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Une technologie nouvelle pour la valorisation des déchets

26 decembre 1986 Paru dans le N°106 à la page 27 ( mots)
Rédigé par : Alain WICKER

Depuis quelques années, il est devenu évident que la gestion rationnelle de notre activité économique et sociale ne peut se concevoir sans la prise en compte de la réalité des déchets, laquelle s’inscrit sous la forme d’une double préoccupation : économique parce que les déchets peuvent être considérés comme un gaspillage de matières et d’énergie ; écologique parce que leur accumulation en un point risque de perturber le milieu naturel.

La panoplie actuelle des méthodes de traitement et d’élimination tente de répondre à ces problèmes, mais elle se heurte systématiquement à la nature hétérogène des déchets : ce qui est valorisable par une technique donnée est intimement mélangé à ce qui nécessite un autre système de valorisation ou une élimination pure et simple. C’est ainsi que le compost urbain, matière organique, reste contaminé par des résidus non biodégradables et que l’incinération est handicapée par la présence de composés difficilement combustibles ou libérant des molécules toxiques. De même, la plupart des nuisances reprochées aux décharges contrôlées trouvent leur origine dans la coexistence de ces deux fractions incompatibles que sont les matières fermentescibles évoluant biologiquement, et les composés minéraux susceptibles d’une évolution chimique.

Les recherches actuelles s’orientent ainsi vers les moyens capables de s’affranchir des inconvénients de ce mélange complexe que sont les ordures ménagères, en agissant à différents niveaux :

  • — le tri à la source constitue une première réponse : il s’agit, grâce à la bonne volonté des producteurs de déchets, de supprimer en amont de la collecte certains constituants des ordures ménagères, tels que ferrailles, papiers, verres et même plastiques, et de leur faire emprunter des filières différentes destinées à les valoriser. Le développement de certaines collectes sélectives exprime cette volonté ;
  • — le tri en aval, réalisé sur les ordures brutes une fois collectées, consiste à utiliser des matériels sophistiqués pour séparer ce que le producteur de déchets a mélangé dans sa poubelle. Divers procédés ont été testés pour essayer de résoudre ce problème.

L’examen de la composition des ordures ménagères (tableau 1) montre que leurs constituants peuvent être regroupés en deux fractions principales :

  • — une première partie, rapidement fermentescible, constituée de matières organiques ;
  • — une seconde, peu ou pas biodégradable, comportant les inertes minéraux et des matières organiques telles que papiers, cartons, plastiques.

Cette différenciation entre matières fermentescibles et matières non fermentescibles, entre composante biologique évolutive et composante physique inerte ou combustible est le problème essentiel des chaînes de tri quelles qu’elles soient. Si une réponse est apportée à ce problème, les technologies actuelles de minéralurgie (récupération de matières premières), de fermentation aérobie ou anaérobie (valorisation de la matière organique avec ou sans production de méthane), d’incinération (récupération d’énergie à partir de matériaux combustibles), de mise en décharge contrôlée (stockage de déchets), s’appliqueraient avec plus de facilité et une meilleure efficacité.

Le procédé Biopresse, qui consiste à séparer en une seule opération ces deux composantes fondamentales des ordures ménagères, est une réponse techniquement et économiquement intéressante.

PRINCIPE DU PROCÉDÉ

L’idée d’utiliser une pression pour séparer deux phases est ancienne : l’obtention d’huile d’olive ou de jus de raisin au moyen de pressoirs est connue depuis la plus haute antiquité, mais il s’agit en général de séparer deux phases physiques : liquide et solide. Séparer deux compo-

Tableau 1 — Composition moyenne des ordures ménagères en France (ANRED)

Matières organiques immédiatement fermentescibles
- Matières végétales ou animales : 15 %
Matières organiques peu ou pas fermentescibles
- Papiers, cartons : 20 %
- Plastiques : 3 %
- Textiles : 1,5 %
Inertes
- Verres : 5–10 %
- Métaux : 5–8 %
- Fines : 10–20 %
[Figure : Schéma « BIOPRESSE » indiquant « 1/3 Pulpe » et « 2/3 Produits secs »]

Les différentes contenues dans un mélange hétérogène de produits divers relève d’une technique nettement plus élaborée.

