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Une ville américaine résout par la bio-augmentation les problèmes de charge industrielle de ses effluents

30 octobre 1990 Paru dans le N°140 à la page 97 ( mots)
Rédigé par : K.d. SCHELLING, S.a. SMITH, A.d. WONG et 1 autres personnes

Le service d’assainissement de la ville de Warwick (Rhode Island, USA) a été confronté jusqu’en 1986 à de sérieux problèmes de conformité aux normes de rejet en DBO5 et en MES des effluents de sa station d’épuration, en raison de la présence de composés inhibiteurs dans les eaux brutes, de l’âge des équipements et de chocs toxiques périodiques.

Comme nous le verrons ci-après, le programme de bio-augmentation des boues activées mis en application depuis maintenant trois années a permis de résoudre ces problèmes.

Situation initiale

Les eaux industrielles et domestiques de Warwick sont traitées par la station d’épuration du service assainissement de la ville, avant d’être rejetées dans le fleuve Pawtuxet (figure 1). Cette station de traitement biologique par boues activées reçoit actuellement un débit moyen de 13 300 m³/j, dont 20 % d’eaux usées industrielles, qui proviennent pour moitié d’industries de traitement de surface. Des camions déchargent également d’importants volumes de vidange de fosses septiques en tête de station. La qualité des eaux brutes de Warwick varie donc considérablement. L’influent comporte de nombreux métaux tels que le cuivre, le nickel et le zinc à des concentrations atteignant 5 à 10 mg/l. Ceux-ci se retrouvent à des concentrations croissantes dans les boues. Des composés inhibiteurs tels que des solvants sont à l’origine de pics de DCO des eaux brutes et de fluctuations dramatiques de pH.

De 1982 à 1987, la qualité de l’effluent a donc souffert des chocs considérables donnés à la population microbienne des boues activées. En effet, celle-ci était instable et croissait lentement en raison de sa résistance limitée aux toxiques et de ses capacités de dégradation grandement réduites.

La croissance dispersée des bactéries empêchait la formation d’un bon floc et gênait la décantation. La conformité des rejets aux normes des 30 mg/l, et pour la DBO5 et pour les MES, n’était pas respectée et excédait fréquemment 80 mg/l et 60 mg/l respectivement.

Le personnel de la station tenta d’améliorer les équipements et le mode de traitement des eaux (écoulement en série, en parallèle, contact-stabilisation). De plus, les produits de vidange des fosses septiques furent stockés dans un bassin tampon afin d’écrêter les pics de MES des eaux brutes en débit de pointe. Mais aucun de ces changements ne put améliorer de façon significative l’efficacité du traitement secondaire. En dernière ressource, le responsable de la station en appela à la bio-augmentation.

La bio-augmentation

La bio-augmentation est un procédé qui permet d’aider la population bactérienne d’un système de traitement d’eaux usées en ajoutant des cultures bactériennes commerciales développées pour fournir des taux de réduction de la matière organique supérieurs ou pour dégrader des composés considérés auparavant comme non-biodégradables. L’objectif n’est pas de remplacer la biomasse existante, mais de la seconder pour en améliorer l’efficacité.

[Photo : Schéma de fonctionnement de la station d’épuration de Warwick.]

* Sybron Chemicals Inc.** Warwick Sewage Authority.Traduit par Marie-Pascale Colace, Sybron Chimie France S.A.

Programme de bio-ingénierie des systèmes d’épuration

Après une évaluation minutieuse du fonctionnement du système initial de traitement secondaire et de ses paramètres microbiologiques, le programme de bio-augmentation fut élaboré avec les objectifs suivants :

  • - améliorer la dégradation biologique des matières organiques en présence de composés inhibiteurs ;
  • - réduire l'impact des dysfonctionnements de la station après les à-coups de charge et retrouver rapidement un fonctionnement normal.

On augmenta tout d’abord les taux d’oxygène dissous dans les bassins d’aération, la concentration étant, à l’époque, de 0,5 mg/l. Or, une population bactérienne améliorée par la bio-augmentation requiert davantage d’oxygène. On préconisa l'ajout de BICHEM DC 2003 MS, mélange de souches bactériennes formulé spécifiquement pour les systèmes de traitement d’eaux domestiques comprenant des charges industrielles importantes, lequel fut injecté dans les bassins d’aération par le biais d'un pilote de préacclimatation (PAD), chambre chemostatique d'une capacité de 2 m³. Le produit bactérien était versé directement dans le PAD avec une dose d’ensemencement puis une dose journalière d’entretien de 1,5 kg en moyenne.

