Durant presque un demi-siècle après la découverte, par Arden et Lockett, du procédé des boues activées, il y a eu très peu de changements importants dans le traitement des eaux usées : des améliorations ont été apportées dans l’application du principe, mais la base des systèmes est restée la même.
Depuis le début des années 60 nous avons vu apparaître une grande variété de procédés, tels que le disque biologique, le biofiltre à garnissage plastique, le traitement à l’oxygène pur, le lit fluidisé, etc. Ce développement des innovations est lié à plusieurs faits :
- — l'augmentation du coût de l’énergie qui a renouvelé la recherche de l’économie,
- — le développement des transferts d’idées entre les disciplines, spécialement le génie chimique,
- — la nécessité de traiter les effluents industriels.
LES EAUX USÉES INDUSTRIELLES
Dans un premier temps, elles étaient souvent envoyées dans une station d’épuration municipale. En théorie, leur forte dilution dans les eaux urbaines et l’apport de nutriments par celles-ci, évitent les problèmes, mais deux tendances ont entravé cette approche :
- — l'eau de ville étant d’un prix très élevé, les usines ont cherché à diminuer leur consommation, ce qui a eu pour résultat une augmentation de la concentration des polluants ;
- — la croissance des industries de chimie de synthèse, des raffineries, des usines de textile, etc., a créé des effluents toxiques ou difficilement dégradables.
L'augmentation des taxes sur la pollution a incité les industries à réaliser un prétraitement sur le site de l'usine. Pour les effluents de traitement de surface, papeteries et autres, un procédé physico-chimique peut diminuer suffisamment le taux de polluants afin qu’ils soient rejetés à la station d’épuration municipale, mais on trouve de plus en plus de composants sur
lesquels ce procédé n’agit pas ; il faut donc se retourner vers un système biologique.
LES STATIONS D’ÉPURATION INDUSTRIELLES
Leur conception a d’abord été identique à celle des stations municipales et basée sur le nombre d’habitants-équivalent. Les résultats étaient souvent décevants car la nature des deux types d’effluents peut se révéler complètement différente : les eaux usées urbaines ont une charge faible, la plus grande part de la pollution est en suspension et le rapport DBO/DCO est bon ; les effluents industriels sont très variables : leur concentration de matières en suspension peut être élevée ou faible, la pollution facilement ou difficilement dégradable.
La conception d’une station d’épuration industrielle doit donc être différente de celle d’une station pour eaux urbaines. Nous donnons à la fin de cet article un exemple de schéma à suivre pour la conception d’une nouvelle station d’épuration industrielle, auquel nous apporterons les compléments suivants aux chapitres correspondants :
- 1. on voit en effet des stations d’épuration dont la conception est basée sur l’étude d’une seule journée, alors que les conditions peuvent varier d’un jour à l’autre et d’un mois à l’autre ;
- 2. la vitesse de dégradation d’une molécule complexe risque d’être beaucoup plus grande que dans les composants des eaux urbaines. Il faut donc réduire la charge ou augmenter le TRH. D’autre part, dans l’industrie, les boues sont souvent plus fines et plus légères ; il convient d’en tenir compte lors du choix des dimensions du décanteur ;
- 3. la charge est très variable avec l’utilisation des procédés en « batch » ou en cas d’accident dans la fabrication ;
- 4. un bassin « by-pass » est très utile : il permet de traiter les matières toxiques lentement avec un dosage réduit ;
- 5. une défaillance pouvant être catastrophique pour les bactéries, il faut minimiser le risque en deux étapes ;
- 6. un haut degré de flexibilité de l’opération est important. Le dépôt des boues avec des sels de calcium est fréquent ; un mélangeur horizontal au fond est plus efficace pour les faire remonter qu’un aérateur de surface, et il crée moins de mousse ;
- 7. une fosse entre le bassin d’aération et le décanteur est utile pour fournir le temps et la turbulence nécessaires pour obtenir une bonne floculation tout en évitant la mousse sur le décanteur ;
- 8. dans le cas d’un effluent toxique un haut niveau de sécurité est nécessaire.
Les mots-clés du schéma sont la flexibilité et la capacité utile. Le problème posé par un effluent industriel est dû au fait qu’une usine peut changer de fabrication ou de capacité très rapidement. Cependant une station qui peut s’adapter, quelquefois en plusieurs tranches, peut conserver l’environnement et la charge adéquats pour le meilleur développement des micro-organismes.
LES MICRO-ORGANISMES
Quels micro-organismes choisir ? Généralement on laisse se développer la population naturelle, aidée par l’apport d’une boue provenant d’une station d’épuration existante. Avec le temps la population peut s’adapter aux mêmes composants difficiles, mais son équilibre reste fragile :
- — malgré la présence d’un bac tampon (utile contre les chocs de la charge), les bactéries ne peuvent pas toujours s’adapter assez vite aux changements de la fabrication ;
- — si l’équilibre des espèces est détruit par un choc toxique, il peut se passer plusieurs semaines ou mois avant que l’activité ne soit rétablie.
