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Utilisation d'un procédé semi continu pour la biodégradation des effluents industriels contaminés par des composés xénobiotiques

30 novembre 1992 Paru dans le N°159 à la page 71 ( mots)
Rédigé par : Alain LADOUSSE, German BUITRON, Bernard CAPDEVILLE et 1 autres personnes

De nombreuses stratégies sont actuellement mises en œuvre pour traiter les sols ou les eaux contaminées par les composés xénobiotiques (produits chimiques de synthèse). Toutes mettent en jeu des techniques physico-chimiques, parfois biologiques complémentaires, mais peu sont satisfaisantes. Cependant les potentialités des micro-organismes en ce domaine semblent immenses. Le besoin de méthodes substituées à l'incinération et à l'enfouissement des déchets devient une préoccupation prioritaire pour les pouvoirs publics, et donc pour les industriels. D’après une étude américaine, le marché de la dépollution aux États-Unis devrait atteindre une valeur de 500 millions de dollars d'ici à la fin du siècle, alors qu'il est actuellement de 100 millions. Ces chiffres comprennent les coûts de réalisation, du traitement, de la préparation des inocula et des nutriments (Hogan, 1990). Selon la même perspective, les Agences Françaises de l’Eau (Étude Inter-Agences, 1992) font apparaître la volonté de favoriser l'émergence de technologies nouvelles, comme par exemple les biotechnologies, pour le traitement des rejets toxiques.

L'utilisation des micro-organismes, pour la transformation des composés organiques, est largement reconnue comme une méthodologie relativement peu chère et efficace pour réaliser la dégradation de composés chimiques toxiques présents dans les sols, les eaux souterraines, les effluents industriels... Malgré ces avantages indéniables, actuellement beaucoup d'industriels et d'agences régulatrices n’ont pas totalement accepté cette technologie, principalement à cause d’un manque de maîtrise des processus biologiques, chimiques et microbiologiques liés à la biodégradation ou à la persistance de ces composés dans l’environnement.

C’est dans ce cadre que nous effectuons actuellement des recherches dans le but de concevoir et maîtriser un procédé biologique de type semi-continu, qui permettra de contrôler et maintenir une activité maximale des micro-organismes pour les phases d’acclimatation et de dégradation de composés xénobiotiques. Le phénol et le 4-chlorophénol ont été utilisés comme composés représentatifs des xénobiotiques et comme seule source de carbone et d’énergie. Ces composés se trouvent dans la plupart des effluents de type industriel : les composés phénolés sont le principal polluant des eaux résiduaires de l'industrie du raffinage du pétrole, des usines pétrochimiques, de la carbochimie et des fours à coke ; les composés chlorophénolés sont souvent utilisés comme des biocides pour la préservation des bois et sont aussi déchargés dans les effluents de l’industrie de pâte à papier où ils se sont formés durant le procédé de blanchissement de la cellulose.

L'acclimatation des micro-organismes aux composés chimiques organiques de synthèse est une étape cruciale du processus de biodégradation, spécialement quand il s’agit de composés considérés comme difficilement biodégradables. La durée de cette

[Photo : Schéma du pilote de laboratoire]
[Photo : Cycle de fonctionnement d’un réacteur de type SBR.]

phase, pour des cultures microbiennes qui sont exposées pour la première fois à des composés chimiques, peut varier de quelques heures à plusieurs semaines (voire quelques mois), et va dépendre de la quantité et de la qualité de l'inoculum utilisé. Cette phase se caractérise par une forte sélection au niveau des micro-organismes épurateurs et la mise en place de voies métaboliques très précises (Kim et Maier, 1986 ; Aelion et al., 1989). Donc, pour obtenir une biodégradation performante et utiliser les capacités maximales de la culture acclimatée, il s’avère nécessaire que l’activité du consortium microbien soit maintenue aussi élevée que possible, et ce afin d’éviter une perte dans les potentialités déjà acquises.