Cette méthode d’application offre plusieurs avantages par rapport à l'injection directe dans les bassins de cultures liquides ou de cultures sèches réhydratées :

  • - elle permet l'adaptation spécifique des systèmes enzymatiques des bactéries aux eaux de la station, avant leur introduction dans les bassins ;
  • - elle fournit un mécanisme de croissance bactérienne continue et d’injection de l’inoculum bactérien ;
  • - elle produit une masse bactérienne plus importante, tolérante aux toxiques et apportant des changements biocinétiques significatifs ;
  • - enfin, elle apporte une protection substantielle contre les à-coups de charge et les autres dysfonctionnements de la station.

Résultats

En deux semaines le système afficha de remarquables améliorations pour presque tous les critères mesurés. Des protozoaires apparurent dans la liqueur mixte alors qu’on n’en trouvait aucun avant l'essai. La baisse de l'indice de Mohlman (de 343 ml/g à 256 ml/g) prouva l’amélioration de la floculation et de la décantation. Au début de juin, la station rejeta un effluent conforme aux normes, avec des valeurs de moins de 20 mg/l pour la DBO5 et 10 mg/l pour les MES.

Interprétation

Toutes les données recueillies un an avant l’essai et durant l’essai furent exploitées. Il fut ainsi possible de mener une étude de modélisation biocinétique comparative pour les années 1986 et 1987. Les figures 2 et 3 comparent les valeurs de la DBO5 et des MES en sortie pour la période témoin de 1986 et la période d’essai de 1987. Les concentrations en DBO5 et en MES de l'effluent, ainsi que les rendements épuratoires pour ces deux périodes sont récapitulés dans le tableau I. Le rendement épuratoire en DBO passa de 81 à 93 % tandis que celui en MES augmenta de 78 à 92 %.

[Photo : légende : Fig. 2 : Comparaison des concentrations en DBO5 de l’effluent en 1986 et 1987.]
[Photo : légende : Fig. 3 : Comparaison des concentrations en MES de l’effluent en 1986 et 1987.]

Les déviations standard plus faibles et la diminution des écarts dans les données de 1987 reflètent la baisse des variations de la composition de l’effluent, et de ce fait la plus grande stabilité du traitement.

Ces améliorations remarquables auraient pu être imputées à l'augmentation de la concentration en oxygène dissous dans les bassins d'activation. Cependant le système d’aération continua périodiquement à mal fonctionner durant l’essai, sans que l’effluent ne dépasse les normes de rejet imposées. De plus, la bio-augmentation fut stoppée en juillet. Durant cette période estivale de fermeture des industries locales, la qualité des boues et de l’effluent se maintint un mois puis se dégrada. Enfin, lorsque les industries du secteur reprirent leurs activités à la mi-août, cette dégradation s’accéléra, bien que le niveau d’oxygène dissous fût suffisant dans les bassins. Le programme de bio-augmentation redémarra ensuite avec succès, prouvant que l’augmentation des niveaux d’oxygène dissous n’était pas l’unique responsable de l’amélioration remarquable de la qualité de l’effluent.

Évaluation biocinétique

Les constantes biocinétiques sont habituellement prises en compte pour la conception des stations d’épuration et peuvent être employées pour prévoir la qualité de l’effluent rejeté par des systèmes fonctionnant de façon stable. Les constantes obtenues à partir de données de terrain sur une série de calculs d’âge moyen des boues peuvent être utilisées de façon similaire (tableau II).

La représentation du taux spécifique d’utilisation du substrat (U), en fonction de la concentration en DBO5 de l’effluent (Se), diffère pour les deux années (figures 4 et 5). Les taux maximum d’utilisation du substrat (k), c’est-à-dire la quantité maximale de DBO5 consommée par une unité de masse de micro-organismes et par jour, sont pratiquement identiques avant et pendant l’essai de bio-augmentation. Cependant la cinétique de réponse de premier ordre diffère : en 1986 la valeur de la pente K est de 0,019, et double en 1987 avec une valeur de 0,0356. En liaison avec ce résultat, la concentration seuil Ks a diminué de 15,86 à 8,42 mg/l. La vitesse de consommation du substrat a donc augmenté. La réponse aux pics de charge étant, de ce fait, plus rapide, le système gagne en stabilité.