Les premières observations remontent à quelques années. L’application d’une pression sur des ordures ménagères engendre une succession de phénomènes particuliers. Une faible pression les compacte et réduit leur volume, comme c’est le cas dans les bennes à ordures ménagères. Lorsqu’on élève la pression, il y a séparation entre phase liquide et phase solide et les ordures sont essorées, mais, si la pression appliquée est supérieure à une valeur de 600 bars, donc extrêmement élevée, il y a non seulement essorage mais aussi fluage des matières organiques fermentescibles sous forme d’une pâte appelée « pulpe ». Si l’on permet à cette pulpe de s’évacuer au travers de trous de faible dimension, ce qui reste dans la chambre de compression sous forme de « produits secs » est exempt de matières organiques fermentescibles et a perdu une quantité notable de son eau : c’est le principe de la Biopresse.

LE PROTOTYPE

La réalisation sur le plan pratique d’une idée apparemment simple n’est pas chose aisée, surtout lorsque le substrat a la complexité des ordures ménagères brutes. D’autre part, une pression de l’ordre de 1 000 bars — 10 000 tonnes par m² — s’accompagne de telles contraintes sur le matériel, que plusieurs tentatives infructueuses ont eu lieu dans le passé, jusqu’à l’obtention de la maîtrise technologique développée par Biopresse.

C’est en 1984 que la société C.F.D. Industrie, entreprise de construction de matériel ferroviaire, et les Ets G. Genet Ordures Service, spécialisés dans la collecte et le traitement des déchets, ont décidé de s’associer dans une filiale commune « Biopresse » en vue de réaliser et de mettre au point un prototype conçu à partir des idées développées par M. Maurice Eloy.

[Photo : La Biopresse.]

Ce prototype, défini pour traiter 6 à 7 tonnes à l’heure, est de conception totalement originale et a été livré sur le site du poste de transfert de Reims, exploité par les Ets G. Genet Ordures Service, au mois de mars 1985. Les essais ont duré toute l’année 1985 et la machine est opérationnelle depuis les premiers mois de 1986.

Description

La conception de la Biopresse s’est articulée autour de la pièce maîtresse de la machine : la chambre de compression. Celle-ci, sur laquelle s’exercent des contraintes énormes, est constituée par un cylindre horizontal de 280 mm de diamètre et de 800 mm de longueur situé dans le bâti même de la machine et tapissé d’une filière composée de 2 040 trous de 5 mm de diamètre par lesquels flue la matière organique.

[Photo : Schéma de fonctionnement de la Biopresse.]

Le bâti est enserré entre deux boucliers en acier rendus solidaires par un système de 4 colonnes de compression et de 4 colonnes d’extension précontraintes à 1 350 tonnes.

Le piston principal, perpendiculaire à l’axe de la chambre, est actionné par 3 vérins hydrauliques d’une superficie totale de 4 500 cm² sur laquelle s’appliquent les 320 bars développés par le circuit hydraulique. C’est donc avec une poussée de 1 200 tonnes, inférieure à la précontrainte des colonnes réunissant l’ensemble, que le piston pénètre dans la chambre. Les dimensions du piston étant de 800 mm sur 150 mm, la pression appliquée sur les ordures ménagères peut ainsi atteindre 1 000 bars.

En amont de cette pièce maîtresse se situent des fouloirs d’alimentation qui assurent en même temps la précompression des ordures ménagères. En aval, la pulpe circule dans des anneaux perforés aboutissant à deux tuyaux d’évacuation, et un dispositif transversal assure le nettoyage de la chambre et l’éjection des produits secs.

Le circuit hydraulique actionnant les dix vérins de la presse fonctionne à une pression maximale de 350 bars assurée par une pompe à barillet entraînée par un moteur électrique pouvant développer une puissance de 132 kW.

Fonctionnement

Le fonctionnement de la machine est discontinu, chaque cycle durant de 30 à 40 secondes (figure 2).

Les ordures ménagères brutes sont introduites (1) dans un puits vertical de 800 mm de côté au moyen de tiroirs et d’un fouloir agissant comme brise-voûte (2). Un second fouloir précomprime à chaque cycle 65 kg de déchets à une densité d’environ 0,6 dans l’espace situé en avant du piston (3).

Le piston principal est ensuite actionné en deux temps. Un temps d’avance rapide (4) réalisé avec une poussée de 120 tonnes enfourne les déchets dans la chambre de compression où leur densité atteint 1,3. Puis la phase finale de compression (5), qui nécessite la poussée des deux vérins de puissance, fait pénétrer le nez du piston à l’intérieur de la chambre et assure le fluage des matières organiques à travers les trous de la filière (6).

