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Utiliser la simulation numérique pour améliorer la désinfection par le chlore, l'ozone ou les ultraviolets

30 mai 1999 Paru dans le N°222 à la page 41 ( mots)
Rédigé par : Arnaud COCKX et Zdravka DO-QUANG

Dans une filière de traitement des eaux à potabiliser, le procédé de désinfection est essentiel puisque c'est l'étape ultime avant distribution. Afin de répondre aux critères de qualité de plus en plus stricts dans les usines de production d'eau potable, les efforts sont orientés vers la fiabilisation et l'optimisation des procédés tout en maîtrisant les coûts d'exploitation. Dans ce cadre, l'utilisation de la simulation numérique permet de quantifier l'efficacité et le prix de la désinfection en amont de la conception ou de la réhabilitation. Des exemples concrets d'applications pour la désinfection par le chlore, l'ozone ou les UV sont présentés pour illustrer les capacités de l'outil numérique à proposer des solutions dans le cas de réhabilitation ou de dimensionnement d'installations. La réalisation des solutions retenues a permis des gains significatifs de qualité.

Le rôle primordial des installations de traitement de l'eau est de rendre disponible, en quantité suffisante, une eau de qualité adéquate destinée à la consommation. Or, les bactéries et autres organismes aquatiques, y compris les virus et les parasites, constituent un risque majeur pour la santé. Dans ce contexte, l’étape ultime de désinfection est un procédé incontournable pour le distributeur d’eau qui vise à l’élimination de ce risque. Divers procédés peuvent alors être utilisés : l’attaque chl-

[Photo : Figure 1 : Les différentes étapes de travail en CFD : Pré-processing (maillage) – Processing (résolution) – Post-processing (visualisation)]

…mique oxydante par chloration ou ozonation, l’attaque photochimique par rayonnement UV ou l’élimination physique par clarification, filtration et procédés membranaires. Quelle que soit la méthode mise en œuvre, une des préoccupations permanentes du producteur d’eau potable est la fiabilisation de ces traitements en maîtrisant les coûts d’exploitation et d’investissement. Afin de répondre rapidement et à moindre coût aux besoins d’optimisation des procédés existants ou de mieux dimensionner les nouvelles stations de traitement d’eau potable, le Centre International de Recherche sur l’Eau et l’Environnement (CIRSEE) de Lyonnaise des Eaux développe depuis quelques années des outils de modélisation et de simulation numérique. Ces outils au service des exploitants facilitent le diagnostic et l’aide à la décision.

Comment améliorer la désinfection ?

L’efficacité de désinfection est directement liée au temps de contact T avec le désinfectant concerné et à sa concentration C : le produit CT. Dans un réacteur parfaitement agité et fermé, la concentration en désinfectant est homogène et le temps de contact est identique pour tous les micro-organismes. L’efficacité dépendra de paramètres purement cinétiques (temps, température…). En revanche, dans un réacteur ouvert, la concentration en désinfectant est loin d’être homogène et les molécules d’eau n’ont pas toutes le même temps de séjour. Il existe une distribution des temps de séjour (DTS) de ces filets fluides qui conduisent à une distribution de la dose de désinfectant (ou de CT). Cette distribution de qualité dans le traitement est assez difficile à appréhender par des calculs globaux puisqu’elle résulte d’une interaction locale de l’hydrodynamique et de la chimie. Expérimentalement, il est possible d’obtenir la DTS par l’injection d’un traceur et de combiner ce résultat à un modèle de cinétique chimique pour évaluer les performances du traitement. C’est une méthode qui se fait sur une installation existante, donc a posteriori.

Aujourd’hui, on dispose d’outils de calcul qui permettent de simuler le comportement hydrodynamique d’un réacteur a priori. Ces codes résolvent numériquement les équations universelles de la mécanique des fluides, assistés en cela par la puissance exponentielle des ordinateurs (Computational Fluid Dynamics : CFD). Issus des domaines de l’aéronautique, de la thermohydraulique, de l’automobile ou du nucléaire, ils ont été largement éprouvés et améliorés lors de cette dernière décennie.

En particulier, le code Estet-Astrid développé par le Laboratoire National d’Hydraulique d’EDF est utilisé au CIRSEE pour simuler les écoulements des fluides dans les divers réacteurs du traitement de l’eau sans qu’il y ait besoin d’avoir recours à de longs et coûteux essais pilote.

