bactérie s'effectue partout où l’on rencontre les conditions favorables à son développement, comme des températures de réseaux d'eau chaude inférieures à 50 °C, mais attention également aux réseaux d'eau froide stagnants ou mal
Calorifugés où l'eau peut atteindre des températures supérieures à 25 °C, les principaux réservoirs de germes pouvant être à l'origine d'une aérosolisation contaminante sont donc :
- les réseaux d'eau chaude desservant des douches,
- les tours aéroréfrigérantes,
- les bains à remous ou bains à jet,
- les humidificateurs et bacs à condensats utilisés en climatisation.
À signaler également le risque lié à l'utilisation de robinets brise-jet à vocation d’économiseur d'eau, dont le fonctionnement est basé sur le remplacement d'une partie du débit d’eau par de l'air. De par leur conception, ils peuvent également être à l’origine d’une formation d’aérosol.
Actuellement, le réseau d’eau chaude sanitaire est à l'origine du plus grand nombre de cas de légionellose dans les établissements de santé, alors que dans les industries et les ERP, ce sont le plus souvent les tours aéroréfrigérantes qui sont incriminées.
Des outils réglementaires en pleine évolution
Un rapport du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France relatif à la « gestion du risque lié aux légionelles » est paru en novembre 2001. Ce rapport, destiné à l’ensemble des gestionnaires d’installations à risque, synthétise les connaissances sur ce sujet et éclaircit certains points des anciennes préconisations. Par exemple, il ne devient nécessaire d’entamer une démarche légionelles dans les bâtiments d’habitat, de bureaux ou recevant du public que si les installations collectives de production et de distribution d’eau chaude alimentent des douches. En effet, l’APAVE a été sollicitée par des gestionnaires d’ERP (9) ou responsables de collectivités locales inquiets de la tournure médiatique ou soumis à des pressions diverses : C.H.S.C.T. ou personnel.
Nous ne disposions jusqu’alors d’aucun élément réglementaire pour conforter le fait qu'il était, à notre sens, inutile de réaliser des expertises dans des locaux de travail ou de réception du public ne disposant d’aucune douche.
Concernant les tours aéroréfrigérantes gérées par les industriels ou le secteur tertiaire (bureaux, hôtellerie, centres commerciaux…), le rapport de novembre 2001 définit un niveau cible de 1 000 U.F.C. Légionella sp/L, un niveau d’alerte avec renforcement de l’entretien si cette valeur est dépassée et enfin un niveau d'action avec arrêt de la tour si la concentration en légionelles est supérieure à 100 000 U.F.C./L. Ces niveaux sont en cohérence avec les valeurs fixées dans les précédentes réglementations. En revanche, ce rapport annonce une refonte prochaine et de portée nationale de la législation pour toutes les grandes catégories de tours aéroréfrigérantes, avec des précisions techniques sur la désinfection.
Pour les établissements de santé, un décret et des arrêtés thématiques sont prévus au titre de l’article L1 du Code de la santé publique et un ensemble de préconisations est d’ores et déjà édicté dans le rapport et repris dans la Circulaire n° 2002/243 du 22 avril 2002, qui vient compléter le dispositif existant.
La Circulaire DGS n° 2002/243 du 22 avril 2002
Cette circulaire a le mérite de regrouper les éléments essentiels de lutte contre la légionelle en réseau d’eau chaude sanitaire (ECS), éléments autrefois dispersés dans différents documents : D.T.U., Guide Technique… Outre cette synthèse des connaissances en matière de bonnes pratiques, cette circulaire apporte des nouveautés et des éclaircissements intéressants portant sur les trois phases de la prévention légionelles : la conception, l’entretien et le suivi des installations d’ECS.
Concernant la conception, la circulaire exprime très clairement les sept actions à réaliser, avant le 31 décembre 2002 pour les cinq premières et immédiatement pour les deux dernières (voir encadré 2). Elle réaffirme la nécessité, préalablement à toute autre mesure, d’expertiser les installations de distribution de l’eau, afin d’évaluer les facteurs de risque, d’établir un plan d’amélioration des installations et de définir un
Protocole d’entretien et de maintenance adapté au maintien de l’hygiène de l’eau et du réseau.
Elle rappelle que les mesures préventives limitent, voire suppriment, la nécessité de recourir à des actions curatives telles que des chocs chlorés ou thermiques, qui ne visent pas le traitement à long terme et peuvent dans certains cas avoir des effets néfastes.
Elle abroge la circulaire n° 538 TGC 3 du 3 juillet 1974 relative à la prévention des accidents de brûlures par l’ECS et met ainsi en retrait le risque de brûlures autrefois décisif dans le choix des températures de distribution dans les établissements de santé. La volonté du législateur est donc effectivement de donner la priorité à la lutte contre les légionelles.