Description du système-pilote utilisé

Le pilote de laboratoire utilisé est représenté sur la figure 1. Le montage expérimental est constitué d’un réacteur batch de 5 litres fonctionnant en mode séquentiel par rapport au temps. Dans la littérature anglo-saxonne ce type de réacteur est appelé SBR, c’est-à-dire Sequencing Batch Reactor. La méthodologie respirométrique utilisée pour suivre l’évolution du substrat dans le temps et contrôler le réacteur a été décrite par ailleurs (Buitron et al., 1992). Elle est basée sur la production de CO₂ par les micro-organismes aérobies lors de l'oxydation exogène d’un substrat carboné (soluble ou non soluble). La mesure du CO₂ dans la phase gaz traversant le milieu réactionnel présente des avantages pratiques indéniables par rapport aux techniques classiques, lorsqu’on souhaite réaliser le suivi en ligne de la biodégradation d’un composé. Les principaux avantages sont les suivants :

  • — la méthode est applicable et généralisable à tout type de composé (soluble ou non soluble), ce qui évite l’utilisation d’une technique d’analyse spécifique, pas toujours adaptée à un contrôle en ligne ;
  • — la mesure de la concentration en biomasse n’est pas nécessaire ;
  • — la méthode est simple à mettre en œuvre, reproductible et fiable.
[Photo : Courbe typique obtenue lors des cycles de biodégradation.]

Dans le cas de l’étude de laboratoire, le réacteur est équipé, dans la phase liquide, d’une sonde à oxygène dissous et d’une électrode de pH, tandis que la phase gaz est couplée à une cellule infrarouge de détection du CO₂. Les signaux de sortie de ces appareils sont connectés à un ordinateur qui stocke, gère et exploite en temps réel l’ensemble des données afin de procéder à un contrôle optimal du réacteur à partir du taux d’évolution en CO₂ (TEC).

L’utilisation de procédés de type semi-continu ou SBR pour la maîtrise de consortium microbien performant, lors de processus de dégradation de composés xénobiotiques, a été déjà évoquée, aussi bien au niveau pilote qu’au stade industriel (Irvine et Ketchum, 1989) ; cette technologie présente les avantages suivants par rapport aux procédés conventionnels à alimentation continue :

  • — établissement de consortium de micro-organismes performants et stables dans le temps ;
  • — flexibilité dans la conduite des opérations : la dégradation des composés se faisant par rapport au temps, on peut prolonger la durée du traitement dans le cas où on observe un apport ponctuel en toxiques ou de fortes concentrations ;
  • — investissement moindre, car le même bassin sert à la fois de réacteur et de décanteur ;
  • — la décantabilité de la biomasse est améliorée du fait des opérations cycliques et les mauvais indices de décantation, s’ils existent, sont beaucoup moins limitants que dans les procédés du type boues activées.

Le procédé SBR doit être envisagé comme un procédé batch dont les cycles d’opération se répètent dans le temps. Un cycle est divisé en cinq périodes : remplissage, réaction, décantation, vidange et purge (figure 2). Dans notre cas, le début d’un cycle commence par le remplissage. Le temps de réaction est fonction de la concentration initiale en substrat, de la concentration en biomasse et de l'activité métabolique des micro-organismes. Après que le substrat ait été dégradé, ce qui est indiqué par le passage par un maximum du TEC, l’aération et le mélange sont automatiquement arrêtés par l'ordinateur. La séparation solide-liquide est alors réalisée (20-30 min) ; par la suite, l’ordinateur commande la purge du surnageant et, finalement, met en route les pompes d’alimentation en substrat, l’aération et l’agitation correspondant au démarrage d’un nouveau cycle.

Performance du réacteur SBR dans la dégradation de composés xénobiotiques

De la boue activée, provenant de la station d’épuration des eaux usées de Toulouse, a été préalablement acclimatée aux composés phénoliques étudiés. Dans l’intervalle des concentrations étudiées (50 à 400 mg 4-chlorophénol/l et de 100 à 1000 mg phénol/l) les rendements d’épuration en produits toxiques ont dépassé 99 % et en carbone organique dissous (COD) ils ont été supérieurs à 85 %.

La figure 3a montre une courbe typique, obtenue pendant un cycle de biodégradation : comme on peut l’observer, la courbe du TEC passe par une valeur maximale au moment où tout le phénol a été dégradé ; à ce moment, la majeure partie du substrat a été minéralisée, ce qui est d’autre part confirmé par l’évolution du COD. Ainsi, dès que ce point est légèrement dépassé, un nouveau cycle est mis en route par l’ordinateur. Les évolutions de l’oxygène dissous et du pH (figure 3b) indiquent d’autre part que le processus de consommation d’O₂ et de production de CO₂ sont synchrones et représentatifs des processus de biodégradation des composés étudiés.

