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Valorisation d’eaux usées : des résultats prometteurs Nègrepelisse dans le Tarn-et-Garonne et Navailles dans les Pyrénées-Atlantiques

27 février 2017 Paru dans le N°399 à la page 88 ( mots)
Rédigé par : André PAULUS

La diffusion sur boisement forestier d’eaux usées prétraitées offre une solution simple et économique au problème de l’impact des rejets sur les cours d’eau sensibles. L’article fait suite à une première analyse (EIN n°385) de deux réalisations encadrées sur le plan forestier par la Fédération Cellulose Bois Ameublement à Nègrepelisse dans le Tarn-et-Garonne et Navailles-Angos dans les Pyrénées atlantiques. Il relaie les résultats des mesures et suivis sur trois et deux ans de fonctionnement respectivement et tire les premières leçons de l’expérience sur les plans de la facilité de gestion, de la dissipation des eaux usées, de la production énergétique.

La revue L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances a révélé en 2015 l’existence de deux applications françaises du principe de dissipation d’eaux usées en forêt, à Nègrepelisse à l’est de Montauban et Navailles-Angos au nord de Pau. Ces réalisations, les premières connues mondialement à cette échelle (plus de trois hectares chacune) font couler pas mal d’encre dans la presse technique spécialisée (voir la bibliographie en fin d’article). Leurs histoires mouvementées sont relatées dans un petit livre paru récemment aux éditions Johanet sous le titre Histoires d’eau, le versant vert de l’eau française.
Objectif?: l’épandage d’eaux usées sommairement traitées sur une plantation d’arbres permet de simplifier la filière de traitement et de réduire (à Nègrepelisse) voire de supprimer totalement (à Navailles) l’impact du rejet sur le cours d’eau récepteur. L’article paru dans le numéro 385 décrit les principes fonctionnels du « rejet zéro », recense ses principales applications et détaille les modalités, encore expérimentales, de l’épandage sur taillis à courte ou très courte rotation-TCR ou TTCR, à partir des premiers retours des deux plantations encadrées sur le plan agronomique et forestier par la Fédération Cellulose Bois Ameublement-FCBA. Les retours récents de ces deux installations permettent de faire un nouveau point sur une approche novatrice dont les avantages économiques et écologiques éveillent un intérêt croissant à la fois chez les traiteurs d’eau et chez les forestiers.

Deux réalisations

Les deux réalisations présentent des points communs :

  • • traitement amont par Filtre Planté de Roseaux-FPR,
  • • arrosage d’arbres rejetant de souche et exploités en taillis à courte rotation-TCR,
  • • conceptions similaires du réseau d’arrosage…

… et des différences qui élargissent le champ d’observation du procédé :




Le dispositif à Nègrepelisse

La plantation de Nègrepelisse, à quelques kilomètres à l’est de Montauban, est la plus ancienne (plantation en mars 2011, arrosage en eaux usées depuis l’été 2013) et la mieux suivie grâce au soutien financier de l’agence de l’eau Adour-Garonne sur la réalisation et son suivi expérimental. L’agence a mis en place une équipe d’experts et de techniciens spécialisés issus de la cellule traitement des eaux de l’Irstea (Unité UR MALY - Milieux aquatiques, écologie, pollution basée à Lyon), du service irrigation agricole de l’Irstea (UMR GEAU basée à Aix-en-Provence), d’un bureau de recherches forestières de FCBA et du Satese 82 qui fonctionne depuis la mise en route de l’installation et a émis ses premières observations fin 2016.
Rappelons que le Syndicat mixte départemental des déchets-SMDD et la Communauté de communes Terrasses et vallée de l’Aveyron-CCTVA ont mis en place en mars 2011 une parcelle de 3,2 ha plantée en eucalyptus et en peupliers arrosée huit mois par an par les filtrats d’une station de traitement de matières de vidange via un dispositif d’irrigation comprenant une centrale de filtration, un réseau de distribution et des arroseurs de deux types : micro-asperseurs et ajutages calibrés. L’ajutage se présente sous forme d’une petite buse en laiton insérée dans la paroi d’un tube en polyéthylène qui supporte l’ajutage et assure son alimentation ; les tubes sont posés sur le sol le long de la rangée d’arbres et les ajutages y sont sertis à raison d’un appareil par arbre. Le diamètre des buses est choisi en fonction de la pression à l’entrée de la ligne et de la distance depuis l’entrée de manière à délivrer un débit constant en tout point de la parcelle. Pour les besoins de l’expérimentation, la plantation est répartie pour chacune des deux essences (eucalyptus et peupliers) en planches recevant une même dose journalière de 6,3 l par arbre soit 7,9 m³/ha respectivement pendant 108, 138, 168 jours par an.

