Une veille technologique avisée et persévérante est devenue indispensable pour le maintien et le développement de toute activité industrielle. Pour les déchets, les sujets de veille sont nombreux car la " rudologie " est en pleine expansion, et s'applique à des secteurs les plus diversifiés, comme la désodorisation des lisiers d'élevage, la valorisation des plastiques résiduaires, la récupération des métaux dispersés, nobles ou stratégiques, et les opérations novatrices qu'exercent les centres de traitement collectif.
Veille et merveille
Veille n’est pas espionnage. Une saine et nécessaire curiosité seulement. Nous sommes pris, bon gré mal gré, dans une âpre guerre économique où l’innovation est essentielle pour la gagner. J’innove donc je veille. La veille technologique se définit comme « l’observation et l’analyse de l’environnement scientifique, technique, technologique et des impacts économiques, présents et futurs, pour en déduire les menaces et les opportunités de développement » (figure 1).
Quelle observation ? Une observation minutieuse à travers une multitude d’informations. D’abord, les réalisations expérimentales et fonctionnelles de la concurrence et les transferts possibles de technologies éprouvés (installations de récupération, de sélection, de valorisation, de recyclage ou destruction, de biodégradation, d’inertage des déchets).
Ensuite les publications régulières scientifiques et techniques dans la presse spécialisée, l’interrogation de bases et banques de données internationales, l’étude de tous les brevets officiellement déposés (1). Les résultats obtenus sont bénéfiques, les
(1) Par exemple, Elf s’est organisé puissamment un club de veille dont chaque branche dispose de son propre système composé de trois réseaux distincts mais complémentaires avec observateurs, experts ou analystes et décideurs : « les observateurs, chercheurs de l’information publiée et collaborateurs avertis participant aux colloques et salons spécialisés, « les experts ou analystes, répartis en quatre groupes d’aides à la décision (produits, procédés, application et prospective), « les décideurs qui font la synthèse de toutes les données collectées en vue de lancer des programmes en R et D, d’arrêter ou de vendre des unités, des licences, de prendre des options économiques.
Les sceptiques devront bien s’y résoudre : les années à venir verront un accroissement de 25 à 30 % des idées de recherche grâce à une veille technologique bien organisée.
Les exemples qui sont rapportés ici sommairement illustrent la veille et l’innovation sur les déchets dans des secteurs industriels variés ; agro-élevage (destruction des odeurs de lisier), plasturgie (récupération en composites et monomères), métallurgie (valorisation des métaux résiduaires dispersés) et centres de traitement des déchets industriels.
« Allo, maman, bobo »
Quoi de plus répugnant qu’un lisier ? Voilà des cochons qui polluent l’air, le sol et l’eau. L’une des conséquences de l’élevage intensif moderne est la production de quantités importantes d’excreta. En principe, l’effluent de porcherie peut être désodorisé et les excréments recyclés pour en faire des engrais organiques. À ce sujet les idées fourmillent. La désodorisation bactérienne s’impose : Homel Livestock aux USA cherche à inhiber les uréases microbiennes, l’une des sources supposées de l’ammoniac, avec un biodéodorant MSK contenant des bactéries lactiques, photosynthétiques et des levures ; Claitech aux Pays-Bas préconise la biofiltration sur bactéries fixées (Thiobacillus pour l’hydrogène sulfuré par exemple) ; en France, Copetra lance l’Ecodyl traitant toutes les odeurs désagréables ; Atochem-Sanofi propose Lisomark, absorbeurs d’odeurs grâce à l’acide undécylénique (issu du craquage de l’huile de ricin) ; Sogeval, filiale
Sanders désodorise le lisier épandu et accélère sa liquéfaction par l'action conjointe d’enzymes et de souches bactériennes.
Une autre méthode consiste à modifier l'alimentation ou la litière du porc : à Serques (Pas-de-Calais), une nouvelle façon d’élever les porcs les fait vivre sur un lit de matières organiques (sciure, copeaux ou paille hachée) en association avec une application d’un produit dénommé SEF-C, et les déjections sont directement transformées en compost ; le groupe Sanders, qui propose la « litière biomaîtrisée », réduit l’indice de consommation, la teneur en protéines de l’alimentation, et les apports de phosphore (par exemple avec des phytases de champignons Aspergillus ficuum ou niger qui attaquent le phosphore phytique faiblement biodisponible).