Le réacteur numérique ainsi créé permet de prendre en compte une multitude de paramètres complexes qui interagissent les uns avec les autres : hydrodynamique turbulente en géométrie complexe, qualité d’eau, conditions de fonctionnement du procédé, réactions chimiques multiples en série ou en parallèle et, en écoulement gaz-liquide, transfert de masse entre phases.

Qu’est-ce que la CFD ?

La CFD (Computational Fluid Dynamics) ou MFN (Mécanique des Fluides Numérique) est la résolution des équations fondamentales de la mécanique des fluides par des moyens informatiques itératifs.

[Photo : Figure 2 : Traçage numérique avant et après réhabilitation d’une bâche de chloration (les couleurs chaudes représentent les zones de forte concentration en traceur)]
[Photo : Figure 3 et 4 : Tour d’ozonation de Nartassier (Volume de 350 m³, débit d’eau traité de 2600 m³/h) + Simulation de la répartition du gaz (en m³ de gaz par m³ d'eau)]

Le code de mécanique des fluides numérique repose sur des lois universelles de base connues depuis longtemps mais qui ne peuvent être résolues qu’avec les moyens informatiques actuels. Son principe de fonctionnement est décrit succinctement pour mieux appréhender son potentiel d’application.

Le comportement mécanique de l'eau est gouverné par les principes fondamentaux de conservation de la masse, de la quantité de mouvement et de l’énergie dans un milieu continu. Ces équations de conservation s’expriment mathématiquement pour donner les équations de Navier-Stokes dans le cas d'un fluide newtonien. Pour des cas physiques et géométriques très simples, ces équations peuvent se résoudre analytiquement mais la plupart du temps, il est nécessaire d'utiliser des méthodes numériques (éléments finis, volumes finis, …) pour obtenir une solution. Dans ce cas, les équations différentielles décrivant le problème sont discrétisées et résolues par ordinateur. La discrétisation consiste à découper le domaine fluide en éléments ; c’est l’étape du maillage de la géométrie étudiée. Ensuite, il faut définir les conditions limites aux frontières du domaine (débits d’entrée, parois rugueuses ou non, surface libre de l’eau, sorties de fluides, …) et les propriétés physico-chimiques du fluide (densité, viscosité, …). On obtient alors une maquette virtuelle du problème posé.

À ce stade, l'utilisateur obtient une réponse hydrodynamique au problème posé. Il peut visualiser sous forme de vecteurs ou de contours de couleurs différentes des variables telles que la vitesse de l’eau (du gaz), la pression, l’énergie cinétique turbulente, la densité… Il est également possible d’ajouter des équations supplémentaires que l'utilisateur souhaite résoudre avec l’hydrodynamique. Celles-ci peuvent être par exemple des réactions chimiques : les concentrations en réactifs et produits peuvent être alors visualisées sous forme d’isovaleurs ou graphiquement, sous forme de profils spatiaux ou temporels.

Quels résultats peuvent être obtenus en procédés de désinfection ?

Différents procédés étudiés au CIRSEE sont présentés par la suite. Ils montrent que la CFD permet de simuler des écoulements monophasiques (eau seule : chloration, UV) mais aussi des écoulements complexes diphasiques (eau + gaz), comme l’ozonation. Ces exemples illustrent la capacité d’un même outil à résoudre des problèmes de complexité très variable et à proposer des solutions concrètes pour l’amélioration de l’étape de désinfection.

Chloration

La chloration est un des plus anciens procédés de désinfection et elle reste toujours une étape importante dans la chaîne complète du traitement de l’eau. Souvent, les réservoirs de chloration présentent des dysfonctionnements hydrauliques tels que des zones mortes ou des court-circuits, qui induisent des hétérogénéités dans la désinfection (problèmes de désinfection incomplète, formation de sous-produits responsables des goûts et odeurs). Pour améliorer le procédé, l’eau doit évoluer de façon plus uniforme de l’entrée vers la sortie. Dans cet objectif, la simulation numérique permet de comparer l’impact d’une réhabilitation qui consiste à aménager avec le réacteur des chicanes.

