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Utilisation de l'informatique dans l'épuration des eaux

27 février 1981 Paru dans le N°52 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Cl. ARNAUD

L’expansion de l’informatique est telle que la part de l'économie qui sera consacrée à cette activité dépassera, dès 1982, celle qu'occupe l'automobile aujourd'hui.

Il importe donc de suivre les progrès de cette technique, en particulier celle des systèmes industriels orientés vers le contrôle de procédés.

L'OMNIUM DE TRAITEMENT ET DE VALORISATION O.T.V. (regroupement des activités de l'O.D.A. et de la C.T.E.) a, pour sa part, tenté d'appliquer dès 1970 les systèmes d'informatique en temps réel dans les stations d’épuration et de traitement des eaux. Aujourd'hui, l'O.T.V. dispose de références de premier plan dans ce domaine et nous allons, dans cet article, développer les cas des stations d’ACHÈRES IV (Ville de PARIS) et de CAEN (District Urbain).

Toutefois, avant d’aborder les problèmes spécifiques de ces 2 installations, nous allons rapidement décrire la démarche conduisant à l'automatisation d'un processus à l'aide d’un calculateur numérique et, d’autre part, les grandes lignes de l'informatique industrielle.

AUTOMATISATION ET CONTRÔLE DE PROCESSUS

On entend généralement par processus une installation industrielle mettant en œuvre un procédé de fabrication. Le produit fabriqué doit répondre en qualité et quantité à des critères définis.

Toutefois des perturbations de natures diverses peuvent venir détériorer la qualité ou la quantité dudit produit.

C'est pourquoi on a recours à l’asservissement du processus dont on distingue 3 niveaux hiérarchiques :

  • — l’instrumentation,
  • — la régulation,
  • — l'optimisation.

Dans le cas spécifique de l'épuration des eaux résiduaires, les processus sont par exemple le traitement biologique par boues activées ou par cultures fixées, la coagulation-floculation, etc.

1. Instrumentation.

Elle regroupe l’ensemble des appareils de mesure donnant la connaissance d'un phénomène, elle est donc l'élément primaire de toute chaîne d’automa-

[Photo : Synoptique fonctionnel. (Photo Botti – Doc. O.T.V.)]
[Photo : Détails d'une armoire d’automatismes.]

Dans le cadre de l’épuration, l’instrumentation s'est développée dans 2 voies distinctes :

  • — l’adaptation au traitement des eaux des mesures industrielles classiques,
  • — l’analyse qualitative des pollutions et des critères spécifiques des eaux.

La première voie correspond aux mesures de débit, pression, niveau, température, etc., en essayant de s’affranchir des problèmes d’encrassement et de corrosion. On peut dire que de très gros progrès ont été réalisés dans ce domaine.

La connaissance des polluants et des caractéristiques physico-chimiques de l’eau requiert l’utilisation d’analyseurs qui sont des associations de capteurs et d’unités électroniques de calculs et de commande. Les premiers analyseurs extrapolés d’appareils de laboratoire étaient inadaptés à l’industrie et d’exploitation très difficile.

Le développement rapide des microprocesseurs conduit aujourd’hui les constructeurs à concevoir des appareils dans le but d’une utilisation sur site, dans un environnement hostile et demandant une exploitation limitée. C’est le cas pour les analyseurs d’ions spécifiques, de taux résiduel de chlore et d’ozone, les DCO et DBOmètres et déjà de la consommation énergétique de biomasse par mesure de l’ATP (Adénosine TriPhosphate).

2. Régulation.

La régulation d'une installation constitue la 2e étape du contrôle complet, elle utilise les mesures du premier niveau.

Réguler un ensemble consiste à maintenir constant un résultat dans une fourchette de valeurs déterminée a priori. Par exemple, pour réguler un débit au refoulement d’une pompe on calcule l'écart entre le débit effectivement mesuré et celui désiré (appelé alors consigne) et l’on réagit sur la pompe en fonction de cet écart. Cette fonction qui est souvent proportionnelle, intégrale et dérivée (le fameux régulateur PID) affranchit la pompe des perturbations extérieures que sont la charge à l’aspiration, la vitesse de rotation, etc.

