Lorsque les enjeux liés à la mise en ?uvre d'un ouvrage nécessitant une forte compétence technique sont importants (coût, sécurité des biens et des personnes), la validation de la conception est un point primordial. Cette validation passe par une modélisation de l'ouvrage. Dans le cas de la station souterraine de pompage d'eau usée objet de cet article, les contraintes principales sont : compacité, redondance, fonctionnement permanent et absence de défaut. Un modèle réduit à surface libre a donc été réalisé, validant ainsi la conception générale de la station et permettant le développement rapide des derniers petits dispositifs d'ajustement qui rendent son fonctionnement hydraulique absolument sûr.
, Directeur de Projet, Expert Hydraulique et Electromécanique, Safege Ingénieurs Conseils
Safege a été missionnée en 2009 pour réaliser le « Conceptual Design » puis le « Preliminary Design » d'une station de pompage d’effluents provenant d’une grande métropole du Moyen-Orient (4 millions d’habitants) afin d’alimenter les stations dédiées au traitement de ses eaux usées. Les effluents arriveront à la future station par un tunnel de 3 m de diamètre dont le fil d’eau est situé à 22 m sous le terrain naturel puis seront relevés à une cote de 16 m au-dessus de celui-ci pour être distribués vers les différentes unités de traitement. La station sera dotée de 24 pompes et aura une capacité allant jusqu’à 12 m³/s pour une hauteur de relevage de 38 m.
Lorsque les enjeux liés à la mise en œuvre d’un ouvrage nécessitant une forte compétence technique sont importants (coût, sécurité des biens et des personnes), la validation de la conception est un point primordial. Cette validation passe par une modélisation de l’ouvrage. Dans le cas de la station souterraine de pompage d’eau usée objet de cet article, les contraintes principales sont : compacité, redondance, fonctionnement permanent et absence de défaut. Un modèle réduit à surface libre a donc été réalisé, validant ainsi la conception générale de la station et permettant le développement rapide des derniers petits dispositifs d’ajustement qui rendent son fonctionnement hydraulique absolument sûr.
Conception
La conception de cette station se doit d’obéir à des contraintes drastiques en termes de maintenance et d’opérabilité : le « zéro défaillance » est recherché en tout point car, une fois la station de pompage mise en service, il sera hors de question de l’arrêter pour corriger un défaut ou, encore plus grave, risquer un dysfonctionnement hydraulique majeur. L’ensemble comprendra dégrillage, pompage puis répartition réglable des débits vers les unités de traitement.
En ce qui concerne la structure, Safege s'est orientée vers une solution constituée de deux puits cosécants de 28 et 30 m de diamètre afin d’y loger un système constitué de 6 dégrilleurs (4 en service au débit maximum et 2 en secours), répartis sur 3 files de dégrillage et 3 bassins de pompage de 50 % de capacité unitaire (2 bassins en fonctionnement et un arrêt pour maintenance ou secours). Dans chaque bassin de pompage il est prévu 8 pieds d’assise pour installer six pompes en fonctionnement, une pompe en stand-by et un emplacement pour accueillir une pompe lors d'un échange pour maintenance, ce qui laisse ainsi toujours 12 pompes de 1 m³/s unitaire disponibles dans deux des trois bassins de pompage, l'autre bassin étant supposé indisponible pour maintenance (nettoyage, entretien du GC, etc.).
Les pompes submersibles sont placées
« dos au fluide » dans des bassins en arc de cercle alimentés depuis chaque bassin principal par des ouvertures situées entre chaque emplacement de pompe. Cette disposition en éventail permet de gagner en encombrement et ne nuit en rien au bon fonctionnement hydraulique de la station. Des vannes de basculement du flux entre files de dégrillage et pompage sont prévues pour permettre la maintenance ou le secours de l'une ou l'autre file d’équipement.
La station sera munie de pompes submersibles et aucun matériel « sensible » (armoires électriques, centrales hydrauliques...) ne se trouvera en dessous du terrain naturel afin de pouvoir redémarrer la station sans encombre dans le cas d’une submersion totale (rupture de la fourniture en énergie par exemple). Ce choix a été conforté en cours de conception lorsqu’une des principales stations de pompage d’eaux usées de Koweit-City s'est retrouvée noyée fin août 2009, entraînant le déversement d’effluents bruts en mer, incident grave où le redémarrage a été rendu impossible par la défaillance d’équipements submergés (dont 13 pompes). La non-prise en compte de ce risque entraîne des coûts, des délais et des atteintes à l'environnement disproportionnés par rapport au coût supplémentaire lié à une conception « waterproof ».
