Dans la plupart des pays du monde, on assiste à un intérêt croissant et irréversible du grand public pour la protection de l'environnement. Le problème de pollution des eaux est de moins en moins toléré, et les techniques d’épuration dont le traitement par les plantes hélophytiques bénéficient d'une attention croissante. Les hélophytes intéressants dans le domaine de la phyto-épuration sont assez nombreux, parmi lesquels le roseau qui fait l’objet de cette étude. Les potentialités épuratoires des plantes aquatiques et plus particulièrement du roseau ont été mises en évidence par K. Seidel dès 1946 pour traiter des effluents industriels contenant des substances chimiques tels que les phénols, les chlorophénols et les métaux lourds. Depuis, cette nouvelle technologie extensive a été exploitée avec succès par plusieurs auteurs (Finlayson et Chick, 1983 ; Biddlestone et al., 1991 ; Tanner et al., 1993 ; Brix, 1993 ; Mandi et al., 1996...) pour le traitement de plusieurs types d’effluents (effluent de laiterie, d’abattoir, domestique, urbain...). En général, il est prouvé que les systèmes plantés sont plus efficaces que ceux non plantés (Radoux et Kemp, 1988 ; Wathugala et al., 1987).
La base du traitement par le roseau repose particulièrement sur le fait que :
- c'est une plante à rhizome horizontal et vertical qui fournit un support pour la croissance des bactéries et pour la filtration des substances particulaires (Gesberg et al.,
Mots clés : Arundo donax, Macrophytes aquatiques, Traitement des eaux usées, Climat aride
En comparaison avec les systèmes conventionnels, les systèmes plantés ont plusieurs avantages. Ils sont moins coûteux à construire et à exploiter, peuvent être construits sur le site de production des eaux usées, nécessitent peu d’équipements mécanisés et sont moins sensibles aux variations de charges polluantes (Brix, 1993).
L’objectif de cette étude est de mettre en évidence les potentialités du roseau à épurer une eau usée urbaine sous climat aride.
Matériel et méthodes
Le pilote expérimental est constitué de pots de capacité 115 litres (Figure 1) remplis sur une épaisseur de 5 cm de graviers et de 30 cm de sol (30 % argile, 34 % limon et 36 % de sable). Deux pots sont plantés de jeunes tiges d’Arundo donax (densité = 35 tiges/m²). Deux autres pots non plantés sont pris comme témoin. L’alimentation du système se fait exclusivement par des eaux usées urbaines en bâchées de 25 l/semaine avec un écoulement en percolation à travers le substrat. Durant la période d’étude (août 1994 - septembre 1995), les échantillons d’eau sont collectés chaque semaine à l’entrée et à la sortie de chaque système. Les analyses physico-chimiques des échantillons d’eau concernent : les matières en suspension, MES (Afnor T90-105) ; la demande chimique en oxygène, DCO (Afnor T90-101) ; le phosphore total, PT, et les orthophosphates, PO4 (Afnor T90-023) ; l’azote ammoniacal, NH4 (Afnor T90-015) et les nitrates, NO3 (Rodier, 1984).
Résultats et discussions
Les caractéristiques de l’effluent à traiter sont présentées dans le tableau I. C’est un effluent à pH proche de la neutralité et présentant une charge polluante dépassant 1 200 mgO₂/l de DCO totale.
Hydrologie
La variation saisonnière du temps de séjour ou du temps d’infiltration de la lame d’eau (25 litres) à travers le substrat est présentée dans le tableau II. Le temps d’infiltration des eaux usées dans les deux systèmes, planté et non planté, est variable selon la saison. Pour le lit à roseau le temps de séjour varie de quelques heures et atteint quelques minutes en été 1995. Ceci est probablement lié aux conditions climatiques et surtout au développement du système racinaire et rhizomateux qui entraîne l’augmentation de la conductivité hydraulique du système. Sous les mêmes conditions expérimentales, le sol non planté est incapable d’absorber le volume d’eau usée imposé par l’expérimentation. Un colmatage total survient dans ce système pendant la période hivernale.
Tableau I : Caractéristiques physico-chimiques de l’effluent à traiter
Paramètre | Valeur |
pH | 6,82 |
Conductivité (µS/cm) | 1 163 |
MES (mg/l) | 345,09 |
DCO totale (mgO₂/l) | 1 289,90 |
DCO dissoute (mgO₂/l) | 589,96 |
DCO particulaire (mgO₂/l) | 618,31 |
PT (mg/l) | 13,113 |
P-PO4 (mg/l) | 7,71 |
N-NH4 (mg/l) | 7,75 |
N-NO3 (mg/l) | 0,013 |
Tableau II : Variation saisonnière du temps d’infiltration ou de percolation de la lame d’eau (20 cm) à travers le substrat
Saisons | Sol planté | Sol non planté |
Été 94 | 3 h 03′ | 2 h 15 |
Automne | 0 h 46′ | 1 h 58 |
Hiver | 9 h 20′ | ND |
Printemps | 44′ | 22 h |
Été 95 | 22′ | 6 h 57′ |
ND : non déterminé
[Photo : Figure 1 – Schéma du dispositif expérimental]
[Photo : Évolution de la concentration des eaux en MES à l'entrée et à la sortie du système à roseau et du système témoin]
Il s'agit d'un dépôt des matières en suspension à la surface du sol et de la formation d’un film bactérien qui obture les interstices du sol (Radoux et Kemp (1988)). Durant la période chaude la couche colmatante se résorbe et le système retrouve progressivement sa conductivité hydraulique.