La figure 2 montre la répartition d’un traceur numérique avant et après modification pour un réservoir de 2 500 m³ et un débit d’eau traitée de 1 500 m³/h : la distribution des temps de séjour est plus homogène dans la nouvelle configuration et il y a moins de phénomènes préjudiciables à une bonne maîtrise de la qualité. Après construction, un traçage expérimental a validé le résultat numérique. Pour une même dose de chlore, l'utilisation de la CFD a permis de gagner sur ce réservoir un facteur compris entre 3

[Photo : Figure 5 et 6 : Comparaison de l’ozone dissout numérique (en mg/l) et expérimental (en encadré) de Nartassier + Simulation de la répartition du gaz dans la tour de Morsang réhabilitée (en m³ de gaz par m³ d’eau)]

[Tableau 1 : Amélioration de l’efficacité de désinfection avant et après modification à Morsang (dose d’ozone appliquée ou taux de traitement de 1,5 mg/l)]

CT (mg·min/l)
Avant | Après | Gain
Mesure : 1,4 | 3,0 | +114 %
Simulation : 1,13 | 3,0 | +165 %

et 5 sur le CT, donc sur l’efficacité de désinfection. Le gain obtenu et la réussite de l’étude ont ensuite conduit Lyonnaise des Eaux à appliquer l’outil sur plusieurs sites en France (Aubergenville, Le Pecq, Viry, Vigneux, …) et à l’international (Horsley, Royaume-Uni).

Ozonation

Le contexte actuel de renforcement de la réglementation sur la qualité de l’eau potable et l’attention accrue vis-à-vis de micro-organismes tels que les kystes de Giardia et Cryptosporidium ont amené les exploitants à envisager la réhabilitation des différents ouvrages constituant les filières conventionnelles. L’étape de l’ozonation est en effet déterminante pour fiabiliser le traitement global d’élimination des kystes (l’ozone étant le désinfectant chimique le plus efficace contre ces micro-organismes). Pour répondre à l’évolution des contraintes sanitaires et économiques, la CFD a été utilisée pour optimiser le procédé de désinfection par l’ozone.

Dans un premier temps, les tours d’ozonation classiques de Nartassier (Côte d’Azur) ont été simulées pour valider l’outil numérique (Figure 4). Par rapport à la chloration, l’ozonation est en effet un procédé plus complexe à simuler puisque l’écoulement est diphasique : ce sont les bulles de gaz qui transfèrent de l’ozone à l’eau. C’est seulement ensuite que l’ozone dissous est disponible pour la désinfection. Un des points forts du projet a donc été de reproduire numériquement ce transfert gaz-liquide. Pour valider ces nouveaux résultats, en plus d’un traçage expérimental, des mesures d’ozone résiduel ont été réalisées en différents points du réacteur (Figure 5). La très bonne concordance des résultats expérimentaux et numériques a ensuite permis l’utilisation de l’outil pour la réhabilitation de l’ozonation sur d’autres usines.

Des propositions d’aménagement ont par exemple été réalisées à Morsang (Eau du Sud Parisien) en se basant sur les résultats de la simulation : des chicanes complémentaires sont ajoutées et de nouvelles conditions de diffusion de l’air ozoné ont été définies. L’originalité de ce travail réside dans la nouvelle conception des tours d’ozonation : diminution de la zone de diffusion et augmentation de la zone de contact (Figure 6). Ainsi, au lieu d’introduire l’air ozoné dans plusieurs compartiments afin de maintenir un niveau de résiduel bas mais constant le long du réacteur (Figure 5), il a été proposé d’injecter la totalité du débit d’air ozoné dans le premier compartiment de diffusion (Figure 6). Un résiduel élevé d’ozone est donc créé rapidement dans la première partie du réacteur. La zone de contact a un volume plus important et le temps de parcours de l’eau dans le réacteur est le plus long possible. Ainsi, le résiduel d’ozone va décroître jusqu’à atteindre une valeur de consigne en sortie. De cette façon, l’ozone est mieux utilisé dans le procédé et une meilleure performance de désinfection est atteinte.

Les essais après travaux à Morsang ont confirmé les prédictions du modèle et les garanties sur les performances hydrauliques, les rendements de transfert et l’efficacité de désinfection. Le temps de contact T effectif entre l’ozone et l’eau est augmenté d’environ 30 % et le résiduel d’ozone moyen C croît de 60 %. Ceci permet de doubler l’efficacité de désinfection (et le CT) pour la même consommation d’ozone (Tableau 1). Inversement, pour une qualité d’eau produite inchangée, une diminution des coûts d’exploitation des ouvrages permet d’obtenir un retour sur l’investissement des travaux de modification estimé à environ deux ans.

Les solutions techniques mises en place ont permis de modifier radicalement la conception d’un réacteur classique, mais la simulation peut aussi servir pour anticiper les changements technologiques majeurs comme l’ozonation en conduite. L’outil opérationnel a ainsi été appliqué avec succès à l’international sur les sites de Johor (Malaisie, tour classique) et d’Essex and Suffolk (Langham, Royaume-Uni, ozonation en conduite).