3. Optimisation.

La régulation envisagée ci-dessus n’est qu’une partie de la régulation complète du processus conduisant à l’optimisation. Nous allons voir cette distinction pour l’épuration.

Les facteurs essentiels d'une bonne épuration biologique sont :

  • — le maintien du taux d’oxygène dissous dans la liqueur mixte,
  • — la concentration des boues activées,
  • — la décantabilité des boues,
  • — l’extraction des boues en excès.

Maintenir un taux d’oxygène dissous constant en ajustant le débit d’air insufflé dans la cuve d’aération est une régulation telle qu’envisagée au § 2.

La conjonction des 4 facteurs précédents permet la régulation totale de l’épuration biologique. Or tous ces facteurs sont dépendants, on dit alors que le système est multivariable.

Une telle régulation est mise en œuvre à partir d’un algorithme découlant de théories et d’expérimentations et aboutit à l’optimisation du processus pour produire qualitativement et quantitativement aux meilleurs rendement et coût possibles. L'algorithme est en général un modèle mathématique qui, le plus souvent, est élaboré à l’aide de l’informatique. C’est la direction actuelle des études du contrôle de l’épuration biologique et physico-chimique (voir l’article de M. A. MINIER, n° 50 - Décembre 1980, page 27).

INFORMATIQUE INDUSTRIELLE

L’informatique industrielle est une branche de l’informatique de gestion rencontrée traditionnellement dans les entreprises et les administrations.

Elle fait appel aux 2 mêmes concepts que sont le matériel et le logiciel.

Le matériel comprend :

— l'unité centrale de calcul (encore appelée processeur), la mémoire interne de travail, les différentes liaisons et périphériques dont machine à écrire et mémoire de stockage.

L'informatique industrielle se distingue justement au niveau des liaisons et périphériques. En effet, dans ce cas, le calculateur est relié au monde extérieur par des informations issues d'appareils de mesures (grandeurs dites analogiques) et d’états (marche-arrêt-position) de machines (grandeurs dites logiques).

Cette relation permanente avec l'extérieur implique la notion de temps réel dans laquelle une information n'est considérée comme valable qu'à un instant t qui est celui de son acquisition par l'ordinateur. La succession de ces informations élémentaires doit donner l'évolution de la grandeur observée. L'enregistrement d'un débit, par exemple, ne sera représentatif que si « l’échantillonnage » des valeurs instantanées était rapide. Les systèmes électroniques de liaison entre le calculateur et l’extérieur doivent donc être précis, rapides et fiables.

— Le logiciel est l'ensemble des programmes, traduits en langage informatique, qui permet à l’ordinateur d’effectuer le travail qu'on attend de lui.

On distingue essentiellement les logiciels de base, véritables modes d'emploi des calculateurs, vendus par les constructeurs et les logiciels d'applications écrits par un informaticien à partir d'une analyse fonctionnelle du problème à résoudre.

Dans notre cas les constructeurs ont développé des programmes de base temps réel performants, c'est-à-dire capables de gérer rapidement les différents outils d'un système informatique.

Pour ACHERES 4, la programmation est réalisée en FORTRAN (langage scientifique) autour d’un moniteur de base pour applications en temps réel.

Toutefois, afin de soulager l'utilisateur de la contrainte des informaticiens, les constructeurs ont mis au point des produits-programmes orientés vers le contrôle et la régulation de processus. L'O.T.V. a utilisé avec succès un tel produit dans l’automatisation de la station de CAEN.

L’ENSEMBLE INFORMATIQUE D'ACHERES 4

L'unité d'épuration ACHERES 4 reprend l'ensemble des dispositions retenues pour ACHERES 3 (1972), à savoir :

— décantation primaire avec épaississement combiné — aération biologique par fines bulles — clarification secondaire ;

— digestion anaérobie des boues fraîches en 2 étages ;

[Photo : Salle de contrôle Achéres IV. (Photo Augeron - Doc. O.T.V.)]

— récupération du gaz avec utilisation pour le chauffage du conditionnement thermique.

La capacité de traitement est de 2,5 millions d'habitants-équivalents (600 000 m³/j).

Un certain nombre d'améliorations ont été apportées comme la recirculation des boues biologiques par vis d'Archimède, la production d'air par soufflantes électriques à 2 étages, etc.

