L’accumulation des dépôts à l’intérieur des conduites de distribution, provenant en partie de la corrosion des parois internes, peut occasionner des nuisances directement perceptibles par le consommateur et engendrer des plaintes (eau colorée, turbidité, présence de particules...). La lutte contre ces désagréments passe par le nettoyage du réseau de distribution après un diagnostic simple et rapide des zones les plus sensibles.
La politique d’entretien adoptée par la Compagnie Générale des Eaux, régisseur du Syndicat des Eaux d'Ile-de-France en banlieue parisienne, est fondée sur des interventions préventives, grâce à une politique de nettoyage intensive, chaque canalisation étant traitée tous les quatre ans.
Pour cette planification systématique des nettoyages, une méthode d’évaluation quantitative in situ a été mise au point, permettant de prendre en compte l’état d’encrassement réel des canalisations.
En effet, certaines zones s’encrassent rapidement et nécessitent des interventions plus fréquentes ; à l’inverse, certaines parties du réseau, moins sensibles, peuvent être traitées moins souvent. Cette méthode est basée sur l’analyse de prélèvements effectués à fort débit sur bouche ou poteau d’incendie [1].
Les appareils de lutte contre l’incendie sont vérifiés périodiquement et délivrent au minimum un débit de 60 m³/h.
Dans les canalisations de petit diamètre (100 à 200 mm), de tels débits impliquent des vitesses importantes allant jusqu’à 2 m/s [2] ; l’énergie induite par les turbulences est alors suffisante pour mettre en suspension des particules de densité élevée, qui se trouvent habituellement au repos. Il est aussi probable que ce mode de prélèvement réalise, dans une certaine mesure, un arrachage de dépôts relativement fixés à la paroi des conduites mais non indurés.
Les échantillons obtenus par cette méthode sont analysés en termes de matières en suspension (M.E.S.) et de turbidité, protocole de mesure qui représente bien une évaluation quantitative des dépôts se trouvant dans les tuyaux. En effet, les valeurs de M.E.S. et de turbidité ainsi obtenues sont nettement plus élevées que celles mesurées sur des échantillons prélevés à débit normal ; il y a donc bien un entraînement de particules ordinairement déposées.
Conformément aux différents rapports résultant des études précédentes [3] [4] [5], les valeurs suivantes peuvent être considérées comme représentant des limites de l'état de propreté des canalisations : turbidité : 4 NTU, M.E.S. : 20 mg/l.
Les mesures effectuées avant et après divers nettoyages permettent de mettre en évidence l’amélioration liée à l’entretien, et de faire dresser un diagnostic de l'état du réseau, maintenant possible grâce à l’unité mobile d’évaluation des dépôts réalisée par la SARP (figure 1).
Principe de l’unité mobile
L'objectif est donc d’évaluer in situ la quantité des dépôts recueillis sur un prélèvement d’eau, au moyen des deux paramètres M.E.S. et turbidité, en s’affranchissant de la prise d’échantillons, de leur transport et de leur analyse a posteriori au laboratoire.
Un véhicule léger a été conçu et élaboré à cet effet, qui permet de mesurer directement au sortir d'une bouche ou d’un poteau d’incendie la turbidité et les matières en suspension. Il permet en outre de vérifier la pression distribuée localement.
Le véhicule
Le choix s’est porté sur un véhicule pouvant être conduit avec un permis VL. Une carrosserie industrielle a été réalisée sur châssis en fonction des appareils de mesure et des concepts hydrauliques à y intégrer.
Plusieurs avantages ont orienté ce choix :
- – légèreté de l’ensemble, permettant d'utiliser au mieux la charge utile,
- – isolation thermique, directement réalisée par les parois sandwich en mousse de polyuréthane avec revêtement polyester,
- – habitabilité, déterminée en prenant les dimensions maximales permises par le constructeur et le code de la route (à l’inverse d'un véhicule tôlé du commerce où la section transversale est bien souvent trapézoïdale).