Le cycle se termine par l’éjection latérale des produits secs restés dans la chambre (8).

La machine s’autorégule en fonction de la composition des ordures ménagères. Tout d’abord, un rechargement sans éjection s’effectue automatiquement (9) si la pression minimale de 800 bars n’a pas été atteinte dans la chambre. C’est ce qui peut se produire si les ordures sont riches en produits fluables tels que des résidus végétaux ; d’autre part, la répartition entre pulpe et blocs secs s’effectue naturellement selon la composition rencontrée : une tonne de gazon ne donnera que de la pulpe, un rouleau de moquette ne donnera qu’un produit sec. Entre ces deux extrêmes, les ordures ménagères donneront en moyenne 1/3 de pulpe et 2/3 de produits secs.

Le fonctionnement du prototype de Reims a permis d’observer que, pour un temps de cycle moyen de 36 secondes, le tonnage horaire traité est de 6,2 tonnes d’ordures ménagères brutes avec une consommation électrique de 16 kWh à la tonne.

Problèmes rencontrés

Comme pour tout prototype, les premiers mois de fonctionnement ont engendré un certain nombre de problèmes et d’incidents qu’il a fallu analyser et résoudre. Cependant, à aucun moment lors de ces essais, le principe même du procédé et la conception même de la machine n’ont été remis en cause.

Les améliorations ont porté sur un meilleur choix des composants hydrauliques, sur le dimensionnement de certaines pièces soumises à forte contrainte et surtout sur le traitement de surface des aciers utilisés au niveau des pièces d’usure (filière et piston principal).

LES SOUS-PRODUITS

Dès le début des essais, les deux composantes issues de l’opération, pulpe et produits secs, ont fait l’objet d’études destinées à connaître leurs caractéristiques et donc leurs possibilités d’utilisation et de valorisation.

La pulpe

La pulpe est constituée de matières organiques immédiatement fermentescibles. Elle représente 30 à 35 % des ordures ménagères entrantes, valeur en accord avec celles citées par l’ANRED pour la composition moyenne des ordures ménagères françaises. C’est un composé pâteux brunâtre contenant 60 % d’eau, d’aspect homogène et de densité proche de 1. Elle est cependant encore contaminée par de petits morceaux de verre non coupants, par des fragments de plastiques mais rien dans son contenu ne peut blesser.

[Photo : La pulpe brute à la sortie de l’appareil.]

Plusieurs études ont déjà été effectuées sur la pulpe brute directement prélevée en sortie de presse :

  • — détermination des éléments indésirables, selon le protocole mis au point par le CEMAGREF et l’ANRED ;
  • — essais de fermentation aérobie en andains avec retournement régulier des tas tous les 15 jours. La fermentation démarre rapidement et la température interne des andains atteint 60 °C après quelques jours. L’émottage s’effectue facilement lors du retournement, malgré la faible dimension des particules. Le produit obtenu, suivi par le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C.I.V.C.), est de bonne qualité agronomique et il suffit d’un criblage complémentaire à la maille 8 mm pour obtenir un compost de classe A selon les nouvelles réglementations « NF » ;
  • — essais de fermentation anaérobie en vue d’une production de méthane, réalisés en laboratoire et dans un fermenteur pilote de 5 m³ (Elf Biorecherches et Triga). La pulpe présente l’avantage d’une très bonne homogénéité facilitant son introduction dans le fermenteur. La productivité moyenne résultante est de 1,38 m³ de biogaz par m³ de fermenteur et par jour, soit un rendement de 200 m³ de biogaz par tonne de matières organiques introduites. La composition du biogaz est stable, la teneur en CH₄ variant de 60 à 68 %, sans hydrogène et avec des teneurs en H₂S inférieures à 800 ppm ;
  • — essais de lixiviation, soit en colonne (macération), soit selon le protocole du ministère de l’Environnement.

Cette étude avait pour but de mieux cerner le potentiel polluant de la pulpe pour ce qui concerne le relargage des métaux (voir tableau 2).