Plantation de Nègrepelisse - Aspersion sur une ligne de peupliers.

La dose journalière effectivement distribuée au cours des vingt-deux mois du premier suivi est de 7,5 m³/jour.ha soit 0,75 mm/jour à comparer avec la pluviométrie moyenne de 62 mm/jour relevée sur la station Météo-France de Montauban pour la période 1971-2000 (entre 52 et 81 mm selon le mois). La moyenne sur vingt-deux mois et 3,2 ha cache aussi des différences d’un jour et d’une planche à l’autre résultant de l’insuffisance des volumes disponibles et de dysfonctionnements localisés du réseau d’arrosage, par exemple, mais d’une ampleur acceptable pour une étude qui reste qualitative.



Quatre objectifs au suivi technique de l’arrosage :

  • • Comparer les deux appareils d’irrigation, ajutages calibrés et micro-asperseurs.
  • • Tester une méthode alternative d’irrigation ne nécessitant pas de filtration amont
  • • Vérifier l’uniformité de l’irrigation.
  • • Évaluer l’incidence des arrosages sur la production de biomasse à partir d’une comparaison entre des planches d’essai recevant trois quantités d’eaux différentes.

Le dispositif permet de mesurer, d’enregistrer sur l’automate de la station et de transmettre en temps réel aux organismes chargés du suivi les apports moyens journaliers par planche. Les mesures sont synthétisées dans le rapport sur deux diagrammes donnant pour chacune des 9 parcelles arrosées, en dose mensuelle par arbre donc par hectare, 6 mesures échelonnées entre septembre 2013 et octobre 2015. Sauf quelques écarts ponctuels, le débit se tient dans une gamme de 30 à 40 l/heure et le coefficient d’uniformité dans une fourchette comprise entre 60 et 100 %.

Premiers résultats à Nègrepelisse

Les mesures ne sont pas tout à fait représentatives du fonctionnement en routine dans la mesure où elles se situent dans une période de démarrage de l’installation marquée en outre par un épisode de gel exceptionnel moins d’un an après la plantation (-12 °C le 9.2.2012 pour -20 °C en minimum absolu sur 30 ans d’observations à Montauban) qui a entraîné une perte importante et un ralentissement de la croissance des eucalyptus gunii choisis pourtant pour leur résistance au gel (E. gundal à Navailles où le risque de gel est moindre). On note cependant, par rapport aux planches témoin non arrosées :
Sur les eucalyptus : une croissance nettement plus forte pour les parcelles très arrosées (Indice de croissance-IC 2014 : 5,6 cm sur le témoin, 10 cm en modalités 168 et 138 jours d’irrigation, pas d’écart significatif pour la modalité à 108 jours)
Sur les peupliers : une incidence très faible de l’arrosage (IC 2014 : 6,1 cm sur le témoin contre 8,6 cm pour la modalité à 168 jours et 6 cm environ pour les autres modalités).

Schéma d’implantation. On distingue de gauche à droite c’est-à-dire du haut vers le bas de la pente?:
• Les planches témoins en violet, 1?ha environ?;
• La station de traitement en bleu clair sous la ligne RTE?;
• La zone de saules recevant le trop-plein de la station?;
• Les planches de séquoia en orange et d’eucalyptus en jaune?;
• La barrière de saules en rive gauche du ruisseau (localisé par le trait bleu clair).