Boucle hydraulique
Cette boucle (figures 2 et 3) dispose d’un système de régulation de débit composé d’un débitmètre électromagnétique Krohne K480, d’une vanne à 2 voies à siège à servo-moteur Samson 241-2, d’un régulateur à PID Samson 6496 recevant le signal du débitmètre et transmettant l’ordre d’ouverture/fermeture à la vanne à 2 voies selon une consigne préétablie. Les dérivations se répartissent de la façon suivante :
- – mesure de pression du réseau par manomètre,
- – mesure de turbidité en continu et eau de service,
- – prise d'eau pour hydroéjecteur (servant à filtrer l’échantillon d’eau),
- – prélèvements selon trois possibilités manuelles ou semi-manuelles :
- • visualisation de l’eau dans le cône de contrôle, via 2 vannes à 3 voies manuelles,
- • échantillonnage concentré par hydrocyclone Dorr-Clone,
- • échantillonnage moyenné par électrovanne dont on maîtrise le temps d’ouverture/fermeture, et celui de la pause entre deux prélèvements.
— les trois autres dérivations existant sur la partie inférieure de la boucle constituent les évacuations.
Electricité
La production du courant est assurée soit en station-usine par le raccordement au réseau EDF, soit sur la voie publique par un groupe électrogène P = 4 kW, à démarrage électrique fonctionnant au gazole. Le choix de la production est actionné par un inverseur. La répartition du courant s’opère grâce à une armoire électrique desservant les circuits d’alimentation de l’éclairage, des prises de courant et du réfrigérateur ; ce dernier réseau traverse un redresseur 220/12 V et est soutenu en ligne par une batterie de 90 A/h permettant l’alimentation du réfrigérateur pendant la circulation du véhicule.
Mesures et matériel utilisés
La turbidité est analysée avec un turbidimètre en continu Hach Ratio 2000 comprenant une cuve en verre dont le faible volume (100 ml) permet de la nettoyer rapidement et de la remplir par une autre eau si le besoin s’en fait sentir. Pour éviter les effets de condensation sur la cuve de mesure, un balayage d’air comprimé est assuré à partir d’une bouteille munie d’un détendeur. On peut ainsi effectuer des mesures de turbidité en discontinu comme au laboratoire. Une sortie 4-20 mA donne la possibilité d’enregistrer le signal et de suivre la courbe de turbidité pendant les 2 minutes que dure le prélèvement.
Matières en suspension
La difficulté de la mesure in situ consistait à s’affranchir des deux heures de séchage de la membrane à l’étuve au laboratoire, comme il est préconisé par la norme.
Ce problème a été résolu en confectionnant un système de chauffage et de pesée permettant de sécher une membrane en fibre de verre de 142 mm de diamètre en 15 mn (figure 4). Ce système comprend un mini-four à lampe infrarouge portable en acier inox à parois réfléchissantes (figure 5). La balance est électronique à compensation de vibration, précise au mg (Metler PM 100).
Prélèvement de l’échantillon
Dès que le débit est stabilisé par le PID (t = 1 mn), le prélèvement débute grâce à une électrovanne dont l’ouverture est commandée séquentiellement par une minuterie (figure 6) ; l’eau arrive dans le pot de prélèvement conique où elle est mise en mouvement au moyen d’un agitateur électromécanique. Le prélèvement est arrêté dès l’obtention des 10 l requis (t ≈ 1 mn). Après mise en fonctionnement de l’hydroéjecteur et ouverture de la vanne de vidange du pot, la filtration par aspiration sous la membrane serrée entre deux brides étanches s’effectue normalement. Dans le cas d’une eau colmatante, la filtration est arrêtée au colmatage.
En règle générale, en prélevant sur le réseau 10 litres d’eau, la représentativité du prélèvement est augmentée et l’erreur de mesure divisée par 10 en la ramenant au volume référentiel de un litre. De plus, dans tous les cas, les dépôts recueillis du fait de l’agitation sont représentatifs de l’échantillon, quel que soit le volume prélevé.
Servitudes internes
Afin de réaliser ces mesures dans les meilleures conditions, le volume disponible a été aménagé avec des paillasses et armoires adossées aux longs pans. Un réfrigérateur permet de conserver des échantillons, et un timbre alimenté par une pompe électrique à pied facilite le nettoyage de la verrerie.
Le chauffage est assuré par un kit à air pulsé entièrement recyclé adapté à la législation T.M.D. Il fonctionne au gazole alimenté par le réservoir du véhicule et il est équipé d’un thermostat d’ambiance.