L’automatisation reprend elle aussi les grandes lignes d'ACHERES 3 mais bénéficie des progrès des capteurs et de l’informatique.

Le calculateur est un modèle SOLAR 16-40 de la SEMS*. Il gère le traitement complet des eaux et la digestion des boues.

Il est équipé :

— d'une chaîne analogique pour 70 mesures et de 112 entrées-sorties logiques ;

— d'une imprimante rapide ;

— de 2 télétypes pour éditions d’alarmes et développement des programmes ;

— d'une console écran avec clavier alphanumérique ;

— de deux unités de mémoire à disque d'une capacité de 5 millions de mots dont une en secours.

Cet ensemble pourra recevoir les informations de la tranche suivante ACHERES 5 par extension modulable de la mémoire centrale et des cartes électroniques d'entrées et sorties.

Les appareils de mesure, au nombre de 70, sont répartis sur la totalité des ouvrages et renseignent du bon fonctionnement.

On retrouve pour l'essentiel les mesures de :

— débits : eau, air, boues ;

* SEMS : Société Européenne de Mini-informatique et de Systèmes (Groupe THOMSON).

[Photo : Schéma synoptique de la station d’épuration d’Achères IV.]

— concentration : boues activées, boues fraîches, gaz de digestion, oxygène dissous ; — puissances électriques ; — niveau, pression et température pour les auxiliaires de digestion.

Chaque voie de mesure subit les traitements suivants :

— acquisition, mémorisation ; — mise à l’échelle physique ; — linéarisation (pour les débits mesurés par venturis) ; — surveillance par rapport à des seuils avec éditions d’alarmes de dépassement ; — totalisation (pour les débits) ; — moyenne (pour les concentrations) ; — calcul pour bilan d’exploitation et régulation.

Mais le rôle le plus important du calculateur est l’automatisation totale du traitement des eaux qui comprend :

— la régulation du débit d’eau prétraitée admise en décantation primaire ; — la régulation sur 2 files indépendantes du débit d’eau décantée admise en épuration biologique ; — la régulation des 4 soufflantes de production d’air pour le biologique (70 000 m³/h sous 5 500 mm CE ‑ 1 350 kW) ; — la répartition de l’air sur les 2 cuves d’aération ; — la régulation du débit des boues activées à extraire.

L’ordinateur calcule le besoin en oxygène dissous de chaque cuve, ce qui détermine la demande globale en air et donc l’action sur les 4 soufflantes. On répartit ensuite l’air sur les 2 cuves au prorata des demandes en air de chacune d’elles. Ces 2 régulations s’exécutent en cascade.

Pour l’extraction des boues en excès, le système calcule, à partir des mesures de débit d’air, de concentration des boues activées, de débit d’eau et de la variation de l’air (calcul de la dérivée du débit), un débit théorique de boues à extraire. Le calculateur commande alors la marche et la vitesse des pompes d’extraction.

L’extraction des boues fraîches des 4 décanteurs est automatique avec un programmateur de cycle. Le débit de soutirage est réglé par un régulateur.

Électronique. De plus, lorsque la concentration des boues est trop faible, 30 à 40 g/l, le soutirage est stoppé. Ainsi donc la totalité de la chaîne de traitement des eaux est-elle automatisée.

Ce calculateur, par les informations traitées, permet une aide à l'exploitation et à la décision. Cette aide se matérialise par la surveillance des mesures et des équipements et par l'édition de journaux d'exploitation.

Dans le cadre de la régulation de la production d'air, l'ordinateur prévient l'exploitant du moment opportun pour arrêter ou démarrer une machine, le choix incombant à l'homme de quart. Si la production d'air est insuffisante, le calculateur fournit la valeur maximum de débit d'eau à admettre pour maintenir un rendement d’épuration correct.

Les éditions comportent :

  • — un journal de valeurs instantanées toutes 15 minutes,
  • — un journal quotidien de totalisations, de moyennes et de calculs de rendements énergétiques.

L'exploitant peut visualiser par un dialogue simple l'état de la station par zones de traitement et stocker sur la mémoire à disque les mesures totalisées chaque jour pour établir ensuite des résultats statistiques. La capacité de stockage est d'un an environ.