Par le passé nous n’avions pas d’autre solution que d’attendre l’adaptation d’une population naturelle et d’accepter ces limitations. Les nouvelles techniques en génie génétique ouvrent de nouveaux horizons en permettant de créer des bactéries dont l’action est particulièrement rapide dans la dégradation d’un composant difficile. Il existe deux techniques pour « fabriquer » ces bactéries : soit par transfert d’une section d’un génome d’une espèce à l’autre, soit par mutation et sélection.
Les nouvelles techniques de génie génétique restent encore trop coûteuses pour le traitement des eaux et les bactéries produites sont trop fragiles et restent encore au stade du laboratoire. Cependant par les méthodes de mutation et sélection, nous avons pu fabriquer une gamme de bactéries mutantes, capables de dégrader des composants tels que les tensio-actifs, les hydrocarbures, les dérivés phénolés et même des solvants chlorés.
BIO-AUGMENTATION
Comment peut-on utiliser ces souches ? Parmi les applications de la biotechnologie telles que la fabrication du fromage ou des antibiotiques, on utilise la technique de bio-augmentation qui consiste en un fort ensemencement d’une souche, adaptée au travail en cours ; cette technique a été adoptée pour le traitement des eaux. Les souches de bactéries sont préparées en culture pure et cultivées séparément sur un nutriment solide. Elles sont séchées, pulvérisées et mélangées afin de donner des produits applicables à des types d’effluents déterminés.
Après un ensemencement important, une dose d’entretien très faible maintient la population des mutants prête à surmonter les points faibles de la population naturelle :
- - les chocs d’une charge trop importante sont éliminés,
- - les molécules toxiques sont dégradées jusqu’à une concentration très basse,
- - on constate que la formation et la décantation du floc ainsi que le transfert d’oxygène sont améliorés par une bonne dépollution des eaux.
L'APPLICATION
Dans un exemple typique, un fabricant de résines a constaté que si la charge journalière en DCO dépassait 6-7 tonnes, le fonctionnement de sa station d’épuration se trouvait sérieusement perturbé. Cependant, l’augmentation du niveau d’activité de l’usine a plus souvent donné 9 à 10 tonnes de DCO par jour. En utilisant la technique de bio-augmentation avec des bactéries mutantes, la station d’épuration peut maintenant accepter 9 à 10 tonnes (et occasionnellement 11 tonnes) de DCO par jour, sans problèmes. Parallèlement l’aspect et la population de la boue sont améliorés.
Une usine produisant un acide organique a été mise en face d’un problème similaire : un choc toxique a diminué la dégradation de DCO de 90 % à 60 % et le redressement a été très lent. Ce problème s’est renouvelé plusieurs fois en quatre ou cinq ans mais récemment le redressement s’est révélé spécialement long, avec très peu d’activité biologique et la disparition des protozoaires. Après dilution de l’eau polluée et ensemencement avec les bactéries mutantes, l’activité a repris normalement et la dégradation est remontée à 95-97 % de DCO ; après 11 jours les protozoaires ont commencé à proliférer. Depuis, le système s’est amélioré dans la réponse aux chocs de la charge ou de la toxicité.
Un autre exemple d’utilisation de ces bactéries est la dégradation des traces d’une dose excessive d’herbicide dans un champ de blé : l’année suivant le traitement on pouvait remarquer une différence très nette entre le champ traité avec les bactéries mutantes et la parcelle témoin non traitée.
L’intérêt de la bio-augmentation est la flexibilité et la simplicité de la mise en œuvre. Il est notamment facile de changer le type de bactérie en cas de changement de fabrication.
CONCLUSION
Au cours des vingt à trente dernières années, on a assisté à un progrès dans la conception des stations d’épuration, et des améliorations à la suite de l’application du génie chimique et de la recherche des économies d’énergie. Les eaux usées industrielles présentent des problèmes particuliers de variabilité et de difficulté de dégradation que cet apport de nouvelles techniques nous aide à résoudre.
Il reste maintenant à utiliser les techniques récemment développées dans le domaine des connaissances génétiques pour arriver à sélectionner la population des micro-organismes spécifiques, adaptés à un effluent particulier. La bio-augmentation des bactéries mutantes est un pas important en ce sens et qui a fait ses preuves dans de nombreuses stations d’épuration du monde.
SCHÉMA-TYPE DE CONCEPTION D’UNE NOUVELLE STATION D’ÉPURATION INDUSTRIELLE
- 1. Procéder à une étude portant sur la nature et quantité de l’effluent : - classification des composants si possible, - observation de l’effluent pendant une période suffisamment longue pour permettre de noter toutes les variations.
- 2. S’il n’y a pas d’expériences similaires antérieures, lancer une étude biologique afin de déterminer les paramètres cinétiques et hydrauliques : - temps adéquat de dégradation, - temps adéquat de décantation.
- 3. Construire un bac-tampon suffisamment important, s’il y a un risque de chocs.
- 4. Si possible, mettre en place sur un bac un système de détection de toxicité avec « by-pass ».
- 5. Contrôler le pH en deux étapes et constater la présence d’acides ou de bases forts.
- 6. Dans un système à boue activée, séparer fonctions de mélange et d’aération.
- 7. La floculation et la décantation sont spécialement importantes dans les stations industrielles.
- 8. Un système d’aération de sécurité est utile en cas de coupure de courant.