Ainsi, lorsque le substrat est dégradé, on observe une forte consommation d’oxygène et une diminution du pH, probablement due à la formation de produits intermédiaires acides ; dans ce cas, la vitesse de transfert d’O₂ dans la phase liquide est limitante. Après l’oxydation du substrat, le pseudo-équilibre en O₂ se rétablit et le pH remonte (dégradation des intermédiaires). Dans ces conditions, l’étape limitante est la vitesse de consommation d’O₂.

La figure 4 montre un exemple typique d’évolution du temps de réaction et du taux spécifique de dégradation du 4-chlorophénol (q) en fonction des cycles de fonctionnement du SBR assisté et commandé par ordinateur. On observe que dès le 5ᵉ cycle, le temps de dégradation diminue de 5,5 heures (2ᵉ cycle) à une heure. Au-delà du 6ᵉ cycle, le temps de dégradation diminue légèrement et reste toujours inférieur à une heure. Une observation similaire peut être faite pour le taux spécifique d’épuration de substrat, q. Au fur

[Photo : Fig. 4 : Performance du réacteur en fonction du nombre de cycles en utilisant le 4-chlorophénol comme substrat.]

et à mesure que le nombre de cycles augmente, q augmente pour atteindre un plateau après le 8ᵉ cycle. La valeur se stabilise aux alentours de 115 mg 4-chlorophénol/g biomasse-h. Durant tous les cycles d’opération du réacteur, la décantabilité de la boue a été excellente, caractérisée par des indices de boue compris entre 50 et 80 ml/g et la concentration en biomasse a été comprise entre 1,0 et 1,5 g/l ; à titre de comparaison, pour les traitements classiques par des boues activées, on observe des indices de boue compris entre 100 et 200 ml/g.

[Photo : Fig. 5 : Performance du réacteur en fonction du nombre de cycles, en utilisant le phénol comme substrat.]

La figure 5 montre un exemple des résultats obtenus dans la dégradation du phénol (concentration initiale de 300 mg phénol/l). Ici l'activité de la boue est présentée en fonction du taux spécifique de production du CO₂ (TSEC) obtenu en divisant la valeur du TEC par la concentration moyenne en biomasse présente dans le réacteur. On constate, sur la figure, que le régime permanent est atteint après le 8ᵉ cycle d’opération, ce qui correspond à des temps de dégradation de cinq heures et une valeur du TSEC de 30 mg CO₂/g biomasse-h. Ces deux séries de résultats montrent qu'une activité métabolique maximale peut être maintenue au niveau du consortium de micro-organismes si les diverses opérations d'un cycle sont pilotées par ordinateur (CAO) ; dans le cas contraire une perte d’activité est observée lors de périodes de jeûne.

Afin d’étudier l’influence des périodes de jeûne sur l'activité de la biomasse, le système SBR a été conduit selon des cycles journaliers. Ainsi, après l’épuisement total du substrat initial, l’aération est prolongée volontairement pour atteindre 24 heures d’opération ; ce type de situation est une caractéristique des protocoles classiques d’acclimatation d'une boue activée en vue de son utilisation postérieure pour des études cinétiques ou pour l’obtention de données concernant la biodégradabilité de composés chimiques. Comme on le voit sur la figure 4, après le premier cycle de 24 heures, on observe une forte perte d’activité : le temps de dégradation du 4-chlorophénol passe de moins d’une heure à 5 heures et le taux spécifique d’épuisement du substrat chute de 75 % (de 115 à 20 mg 4-chlorophénol/g biomasse-h).

[Photo : Fig. 6 : Influence de la période de jeûne sur la dégradation du phénol.]