Concernant la conception des réseaux de distribution, cette circulaire fournit un outil d’aide à la décision en indiquant les avantages et les inconvénients des matériaux utilisés pour les canalisations. Ainsi, les défauts de l’acier galvanisé, déjà mis en évidence dans le DTU 60-1 additif n° 4 de février 1977, sont répertoriés :
- incompatibilité en mélange avec le cuivre sur bouclage ou piquage direct, fragilité à la corrosion,
- impossibilité d’effectuer des chocs thermiques au-delà de 60 °C sans dégradation des matériaux.
Concernant l’entretien des installations, la circulaire ne modifie pas les démarches existantes. Elle préconise toutefois des purges plus régulières sur les ballons d’ECS (fréquence hebdomadaire) et élargit le champ de détartrage aux mitigeurs, en plus des périphériques (têtes de robinets, flexibles et pommeaux de douches…). Cette dernière disposition représente une charge de travail supplémentaire importante. S’inspirant du modèle anglais, le suivi de la qualité de l’ECS intègre désormais un suivi régulier de la température, comme un paramètre tout aussi pertinent que l’analyse bactériologique de légionelles. Ceci est tout à fait judicieux : au lieu de multiplier des analyses coûteuses et parfois faussement sécurisantes, pourquoi ne pas se servir de la température comme un indicateur indirect du risque de présence de légionelles ?
Le protocole de surveillance des installations par prélèvements d’eau et analyses de légionelles se trouve donc modifié, et permet de réduire notablement le nombre d’analyses et le coût de ce suivi.
Enfin, cette nouvelle circulaire réaffirme le rôle du carnet sanitaire, comme élément essentiel de traçabilité, pour une prévention efficace vis-à-vis du risque légionelles. Elle en définit précisément le contenu, constituant ainsi une base de référence qui permettra d’homogénéiser les documents en place dans les établissements de santé (voir encadré 3).
Amélioration de la production et de la distribution d’ECS
Le retour d’expérience de l’APAVE dans les expertises des installations de production et de distribution d’ECS, nous permet de mettre en évidence les principales insuffisances rencontrées sur le terrain et de distinguer de fait 5 principales voies d’amélioration :
- Augmenter les températures de distribution en tout point d’usage à 50 °C minimum et les températures de production — stockage d’ECS à 60 °C (à défaut : élévation quotidienne de la température à 60 °C).
- Maintenir la qualité de l’eau et l’état des canalisations. Trop peu d’installations ont été conçues en protégeant les canalisations de l’entartrage ou de la corrosion par un traitement de l’eau si nécessaire, par un respect des contraintes liées à chaque matériau, par des purges régulières des boues en point bas et des gaz en point haut. Des insuffisances sur ces critères conduisent à des situations critiques de très mauvais état général des installations et de détérioration de la qualité de l’eau, comme l’illustre à titre d’exemple la photo 1.
- Éviter la stagnation de l’eau : le bouclage du réseau d’ECS est indispensable (un cordon chauffant ne peut être installé qu’en attente de la réalisation de travaux de bouclage — cf circulaire DGS 2002-243), tout comme la suppression des bras morts et la
sonnel. Il incombe encore aux gestionnaires des établissements, après réalisation de l’expertise, de gérer la réalisation des travaux et d'insuffler une dynamique permettant de faire vivre le carnet sanitaire et de modifier les comportements des différents intervenants internes ou même des sous-traitants.
- Réalisation de purges aux points d’eau sous-utilisés.
- Assurer l’entretien des productions et distributions d’ECS, ainsi que des robinetteries et périphériques aux points d’usage, dans le cadre du Carnet Sanitaire.
- Enfin mettre en place un suivi périodique des effets de l’ensemble de ces mesures en procédant à des analyses et des mesures de température, et consigner les résultats et observations dans le Carnet Sanitaire.
Un enjeu de taille
Si le contexte réglementaire est maintenant largement précisé, il n’en reste pas moins que l’enjeu pour les établissements de santé est conséquent et va induire des coûts d’investissement et d’entretien très significatifs.
La gestion de la prévention légionelle suppose en effet un changement complet de mentalité et de pratique, d’une exploitation visant uniquement à assurer le fonctionnement des équipements (débit et température d’ECS ou performance de refroidissement d’une tour aéroréfrigérante) vers une exploitation intégrant également l’hygiène et l’état sanitaire des installations et fluides.
Les bureaux d’études ou de contrôles tels que l’APAVE peuvent accompagner les établissements de santé dans les phases d’expertise des installations, d’audit de l’entretien et de la maintenance, d’élaboration d’un programme de travaux et d’entretien, de mise au point d’un plan d’échantillonnage et d’un carnet sanitaire et de formation du personnel.