Une troisième voie est l’épuration biologique de l’effluent total : le groupe Lafarge Coppée, dans le cadre du programme européen Euréka, vise à obtenir un effluent final limpide, sans odeurs, avec de basses teneurs en DCO et DBO5, nitrates et phosphates ; parallèlement les procédés Agroclar testé à Andel (Côtes-du-Nord), Mat Alrbi mis en œuvre à Hénanbihen, même département ; le procédé Solépur du Cemagref de Rennes expérimenté à Plouvern (Finistère) ; le procédé OTV-CGE en essai dans les Côtes-d’Armor. Citons aussi la technique de méthanisation du lisier qui permet de prétraiter et de désodoriser les effluents tout en produisant l’énergie nécessaire au chauffage de l’exploitation agricole, comme celle de Chabagno-Ceca en service à Iratzia (Pyrénées-Atlantiques).
I want to be plastic !
"I want to be plastic" s’exclament les designers dans leurs débauches verbales. C’est vrai que le plastique a envahi notre vie quotidienne et devient même le symbole d'une modernité effrénée : voir les multiples exploits de plasturgie qui métamorphosent ce matériau 100 % artificiel, tour à tour transparent ou gonflable, coque rigide ou mousse molle (A. Colonna-Césari, « Esthétique tout plastique », revue L’Express, mai 1994). Reste à savoir qu’en faire après usage ! Trois méthodes de valorisation des déchets polymères sont appliquées : valorisation matière, thermique ou chimique (figure 3).
Déjà, Solvay, qui fabrique du PVC à partir d’éthylène et de chlore, au cours de l’étape d’oxychloration injecte de l’oxygène à la place de l’air, ce qui réduit considérablement les rejets organiques azotés. Veka, firme allemande dont l’unité de menuiserie PVC est près de Weimar, recycle six fois le PVC de ses fenêtres ; Micronyl en son unité de Montereau (Seine-et-Marne) détecte le chlore des bouteilles en plastique par rayons X, retient le PVC et éjecte les bouteilles en PET, la pureté à 99,95 % exigée par les fabricants de produits intégrant du PVC régénéré est bien obtenue ; Gascogne Plastique et Gillibert SA (Isère) transforment le film PVC plastifié, trié par couleur, en film PVC utilisable pour la confection d’articles de papeterie. Acme-Polycycling valorise les déchets de type bouteilles PVC ou feuilles polyéthylènes en granules immédiatement réutilisables ; la société alsacienne Aces à Brechaumont (Haut-Rhin) traite par compactage thermomécanique les vinyles et thermoplastiques sur le site même producteur de déchets.
Des sociétés comme Sorepla à Rebeuville (Vosges) et le Ceremap à Méze (Hérault) ouvrent des horizons de marchés sur le recyclage des plastiques en développant des procédés spécifiques de traitement, broyage, séparation, plasturgie. Le thermo-compactage de plastiques mélangés se pratique chez Testa qui considère les polymères recyclés comme des matériaux composites ayant des applications bien spécifiques ; Scamia également.