Le débit moyen à la sortie du lit à roseau (231,93 ml/min) est six fois plus élevé par rapport au sol non planté (37,69 ml/min), ce qui permet soit de traiter un volume d’eau usée plus important, soit de réduire la superficie nécessaire par équivalent habitant.
La présence du roseau permet donc le maintien d'une porosité suffisante pour assurer la percolation des eaux en traitement.
Performances épuratoires du pilote expérimental
Les figures 2 et 3 montrent respectivement l'évolution de la teneur en MES et DCO totale dans les deux systèmes : planté et non planté. Il y a une grande variation de la concentration des eaux à l’entrée laquelle ne se reflète pas à la sortie des deux systèmes testés. Cette concentration fluctue entre 120 mg/l à 650 mg/l pour les MES et entre 280 mg O₂/l à 2 700 mg O₂/l pour la DCO totale. Dans l'ensemble, les eaux usées traitées sont de qualité nettement meilleure par rapport aux eaux usées brutes.
La réduction des MES est de l'ordre de 91 % pour le lit à roseau et 83 % pour le sol non planté. Le test ANOVA montre que la différence entre les deux systèmes est significative (p < 0,05). L’élimination de la DCO totale est de 72 % et 74 % respectivement pour le lit à roseau et le sol non planté. Les deux systèmes permettent une réduction de presque la totalité de la DCO particulaire et de la moitié de la DCO dissoute. Le test ANOVA montre que l’efficacité des deux systèmes pour l’élimination de la DCO est similaire (p > 0,05).
L’élimination de la charge organique se fait surtout par simple filtration physique en plus des processus biologiques associés à la flore bactérienne et à la présence du roseau. La réduction des MES et de la DCO obtenue est similaire à celle trouvée par Gesberg et al. (1986) : temps de séjour de 6 jours et supérieure à celle obtenue par Urbanc-Bercic (1994) : MES : 73 % et DCO : 36 %.
Dans le cas de l’élimination des nutriments, les rendements sont variables selon la saison. Les besoins de la plante en azote et en phosphore s’accentuent en période de croissance (printemps et été) et diminuent pendant le repos végétatif (automne et hiver). En effet les meilleurs abattements sont obtenus pendant la période chaude surtout pendant l’été 95. Pendant l’hiver les pourcentages d’abattements diminuent (tableau III). Les abattements moyens obtenus par le lit à roseau sont de 26 %, 5 % et 20 % respectivement pour le PT, PO₄ et NH₄. Pour le sol non planté, il y a une surcharge de l’effluent en phosphore et en ammonium à la sortie du système. Cette surcharge coïncide avec la période de colmatage. Esser (1989) a attribué cette libération du phosphore à une modification du pH ou à une alcalinisation du sol. De plus, les conditions d’anaérobiose qui règnent probablement durant le colmatage du système peuvent entraîner cette surcharge de l’effluent.
Les taux d’épuration (ou rétention apparente) sont calculés à partir des concentrations des eaux à l’entrée et à la sortie des deux systèmes sans tenir compte des modifications de volume qui ont pu intervenir dans le système d’épuration (précipitation et évapotranspiration). L’évapotranspiration varie dans le système à roseau entre 17 % à 52 % et pour le sol non planté entre 5 % à 23 %. Si on tient compte de ces différences de volume, la rétention réelle obtenue par le lit à roseau est de 41 %, 26 % et 49 % respectivement pour le PT, les PO₄ et le NH₄. Pour le sol non planté la rétention réelle est de –7 %, –24 % et 1 % respectivement pour le PT, les PO₄ et les NH₄ (figure 4). La différence entre la rétention réelle et la rétention apparente est plus marquée surtout durant la période chaude où l’évapotranspiration est la plus élevée.
En général le lit à roseau est plus performant que le sol non planté. Le test ANOVA montre qu’il y a une différence significative entre ces deux systèmes (p < 0,05).
De meilleurs résultats ont été obtenus par Wathugala et al. (1987) et Finlayson et Chick (1983) avec un temps de séjour plus lent.