Exploitation et résultats
Il faut compter en moyenne 45 mn pour effectuer le diagnostic d’une portion de réseau sur un appareil d’incendie. Ce temps comprend :
- • la préparation du prélèvement comprenant le balisage du véhicule, le raccordement des tuyaux souples du poteau d’incendie au véhicule, l’installation horizontale de la balance, la pose de la membrane sur le système de filtration avec verrouillage des brides ;
- • le prélèvement, incluant l’ouverture de l’appareil de lutte contre l’incendie, la régulation du débit, la réception de l’échantillon (fonction de la pression du réseau) ;
- • la mesure des MES comportant la filtration de l’échantillon, l’extraction de la
membrane de ses brides, et son séchage.
Les résultats observés sur une campagne de diagnostic d’une commune confirment ceux obtenus au cours des campagnes précédentes à fort débit sans l'utilisation de l’unité mobile. L’efficacité du nettoyage est nettement mise en valeur, comme on peut le remarquer sur la figure 7 : en moyenne les MES diminuent de 79 % et la turbidité de 73 %. Plus précisément, on ne constate d’abattement significatif que pour des valeurs initiales élevées.
Il faut noter l’existence de quatre types d’eau possibles [6] (figure 8) :
- - eau limpide et sans dépôts importants : cette eau apparaît claire au prélèvement à fort débit, et peu de particules de corrosion sont collectées ;
- - eau limpide avec particules de corrosion : dans ce cas l'eau est claire mais il se dépose au fond du récipient de nombreuses particules de corrosion, voire parfois des nodules de plus forte taille (un seul peut peser jusqu’à 50 mg) ;
- - eau turbide sans particules : l’ensemble de l’échantillon est trouble et présente quelquefois des caractéristiques colmatantes à l’analyse des MES en partie d’origine organique. On ne décèle que peu de particules grossières ;
- - eau turbide avec particules : l’eau est identique au cas précédent, mais présente en plus des particules de corrosion de taille non négligeable (> 0,1 mm).
En reportant sur un plan du réseau les résultats des mesures, on peut alors découvrir les zones corrodées, les zones de dépôts d’origine organique, l’influence d’une intercommunication avec un autre réseau, ou encore les zones propres où un nettoyage systématique n’est pas nécessaire. Trois types de représentation cartographiques des résultats sont maintenant utilisés (figure 9) indiquant : la présence d’Aselles, les classes de turbidité, les classes de MES.
Conclusion
Le véhicule est opérationnel et permet de faire de nombreux diagnostics avec une sécurité et une excellente fiabilité dans les résultats. Il s'inscrit dans un ensemble de nouveaux outils de diagnostic qui permettront de mieux appréhender le maintien de la qualité de l'eau dans les réseaux. Une dépense minime au niveau des ouvrages de distribution permet ainsi d’optimiser les plannings de nettoyage et d’en réduire les coûts.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Charpentier (B.), Duquesne (C.). Les procédés de nettoyage des conduites d’eau potable et leur planification en banlieue parisienne. L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 128, mai 1989, pp. 55-57.
[2] Charpentier (B.), Bablon (G.). Maintenance of water quality in large scale potable water systems. Aqua Water International, vol. 1, n° 4, octobre/décembre 1988, pp. 13-25.
[3] Charpentier (B.). Méthode d’évaluation des dépôts dans les canalisations d’eau potable, Techniques, Sciences, Méthodes — L'Eau, vol. 84, n° 7/8, juillet/août 1989, pp. 413-416.
[4] Bablon (G.), Charpentier (B.). Water quality maintenance in a large-scale network supplied by a biological treatment line. Water Supply, vol. 8, n° 1/2, 1990, pp. 181-190.
[5] Lévi (Y.), Damez (F.), Grimaud (A.), Colin (F.). Étude sur pilote du comportement de l’eau en réseau. L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 126, mars 1989, pp. 27-29.
[6] Lévi (Y.), Randon (G.). Le diagnostic de la qualité de l’eau des réseaux de distribution d’eau potable. Point Sciences et Techniques, vol. 2, n° 2, juin 1991, pp. 10-13.