Tableau 2 : Composition de la pulpe (brute et fermentée)

Éléments Pulpe brute Pulpe digérée (anaérobiose) Pulpe fermentée (aérobiose)
MVS 63,8 % 53,2 % 41,9 %
COT 31,6 34,5 16,8
NTK 1,3 1,4 1,6
CaO 6,3 9,8 12,5
MgO 0,85 1,1 0,96
K2O 1,2 0,7 1,18
P2O5 0,7 0,8 0,78
Fe 4 900 ppm 6 500 ppm 12 720 ppm
Zn 930 1 020 1 036
Cr 140 100 122
Pb 205 390 352
Ni 60 44 88

Ces différents essais confirment la validité du procédé qui permet, en une seule opération peu consommatrice d’énergie, l’obtention d’une matière première intéressante, base d’une valorisation agronomique.

Les produits secs

Lors de leur éjection en fin de cycle, les produits secs présentent l’aspect d’ordures ménagères encore humides (figure 4). En effet, ils contiennent en condensé tous les objets hétéroclites, plastiques de couleur, journaux comprimés, boîtes de conserve écrasées, verre brisé, le tout étant amalgamé et enchevêtré, avec une densité voisine de 0,7. Par contre, ces produits secs n’ont pratiquement plus d’odeur et leur humidité est superficielle : de 25 % au sortir de la presse, elle tombe à 20 et même 15 % au bout de quelques jours sous abri. Leur stockage à l’air libre ne pose pas de problèmes particuliers : ni envol, ni odeur, ni fermentation n’ont été observés lors de stockage de plusieurs mois sous les intempéries.

[Photo : Les produits secs après la sortie de la Biopresse]

L’ensemble de ces caractéristiques a conduit en première approche à considérer ces produits comme un combustible potentiel puisqu’ils sont constitués à 51,5 % de papiers, cartons et plastiques. Les premières études ont montré que leur PCI (sur sec) est compris entre 3 380 et 3 660 kcal/kg, soit environ 2 750 kcal/kg à 15 % d’humidité, avec un taux de cendres de 34 % sur produit brut. Plusieurs essais de combustion ont été réalisés dans des fours de types différents, tels que four à grille, four oscillant, four à effet pyrolytique, et ont donné des résultats positifs.

Parallèlement, l’analyse élémentaire et des études de lixiviation ont été menées afin de déterminer le potentiel polluant des différentes fractions de ce sous-produit. Il apparaît que la majorité des éléments potentiellement polluants sont présents dans la fraction « fines », de même que la matière organique résiduelle.

Enfin, leur capacité de rétention en eau est de 1,45, ce qui signifie que le produit sec peut absorber plus d’une fois son propre poids en eau. Cette propriété pourrait être utilisée pour la mise en décharge contrôlée de déchets à faible siccité.

PROSPECTIVES

Au terme de ces essais et de ces études, Biopresse a répondu à ses deux objectifs :

— démontrer la possibilité de séparer les deux composantes principales des ordures ménagères en une seule opération de tri, rapide, peu coûteuse et remarquable quant à la qualité de la séparation ;

— obtenir à partir d’ordures ménagères des sous-produits dont les caractéristiques rendent plus aisée leur valorisation.

Il serait cependant illusoire d’affirmer qu’il s’agit là d’une panacée qui reléguerait les usines d’incinération ou de compostage au rang des antiquités. Au contraire, Biopresse se veut être un maillon essentiel en amont d’une chaîne complète de traitement de déchets urbains. Il s’agit d’une étape fondamentale permettant d’améliorer l’efficacité des systèmes actuels ou de rendre opérationnels des procédés difficilement applicables aux ordures ménagères brutes.

Sa souplesse de fonctionnement, son adaptabilité aux besoins, par exemple par changement de diamètre des trous de la filière, l’utilisation de substrats différents tels que ordures triées, refus de compostage, mélange boues-ordures, lui permet de s’intégrer à toute chaîne de traitement et à tous niveaux, selon les contraintes ou les souhaits de l’utilisateur. Un programme d’études, en collaboration avec l’ANRED, est en cours depuis novembre 1986 pour tester et affiner ces différentes possibilités.

Ainsi, le pressage des ordures ménagères à très haute pression cesse d’être un procédé relevant de l’utopie. Les améliorations techniques apportées depuis un an sur le prototype ont conduit à la fabrication d’une seconde Biopresse, plus fiable et plus performante, dont la mise en service en Suède a eu lieu en octobre 1986.

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