Le calculateur Solar permet de plus d'effectuer des mises au point de programme écrits en langage FORTRAN sans avoir accès aux programmes temps réel du contrôle de l’épuration. Cet outil informatique ouvre ainsi des possibilités de gestion, de calculs statistiques, etc., pour améliorer la productivité de cette grande usine.

LA STATION D’ÉPURATION DE CAEN

Le contexte de cette station est très intéressant car l’opportunité d'un ensemble informatique est apparu au cours des travaux d’extension de la 3ᵉ tranche.

En effet, la station de Caen comporte 2 tranches identiques pour 70 000 équivalents-habitants en traitement biologique par insufflation d'air (système INKA) et une 3ᵉ tranche à hauteur de 365 000 équivalents-habitants fonctionnant pour le traitement biologique à l’oxygène pur.

Très rapidement on s'est rendu compte de l'intérêt de mettre en œuvre une technique numérique de traitement d’informations, compte tenu, d'une part, du nombre de mesures et d'équipements à surveiller du seul fait de 3 tranches distinctes et, d’autre part, de l’intérêt de comparer les techniques de traitement à l'oxygène.

Après accord avec le District Urbain de Caen, nous avons installé un calculateur du type Solar 16-40 de la SEMS utilisant comme logiciel un produit-program-

[Photo : Implantation des mesures raccordées sur calculateur]
[Photo : Console de visualisation informatique]

Elle est orientée vers la surveillance et le contrôle d’installations industrielles.

Cette installation assure les fonctions suivantes :

  • — acquisition de 42 mesures analogiques réparties sur les 3 tranches et le traitement des boues dont l’incinération avec mise à l’échelle physique, surveillance et éditions d’alarmes ;
  • — acquisition de 45 grandeurs logiques correspondant à des états de machines (marche - arrêt - défaut, position, etc.) avec surveillance et éditions d’alarmes ;
  • — gestion technique des équipements définissant les dates d’interventions d’entretien sur les machines en fonction des temps réels de marche ;
  • — calculs du rendement d’épuration par tranches et des masses de pollution traitées en intégrant les mesures analogiques (débit-énergie) et les analyses de laboratoire mises en mémoire par l’exploitant ;
  • — édition de journaux : valeurs instantanées, totalisations, moyennes, etc. ;
  • — régulation automatique directe des 2 tranches classiques sur la boucle de réglage de l’oxygène dissous (action sur ventilateurs d’insufflation) et sur la boucle d’extraction des boues en excès (action sur pompes) ;
  • — la régulation de l’injection d’oxygène dans la cuve d’aération (procédé UNOX) est faite par des régulateurs électroniques et consiste à maintenir une pression constante dans le matelas d’oxygène au-dessus du plan de la cuve qui est couverte.

L’expérience du produit-programme est très concluante, en effet, seules les fonctions non standards de régulation, certains calculs de rendements et de moyennes sont programmés ; les autres fonctions : acquisition, surveillance, édition, gestion des périphériques, etc., sont simplement décrites et peuvent être modifiées directement par l’exploitant sans connaissance particulière d’informatique.

Ce système permet, par exemple, de composer soi-même un tableau d’édition dans lequel on insère les grandeurs que l’on désire particulièrement observer avec une cadence de surveillance réglable. De plus, pour chaque mesure 3 valeurs instantanées, la moyenne et la totalisation sont stockées sur mémoire externe (disques souples) chaque jour.

L’ensemble de ces données est édité à la fin du mois pour études statistiques.

CONCLUSIONS

À travers cette description rapide des installations d’ACHÈRES et de CAEN, apparaissent clairement les deux intérêts essentiels apportés par les calculateurs :

  • — le contrôle et la régulation du processus d’épuration pour maintenir et améliorer les rendements dont la consommation énergétique ;
  • — la surveillance complète d’une installation et l’aide à l’exploitation.

L’informatique apparue il y a 10 ans dans le domaine du traitement des eaux en France comme à l’étranger n’a pas connu un développement aussi grand que dans l’industrie, ceci étant dû au manque de fiabilité des capteurs et à l’inadaptation des calculateurs ; de plus le coût était important pour une activité sans profit.

Cependant, une deuxième phase de développement apparaît par le double fait de la chute des prix de la technologie électronique et la mise au point de programmations performantes qui conduira à des installations rentables même sur des stations de faible importance.

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