L’élimination des ions ammonium par ces deux systèmes peut être due à une immobili-
[Photo : Évolution de la concentration des eaux en DCO à l'entrée et à la sortie du système à roseau et du système témoin]
[Figure 4 : Comparaison de la rétention réelle (RR) et de la rétention apparente (RA) du PT, PO₄ et NH₄ par le système à roseau et le sol non planté]
Cette rétention est due à une minéralisation dans le sol, à une dénitrification et également à une transformation sous forme nitrique. En effet, on observe une production de nitrates à la sortie des deux systèmes. Les teneurs moyennes en nitrates dans les eaux usées épurées sont de 3,35 mg/l et 2,25 mg/l respectivement pour le lit à roseau et le sol non planté.
L’élimination du phosphore se fait par absorption par la plante, sédimentation et filtration physique et par adsorption et précipitation aux oxydes et hydroxydes de fer et d’aluminium et au calcium normalement présent dans le sol (Nichols, 1983).
[Tableau III : Variation saisonnière du pourcentage de réduction (rétention réelle) du PT, PO₄ et NH₄ par le lit à roseau et le sol non planté (témoin)]
Été-94 | PT 29 / 25 | PO₄ 13 / 5 | NH₄ 47 / 37 |
Automne | PT 51 / 21 | PO₄ 33 / 8 | NH₄ 59 / –1 |
Hiver | PT 5 / 62 | PO₄ 25 / –83 | NH₄ 31 / –61 |
Printemps | PT 62 / 34 | PO₄ 57 / 31 | NH₄ 50 / 48 |
Été-95 | PT 68 / 28 | PO₄ 65 / 28 | NH₄ 57 / 10 |
(Les valeurs sont exprimées en pourcentage ; la première correspond au lit à roseau, la seconde au témoin non planté.)
Conclusion
- - Pour l’ensemble de cet essai, il apparaît que la présence du roseau entraîne au niveau du sol le maintien d’une porosité suffisante pour permettre la percolation des eaux en traitement. Cette capacité mérite d’être signalée. Le risque de colmatage dans ce type de système est réduit.
- - Un débit six fois plus important à la sortie du système à roseaux par rapport au sol non planté permet d’assurer le traitement d’un volume d’eau usée plus grand ou bien de réduire la superficie nécessaire par équivalent habitant.
- - Les deux systèmes, planté et non planté, assurent une élimination importante de la charge organique.
- - L’élimination des nutriments par le lit à roseau est satisfaisante malgré le temps de séjour très court et reste meilleure par rapport au sol non planté.
[Photo]
Références bibliographiques
- - Afnor (1983). Recueil de normes Françaises : eau, méthodes d’essai, 2ᵉ édition, Paris.
- - Brix, H. (1993). Macrophyte-mediated oxygen transfer in wetlands : transport mechanisms and rates. In : Constructed wetlands for water quality improvement (G.A. Moshiri, éd.), Lewis Publishers, Boca Raton, Ann Arbor, London, Tokyo.
- - Biddlestone, A., Gray, K.R. & Job, G.D. (1991). Treatment of dairy farm wastewaters in engineered reed bed systems, Process Biochemistry, 26, 265-268.
- - Esser, D. (1989). Contribution à la compréhension des systèmes d’épuration rustiques à cultures fixées (lits à macrophytes, lits d’infiltration percolation), rapport, 81 p.
- - Finlayson, C.M. & Chick, A.J. (1983). Testing the potential of aquatic plants to treat abattoir effluent, Wat. Res., 17 (4), 415-422.
- - Gesberg, R.M., Elkins, B.V., Lyon, S.R. & Goldman, C.R. (1986). Role of aquatic plants in wastewater treatment by artificial wetlands, Wat. Res., 20 (3), 363-368.
- - Mandi, L., Bouhoum, Kh., Asmama, S. & Schwartzbrod, J. (1996). Wastewater treatment by reed beds. An experimental approach, Wat. Res., 30 (9), 2009-2016.
- - Nichols, D.S. (1983). Capacity of natural wetlands to remove nutrients from wastewater, Journal WPCF, 55 (5), 495-502.
- - Radoux, M. & Kemp, D. (1988). Épuration comparée des eaux usées domestiques par trois plantations hélophytiques et par un lagunage à microphytes sous un même climat tempéré, Acta Écologia Applic., 9 (1), 25-38.
- - Rodier, J. (1984). L’analyse de l’eau : eaux naturelles, eaux résiduaires, eau de mer, 7ᵉ édition, Dunod, Bordas, Paris.
- - Tanner, C.C. & Cooke, J.G. (1993). The role of artificial wetlands in treating nutrient-rich wastewaters and stormwater, communication présentée à la 22ᵉ Conférence technique des producteurs d’engrais de Nouvelle-Zélande, Dunedin.
- - Urbane Bercic, O. (1994). Investigation into the use of constructed reedbeds for municipal waste dump leachate treatment, Wat. Sci. Tech., 29 (4), 289-294.
- - Wathugala, A.G., Suzuki, T. & Kurihara, Y. (1987). Removal of nitrogen, phosphorus and COD from wastewater using sand filtration system with Phragmites australis, Wat. Res., 21 (10), 1217-1224.