Modèle hydraulique de validation
La conception hydraulique devant être sans faille, Safege a obtenu de son client qu'une étape intermédiaire de validation entre le Conceptual Design et le Preliminary Design soit ajoutée dans le planning des études : la modélisation de la station de pompage sur maquette à surface libre. En effet, dans un projet d’un tel montant et d'un tel enjeu il était impensable d’admettre la moindre erreur de conception hydraulique qui aurait eu une incidence sur la structure de la station (station trop petite ou trop grande, voile béton placé au mauvais endroit, canaux trop petits, dégrilleurs mal alimentés, etc...).
Les coûts et temps de réalisation d'un modèle réduit hydraulique par rapport aux coûts et délais que représenteraient la correction d'un défaut révélé à la mise en service d'un ouvrage hydraulique de cette taille sont négligeables ; il n'y a donc pas lieu d’hésiter une seconde : la validation sur un modèle s’impose.
Pour la modélisation d’un ouvrage assez complexe, il reste alors à choisir entre d'une part le recours à un modèle physique, dont une demi-douzaine de laboratoires européens maîtrise les techniques, et d’autre part le modèle numérique où, en caricaturant un peu, il suffit d’un bureau, d’un PC un peu puissant, d’acheter une licence d’un code de calcul 3D (des milliers de licences ont été vendues de par le monde) et de s’adjoindre les services d'un stagiaire fraîchement sorti de l’école pour générer des résultats sur lesquels, bien souvent, il subsistera un doute. Soyons sérieux, les deux types de modélisations sont complémentaires et ont chacune leur spécificité :
Le modèle physique :
- Exige une bonne expérience dans le domaine souhaité de la part du laboratoire exécutant ;
- Exige de la place ;
- Exige une infrastructure dédiée (eau, pompes, mesures...) ;
- Exige un délai de réalisation, de réglage et d’appropriation ;
- Si l’on veut refaire des essais ultérieurement, il convient de le stocker et de le conserver en bon état ;
- Permet des petites modifications rapides (résultats souvent connus sous moins d'une heure) ;
- Plusieurs configurations d’essai (combinaisons de pompes, niveaux...) peuvent être testées dans la journée ;
- Exige un délai pour des modifications de plus grande importance (ce qui nécessite de maîtriser la conception hydraulique de base) ;
- Permet une appréciation qualitative (colorants, fils de laine...) ;
- Rend complexe et grossière l’appréciation quantitative (mesures par vortomètres, micro-moulinets...) ;
- Est très didactique pour la relation com-
merciale avec le client (force est de constater que le modèle fonctionne).
Le modèle numérique (CFD ou Computational Fluid Dynamics)
- Exige une solide expérience, tant quant au maniement des logiciels (maillage, calcul, post-traitement), qu’à la connaissance de l’hydraulique, ceci afin de déceler et qualifier toute anomalie, qu’elle soit un artéfact de calcul ou une particularité bien réelle de l’écoulement dans l’ouvrage ;
- Prend peu de place ;
- Exige des temps de maillage, de calcul (même s’il prend toute une nuit) et de post-traitement non négligeables pour avoir le résultat d’une modification mineure (pour un gros ouvrage le temps d’un cycle est d’environ 24 h) ;
- Exige un temps d’appropriation par l’opérateur ;
- Permet une réutilisation ultérieure facile (seuls des fichiers informatiques sont stockés) ;
- Donne des résultats quantitatifs précis (vitesses connues en module et en direction, cartographies avec une résolution ayant la finesse du maillage) ;
- Chaque configuration de fonctionnement (combinaisons de pompes, niveaux…) exige un nouveau calcul (cycle de 24 h) ;
- Exige une très bonne maîtrise du post-traitement pour obtenir une restitution des données permettant une compréhension sans ambiguïté par l’esprit humain des phénomènes mis en jeu ;
- Est très prisé des donneurs d’ordres profanes (sensation d’être avant-gardiste), mais les résultats graphiques peuvent être mal interprétés par ceux-ci ;
- Est très utile pour comprendre le fonctionnement de modules hydrauliques d’un ouvrage (diffuseurs, déversoirs, …) et pouvoir leur apporter le perfectionnement nécessaire ;
- Ne peut modéliser les entraînements d’air, de graisse et de sédiments.
Ajoutons que si certains pensent qu’en appuyant sur une touche la machine peut restituer le design d’un ouvrage hydraulique, ils se trompent, la conception nécessitant là aussi une énorme dose de savoir-faire.
Le modèle numérique est sans doute un outil précis mais ce n’est pas le plus efficace pour simuler les conditions d’écoulement diphasique et triphasique d’un ouvrage complexe.