Les analyses du milieu récepteur montrent par ailleurs l’absence d’impact significatif de l’irrigation sur la qualité tant des eaux souterraines que des eaux superficielles (le ruisseau des Courounets, recevant par ailleurs des pollutions domestiques, agricoles et morphologiques importantes) mais là encore on ne peut pas extrapoler sur le long terme un constat fondé sur les deux premières années de fonctionnement.
Il ressort d’ores et déjà de cette étude que l’apport d’eau est un facteur limitant de la croissance d’une plantation TCR, du moins dans les conditions particulières de l’installation de Nègrepelisse (arrosage huit mois par an ; pluviométrie annuelle de 750 mm environ ; températures entre 2 °C et
28 °C en moyennes mensuelles et 13,3 °C en moyenne annuelle ; gel en-dessous de -10 °C une fois tous les trois ans à la fin du 20ème siècle, un peu moins souvent dorénavant sous l’effet du réchauffement général). L’augmentation des doses augmente la croissance des deux essences même avec des doses faibles (0,75 mm par jour, 80 à 126 mm par saison). La comparaison avec la pluviométrie (100 mm d’arrosage pour 500 mm de pluie sur la même période, en ordre de grandeur) confirme que le supplément de croissance résulte également de l’apport nutritif des eaux d’arrosage (teneurs P et N élevées dans les filtrats de la station d’épuration donc dans les eaux d’arrosage). À préciser par les mesures de biomasse et de pouvoir calorifique prévues en 2017.

Le dispositif à Navailles

La plantation de Navailles comprend :

  • • 9 parcelles arrosées dont 6 en eucalyptus et 3 en séquoias
  • • 2 planches témoins non arrosées plantées respectivement en eucalyptus et en saules
  • • 2 planches de saules non arrosées destinées à absorber le trop-plein du bassin tampon (en cas de dysfonctionnement de l’arrosage) et en bas de pente, le long du ruisseau récepteur, les ruissellements éventuels en cas de forte pluie.

Le secteur irrigué est réparti en neuf planches de 2.500 m² chacune environ :

  • • 2 planches de séquoia arrosées à 5 mm/jour, surface totale 0,50 ha ;
  • • 1 planche de séquoia arrosée à 8 mm/jour, surface 0,25 ha ;
  • • 1 planche de saule arrosée à 5 mm/jour, surface 0,25 ha ;
  • • 3 planches d’eucalyptus arrosées à 5 mm/jour, surface totale 0,62 ha ;
  • • 3 planches d’eucalyptus arrosées à 8 mm/jour, surface totale 0,71 ha.

Soit une superficie totale arrosée de 2,40 ha plantée en TCR à une densité de 1.800 plants/ha, soit un total hors saules de 4.300 arbres environ (4.343 en fait et en incluant la planche témoin en eucalyptus).
L’eau est distribuée au pied des arbres par un système de canalisations sous faible pression (0.5 à 1,0 bar au point d’application), enterrées (canalisations primaires et secondaires) ou déposées sur le sol (canalisations tertiaires ou terminales). Elle est appliquée à un débit unitaire de 10 à
30 l/h (selon les modalités expérimentales) par des ajutages sertis sur les canalisations terminales. Les volumes effectivement distribués par jour et par planche sont enregistrés sur l’automate de la station et réceptionnés en temps réel sur les ordinateurs de SIA.

Volumes à dissiper :




Composition des eaux d’arrosage (à l’entrée dans le bassin tampon, à l’amont de la centrale de filtration) imposée par l’arrêté d’autorisation de rejet et le marché de réalisation de la station (pas d’imposition sur N et P) :



Les analyses réalisées dans le cadre des deux bilans 24h annuels donnent des compositions proches des valeurs maximales.