Rayonnement UV

L’utilisation des UV modifie la structure de l’ADN des micro-organismes et permet ainsi leur élimination. Depuis quelques années, la problématique liée à l’infectiosité par les Cryptosporidium a remis au goût du jour la désinfection UV en raison de ses performances d’inactivation. L’efficacité du procédé dépend de la dose de rayonnement absorbée par les micro-organismes. Pour que cette dose soit la même pour tous, les lampes UV sont disposées de manière homogène dans l’espace. Entre un réacteur pilote et une installation industrielle, les perturbations hydrodynamiques peuvent affecter significativement l’efficacité du procédé. Comme pour les procédés de désinfection précédents, l’hydrodynamique du réacteur

[Photo : Simulation d’un réacteur de désinfection UV, à lampes verticales, avant et après modification : répartition homogène des lampes et visualisation du champ de dose UV appliquée]

va influencer la distribution des temps de séjour et donc la distribution des doses reçues. La CFD permet d’étudier pour une configuration donnée la répartition de la dose reçue. Pour le réacteur présenté, des zones à faible irradiation sont mises en évidence le long des parois. Il est alors possible de modifier la géométrie de l'installation pour éviter ces zones de court-circuit où la désinfection est moins efficace. Cette étude a permis d’améliorer l’étape de désinfection UV sur le site d'Indianapolis aux États-Unis.

Conclusion

Améliorer la qualité de l'eau produite, diminuer les coûts d'exploitation, répondre aux nouvelles contraintes réglementaires sont autant d’exigences imposées aux exploitants d’usines d’eau potable. Que ce soit pour la construction ou la réhabilitation de l’étape de désinfection, il existe aujourd’hui des outils capables de simuler précisément le comportement hydrodynamique et chimique de ces réacteurs. L'utilisation au CIRSEE du logiciel de CFD Estet-Astrid, en parallèle à une validation expérimentale, est efficace et peut donner de très bons résultats quantitatifs pour la désinfection par le chlore, l’ozone ou les UV. Les bâches de chloration, les tours d’ozonation ou les réacteurs UV peuvent être maintenant étudiés, dimensionnés ou optimisés virtuellement avant d’engager l'action réelle.

De ce fait, les problèmes d’une distribution inégale de qualité d’eau sont réduits et les coûts d'investissement ou d’exploitation sont mieux maîtrisés. Utiliser la simulation numérique pour améliorer la désinfection permet :

  • * aux chercheurs scientifiques d’analyser et de comprendre plus précisément les phénomènes physico-chimiques afin de mieux concevoir de nouveaux procédés.
  • * aux ingénieurs de disposer d'un outil de conception et d'aide à la décision : il permet d’essayer virtuellement différents scénarios et de choisir la solution optimale en termes de performances et de coûts ; il est indispensable pour le dimensionnement des nouvelles installations, pour la maîtrise des procédés de traitement et la fiabilité du fonctionnement des usines, pour proposer la meilleure réhabilitation de l'existant.
  • * aux producteurs d'eau potable de disposer d’un support technique opérationnel et rapide pour fiabiliser l’étape de désinfection. Par son caractère universel, l’outil peut également être utilisé pour des applications en traitement des eaux résiduaires (bassins à boues activées, décanteurs).
[Encart : Références bibliographiques @ Cockx A., Modélisation de contacteurs gaz-liquide : application de la mécanique des fluides numérique aux airlifts, Thèse de l'Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse, France, 1997. @ Do-Quang Z., Études expérimentales et numériques des performances des contacteurs de désinfection de l’eau par le chlore, Thèse de l'Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse, France, 1993. @ Do-Quang Z., Lainé Jean-Michel, Advanced design of ozonation contactor for drinking water treatment : Use of Computational Fluid Dynamics Modelling for reactor performance evaluation, Proceedings of the annual conference of the American Water Works Association (AWWA), pp 531, Vol D, Atlanta, June 15-19, 1997. @ Douveneau A., Brignon J.-M., Chataigner O., Menge C., Chageau G., La simulation hydraulique, un outil indispensable pour la conception des usines de potabilisation, L'Eau L'Industrie Les Nuisances, n° 199, pp. 23-27, 1997. @ Hannoun I.A., Boulos P.F., List E.J., Using hydraulic modeling to optimize contact time, Journal AWWA, vol 90, pp. 77-87, August 1998.]
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