Dans notre cas, compte tenu du délai nécessaire pour procéder à des prévisibles et indispensables développements, au demeurant mineurs, du concept hydraulique, le choix d’une modélisation numérique aurait été incompatible avec le planning imposé. Si l’on y ajoute le côté commercial didactique du modèle physique, rien ne s’opposait alors à ce choix.
Modèle physique hydraulique
Le choix du laboratoire où a été réalisé le modèle s’est fait sur des critères de compétences, de disponibilité et de prix. Celui-ci a proposé une modélisation à l’échelle 1/8ᵉ, choix qui a été retenu par Safege. Lorsque l’on veut valider la conception des ouvrages hydrauliques en utilisant un modèle physique, il est nécessaire de respecter les lois de similitude. Ces lois permettent la simulation et l’extrapolation des résultats du modèle réduit (appelé « modèle ») à l’ouvrage conçu (« prototype » est le nom que l’on donne à l’ouvrage construit à l’échelle 1/1).
Les deux principaux nombres sans dimension qui sont impliqués dans ces lois de similitude sont :
- Le nombre de Froude (Fr)
- Le nombre de Reynolds (Re)
Fr correspond au rapport entre les forces d’inertie et les forces de gravité, il s’exprime ainsi :
\[ \text{Fr} = \frac{V}{\sqrt{gH}} \]
Avec :
- g : accélération de la pesanteur
- H : hauteur d’eau dans le bassin
- V : vitesse dans la section de référence considérée (tulipe d’entrée de pompe par exemple)
Le nombre de Froude doit être égal entre le prototype et le modèle.
Re correspond au rapport entre les forces d’inertie et les forces de viscosité, il s’exprime ainsi :
\[ \text{Re} = \frac{VD}{\nu} \]
Avec :
- V : vitesse dans la section de référence considérée (tulipe de pompe)
- D : diamètre de la section de référence considérée (tulipe de pompe)
- ν : viscosité cinématique du fluide considéré
Il est nécessaire de choisir un modèle réduit de taille suffisante pour s’assurer que les effets de la viscosité sont négligeables au cours des essais.
Selon la norme American National Standard for Pump Intake Design ANSI 9.8-1998, ces effets sont négligeables à partir d’un Re > 3 × 10⁵.
Il convient de vérifier que ce nombre de Reynolds critique minimal est bien appliqué dans toutes les zones du modèle, si celui-ci est trop petit cette condition ne sera pas atteinte, et les écoulements ne seront pas en similitude.
Dans notre cas par exemple, en choisissant un modèle au 1/8ᵉ avec un diamètre en entrée de pompe de 0,5 m et avec un débit de 1 m³/s, le nombre de Reynolds est d’environ 2,25 × 10⁶ à pleine échelle ; sur le modèle il est de 9,9 × 10³, ce qui est bien au-delà du minimum demandé.
En conséquence, selon les lois de similitude vues précédemment, une maquette au 1/8ᵉ est conforme aux exigences et représente un ratio raisonnable entre la précision recherchée d’une part et la taille et le coût d’autre part.
Relations entre les grandeurs physiques dans un modèle
Après sélection de l’échelle géométrique appropriée, voyons sans entrer dans le détail, les facteurs d’échelle entre le prototype et le modèle.
Dimension : Valeur sur la maquette
Dimension | Valeur sur la maquette |
---|---|
Géométrie | 1/8 |
Vitesse | 1/2,83 |
Débit | 1/181,02 |
Temps | 1/2,83 |
Force | 1/512 |
¹ Typhoon Consultants Ltd, Moryfield Close, Moryfield Essex, Yeadon, Leeds LS19 7AJ, England.
Vérification du bon fonctionnement de la station de pompage
Les contrôles suivants ont été effectués afin de vérifier le bon fonctionnement de la station de pompage :
- Étude de l’écoulement dans les dégrilleurs (profil des vitesses) et dans les
Le modèle
Deux modèles de pompes de deux constructeurs différents ont été modélisés et testés dans la maquette.
Les deux chambres latérales étant symétriques, une des deux chambres n’a pas été modélisée, seul le débit pompé dans cette chambre a été simulé. La déduction du comportement de la chambre latérale, non modélisée, se fait par « miroir » de la chambre latérale modélisée.
La maquette est réalisée à la fois en PVC et en Plexiglas de façon à pouvoir observer les phénomènes visualisés avec du colorant ou compter les rotations des vortomètres.
Les essais
Les premiers essais avaient pour but de qualifier les écoulements dans les dégrilleurs et ceci quelle que soit la combinaison utilisée.
- Caractérisation de l’écoulement dans les bassins d’aspiration pour tous les niveaux de fluide, débits et combinaisons de pompes afin d’identifier toutes les conditions de fonctionnement défavorables.