Pour le polystyrène, Flo-Pak en son unité de Sarcelles (Val-d’Oise) détient la moitié du marché de l’hexagone. Styrparc à Angers-Beaucouzé (Maine-et-Loire) traite les emballages propres en polystyrène expansé par densification (plastification, dégazage, extrusion, granulation) pour produire du polystyrène cristal utilisable pour injection, extrusion-gazage ou introduction dans les filières pétrochimiques. Pour le nylon, Novalis Fibres de RP à Césano-Maderno, en Italie, fonctionne en circuit fermé par recyclage chimique : les déchets de polyamide 6 sont décomposés afin de revenir au monomère caprolactame d'origine, aussi pur que celui qui est employé au départ. Le recyclage intégral du polyéthylène téréphtalate (PET) s’obtient par traitement chimique. Les sociétés ICI et Eastman appliquent la glycolyse à l’aide du diéthylène glycol qui fournit soit des polyester-glycols entrant dans la fabrication des mousses rigides en polyuréthane, des plastifiants pour le PVC, ou, à l’aide du propylène glycol, en vue de la production de polyesters insaturés destinés à la fabrication de résines de structure. Les sociétés Hoechst, Eastman et Dupont de Nemours possèdent des unités de méthanolyse où le méthanol intervient pour dépolymériser le PET en ses deux monomères, diméthyltéréphtalate et éthylène glycol. Mais glycolyse et méthanolyse sont des réactions qui exigent des conditions drastiques, températures entre 170 et 240 °C et pressions de 1 à 35 bars. En France,
Recopet, issu de la coopération Technnochim et IFP, préfère le « débobinage » de la macromolécule de PET en ses composants de base, acide téréphtalique et éthylène glycol, par saponification à pression atmosphérique, purification du sel d’éthylène glycol par adsorption chromatographique puis précipitation, par acidification, de l’acide téréphtalique (2).
Métaux, non moderato
En électrométallurgie, Pechiney, par son procédé Microfume, reprend les grains de silice de très grande finesse captés dans les fumées des fours d’électrométallurgie pour améliorer les qualités du béton (digues, ponts, conduites) ; le procédé augmente la résistance à l’écrasement, diminue la perméabilité et accroît la tenue face au gel et aux produits chimiques. Valera, dans son unité de Gravelines (Nord), retraite les poussières d’acier inoxydable pour le recyclage des métaux nobles contenus dans l’alliage : agglomération des poussières en briquettes, calcination en four, coulée en lingotières en cascade de sorte que l’alliage brut Cr-Ni retourne aux aciéries.
La récupération de l’aluminium et son recyclage sont prometteurs puisque la boîte à boisson représente, par sa réutilisation, une économie de 95 % de l’énergie nécessaire à la fabrication du métal primaire, l’aluminium. France Aluminium Recyclage récupère les boîtes dans les villes de plus de 100 000 habitants pour assurer le seuil de rentabilité.
En fabrication, Swenson Process SA récupère les crasses de fonderies et de raffineries d’aluminium en les faisant fondre en fours chauffés avec des sels NaCl et KCl. La coulée de métal effectuée, par cet abaissement du point de fusion, le sel surnageant constitue une croûte soit concassable, soit soluble afin de récupérer l’aluminium résiduel avant rejet en rivière.
(2) Trois ouvrages traitant du recyclage sont à consulter :
– « Objectif 2002 : le déchet maîtrisé », Eco Recyclage à Grenoble, octobre 1993 – La revue du Syndicat National des Ingénieurs de l’Industrie et des Mines n° 14.
– « Pour mieux gérer l’Environnement », P. Nollet, Les Éditions de l’Environnement, 1993.
– « Les cahiers de l’innovation », Novelect-EDF, juin 1993.
Eureca, leader mondial de la régénération hors site des catalyseurs de raffinage pétrolier (hydrodésulfuration, hydrogénation, reforming, isomérisation), en son site de La Voulte-sur-Rhône (Ardèche), traite les catalyseurs métalliques en billes ou bâtonnets, principalement de type alumine ou zéolithe supportant des combinaisons métalliques Co, Mo, Ni et W. Le catalyseur est d’abord criblé pour éliminer poussières et billes inertes ; il subit ensuite un strippage des hydrocarbures en four, puis une régénération par brûlage des dépôts de coke.
En électrochimie, de nombreuses réalisations françaises appliquent les procédés de séparation par électrolyse, électrodialyse et microfiltration. Champoiseau, du groupe Comptoir des Mines, spécialisée dans la fourniture du secteur de surface, a placé un électrolyseur en amont d’une installation de dépollution par résines échangeuses d’ions. Outre le cuivre, l’électrolyseur récupère Cd, Cr, Pb, Zn, Ni, Au et Ag. À la société Connecteurs Electriques Deutsch d’Evreux (Eure), Tribotechnic installe une cellule électrolytique de récupération de métaux de conception unique dont l’efficacité est basée sur l’utilisation de la haute turbulence hydrodynamique. L’entreprise Bohin, qui fabrique à Saint-Sulpice-sur-Risle (Orne) des articles en fil métallique, récupère à présent, avec l’électrolyseur Aqualyzer de EIVS raccordé sur rinçage mort ou statique, une grande quantité de sels de nickel à 97 %. La société Martineau, avec la collaboration de l’INPT, Institut National Polytechnique de Toulouse, exploite un procédé électrochimique nouveau de récupération des sels d’argent photographiques par électrode poreuse percolée, dite E3P, qui retient par ailleurs tous les métaux électrolysables, nobles ou stratégiques (Au, Cu, Co, Ni, Ag, Hg, Mn, Zn, Cd, Sn, Pb et Pd). Fine Industries préconise l’électroflottation.