Premiers résultats à Navailles

FCBA a présenté en 2014 un premier rapport basé sur les mesures dendrométriques du printemps 2014 soit un an après la plantation, un nouveau rapport basé sur les mesures au printemps 2015 et un compte-rendu de visite en novembre 2016, après deux années d’arrosage, en préambule au rapport final de l’intervention attendu en 2017, quatre ans après la plantation. Pas de mesure de biomasse ni de composition des sols et des bois encore mais quelques constats qui complètent ceux de Nègrepelisse.

Plantation de Navailles, 2014. Vue d’ensemble à un an.

Le supplément de croissance des arbres du fait de l’arrosage est plus important qu’à Nègrepelisse : hauteurs de 5 à 7 mètres ! pour les eucalyptus à deux ans, 10 à 12 mètres ! à trois ans (contre 1,0 m et 1,5 m sur la parcelle témoin non arrosée) ; 2 à 3 mètres pour les séquoias de deux ans, 2 à 5 mètres à trois ans. La différence avec Nègrepelisse est liée aux conditions climatiques (moins de gel et davantage de pluie à Navailles, sous influence atlantique), aux volumes d’arrosage (12 mois sur 12 à Navailles, 8 mois sur 12 maximum à Nègrepelisse) et à la variété culturale pour les eucalyptus (E. Gunnii à Nègrepelisse, E.Gundal à Navailles). La différence entre les eucalyptus et les séquoias est liée aux modes de croissance des deux espèces dans les années suivant la plantation : croissance en hauteur pour les premiers et au niveau du système racinaire surtout pour les seconds avant la poussée de croissance à partir des années 3 ou 4.

Les opérations d’entretien, en particulier de débroussaillage et d’élimination des adventices, sont encore importantes et le seront vraisemblablement jusqu’à la réduction de la luminosité au sol par la canopée et la conquête du terrain par les arbres, vers leur cinquième année. Vu de la station sur la hauteur, le boisement fait forte impression avec ses arbres de dix mètres et plus et sa lisière dense de feuillage continu. Si la croissance se maintient au même rythme, et il n’y a pas de raison d’en douter, la récolte devra être anticipée par rapport aux prévisions et les planches les plus fortes récoltées à 5 ou 6 ans au lieu des 7 à 10 ans habituels en TCR. Rappelons que les essences sont choisies pour leur rapidité de croissance, le pouvoir calorifique de leur bois, leur potentiel d’absorption d’eau, leur résistance aux parasites… et leur capacité à repousser de souche. La plantation repart donc d’elle-même après chaque récolte, il ne faut pas replanter.

Conclusion

Bien qu’encore provisoires, ces premiers constats confirment l’intérêt de la dissipation d’eaux usées sur une plantation TCR tant sur le plan du traitement des eaux usées (simplification du traitement) que de la production de biomasse (doublée au moins par rapport aux parcelles témoins non arrosées sur les mêmes sites) et la validité du dispositif choisi, du moins dans ses principes.
Ils font ressortir néanmoins des difficultés qui incitent pour l’instant à limiter la taille des projets :

  • • Nécessité de clôturer la parcelle et d’en interdire l’accès au public en application de la réglementation sanitaire fondée sur la présence de germes pathogènes dans les eaux d’arrosage (et au gibier friand de jeunes pousses).
  • • Opérations importantes de nettoyage et de débroussaillage dans les premières années.
  • • Inspection régulière du réseau d’arrosage et interventions sur les arroseurs obturés (5.000 ajutages à contrôler individuellement à Nègrepelisse, 4.300 à Navailles).
  • • Détériorations ponctuelles aux canalisations aériennes lors des opérations de nettoyage.
  • • Incertitude sur la conservation des canalisations aériennes au cours des travaux de récolte du bois.

Il faut attendre les premières récoltes, en 2020 probablement, pour apprécier globalement les avantages et les inconvénients de cette approche. Entretemps, les techniciens et les élus qui s’y intéressent consulteront avec profit les articles de la bibliographie ci-dessous et les chapitres consacrés respectivement aux réalisations de Nègrepelisse et de Navailles dans le livre Histoires d’eau paru aux Éditions Johanet. 

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