- Caractérisation de l’écoulement dans les bassins d’aspiration et détermination d’éventuelles zones d’eau morte.
- Apparition éventuelle de vortex de surface (entraînement d’air) ou noyés à proximité de l’aspiration des pompes.
- Caractérisation de l’écoulement à l’entrée des pompes (prération).
- Détermination du niveau d’eau minimum acceptable pour le fonctionnement de la pompe et l’auto-nettoyage des bassins d’aspiration.
Ils ont montré que bien que l’énergie du flux entrant ait été correctement dissipée dans le bassin situé immédiatement en sortie de tunnel, les vitesses à l’approche des dégrilleurs pouvaient dans certains cas rester excessives. L'augmentation de la dissipation d’énergie par une modification simple des canaux d’alimentation des dégrilleurs a rétabli un fonctionnement correct de ceux-ci (voir figure 6).
Une mise en rotation de la masse d’eau de chaque bassin a été observée, elle était prévisible mais le dimensionnement et le calage d'un dispositif permettant d’arrêter cette mise en rotation ne pouvaient être que le fruit de l’expérimentation (voir figure 7). La seconde étape a donc consisté à équiper les bassins latéraux d'un déflecteur pour rétablir l'équilibre des flux à l’approche des pompes. Celui-ci a réussi à réduire la rotation de l’écoulement dans les bassins extérieurs, réduisant ainsi le déséquilibre de la vitesse à travers chacune des ouvertures de la paroi où sont adossées les pompes (voir figure 8).
Des blocs déflecteurs de flux ont également été développés pour être placés dans toutes les ouvertures de tous les bassins (dans la paroi d’adossement des pompes au sein de chaque bassin) afin de dévier l’effet de jet de l’écoulement alimentant directement les aspirations des pompes. En outre, la hauteur des ouvertures a été réduite entre les trois pompes situées dans l'axe du bassin central pour diminuer le déséquilibre des flux d’alimentation des pompes du bassin central (voir figure 9 et figure 10). Les essais dans certaines configurations de la station de pompage à bas niveau et bas débit ont fait apparaître des vortex de surface sur les pompes situées dans les angles des bassins. La réduction de 500 mm de la hauteur des « splitters » opposés à chacune des pompes a éliminé l'apparition de vortex de surface sur toute la plage de fonctionnement. Ce phénomène est assez surprenant car ces équipements ont été installés volontairement pour limiter l’apparition de vortex et ceci conformément aux règles de l'art.
Deux leçons sont à tirer de cette observation :
- • Malgré l'application des règles de l'art et du savoir-faire de l'ingénieur, rien n’est absolu et l’humilité doit rester la règle ; les lois de la physique peuvent parfois nous surprendre.
- • L’utilité de recourir à la modélisation physique est ici pleinement démontrée.
Validation de la conception
Les essais de validation ont montré que :
- • Les profils de vitesses étaient équilibrés
et conformes dans chacun des canaux de dégrilleurs.
- • La répartition du débit entre chacun des canaux de dégrilleurs était conforme et ceci pour toute la gamme complète des débits de fonctionnement de la station de pompage.
- • Le développement des déflecteurs, la réduction de hauteur des ouvertures et l’adjonction des blocs déflecteurs de flux inscrivaient la prérotation à l’entrée des pompes dans les limites acceptables sur toute la plage de fonctionnement de la station.
- • Aucun vortex de surface n’apparaît dans la plage de fonctionnement et toutes les configurations de la station.
La conception de la station de pompage avec un nettoyage automatique fait que les matières de type graisse et sable sont facilement transportées vers les bassins périphériques pour y être pompées.
- • Les niveaux de turbulence en surface sont suffisamment faibles en fonctionnement normal pour que les accumulations de graisse soient collectées à la surface de l’eau dans les bassins, ce qui était une exigence de conception de la station de pompage pour collecter les flottants avec un dispositif de préhension. Deux choix s’offrent donc à l’exploitant pour récupérer les graisses : l’interception par prélèvement mécanique ou l’autocurage de la station.
- • Les sédiments tels que sable et petits cailloux ne s’accumuleront pas dans les canaux de dégrillage car ils seront interceptés par les « pièges à bâtards », soit transportés vers les bassins de pompage. L’arrivée massive de sédiments peut être résorbée lors de l’autocurage de la station.
Le modèle réduit étudié sur la base du Conceptual design a montré que seuls des ajustements de détail étaient nécessaires afin d’en parfaire le fonctionnement, que la conception hydraulique était bonne et que le Preliminary design pouvait reprendre ainsi sans modification structurante du génie civil les données du Conceptual design.