La figure 6 montre l'exemple de deux cycles dans le cas du phénol : ici la dégradation, après le cycle de 24 heures, est achevée après 13 heures, au lieu de 5 lorsque la boue présente une activité maximale ; quant au TEC, il diminue de 32 à 13 mg CO₂/l-h (60 % de perte d’activité). Des résultats similaires ont été obtenus par Arbuckle et Kennedy (1989) ; ces auteurs ont montré qu'une boue activée acclimatée à la dégradation de composés phénoliques perdait rapidement son activité lorsque ces composés sont éliminés de la source de substrat pendant plusieurs jours.

[Photo : Fig. 7 : Taux spécifiques de dégradation de 4-chlorophénol en fonction de la concentration initiale du substrat et du fonctionnement du réacteur.]

La figure 7 montre la relation existant entre la concentration initiale en 4-chlorophénol et le coefficient q, pour un fonctionnement consécutif des cycles (début d'un nouveau cycle juste après la fin du cycle antérieur) et pour des cycles de 24 heures. Tout d’abord, on remarque que la performance du réacteur est très sensible au mode de conduite des cycles d’opération et l’on constate que pour des cycles de 24 heures, l’activité du consortium est nettement moindre par rapport à un fonctionnement séquentiel optimal. Le taux maximal d'épuisement du substrat, pour les cycles de 24 h, se situe aux alentours de 20 mg 4-chlorophénol/g biomasse-h, valeur qui correspond aux taux rapportés dans la littérature (11 mg 4-chlorophénol/g biomasse-h). La concentration maximale de 4-chlorophénol qui peut être dégradée lors de cycles de 24 h n'est que de 320 mg/l ; au-delà de cette valeur, le 4-chlorophénol devient toxique. Par contre, pour un fonctionnement séquentiel, assisté par ordinateur, la concentration maximale limite se situe à 400 mg/l et le taux spécifique d’épuisement du substrat est six fois plus important. On remarque donc que plus les cycles sont réguliers, plus grande est la performance du réacteur.

Conclusion

La maitrise des processus et procédés de dégradation par voie biologique de composés xénobiotiques par les cultures mixtes nécessite un contrôle rigoureux des conditions de réaction, imposées par la stabilité du consortium (affinité-viabilité) et le mode opératoire du réacteur. Ceci peut être réalisé à partir d'un réacteur en semi-continu (ou SBR) dont les performances, contrôlées en ligne par CO₂-métrie, peuvent être assistées par ordinateur. Les expériences menées en laboratoire sur des composés phénolés (phénol et 4-chlorophénol) ont été concluantes sur de longues périodes et des applications industrielles sont maintenant nécessaires pour valider l’intérêt de l’utilisation des biotechnologies pour une épuration efficace des effluents toxiques. Ainsi, l’Unité de Recherche Traitement Biologique du Département GPI à l’INSA de Toulouse développe depuis une vingtaine d’années, en relation avec le milieu industriel, des activités de recherche cognitive et appliquée dans ce domaine, dans la perspective de maitriser les processus biologiques, d’optimiser et de développer les procédés de traitement.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Aelion C.M., Bobbins D.C. et Pfaender F.K. (1989), Adaptation of aquifer microbial communities to the biodegradation of xenobiotic compounds : influence of substrate concentration and preexposure, Environ. Toxicol. Chem., 8, 75-86.

[2] Arbuckle W.B. et Kennedy M.S. (1989), Activated sludge response to a parachlorophenol transient, J. Wat. Pollut. Control Fed., 67, 476-480.

[3] Buitrén G., Koefoed A. et Capdeville B. (1992), Microbial activity evolution during the acclimation of a mixed culture to phenol : Use of CO₂ evolution rate as indicator, Wat. Sci. Tech., 26, n° 9-11, 2049-2052.

[4] Étude Inter-Agences (1992), Biotechnologies appliquées au traitement des matières toxiques. Rapport de synthèse élaboré par GERME, Agence de l'Eau Rhin-Meuse, janvier.

[5] Hogan S. (1990), Les micro-organismes au secours des sites pollués, Biofutur, 93, 24-42.

[6] Irvine R.L. et Ketchum L.H. (1989), Sequencing batch reactors for wastewater treatment, CRC Critical Reviews in Environmental Control, 18, 255-294.

[7] Kim Ch.J. et Maier W.J. (1986), Acclimation and biodegradation of chlorinated organic compounds in the presence of alternate substrates, J. Wat. Pollut. Control Fed., 58, 157-164.

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