[Photo : légende : Fig. 4 : Graphique de Monod : taux d’utilisation spécifique du substrat (U) en fonction de la DBO5 de l’effluent.]

En réalisant le graphe de l’inverse du taux spécifique d'utilisation du substrat 1/U, en fonction de l’inverse de la concentration de l’effluent 1/Se (relation de Lineweaver-Burk, figure 6), on constate que la superposition des graphes de 1986 et 1987 est celle d’un modèle d’inhibition compétitive classique : la

Tableau I

Tableau comparatif des résultats obtenus en 1986 et 1987 (périodes du 15 avril au 30 juin et du 15 août au 30 novembre)

Éléments MES DBO5
1986 1987 1986 1987
Concentration de l'effluent
moyenne 65 25 59 26
déviation standard 22 15 25 17
minimum 28 7 11 4
maximum 190 99 153 86
Rendement (%)
moyen 78 92 81 93
déviation standard 12 17 11 5
minimum 32 74 37 34
maximum 93 99 95 99

Tableau II

Principales constantes de cinétique biologique

CONSTANTE 1986 1987
k (mg DBO/mg MES,j) 0,599 0,6040
Ks (mg/l DBO) 15,860 8,4200
Y (mg MES/mg DBO) 0,499 0,356
Kd (j/jour) 0,025 0,0560

k : taux maximum d'utilisation du substrat

Ks : concentration du substrat à laquelle le taux d'utilisation vaut la moitié du taux maximum k (demi-saturation k/2)

Y : coefficient de transformation (rendement)

Kd : coefficient d'énergie de maintenance

Ces constantes furent déterminées d'après les graphes inspirés du modèle de Monod et de Lineweaver-Burk.

La droite de l'année 1987 présente une pente Ks/k plus accentuée, mais de même ordonnée 1/k que la droite de 1986. L'ensemencement des bassins d'aération avec des bactéries adaptées sélectivement pour tolérer des doses importantes de matières toxiques a donc eu pour effet d'élever le seuil d'inhibition.

D'après les graphes du taux d'utilisation spécifique U en fonction de l'inverse de l'âge des boues, on a pu déterminer que le coefficient de transformation Y fut de 26,7 % inférieur en 1987 à celui de 1986, ce qui peut s'expliquer par le fait que la population bactérienne bio-augmentée requiert une consommation pour sa maintenance plus importante que pour sa croissance, ce qui coïncide avec l'augmentation du taux spécifique d'utilisation du substrat.

Les représentations graphiques montrent également que le coefficient d'énergie de maintenance Kd a augmenté de 0,025 à 0,056, soit 55 %. Ces valeurs différentes de Y et de Kd pour 1986 et 1987 pourraient signifier qu'il serait possible de produire moins de boues avec le même taux de croissance. Ceci n'a pu être démontré catégoriquement, du fait de la dispersion des données de terrain. Pour réaliser un programme optimum de diminution des boues secondaires, il faudrait poursuivre une étude d'extension de l'âge des boues, en mettant celui-ci en équilibre avec la perte de biomasse due aux variations de l'influent.

[Photo : Graphique de Monod : taux d'utilisation du substrat (U) en fonction de la DBO5 de l'effluent.]
[Photo : Graphes de Lineweaver-Burk combinés pour 1986 et 1987.]

Conclusion

En employant un programme d'augmentation bactérienne, la station d'épuration de Warwick a prouvé qu'il était possible d'accroître l'efficacité de l'épuration des matières organiques en dépit des nombreux chocs de charge subis pendant l'essai. L'apport continuel de bactéries tolérantes envers les toxiques, par le biais d'un pilote de pré-acclimatation, a nettement amélioré les capacités métaboliques de la biomasse de la station : le taux spécifique d'utilisation du substrat a augmenté de 46 %. Ceci a permis au système biologique de fournir une meilleure réponse aux composés inhibiteurs, comme le montrent les résultats obtenus en épuration carbonnée.

La capacité qu'offre la bio-augmentation d'améliorer les potentialités métaboliques du système biologique permet donc à la station de faire face aux chocs de charge organique ainsi qu'aux composés inhibiteurs et, par conséquent, de gagner en stabilité.

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