Des moyens préalables de précipitation sont aussi employés. Biotys dépollue par le procédé Solvin, qui conjugue électrocoagulation et électroflottation, tandis que l’INP, Institut National Polytechnique de Lorraine, épure les fluides chargés en métaux puis les sépare par séparateurs à bobinage supraconducteur. Trouvay et Cauvin ont recours à la filtration avec le procédé Clarfiltre. La SLMC, Société Languedocienne de Micron Couleurs du groupe Total, premier producteur mondial de pigments à base de sulfure de cadmium, a choisi la microfiltration tan
gentille et cherche à récupérer Cd à partir du carbonate de cadmium-zinc arrêté sur le filtre. ECP, École Centrale de Paris, s’intéresse à l’ultrafiltration des solutions non macromoléculaires en les complexant à l’aide de polyélectrolytes macromoléculaires hydrosolubles, c’est l’ultrafiltration assistée.
Centres excentriques ?
Le tour de main, l’innovation, le savoir-faire, la veille sont des qualités constantes en centre de traitement collectif. Ainsi, il est bien connu que la détoxication des effluents de traitement de surface génère à peu près 50 % pondéral d’hydroxydes métalliques. Le centre EMC-Service de Hombourg (Bas-Rhin), en collaboration avec la SNPE et l’École de Chimie de Strasbourg, dispose d’un procédé de fabrication de ferrites Fe, Ni, Zn ou Fe, Ni, Co, de structure spinelle à partir de ces déchets industriels. Absorbants d’ondes magnétiques hautes fréquences (ondes radar), les applications sont militaires mais aussi industrielles en étanchéité, guidage et chauffage par induction. Sotrefi, en son centre de traitement d’Étupes (Doubs), effectue une séparation des émulsions huileuses par ultrafiltration du type tangentiel après un important dispositif de prétraitement des effluents, qui permet le recyclage éventuel par élimination des polluants tels que limailles et huiles libres (figure 5). Sarp se distingue entre autres (3), à l’instar de Savam à Viriez (Aveyron) (figure 6), par le recyclage des piles par leur pyrolyse qui sépare Hg, le broyage-lavage qui supprime Fe et enfin l’électrolyse qui permet la récupération des autres métaux constitutifs des piles (Zn-Cd, Cu, Ni). Aprochim, en son centre de Grez-en-Bouère (Mayenne), pratique la décontamination des matériaux électriques souillés par le PCB et les fluides chlorés, comme Tredi. L’usine Merex, du groupe SARP Industries, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), conçue pour incinérer des déchets industriels liquides, hors PCB, est en mesure de répondre aux exigences les plus sévères en termes de rejets atmosphériques et de propreté de fonctionnement. Rhône-Poulenc, par sa filiale Teris, en son unité de Riemme près d’Anvers, régénère par incinération l’élément soufre de tout liquide résiduaire à l’état d’acides sulfuriques commercialisés (figure 7). Aval Services aménage à Changé (Mayenne) un parc d’activités paysager consacré au recyclage et au traitement des déchets industriels et ménagers, avec une unité de vitrification à haute température des déchets toxiques. La venue de Technodes SA, centre de recherche industrielle et technique au sein du groupe Ciments Français, concrétise l’intérêt de la substitution des combustibles résiduaires et déchets à bon pouvoir calorifique au charbon.
Que de veilles et d’insomnies sur un tas de déchets !
(3) La seconde partie de cette rubrique traitera des solvants, des fûts métalliques, des sables de fonderie et des résidus urbains.